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Comment Nathalie Arthaud - Lutte Ouvrière, d’un point de vue réformiste, tentent d’opposer les révolutionnaires Jaurès et Lénine

samedi 24 juin 2023

Il est évident que les militants qui se disent trotskistes, c’est à dire marxistes révolutionnaires, léninistes, ne mettent pas Jaurès et Lénine sur le même plan. Ils se réclament d’à peu près tout ce qu’à écrit ou fait Lénine, de beaucoup moins concernant Jaurès.

Mais réduire Jaurès à un pacifiste bourgeois comme le fait LO dans son Cercle Léon Trotsky (CLT) récent est inadmissible. C’est une attaque de l’aile gauche du mouvement ouvrier réformiste (LO), contre le mouvement ouvrier révolutionnaire, même si c’est contre son aile droite représentée par Jaurès.

Les trotskistes authentiques se doivent de dénoncer cette attaque de LO, car Jaurès, bien que n’étant pas entièrement marxiste, était bien plus proche du marxisme que ne l’est actuellement LO.

LO voulant déguiser sa participation actuelle à la préparation de la guerre en une position révolutionnaire, doit éliminer politiquement Jaurès, comme ce le fut pour la gauche bourgeoisie par son assassinat en 1914.

La bourgeoisie française doit effacer tout exemple français de lutte contre la guerre impérialiste à venir, faite dans la perspective d’une révolution socialiste, or c’est ce que Jaurès incarne ! LO participe à ce sale travail, au lieu de populariser largement (tout en continuant à le critiquer d’un point de vue marxiste bien sûr) Jaurès.

Car Jaurès donne un exemple dans la lutte contre les guerres impérialistes, avec en particulier la participation de la France, certes moins marxiste que Lénine, mais bien plus socialiste voire marxiste que celui de N. Arthaud, et surtout bien plus proche et compréhensible en France que Lénine et Trotsky.

Des passages entiers de Jaurès sont d’actualités, et mettraient en lumière ce que sont les rodomontades des Mélenchon-Arthaud-Besancenot face à l’impérialisme français : du bavardage de bourgeois radicaux.

Lénine et Jaurès, deux militants de la II ème internationale

Lénine et Jaurès étaient tous les deux militants du mouvement ouvrier organisé au sein de la II-ème internationale (1889-1914), et même Lénine qui rompit pour fonder la III-ème internationale ouvrière fut un continuateur de l’aile révolutionnaire de la II-ème internationale ouvrière :

La II-ème internationale a accompli un utile travail préparatoire d’organisation des masses prolétariennes pendant une longue période « pacifique » qui a celle de l’esclavage capitaliste le plus cruel et du progrès capitaliste le pus rapide : celle du dernier tiers du XIXème siècle et le début du XXème.

(Lénine, oeuvres, tome 21 p. 35

Lénine se réclamait après 1914 de la résolution du congrès de Stuttgart (1907) sur le militarisme. Ce texte fait donc parti du corpus des textes sur lesquels les s’appuient les militants trotskistes, comme les 4 premiers congrès de l’Internationale communiste, autant que les écrits de Lénine et Trotsky eux-mêmes.

LO qui tente d’opposer Jaurès à Lénine, mais d’un point de vue qui se place hors du mouvement ouvrier, répète un des procédés favoris du NPA qui consiste par exemple à opposer Lénine et R. Luxemburg, glorifier le "démocratisme" de la première, dénoncer "l’autoritarisme" du second. Ces militants sont hostiles non seulement à Lénine (NPA), ou Jaurès (LO) mais surtout au mouvement ouvrier, à tout l’acquis de la IIème internationale ouvrière elle-même.

LO et le NPA tentent d’appuyer idéologiquement une des tendances du mouvement ouvrier révolutionnaire contre une autre pour détruire celui-ci dans son ensemble : diviser pour régner.

C’est une telle attaque qui est menée par LO contre Jaurès dans le dernier CLT de cette organisation, en opposant Lénine à Jaurès. Lénine était certes à 1 km à gauche de Jaurès. Mais LO est aujourd’hui à 1000 km à droitede Jaurès et Lénine, le 1 km séparant Lénine et Jaurès devenant négligeable relativement à la position de LO. Expliquons comment.

Jaurès avait un programme contre la guerre, LO n’en a pas

LO n’a aucun programme, ne propose jamais aucune perspective claire que ce soit au niveau de la propagande, de l’agitation ou de l’action, confondant volontairement ces trois aspects.

Par exemple pour les révolutionnaires, si l’action de mettre en place des soviets est prématurée, la propagande pour les soviets ne l’est pas forcément.

Or pour LO dans le mouvement des retraites, l’action étant prématurée car les ouvriers ne veulent pas aujourd’hui des soviets, la propagande pour les soviets l’est aussi forcément, elle serait "gauchiste" car les ouvriers ne "comprendraient pas".

La répétition incantatoire, de termes comme "il faudra renverser la bourgeoisie", "les travailleurs ont bien raison d’exprimer leur colère" ne suffit pas pour constituer un programme, une théorie révolutionnaire. L’Hôpital est en ruine ? Il faudra "renverser la grande bourgeoisie", "les travailleurs ont bien raison d’exprimer leur colère...", avec en complément : "la CGT a organisé un rassemblement tel jour tel heure". Voilà un résumé du "programme" permanent de LO.

LO est prudente, souhaitant que ses militants ne perdent pas leurs postes de second rang dans la CGT. Citer des personnes au lieu de discuter des politiques est un procédé qui permet à LO de tout et ne rien dire, car on ne sait jamais quand LO cite par exemple Trotsky, si LO en conclut : nous pensons que Trotsky avait raison et que son point de vue reste applicable aujourd’hui.

Ainsi dans le dernier CLT on a droit à beaucoup de : Lénine disait, Trotsky disait, Jaurès disait etc. En ne rappelant jamais dans quel cadre (congrès de parti, discours au parlement, prise de position face à un événement) ces propos ont été tenus, LO fait tout pour maintenir la confusion dans la tête de ses militants, afin de garder un pouvoir de type professoral sur eux. Or Jaurès avait comme Lénine un programme bien clair, on peut le combattre si l’on veut, mais des militants révolutionnaires doivent le faire clairement, pas au moyen de sous-entendus, mais par la critique du programme clairement exposé par Jaurès lors des congrès de parti ou au parlement. LO ne le fait pas.

Le paragraphe du CLT, celui que nous voulons commenter est le suivant :

Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre, reste sur le terrain de la diplomatie bourgeoise. En 1908, il veut croire que l’accord entre les gouvernements français, anglais et russe, peut avoir « des buts et des effets pacifiques ». Tandis que d’autres, plus conséquents, comme Lénine, sont convaincus que la seule issue favorable pour le prolétariat est la transformation de « la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs. »

LO est-elle d’accord avec Lénine ? Ce n’est pas précisé. Bien sûr, les militants de LO vous diront "c’est évident", mais laissons cette question de côté pour le moment.

Précisons d’abord à quels textes LO fait référence, ce qui n’est pas facile car Jaurès n’est quasiment pas cité mais paraphrasé, et Lénine pas même cité avec une phrase entière.

Faux propos attribués par LO à Jaurès

Le termes en lesquels LO ne cite pas Jaurès mais se contente de le paraphraser sont totalement obscurs, répétons-les :

Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre, reste sur le terrain de la diplomatie bourgeoise. En 1908, il veut croire que l’accord entre les gouvernements français, anglais et russe, peut avoir « des buts et des effets pacifiques ».

Le brouillard centriste de LO est complet ! Pourquoi ne pas se référer à un texte de Jaurès accessible en français, un des nombreux textes où il tient le même type de propos dénoncé à juste titre par LO ?

Pour une citation plus complète de l’article de Jaurès, publié en allemand et apparemment non traduit, nous devons nous référer à la Lettre ouverte à Jean Jaurès – Rosa Luxemburg 1908, qui contient une critique tout à fait juste de Jaurès d’un point de vue marxiste.

Mais cette critique de R. Luxemburg nous révèle en même temps tout le mystère de Jaurès et la grandeur de Jaurès. R. Luxemburg s’adresse à Jaurès en camarade, et ne le range pas définitivement dans le camp ennemi, elle rappelle un des hauts faits de Jaurès :

Comment doit-on expliquer que vous travailliez « avec une ardeur passionnée » à faire du bourreau sanguinaire de la Révolution russe et de l’insurrection perse le facteur déterminant de la politique européenne, à faire de la potence russe le pilier de la paix internationale – vous qui, il y a un temps, aviez tenu de brillants discours à la Chambre contre les prêts à la Russie, vous qui, il y a encore quelques semaines, avez publié dans votre « Humanité » un appel émouvant à l’opinion publique contre le travail sanglant des cours martiales en Pologne russe ?

R. Luxemburg décelait les contradictions de Jaurès, alors que LO enterre les « brillants discours à la Chambre » que R. Luxemburg saluait.

Démontons point par point les injures anti-Jaurès de LO.

Jaurès était non pas dans l’abstrait "contre toutes les guerres", mais contre la guerre impérialiste programmée

« Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre (...) ». Cette phrase est totalement imprécise. LO s’érige en professeur "sévère mais juste" des ouvriers ignorants devrait éviter les « fautes d’écoliers » dans ses leçons.

Car l’expression exacte devrait être par exemple (notre ajout en majuscules) « Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre IMPERIALISTE A VENIR ». Car Jaurès ne s’opposait pas à « la guerre » en général, mais aux guerres menées par les capitalistes, les impérialistes, les colonialistes ! Jaurès s’opposait à la guerre impérialiste à venir comme le faisaient les congrès de l’internationale,

qui prévoyaient non pas la guerre en général, mais bien la guerre actuelle (...)

Lénine (1914), Oeuvres tome 21 p. 33

LO veut faire de Jaurès un partisan de la non-violence, un pacifiste, comme on lit dans le même CLT :

Le 31 juillet, Jaurès, devenu le symbole de la lutte pacifiste, est assassiné à Paris par un militant nationaliste.

LO ne définit nulle part ce qu’elle entend par « pacifiste », ni par « la lutte pacifiste », dont Jaurès serait devenu « le symbole ». Car Jaurès était un militant de la IIème internationale, sa lutte contre la guerre impérialiste qui allait éclater en 1914 ne se distingue pas, s’inscrit entièrement dans ce cadre, aux côtés de Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg, avec des modalités souvent différentes car Jaurès n’appartenait pas à l’extrême-gauche de cette internationale comme Lénine, Trotsky et Rosa Luxemburg.

Nulle part dans ses oeuvres on ne trouvera une théorie générale de Jaurès se proclamant « pacifiste » ou se réclamant d’un courant « pacifiste » indépendant de celui de l’Internationale ouvrière. Jaurès fut certes contre la guerre de 1914, c’est-à-dire de fait pour le « maintien de la paix ». Mais se déclarer contre une guerre donnée, donc pour la prolongation d’une « période de paix » donnée entre certains Etats bourgeois est différent d’une théorie générale du pacifisme, de l’action non-violente comme le prêchait Ghandi.

Un des textes les plus révolutionnaires de l’histoire de l’humanité est le « Décret sur la paix » rédigé par Lénine immédiatement après la Révolution d’Octobre 1917 où on lit :

« La paix juste ou démocratique, dont a soif l’écrasante majorité des classes ouvrières et laborieuses, épuisées, harassées, martyrisées par la guerre, dans tous les pays belligérants - la paix qu’exigent de la façon la plus résolue et la plus instante les ouvriers et les paysans russes depuis le renversement de la monarchie tsariste, - cette paix, le gouvernement, estime qu’elle ne peut être qu’une paix immédiate, sans annexions (c’est-à-dire sans mainmise sur les terres étrangères, sans rattachement par la force de nationalités étrangères) et sans contributions de guerre. »

Ces lignes écrites par Lénine ne sont-elles pas du pacifisme à la Jaurès ? Jaurès les aurait sûrement signées ! Et pourtant, Lénine n’était pas un pacifiste. Lénine était pour la paix à ce moment précis, cela n’en fait pas un pacifiste. En ce sens, Jaurès n’était pas entièrement pacifiste, il ne dénonçait pas les guerres révolutionnaires, ils les soutenait. La différence entre Lénine et Jaurès est que Lénine savait à l’avance qu’un « Décrét sur la paix » entre les peuples, l’idéal de Jaurès, ne pouvait être écrit et mis en oeuvre que sous la dictature du prolétariat en arme , après la prise du pouvoir par les ouvriers.

Jaurès n’était pas intégralement pacifiste, car partisan de l’armement du peuple comme officiellement tous les partis de la II-ième internationale :

le socialisme, le socialisme français, socialisme international, se préoccup[e] de mettre au service de la liberté des nations, des moyens de défense conformes au génie des peuples libres : plus d’armée de métier, plus d’armée de caste, plus de corps d’officiers aristocratiquement ou bourgeoisement recrutés, et élevés à part dans des écoles closes : le peuple lui-même, le peule en armes, le peuple organisé, le peuple formant ses milices, le peuple choisissant ses chefs, et ces chefs eux-mêmes pénétrés de science, pénétrés de démocratie, mêlés à la vie moderne. Voilà, en attendant l’heure du désarmement général, la forme de l’appareil militaire que l’Internationale prescrit pour sauver l’indépendance des nations de toute agression extérieure, tout en empêchant les agressions et la domination de classe sur le peuple asservi.

Voilà la première affirmation essentielle du socialisme français comme du socialisme international.

Jaurès, compte rendu du Congrès international socialiste de Stuttgart devant la Fédération de la Seine de la SFIO - 7 septembre 1907

Ces éléments du programme du mouvement ouvrier, dont l’armement des ouvriers, LO les a totalement abandonnés, apparaissant comme un parti radical bourgeois comparé à Jaurès !

Lénine et Jaurès étaient pour l’armement du peuple, LO ne ne l’est pas. Ce seul fait justifie de dire que Lénine était à 1 km à gauche de Jaurès, tous les deux se trouvant à 1000 km à gauche de LO.

Jaurès voyait dans le prolétariat le seul défenseur de la paix

Le premier mensonge de LO était de faire de Jaurès un pacifiste opposé à toute guerre, qu’elle soit révolutionnaire ou contre révolutionnaire. Le second est d’en faire un "agent de la bourgeoisie" (LO, au stalinisme honteux, n’emploie pas ce terme, mais le sous-entend) :

Jaurès, lui, malgré son opposition irréductible à la guerre, reste sur le terrain de la diplomatie bourgeoise.

Jaurès n’aurait pas été un camarade militant du mouvement ouvrier mais "Monsieur Jaurès", un politicien bourgeois. Deuxième mensonge.

Le fait que Jaurès ne comptait pas sur la bourgeoisie mais sur le prolétariat pour le maintien de la paix est illustré par son discours La paix et le socialisme, jamais prononcé car devant être prononcé à Berlin, mais Jaurès s’étant vu interdit d’entrée sur le territoire du Reich, publié dans L’Humanité du 9 juillet 1905.

On y lit :

C’est au prolétariat international, avertissant et aiguillonnant la conscience universelle, à exercer dans le sens de paix l’action décisive.

Certes Jaurès se trompait en voyant dans les accords entre puissances impérialistes des résultats de la « pression ouvrière », mais c’est bien en une politique internationale du prolétariat, « forçant la diplomatie bourgeoise », que Jaurès voyait le salut, se trompant complètement :

A cet accord rétabli entre la France et l’Angleterre, nous tenons d’autant plus, nous socialistes, qu’il a été préparé par les travailleurs anglais et les travailleurs français. Au lendemain même des incidents qui avalent failli mettre aux prises l’Angleterre et la France, ce sont les délégués des Trade-Unions anglaises qui sont venus à Paris, à la Bourse du Travail, proclamer les premiers la nécessité d’un rapprochement. Quand donc nous défendons l’entente franco-anglaise, et contre ceux qui veulent en dénaturer le sens en lui donnant une interprétation agressive, et contre ceux qui voudraient la briser pour entraîner la France dans l’orbite d’une autre politique, nous défendons un fragment de l’œuvre internationale de la classe ouvrière.

Déjà cette entente de la France et de l’Angleterre a servi la paix du monde en localisant le conflit de la Russie et du Japon. Elle la servira encore en contribuant à améliorer les rapports de l’Allemagne et de l’Angleterre. La France ne prétend pas au rôle présomptueux et redoutable d’arbitre. Et si la téméraire expansion de leur politique mondiale devait mettre aux prises l’Angleterre et l’Allemagne, la France ne suffirait certainement pas à prévenir le conflit. Elle y peut aider cependant en ne le compliquant pas.

Quelles illusions ! Oui dans ces paroles, Jaurès est patriote, réformiste, plein d’illusions sur la paix possible entre puissances impérialistes. Mais Millerand était également pacifiste et réformiste, pourtant Millerand était un ennemi des travailleurs, alors que Jaurès était un socialiste auquel Lénine et Trotsky rendirent hommage en le, plaçant parmi les 31 personnalités qui après la révolution d’Octobre méritaient d’avoir leur statue dans toutes les villes de l’Etat ouvrier !

Lénine salue le rôle de Jaurès au Congrès de Stuttgart (1907)

La citation de Lénine faite par LO, pour l’opposer à celle de Jaurès en 1908, est extraite du dernier paragraphe du Projet de résolution de la gauche de Zimmerwald, écrit ... à l’été 1915 ! Citons en entier ce dernier paragraphe, avec en gras la citation de LO :

La guerre impérialiste inaugure l’ère de la révolution sociale. Toutes les conditions objectives de l’époque actuelle mettent à l’ordre du jour la lutte révolutionnaire de masse du prolétariat. Les socialistes ont pour devoir, sans renoncer à aucun des moyens de lutte légale de la classe ouvrière, de les subordonner tous à cette tâche pressante et essentielle, de développer la conscience révolutionnaire des ouvriers, de les unir dans la lutte révolutionnaire internationale, de soutenir et de faire progresser toute action révolutionnaire, de chercher à transformer la guerre impérialiste entre les peuples en une guerre civile des classes opprimées contre leurs oppresseurs, en une guerre pour l’expropriation de la classe des capitalistes, pour la conquête du pouvoir politique par le prolétariat, pour la réalisation du socialisme.

(Lénine, 1915)

La phrase de Lénine : « La guerre impérialiste inaugure l’ère de la révolution sociale » est valable aujourd’hui. L’effondrement du capitalisme en 2008 a mis à l’ordre du jour une guerre mondiale impérialiste qui sera déclenchée par l’impérialisme dirigeant le monde capitaliste : les USA. On ne retrouve jamais une telle phrase chez LO, ce qui explique la troncature quasi complète de la citation de Lénine par LO.

Opposer le Lénine de 1915 au Jaurès de 1908 n’a pas de sens. La théorie de Lénine de la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile remonte au moins, selon Lénine lui-même, au congrès de Stuttgart (1907), où fut votée une Résolution relative au "Militarisme et aux Conflits internationaux"

(...) la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile. C’est précisément ce mot d’ordre qui est indiqué par les résolutions de Stuttgart et de Bâle (...)

Lénine (1914), Oeuvres, tome 21 p. 33

Lénine et Jaurès participèrent tous les deux
au VIIe Congrès Socialiste Internationale tenu à Stuttgart en août 1907, et votèrent tous les deux la résolution !

LO dans son CLT mentionne ce Congrès, mais sans préciser si Lénine et Jaurès y participèrent, afin de les opposer :

La seconde Internationale dénonce le militarisme. (...) En 1907, à Stuttgart, le congrès de l’Internationale adopte la résolution suivante : (...) « Le congrès confirme les résolutions des précédents congrès internationaux (…) et rappelle que l’action contre le militarisme ne peut pas être séparée de l’ensemble de l’action contre le capitalisme. (…) Les guerres sont favorisées par les préjugés nationalistes que l’on cultive systématiquement dans l’intérêt des classes dominantes, afin de détourner la masse prolétarienne de ses devoirs de classe et de ses devoirs de solidarité́ internationale. »

Jaurès, lui, (...)

d’autres, plus conséquents, comme Lénine (...)

Bien malin le lecteur qui comprendra en lisant LO que Lénine, et Jaurès « lui » aussi, participèrent tous les deux à ce congrès de Stuttgart ! Et LO se garde bien de mentionner que la résolution en question, comme le dit Lénine, ne se contente pas de dénonciations, mais appelle à l’action.

LO présente de plus ce congrès de façon partielle en affirmant :« Les socialistes dénoncent l’impérialisme et les conquêtes coloniales. » Car à ce congrès 108 mandats des délégués se sont prononcés en faveur du colonialisme ! Et 128 contre, ce qui permit au Congrès de s’affirmer contre le colonialisme. C’est dans le compte rendu de Lénine que ces chiffres sont données, Lénine ajoutant :

Ce vote sur la question coloniale est d’une très grande importance. On a vu se démasquer l’opportunisme socialiste

Dans ce même compte rendu, qui mit à l’ordre du jour 5 points : 1) colonies 2) droit des femmes 3) syndicats et partis 4) immigration 5) antimilitarisme, Lénine salua le rôle positif de Jaurès dans la résolution portée par lui et R. Luxemburg, qui avaient amendé un résolution très fade de Bebel :

Tous ces amendements ont été insérés dans la résolution de Bebel par une sous-commission élue par la commission sur l’antimilitarisme. En outre Jaurès a proposé un plan excellent : au lieu d’indiquer des moyens de lutte (grève, insurrection) , on devrait mettre en relief des exemples historiques de la lutte du prolétariat contre la guerre, des manifestations en Europe à la révolution russe. (...) Les résolutions de ce congrès doivent devenir le compagnon constant de tout propagandiste et de tout militant.

LO met Jaurès et les résolutions du congrès de Stuttgart à la poubelle, en ne proposant aucune action concrète contre la guerre, même au niveau de l’agitation et de la propagande.

Suivons plutôt la proposition Lénine concernant ces résolutions, et la contribution qu’y apporta Jaurès, ce géant du mouvement ouvrier, que les militants ouvriers de France doivent connaitre, lire et citer, comme nous y encourageait Trotsky :

J’ai entendu Jaurès aux assemblées populaires de Paris, aux Congrès internationaux, aux commissions des Congrès. Et toujours je croyais l’entendre pour la première fois. En lui aucune routine : se cherchant, se trouvant lui-même, toujours et inlassablement mobilisant à nouveau les forces multiples de son esprit, il se renouvelait sans cesse et ne se répétait jamais. Sa force puissante, naturelle, s’alliait à une douceur rayonnante qui était comme un reflet de la plus haute culture morale. Il renversait les rochers, tonnait, ébranlait, mais ne s’étourdissait jamais lui-même, était toujours sur ses gardes, saisissait admirablement l’écho qu’il provoquait dans l’assemblée, parait les objections, balayant quelquefois impitoyablement tel un ouragan, toute résistance sur son chemin, parfois écartant tous les obstacles avec magnanimité et douceur comme un maître, un frère aîné. Ainsi le marteau-pilon gigantesque réduit en poussière un bloc énorme ou enfonce avec précision un bouchon dans une bouteille sans la briser.

Paul Lafargue, marxiste et adversaire de Jaurès, l’appelait un diable fait homme. Cette force diabolique, ou pour mieux dire « divine », s’imposait à tous, amis ou ennemis. Et fréquemment, fascinés et admiratifs comme devant un grandiose phénomène de la nature, ses adversaires écoutaient suspendus à ses lèvres le torrent de son discours qui roulait irrésistible, éveillant les énergies, entraînant et subjuguant les volontés.

Il y a trois ans, ce génie, rare présent de la nature à l’humanité, a péri avant d’avoir donné toute sa mesure. Peut-être la fin de Jaurès était-elle nécessaire à l’esthétique de sa physionomie ? Les grands hommes savent disparaître à temps. Sentant la mort, Tolstoï prit un bâton, s’enfuit de la société qu’il reniait et s’en fut mourir en pèlerin dans un village obscur. Lafargue, épicurien doublé d’un stoïcien, vécut dans une atmosphère de paix et de méditation jusqu’à 70 ans, décida que c’en était assez et prit du poison. Jaurès, athlète de l’idée, tomba sur l’arène en combattant le plus terrible fléau de l’humanité et du genre humain : la guerre. Et il restera dans la mémoire de la postérité comme le précurseur, le prototype de l’homme supérieur qui doit naître des souffrances et des chutes, des espoirs et de la lutte.

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