lundi 26 novembre 2018
Les travailleurs doivent-ils craindre de perdre leur « pureté de classe » en participant au mouvement des gilets jaunes ?
F. Kletz écrit :
Quand on entend à la radio (vendredi 23) que le problème des classes dirigeantes est de savoir comment les syndicats pourraient chevaucher le mouvement des gilets jaunes, ça donne une franche sympathie pour ce mouvement qui dérange tant...
Interclassisme, un danger ? il n’empêche que ce mouvement gêne bien plus que les journées d’inaction ou les magouilles syndicales (ce n’est qu’un euphémisme).
Que les radios d’état se posent ce genre de problème indique selon moi que pointer l’interclassisme du mouvement au lieu de voir ce qui s’ouvre avec une telle mobilisation, montre une volonté... d’inaction et d’incapacité à penser la société en mouvement.
La première de nos tâches serait de donner des perspectives pour le mouvement des gilets jaunes. De proposer des perspectives prolétaires et communistes à ce mouvement, des perspectives de classe, certainement, mais pas de le souhaiter pur. C’est confondre le rôle d’un parti et des organisations autonomes que de refuser l’interclassisme.
L’interclassisme est là ? A nous de proposer des orientations pour faire s’étoffer ce mouvement et entrainer la classe ouvrière à en prendre la tête non pas sur ses intérêts propres, mais sur les perspectives historiques que seul le prolétariat pourra réaliser.
Robert Paris lui répond :
Un gouffre sépare la capacité révolutionnaire potentielle des travailleurs, leur inventivité organisationnelle, sociale et politique, de la politique poltronne des appareils syndicaux et de leurs alliés politiques d’un côté, des puristes qui ne veulent pas salir leur pureté de classe de l’autre.
Tout d’abord, il importe de rappeler que le mouvement des gilets jaunes n’est nullement un mouvement de la petite bourgeoisie auquel la classe ouvrière devrait ou pas se rallier : les travailleurs y sont nombreux et y ont participé dès le début. Présenter ce mouvement comme initié par des « professions libérales » est parfaitement mensonger. Les chauffeurs qui en ont eu marre d’être rançonnés par des taxes sur l’essence sont aussi bien des routiers que des salariés et ce n’est pas les patrons routiers ni les patrons des salariés qui sont « gilets jaunes » ! Ce n’est pas un mouvement de petits patrons !
D’autre part, il faut être aveugle pour ne pas voir que nombre de salariés précaires ne sont devenus « autoentrepreneurs » que pour ne pas rester au chômage et crever de misère, nombre de retraités ont continué à travailler et sont devenus vendeurs de marchés que pour se nourrir et se loger… Parmi les prétendues professions libérales, il y a de plus en plus de prolétaires. Ceux qui choisissent comme politique de diviser les forces du Travail devraient penser aux petits pêcheurs, aux petits paysans qui n’exploitent personne, aux petits commerçants pauvres, à tous les « indépendants » qui se contentent d’utiliser leur véhicule, leur vélo même, pour transporter des gens ou des colis, etc. Le monde du travail ne colle pas avec les classifications sociologiques.
Et en politique non plus, les prétendues barrières hermétiques entre les prolétaires et les petits bourgeois ne sont pas du tout des critères pour tous ceux qui veulent que la classe ouvrière joue un rôle central dans la lutte contre le grand capital.
Tous les exemples historiques sont clairs : il n’y a jamais eu de « pureté de classe » dans les révolutions prolétariennes ! Qui peut ignorer la participation directe de la petite bourgeoisie aux côtés du prolétariat dans les révolutions en France en 1848, en 1871, dans le pouvoir de la Commune de Paris, dans les révolutions de 1905 et 1917 (février et octobre) en Russie, dans la révolution espagnole, pour ne citer que celles-là !
Bien entendu, si ce discours, qui est actuellement tenu par certains anarchistes, certains gauches communistes, certains syndicalistes, certains anti-racistes et anti-fascistes, voulait dire que, dans les entreprises et les quartiers, les travailleurs doivent eux-mêmes mettre en place des comités de mobilisation au sein du mouvement, pas de problème !
Mais se tenir à l’écart et pousser les travailleurs à s’en désolidariser sous prétexte qu’il y a des petits bourgeois, ou même qu’il y a dedans des racistes ou des fascistes, c’est carrément catastrophique ! N’y avait-il aucun raciste dans les révolutions prolétariennes du passé ?!!! Suffit-il qu’un raciste ou qu’un fasciste participe à une grève ou une manifestation pour que nous refusions d’y participer ?!!!
A ce rythme là, personne ne risque de participer demain ni à une manifestation, ni à un piquet, ni à un rassemblement et encore moins à une révolution !!!!
La révolution prolétarienne n’a rien de pure socialement !!! Ceux qui l’ignorent n’ont jamais rien lu sur les révolutions !
Au lieu de pureté, ce dont le prolétariat a urgemment besoin c’est d’organisation, c’est de comités dans les quartiers et les entreprises !!! Les soviets qui étaient à leur naissance des organisations de quartier (et pas d’entreprises) mêlaient ouvriers et petits bourgeois !
Ce dont la classe ouvrière a besoin, c’est aussi d’objectifs de classe, qui ne soient pas des objectifs réformistes, qui ne craignent pas de s’attaquer au sacrosaint Etat bourgeois et à la sacrosainte propriété privée des capitaux et des moyens de production. C’est en défendant son programme de classe au sein du mouvement social que le prolétariat peut y jouer un rôle dirigeant.
Mais certainement pas en rejetant en bloc tous les « petits bourgeois » et en les poussant ainsi dans les bras de la grande bourgeoisie et des fascistes !!!
On ne lutte pas contre les risques fasciste ni en hurlant au fascisme, ni en disant qu’on n’y croit pas, mais en unissant les travailleurs et les petits bourgeois frappés par la bourgeoisie et les menant au combat direct contre le grand capital !
Les puristes ne sont que des moralistes et, comme tels, n’offrent aucune perspective dans aucune situation réelle de crise de la domination de la bourgeoisie. Dans ce type de crise, une fraction de la petite bourgeoisie peut parfaitement être assez en colère pour ne pas craindre la révolution sociale, pour ne pas craindre de s’unir au prolétariat.
C’est ce type de situations que le monde commence à vivre depuis l’effondrement du système de 2007-2008. On l’a bien vue en Egypte, en Tunisie, en Syrie et ailleurs : travailleurs, jeunes et petits bourgeois étaient ensemble dans les mobilisations. Et, s’ils ont perdu, c’est parce que les syndicats ont proposé aux travailleurs de séparer leurs grèves du reste du mouvement, de préserver leur prétendue pureté.
Cette pureté là, c’est purement et simplement du corporatisme, du réformisme et de la capitulation devant la situation révolutionnaire !
Ce qui est révolutionnaire, c’est le prolétariat se portant à la tête de toutes les couches exploitées, opprimées, révoltées et les menant à renverser le pouvoir capitaliste ! Tout le reste, c’est du discours moralisateur et creux et pas une perspective prolétarienne de classe !!!
Le sectarisme et le moralisme, agissant au nom de la pureté, ont toujours involontairement servi le réformisme et l’opportunisme et réciproquement et toujours aux dépens de la révolution sociale du prolétariat.
Lénine en 1916 :
« Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution. »
Karl Marx y revendique l’autonomie du prolétariat mais pas dans la non participation sous prétexte de pureté !!!!
Qui sont ces puristes qui dénoncent le mouvement gilets jaunes comme interclassiste ?
CCI (Révolution Internationale)
C’est le courant « gauche communiste » sectaire mais il y a aussi des syndicats, des associations antiracistes, antifascistes, antimachistes, des groupes de gauche et d’extrême gauche, certains anarchistes…