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Tolstoï et la révolution russe

mardi 3 décembre 2013

LES ÉVÉNEMENTS ACTUELS
EN RUSSIE

Il y a deux mois, je reçus d’un journal de l’Amérique du Nord, un câblogramme, avec réponse payée de cent mots ; on me demandait mon opinion sur l’importance, le but, et les conséquences probables de l’agitation des Zemstvos. Ayant sur ce sujet une opinion très nette, et en désaccord avec celle de la majorité, je crus nécessaire de la donner.

Voici ce que je répondis :

L’agitation des Zemstvos a pour but la limitation du despotisme et l’institution d’un gouvernement représentatif. Les meneurs de cette agitation atteindront-ils leur but ou continueront-ils seulement à troubler la société ? Dans les deux cas, le résultat probable de tout cela sera l’ajournement de la véritable amélioration sociale, puisque la véritable amélioration sociale ne s’obtient que par le perfectionnement religieux et moral de l’individu. Tandis que l’agitation politique, plaçant devant les individus l’illusion pernicieuse de l’amélioration sociale par le changement des formes extérieures, arrête, ordinairement, le vrai progrès, ce qu’on peut remarquer dans tous les États constitutionnels : France, Angleterre, Amérique.

Le contenu de ce télégramme parut dans les Moskovskïa Viédomosti, avec quelques inexactitudes ; et, aussitôt après, je commençai à recevoir et reçois encore des lettres pleines de reproches pour l’idée que j’ai exprimée ; de plus, les journaux américains, anglais et français me demandent ce que je pense des événements qui se produisent actuellement en Russie. Je ne désirais répondre ni aux uns ni aux autres, mais après les massacres de Saint-Pétersbourg et les sentiments d’indignation, de peur, de colère et de haine qu’ils ont provoqués dans la société, j’ai cru de mon devoir d’exprimer avec plus de détails et de netteté, ce que j’avais exposé brièvement dans les cent mots du journal américain.

Ce que j’ai à dire aidera peut-être quelques hommes à s’affranchir de ces sentiments pénibles de blâme, de honte, d’irritation, de haine, de désir de la lutte, de vengeance, et de conscience de leur impuissance qu’éprouvent maintenant la plupart des Russes ; peut-être cela les aidera-t-il à reporter leur énergie sur cette activité intérieure, morale, qui seule procure le vrai bien aux individus ainsi qu’à la société, et qui, maintenant, est d’autant plus nécessaire que les événements qui se déroulent sont plus compliqués et plus pénibles.

Voici ce que je pense des événements actuels : Je considère, non seulement le gouvernement russe, mais chaque gouvernement, comme une institution compliquée, consacrée par la tradition et la coutume pour commettre impunément la violence, les crimes les plus épouvantables, les meurtres, les pillages, et répandre l’alcoolisme, l’étourdissement, la dépravation, l’exploitation du peuple par les riches et les forts. C’est pourquoi je pense que tous les efforts de ceux qui désirent améliorer la vie sociale, doivent tendre à affranchir les hommes des gouvernements, dont l’inutilité devient, en notre temps, de plus en plus évidente. Ce but, selon moi, s’atteint par un moyen, un seul : par le perfectionnement intérieur religieux et moral des individus.

Plus les hommes seront supérieurs sous le rapport religieux et moral, plus les formes sociales dans lesquelles ils se grouperont seront bonnes et moins le gouvernement commettra de violence et de mal. Et au contraire, plus les hommes d’une certaine société seront inférieurs, au point de vue religieux et moral, plus le gouvernement sera puissant et plus le mal qu’il commettre sera grand.

De sorte que le mal causé aux hommes par les agissements du gouvernement est toujours proportionnel à l’état religieux et moral de la la société, quelle que soit sa forme.

Cependant, certaines gens, devant tout le mal commis présentement par le gouvernement russe, — gouvernement particulièrement cruel, grossier, stupide et mensonger — pensent que tout ce mal ne se produirait pas si le gouvernement russe était organisé comme il devrait l’être, sur le modèle des autres gouvernements existants (qui sont les mêmes institutions, bonnes à commettre impunément, sur leurs peuples, des crimes de toutes sortes) ; et pour y remédier, ces gens emploient tous les moyens qui sont en leur pouvoir, s’imaginant que le changement des formes extérieures peut modifier le contenu.

Une pareille activité me semble inefficace, déraisonnable, irrégulière (c’est-à-dire que les hommes s’attribuent des droits qu’ils n’ont pas) et inutile.

Je trouve cette activité inefficace, parce que la lutte par la force, et, en général, par les manifestations extérieures (et non par la seule force morale), d’un petit groupe de gens contre un gouvernement puissant qui défend sa vie, et qui dispose ? pour cela de millions d’hommes armés et disciplinés et de milliards, parce que, pareille lutte, au point de vue du succès possible, n’est que ridicule, et elle est pénible au point de vue du sort de ces malheureux hommes entraînés qui perdent leur vie dans cette lutte inégale.

Cette activité me semble déraisonnable, parce que, même dans l’hypothèse la plus improbable — le triomphe de ceux qui luttent actuellement contre le gouvernement, — la situation des hommes ne pourrait pas s’améliorer.

Le gouvernement actuel, qui agit par la force, est tel, seulement parce que la société qu’il domine est composée d’hommes moralement très faibles, dont les uns, guidés par l’ambition, le lucre et l’orgueil, sans être gênés par la conscience, tâchent, par tous les moyens, d’accaparer et de retenir le pouvoir, et les autres, par crainte et aussi par l’amour du gain et l’ambition, ou, grâce à l’étourdissement, aident les premiers ou se soumettent. Aussi, de quelque façon et sous quelque forme que se groupent ces hommes, il en résultera toujours un gouvernement pareil et aussi violent.

Je trouve cette activité irrégulière, parce que les hommes, qui actuellement, en Russie, luttent contre le gouvernement — les membres libéraux des Zemstvos, les médecins, les avocats, les écrivains, les étudiants, les révolutionnaires et quelques milliers d’ouvriers détachés du peuple et influencés par la propagande, — bien qu’ils se croient et s’intitulent les représentants du peuple, n’ont aucun droit à ce titre.

Ces hommes, au nom du peuple, réclament du gouvernement la liberté, liberté de la presse, liberté de conscience, liberté de réunion, la séparation des Églises et de l’État, la journée de travail de huit heures, la représentation nationale, etc. Et demandez au peuple, aux cent millions de paysans, ce qu’ils pensent de ces réclamations, et le vrai peuple, les paysans, aura beaucoup de peine pour répondre, parce que toutes ces réclamations, même la journée de travail de huit heures, pour la grande masse des paysans, ne présentent aucun intérêt.

Les paysans n’ont que faire de tout cela, il leur faut autre chose : ce qu’ils attendent et désirent depuis longtemps, ce à quoi ils pensent et dont ils parlent sans cesse, — et dont il n’y a pas un mot dans toutes les adresses libérales et les discours, et qu’on mentionne à peine, en passant, dans les programmes révolutionnaires et socialistes — ce que le peuple attend et désire, c’est l’affranchissement de la terre du droit de propriété, la socialisation de la terre. Quand le paysan jouira de la terre, ses enfants n’iront plus aux fabriques, et ceux qui voudront y aller établiront eux-mêmes, pour eux, le nombre d’heures de travail et de salaire. On dit, donnez la liberté et le peuple exposera ses réclamations. C’est faux. En Angleterre, en France, en Amérique, la liberté de la presse est absolue, cependant, dans les parlements, on ne parle pas de la socialisation de la terre, on en parle à peine dans les journaux, et la question du droit du peuple sur la terre, reste reléguée à l’arrière-plan.

C’est pourquoi les libéraux et les révolutionnaires qui rédigent le cahiers de doléances du peuple n’y ont aucun droit : ils ne représentent pas le peuple, ils ne représentent qu’eux-mêmes.

Aussi, selon moi, cette activité est-elle inefficace, déraisonnable, et irrégulière. De plus, elle est nuisible parce qu’elle détourne les hommes de cette activité unique — le perfectionnement moral de l’individu — par laquelle, et exclusivement par laquelle, peuvent être atteints les buts que se proposent les hommes qui luttent contre le gouvernement.

§

« L’un n’empêche pas l’autre », dira-t-on. Mais ce n’est pas vrai. On ne peut faire deux choses à la fois. On ne peut se perfectionner moralement et participer, en même temps, à des actes politiques qui entraînent les hommes dans les intrigues, les ruses, les luttes, la colère allant jusqu’au meurtre. L’activité politique non seulement n’aide pas à l’affranchissement des violences gouvernementales, mais, au contraire, elle rend les hommes de plus en plus inaptes à l’unique activité qui les puisse affranchir.

Tant que les hommes seront incapables de résister aux séductions de la peur, de l’étourdissement, du lucre, de l’ambition, de la vanité, qui asservissent les uns et dépravent les autres, ils se grouperont toujours en une société composée de violateurs et d’imposteurs, et de leurs victimes. Pour que cela ne soit pas, chaque individu doit faire un effort moral sur lui-même. Les hommes sentent cela, au fond de leur âme, mais ils veulent atteindre d’une façon quelconque, sans efforts, ce qui ne s’atteint que par l’effort.

S’expliquer, par ses propres efforts, son rapport envers le monde et s’y tenir, établir son rapport envers les hommes, en se basant sur cette loi éternelle : « ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas que les autres te fassent », réprimer ses mauvaises passions, qui nous livrent au pouvoir des autres hommes, n’être ni le maître ni l’esclave de personne, ne pas feindre, ne pas mentir, ni par crainte, ni par lucre, ne pas éluder les exigences de la loi suprême de la conscience, tout cela exige l’effort.

S’imaginer, au contraire, que l’institution d’une certaine forme de gouvernement amènera, par une voie mystique quelconque, tous les hommes, et soi-même dans ce nombre, à l’équité et à la vertu et, pour arriver à cela, sans aucun effort de la pensée, répéter ce que disent les hommes d’un parti, s’émouvoir, discuter, mentir, feindre, insulter et se battre, tout cela se fait de soi-même, sans qu’il y ait besoin d’efforts. Les hommes veulent tellement qu’il en soit ainsi, qu’ils se persuadent que cela est.

Et alors, voilà une théorie d’après laquelle on tâche de prouver que les hommes peuvent, sans efforts, obtenir les résultats de l’effort. Cette théorie est semblable à celle d’après laquelle, la prière pour son propre perfectionnement, la foi en la rédemption des péchés par le sang du Christ, ou la grâce divine transmise par les sacrements, peuvent remplacer l’effort personnel. Sur la même aberration psychologique est basée aussi cette théorie extraordinaire de l’amélioration de la vie sociale par le changement des formes extérieures qui a produit et produira tant de maux horribles et qui, plus que tout, empêche le vrai progrès de l’humanité

Les hommes reconnaissent qu’il y a, en leur vie, quelque chose de mauvais, qu’il y a quelque chose qu’il faut améliorer. Mais l’homme ne peut améliorer qu’une seule chose qui est en son pouvoir, lui-même. Mais pour s’améliorer soi-même, il faut, avant tout, reconnaître qu’on n’est pas bon, et cela, l’homme ne le veut pas. Et voilà, on attire toute l’attention non sur ce qui est toujours en notre pouvoir, non sur nous-mêmes, mais sur des conditions extérieures qui ne sont pas en notre pouvoir et dont le changement ne peut pas plus améliorer la situation des hommes que le transvasement du vin ne peut changer ses qualités. Et voilà que commence une activité : 1° stérile ; 2° nuisible, orgueilleuse, (nous corrigeons les autres), méchante (on peut tuer ceux qui font obstacle au bien commun), et dépravante.

« Reconstituons les formes sociales et la société prospérera. » Ce serait beau si le bien de l’humanité s’atteignait aussi facilement ! Malheureusement, ou plutôt heureusement (parce que si les uns pouvaient arranger la vie des autres, ceux-là seraient les plus malheureux des hommes), il n’en est pas ainsi. La vie humaine se modifie non par le changement des formes extérieures, mais seulement par le travail intérieur de chaque individu sur lui-même. Et chaque effort pour agir sur les formes extérieures ou sur autrui, ne change pas la situation des hommes, mais ne fait qu’altérer, diminuer la vie de celui ou de ceux qui, — comme tous ces hommes politiques, rois, ministres, membres du parlement, révolutionnaires, de toutes sortes, libéraux — cèdent à cette erreur pernicieuse.

§

Les hommes qui jugent superficiellement, les hommes légers, émus particulièrement par la boucherie fratricide commise récemment à Saint-Pétersbourg, et par tous les événements qui accompagnèrent ce crime, pensent que la cause principale de ces événements est dans le despotisme du gouvernement russe, et que si la forme autocratique du gouvernement russe était remplacée par la forme constitutionnelle ou républicaine, de pareils événements ne pourraient se répéter.

Mais le mal principal, (si l’on en pénètre attentivement toute l’importance), dont souffre maintenant le peuple russe, n’est pas dans les événements de Saint-Pétersbourg : c’est dans la guerre honteuse et cruelle, commencée à la légère, par une dizaine d’hommes immoraux. Cette guerre a déjà tué et mutilé des centaines de mille Russes et menace d’en tuer et d’en mutiler encore autant ; elle a ruiné non seulement les hommes de cette génération, mais ceux de la génération future, qu’elle accable d’impôts énormes, sous la forme de dette, et elle perd les âmes des hommes qu’elle déprave. Ce qui s’est passé à Saint-Pétersbourg le 9 janvier[1], n’est rien en comparaison de ce qui se fait là-bas. Là-bas, à la guerre, on tue et mutile cent fois plus d’hommes qu’il en a péri le 9 janvier, à Saint-Pétersbourg. Et la perte de ces hommes, là-bas, non seulement ne révolte pas la société, comme les massacres de Saint-Pétersbourg, mais la plupart envisagent avec indifférence, d’autres avec compassion, ce fait que des milliers d’hommes sont de nouveau chassés là-bas, pour la même tuerie insensée et sans but.

Ce mal est horrible ! Si donc l’on parle des maux du peuple russe, il faut parler de la guerre ; les événements de Saint-Pétersbourg ne sont qu’une circonstance accessoire qui accompagne le mal profond, et s’il faut chercher le moyen de le délivrer de ses maux, il faut le trouver tel, qu’il le délivre des deux à la fois.

Le changement de la forme despotique du gouvernement en forme constitutionnelle ou républicaine ne délivrera la Russie ni de l’un ni de l’autre. Tous les États constitutionnels, aussi bien que l’État russe, s’arment stupidement, et, comme en Russie, quand il le leur vient en tête, les quelques hommes qui ont le pouvoir envoient leur peuple à la lutte fratricide : guerre d’Abyssinie, du Transvaal, de l’Espagne avec Cuba et les Philippines, de Chine, du Thibet, guerre contre les peuplades d’Afrique, toutes guerres menées par les gouvernements les plus constitutionnels et les plus républicains ; et de même, tous ces gouvernements, quand ils le trouvent nécessaire, répriment, avec la force armée, les révoltes et les manifestations de la volonté du peuple quand ils les considèrent comme la violation de la légalité, c’est-à-dire, de ce que ces gouvernements, à un moment donné, considèrent comme la loi.

Quand dans un État, ayant n’importe quelle constitution, le pouvoir se maintient par la violence et peut être accaparé par quelques hommes, par des moyens quelconques, quelle qu’en soit la forme, il y aura toujours la possibilité des mêmes événements que ceux qui se produisent maintenant en Russie — la guerre et la répression des révoltes.

De sorte que l’importance des événements qui se passent à Saint-Péterssbourg n’est pas du tout ce que pensent les hommes légers, à savoir qu’ils nous ont montré la malfaisance particulière du gouvernement despotique russe et que, par conséquent, il faut tâcher de le remplacer par un gouvernement constitutionnel. L’importance de ces événements est beaucoup plus grande : c’est que, dans les actes du gouvernement russe, particulièrement sot et grossier, nous voyons plus clairement que par les actes des autres gouvernements, la malfaisance et l’inutilité non de tel ou tel gouvernement, mais de tous les gouvernements, c’est-à-dire d’un groupement d’hommes ayant la possibilité de soumettre à leur volonté la majorité du peuple.

Le rapport, la situation et les impressions des Russes, des Européens, et surtout des Américains, sont tout à fait analogues à ceux de ces deux hommes venus dans le temple et dont on parle dans l’évangile de Luc, chap. XVIII, v. 10-11-13 (Pharisiens et péagers).

En Angleterre, en Amérique, en France, en Allemagne, la malfaisance des gouvernements est si bien masquée que les citoyens de ces divers pays, en vue des événements de la Russie, s’imaginent naïvement que ce qui se passe en Russie ne se fait que là, et qu’eux-mêmes jouissent de la liberté absolue et n’ont point besoin d’améliorer leur situation, c’est-à-dire qu’il se trouvent dans l’état le plus excessif de l’esclavage : l’esclavage de ceux qui ne comprennent pas qu’ils sont esclaves et sont fiers de leur situation.

Sous ce rapport notre situation, à nous, Russes, d’une part est plus pénible (en ce sens que les violences commises sont plus grossières), et d’autre part, meilleure, parce qu’il nous est plus facile de comprendre de quoi il s’agit ; et le voici : chaque gouvernement soutenu par la force, est, par essence même, un grand fléau inutile, et c’est pourquoi le devoir des Russes, et de tous les hommes asservis par les gouvernements, est, non de remplacer une forme de gouvernement par une autre, mais de supprimer tout gouvernement.

En résumé, mon opinion sur les événements actuels est la suivante : le gouvernement russe, comme chaque gouvernement existant — américain, français, japonais, anglais — est un horrible, inhumain et impuissant brigand dont l’activité malfaisante se manifeste sans cesse. C’est pourquoi tous les hommes raisonnables doivent, de toutes leurs forces, tâcher de se délivrer de tout gouvernement, comme les Russes doivent tâcher de se débarrasser du gouvernement russe.

Pour se débarrasser des gouvernements il ne faut pas lutter contre eux par les moyens extérieurs (minimes jusqu’au ridicule auprès des moyens dont disposent les gouvernements), il faut seulement n’y point participer, ne pas les soutenir, et alors, ils seront anéantis. Et pour ne pas participer aux gouvernements et ne les pas soutenir, il faut être affranchi des faiblesses qui entraînent les hommes dans les pièges des gouvernements et les rendent leurs esclaves ou leurs participants.

Être affranchi de ces faiblesses n’est possible que pour l’homme qui a établi son rapport envers Tout, c’est-à-dire envers Dieu, et qui vit selon la loi unique, supérieure, qui découle de ce rapport — pour l’homme religieux et moral.

C’est pourquoi plus les hommes voient et sentent nettement la malfaisance des gouvernements — comme actuellement, nous, les Russes, qui sentons nettement, maladivement, le mal de notre gouvernement stupide, cruel et mensonger qui a perdu déjà des centaines de mille hommes, qui ruine et déprave des millions de gens, et maintenant, provoque les Russes au fratricide — plus opiniâtrement doivent-ils tâcher d’établir en eux une conscience nette, ferme, religieuse, plus scrupuleusement doivent-ils accomplir la loi divine qui découle de cette conscience et qui exige de nous non la transformation du gouvernement existant, ou l’établissement de cette organisation sociale, qui, selon nos opinions bornées, garantirait le bien général, mais qui exige de nous une seule chose : le perfectionnement moral, c’est-à-dire notre affranchissement de toutes les faiblesses, de tous les vices qui font de nous les esclaves des gouvernements et les complices de leurs crimes.

§

J’avais terminé cet article et me demandais s’il fallait le publier ou non, quand je reçus une remarquable lettre, non signée.

La voici :

Depuis déjà plusieurs jours, je ne puis me ressaisir. Quand quelqu’un commence à me parler des ouvriers massacrés, je ressens pour lui de la haine et j’éprouve une sorte de mal physique.

Il y avait des monceaux de cadavres, des femmes et des enfants ensanglantés, emmenés dans des voitures… Mais est-ce là ce qui est horrible ? Non, ce sont les soldats avec leurs visages bonasses, ordinaires, sans pensées, sans compréhension, qui sont horribles ! Les soldats qui battent la semelle sur la neige et attendent l’ordre de fusiller quelqu’un. C’est, le public aussi, avec son aspect ordinaire, curieux, qui est horrible. Même les plus braves gens viennent là pour voir eux-mêmes, ou apprendre des autres, des choses épouvantables, les cadavres ensanglantés, mutilés, etc… Comme si l’on pouvait voir quelque chose de plus effroyable que ces soldats qui sont comme toujours et ces braves gens qui ne veulent qu’une chose : des frissons d’horreur

Je ne puis définir ce qui est le plus terrible. C’est, il me semble, ce fait qu’ils ne comprennent pas et que leurs visages sont ordinaires, bien qu’une heure plus tard ils iront tuer, et que le sang rougira les pavés. Le plus épouvantable, il me semble, c’est de sentir qu’entre les hommes n’existe aucun lien. Oui, je crois que c’est le plus terrible ! Ils sont du même village, seulement les uns sont en capotes grises, et les autres en paletots noirs, et l’on ne peut nullement comprendre pourquoi les gris plaisantent en causant du froid et regardent pacifiquement les hommes en noir qui passent devant eux, tandis que chacun d’eux sait qu’il possède des cartouches pour dix coups et qu’une ou deux heures plus tard, ces cartouches seront dépensées. Et les hommes noirs les regardent comme si cela devait être.

On lit dans les livres, on parle sur ce qui désunit les hommes et l’on ne sent pas combien c’est horrible, et quand cela est partout autour de soi, comme ces jours-ci, momentanément tout le reste cesse d’exister et il n’y a plus que les capotes grises, les paletots noirs, les pelisses élégantes, et tous sont occupés d’une seule chose, mais chacun de façon différente ; personne ne s’étonne, personne, parmi eux, ne sait pourquoi les uns tirent, pourquoi les autres tombent, pourquoi les autres regardent. En d’autres temps, il y eut la même vie terrible et incompréhensible, où il était dans l’ordre des choses de tirer, d’après le commandement, sans hostilité ni haine ! Mais ces jours-ci, tout le reste est momentanément suspendu. Il ne reste que cette seule chose épouvantable !… Il semble qu’un abîme te sépare de chaque homme, et que tu ne puisses le franchir, bien que tu sois près. Ce sentiment est épouvantable !

Cinq fois j’ai pris et laissé cette lettre, à la fin je me suis décidé à l’écrire. Peut-être parce qu’il est pénible de se taire toujours. Tous parlent de la nécessité d’aider aux ouvriers et paraissent compatir à leur sort. Mais ce n’est pas la situation des ouvriers qui est terrible, ce n’est pas eux qui ont besoin d’aide, mais ceux qui attirent les gens et les piétinent, et ceux qui, le lendemain, regardent les vitres brisées, les réverbérés renversée, les traces des balles, et, sans voir le sang glacé sur le trottoir, marchent dessus.

Oui, le principal c’est que quelque chose désunit les hommes, qu’il n’y a pas de lien entre eux. L’important est donc d’écarter ce qui désunit les hommes et de le remplacer par ce qui les unit. C’est toute forme extérieure violente du gouvernement qui désunit les hommes ; la seule chose qui les unisse, c’est le rapport envers Dieu, l’aspiration vers lui, parce que Dieu est seul pour tous et que le rapport des hommes envers Dieu est un.

Que les hommes le veuillent reconnaître ou non, devant nous tous se dresse le même idéal de perfectionnement supérieur, et seule l’aspiration vers cet idéal anéantit la désunion et rapproche les hommes.

Iasnaïa Poliana, février 1905.


SUR LA RÉVOLUTION[1]

« Il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. » Les révolutionnaires disent que leur activité a pour but la destruction de cet état de choses tyrannique qui opprime et déprave les hommes. Mais, pour l’anéantir, il faut d’abord en avoir les moyens. Pour cela, il faut qu’il y ait au moins une chance de succès de cette destruction. Et il n’y a pas la moindre chance pareille. Les gouvernements, existant, depuis longtemps déjà, connaissent leurs ennemis et les dangers qui les menacent, et c’est pourquoi ils ont pris depuis longtemps et prennent toutes les mesures rendant impossible la destruction de cet état de choses par lequel ils se maintiennent. Et les motifs et les moyens qu’ont pour cela les gouvernements sont les plus forts qui puissent exister : l’instinct de conservation et l’armée disciplinée.

La tentative révolutionnaire du 14 décembre[2] s’est produite dans les conditions les plus favorables : c’était le moment d’un interrègne de hasard et la plupart des révoltés appartenaient à l’armée. Eh quoi ! À Pétersbourg et à Toultchine l’insurrection était réprimée presque sans effort par les troupes soumises au gouvernement, puis vint le règne de Nicolas Ier, inepte, brutal, qui déprava les hommes, et dura près de trente ans. Et toutes les tentatives de révolution, non de palais, qui suivirent celle-ci, en commençant par les aventures de dizaines de jeunes gens des deux sexes qui pensèrent, en armant les paysans russes d’une trentaine de pistolets, vaincre une armée aguerrie de milliers de soldats, jusqu’aux derniéres manifestations des ouvriers qui, le drapeau déployé, criaient : « À bas le despotisme ! » et que dispersèrent facilement des dizaines de sergents de ville et de Cosaques avec la nagaïka, ainsi que les explosions et les assassinats des années 1870 qui aboutirent au 1er mars[3], toutes ces tentatives se terminèrent — et ne pouvaient se terminer autrement — par la perte de plusieurs braves gens et par un accroissement de force et de brutalité du gouvernement. Les choses n’ont pas changé : À la place d’Alexandre II, Alexandre III, puis Nicolas II. À la place de Bogoliepov, Glazov ; à la place de Sipiaguine, Plehwe ; à la place de Bobrikov, Obolensky.

Je n’ai pas achevé ce passage que déjà Plehwe n’est plus là et à sa place on pense nommer quelque autre, probablement encore plus nuisible que Plehwe, parce que, après le meurtre de Plehwe, le gouvernement doit devenir encore plus cruel. On ne peut nier le courage des hommes comme Khaltourine[4], Ryssakov, et Mikhaïlov[5], et maintenant les meurtriers de Bobrikov et de Plehwe, qui sacriffèrent leur vie pour atteindre un but inaccessible. De même on ne peut méconnaître le courage et l’abnégation de ceux qui, avec les sacrifices les plus grands, vont au peuple pour souffler la révolte, de ceux qui impriment et répandent les brochures révolutionnaires.

Mais il est impossible de ne pas voir que l’activité de ces hommes ne peut mener qu’à leur perte et à l’aggravation de la situation générale. Ce fait que des hommes intelligents, moraux, peuvent s’adonner entièrement à une activité si évidemment inutile peut s’expliquer seulement parce que, dans l’activité révolutionnaire, il y a une part de lutte, d’excitation, de risque de la vie libre, qui attire toujours la jeunesse. C’est pénible de voir l’énergie d’hommes forts et capables se dépenser à tuer des animaux, à parcourir à bicyclette de grandes distances, à sauter des obstacles, à lutter, etc., et c’est encore plus triste de voir cette énergie se dépenser pour troubler les hommes, pour les entraîner à une activité dangereuse qui détruit leur vie, ou, ce qui est pire encore, à fabriquer de la dynamite, à faire des explosions, ou, tout simplement, à tuer un personnage politique quelconque jugé nuisible, et que des milliers de gens encore plus nuisibles sont prêts à remplacer.

Et le plus triste c’est de voir les personnes les meilleures, les plus morales, bonnes, courageuses, comme l’était Mlle Perovskaia[6], Osinsky, Lisogoub[7] et plusieurs autres — pour ne parler que des morts, — de voir que ces personnes entraînées par la lutte sont amenées non seulement à dépenser leurs meilleures forces pour atteindre l’inaccessible, mais à commettre le crime contraire à toute leur nature, le meurtre, ou à y participer.

Les révolutionnaires disent que le but de leur activité, c’est la liberté. Mais, pour servir la liberté, il faut définir nettement ce qu’on entend par ce mot.

Les révolutionnaires comprennent sous le mot liberté la même chose que comprennent les gouvernements contre lesquels ils luttent, à savoir : le droit — protégé par la loi (et la loi est imposée par la violence) — le droit pour chacun de faire ce qui n’attente pas à la liberté des autres. Mais comme les actes qui portent atteinte à la liberté des autres sont définis différemment suivant ce que les hommes croient être le droit sacré de chaque individu, alors la liberté, dans cette définition, n’est rien d’autre que la permission de faire tout ce que ne défend pas la loi, ou, plus exactement, selon cette définition, la liberté, c’est la défense égale pour tous de commettre, sous peine de punition, les actes qui attentent à ce qu’on reconnaît être le droit des individus. C’est pourquoi, ce qui, d’après cette définition, est regardé comme la liberté, dans la plupart des cas n’est que la violation de la liberté de l’homme. Par exemple, notre société reconnaît au gouvernement le droit de disposer du travail (impôts), même de la personne (service militaire) de ses citoyens. On reconnaît que quelques hommes ont le droit de la possession exclusive de la terre, et cependant, il est évident que ces droits, en protégeant la liberté des uns, non seulement ne donnent pas la liberté aux autres, mais, de la façon la plus brutale, privent la majorité du droit de disposer de son travail et même de sa personne.

De sorte que la définition de la liberté comme droit de faire tout ce qui n’entrave pas la liberté d’autrui, tout ce qui n’est pas défendu par la loi, évidemment ne correspond pas à la conception qu’on attache au mot liberté. Il n’en peut être autrement, parce qu’une telle définition attribue à la conception de la liberté la qualité de quelque chose de positif, tandis que la liberté est une conception négative. La liberté, c’est l’absence d’entraves. L’homme est libre seulement quand personne ne lui défend, sous la menace de la violence, l’accomplissement de certains actes.

C’est pourquoi dans la société où les droits des gens sont définis de telle ou autre façon et où l’on exige et défend, sous peine de punition, certains actes, dans telle société les hommes ne peuvent être libres. Ils peuvent être vraiment libres seulement quand tous sont également convaincus de l’inutilité, de l’illégitimité de la violence et obéissent aux règles établies non en vue de la violence ou de la menace, mais par la conviction raisonnables.

« Mais, m’objecte-t-on, il n’y a pas de société pareille, et c’est pourquoi nulle part ne peut exister la vraie liberté. »

Il est vrai qu’il n’y a pas de société pareille où ne soit pas reconnue la nécessite de la violence, mais il y a divers degrés de cette nécessité. Toute l’histoire de l’humanité est la substitution de plus en plus grande de la conviction raisonnable à la violence. Plus la société reconnaît clairement la stupidité de la violence, plus elle s’approche de la vraie liberté. C’est simple et ce devrait être clair pour tous, si depuis longtemps ne s’étaient établis parmi les hommes l’inertie de la violence et l’embrouillement volontaire des conceptions, pour soutenir cette violence avantageuse aux dominateurs.

L’influence mutuelle par la conviction raisonnable basée sur les lois de la raison communes à tous est propre aux hommes, aux êtres raisonnables. Cette soumission volontaire de tous aux lois de la raison et le fait pour chacun d’agir envers autrui comme il veut qu’on agisse envers lui sont propres à la nature de l’homme raisonnable commune à tous. Ce rapport mutuel des hommes, qui réalise la plus haute justice, est propagé par toutes les religions, et l’humanité ne cesse de s’en rapprocher.

C’est pourquoi il est évident qu’une liberté de plus en plus grande est atteinte, non par l’introduction de nouvelles formes de la violence, comme le font les révolutionnaires qui tachent d’anéantir une violence existante par une autre violence, mais en répandant parmi les hommes la conscience de l’illégitimité, de la criminalité, de la violence et la possibilité de son remplacement par la conviction raisonnable, en même temps que chaque individu usera de moins en moins de la violence. Et, pour répandre cette conscience et l’abstention de la violence, chaque homme a toujours un moyen accessible et le plus puissant : s’expliquer cette conscience à soi-même, c’est-à-dire à cette petite partie du monde qui nous est soumise et, grâce à cette conscience, s’écarter de toute participation à la violence, et mener une vie avec laquelle la violence devient inutile.

— Pense sérieusement, comprends et définis le sens de ta vie et ta destination — la religion te le montrera — ; tâche, autant que possible, de réaliser dans ta vie ce que tu considères comme ta destination. Ne participe pas au mal que tu reconnais et blâmes. Vis de telle façon que la violence ne te soit pas nécessaire, et tu aideras de la façon la plus efficace à répandre la conscience de la criminalité, de l’inutilité de la violence, et, en agissant ainsi, par la voie la plus sûre, tu atteindras la délivrance des hommes, ce but que s’assignent les révolutionnaires convaincus.

— « Mais on ne me permet pas de dire ce que je pense et de vivre comme je le crois nécessaire. »

— Personne ne peut te forcer à dire ce que tu ne crois pas utile et à vivre comme tu ne le veux pas, et tous les efforts de ceux qui te contraindront ne feront que fortifier l’influence de tes paroles et de tes actes.

Mais ce refus de l’activité extérieure ne sera-t-il pas un signe de faiblesse, de lâcheté, d’égoïsme ? Cet écart de la lutte n’aidera-t-il pas à l’augmentation du mal ?

Une telle opinion existe ; elle est provoquée par les meneurs révolutionnaires. Mais cette opinion est non seulement injuste, elle relève de la mauvaise foi. Que chaque homme qui désire collaborer au bien général des hommes essaye de vivre sans recourir en aucun cas à la protection de sa personne et de sa propriété par la violence ; qu’il essaye de ne pas se soumettre aux exigences des superstitions religieuses et gouvernementales, qu’en aucun cas il ne participe à la violence gouvernementale, soit dans les tribunaux, soit dans les administrations ou tout autre service, qu’il ne jouisse sous aucune forme de l’argent pris de force au peuple, et, le principal, qu’il ne participe pas au service militaire, la source de toutes les violences, et cet homme apprendra, par expérience, combien il faut plus de vrai courage et de sacrifices pour une pareille activité que pour l’activité révolutionnaire.

Le seul refus de payer les impôts ou de participer au service militaire, en se basant sur la loi religieuse et morale que les gouvernements ne peuvent renier, ce seul refus, ferme et hardi, ébranle les bases sur lesquelles se tiennent les gouvernements, et cela, mille fois plus sûrement que les grèves les plus longues, les millions de brochures socialistes, les révolutions les mieux organisées ou les meurtres politiques.

Et les gouvernements le savent. L’instinct de conservation leur dit où est le danger principal. Ils n’ont point peur des tentatives violentes, car ils ont entre les mains une force invincible, mais ils se savent impuissants contre la conviction raisonnable affirmée par l’exemple de la vie.

L’activité spirituelle est la force la plus grande et la plus puissante. Elle meut le monde. Mais pour être la force qui meut le monde, il faut que les hommes croient en sa puissance, qu’ils jouissent d’elle seule sans y mêler les procédés extérieurs de la violence qui détruisent sa force. Les hommes doivent comprendre que tous les remparts de la violence qui semblent les plus inébranlables ne se détruisent pas par des conjurations, par des discussions parlementaires ou des polémiques de journaux, encore moins par les révoltes et les meurtres, ils se détruisent seulement par l’explication que se fait chacun du sens et du but de sa vie et l’exécution ferme, courageuse, sans compromis, dans tous les cas de la vie, des exigences de la loi supérieure, intérieure de la vie. Il serait très désirable que les jeunes gens que ne lie pas le passé, qui veulent sincèrement servir au bien des hommes, comprennent que l’activité révolutionnaire qui les attire non seulement n’atteint pas le but poursuivi, mais, au contraire, écarte leurs meilleures forces de la voie où ils peuvent servir Dieu et les hommes ; que cette activité, le plus souvent, produit l’activité contraire, que ce but n’est atteint que par la conscience claire pour chaque individu de sa destination et de la dignité humaine et, en conséquence, par la vie ferme, religieuse et morale qui n’admet aucun compromis, ni en paroles, ni en actes, avec le mal de la violence qu’on blâme et désire détruire.

Si la centième partie de l’énergie dépensés maintenant par les révolutionnaires pour atteindre des buts extérieurs inaccessibles était employée au travail intérieur spirituel, depuis déjà longtemps, comme la neige au soleil d’été, aurait fondu ce mal contre lequel les révolutionnaires ont tant lutté et luttent encore en vain.

Iasnaia Poliana, 22 juillet/4 août 1904.

1- Cet article sert de préface à une brochure de M. V. Tchertkov : La Révolution violente ou la libération chrétienne ?

2- Décembre 1825.

3- 1er Mars 1881. Meurtre d’Alexandre II.

4- Il essaya de faire sauter le palais d’hivers en 1860.

5- Deux des auteurs du meurtre d’Alexandre II.

6- Qui participa au meurtre d’Alexandre II.

7- Riche propriétaire qui donna sa fortune, plusieurs millions, pour la propagande révolutionnaire, et fut pendu.

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