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Rwanda : le génocide programmé par le pouvoir rwandais et l’impérialisme français

dimanche 2 mars 2008, par Robert Paris

Le président Mitterrand et son ami Habyarimana

Un des premiers ouvrages qui ont rapporté la responsabilité de l’impérialisme français

Troupes françaises encadrant les milices fascistes en formation

Barrage des milices fascistes avec arrestation

Document sur la complicité française

Troupes françaises intervenant au Rwanda

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Le Rwanda : réformisme puis fascisme
contre une mobilisation populaire de masse

« Dans ces pays-là, un génocide, ce n’est pas trop important »
Le président François Mitterrand,
Déclaration de l’été 1994,
citée par Le Figaro du 12/01/1998

Les responsables

Le régime de dictature féroce d’Habyarimana, soutenu par la France, a de plus en plus de mal à se maintenir au pouvoir. Depuis 1990, la population pauvre du pays est en révolte, toutes ethnies confondues, contre la dictature et la misère. En 1992, le régime a été contesté par un véritable soulèvement de la population de la capitale Kigali. Il est menacé d’autre part par le FPR (Front Patriotique Rwandais), parti à majorité tutsi, soutenu par l’Ouganda, avec derrière les USA et l’Angleterre. Il est contraint de reculer, accepte que le pouvoir soit partagé avec les dirigeants de la mobilisation démocratique. Le 6 avril 1994, l’avion du président est abattu. Cet événement sert de prétexte au nouveau Gouvernement intérimaire rwandais (GIR), constitué dans l’ambassade de France sous l’égide de l’ambassadeur, pour déclencher le génocide des Tutsis planifié depuis longtemps. La Radio des Mille collines exhorte les Hutus à se « éradiquer les cafards tutsis », tandis que l’armée montre l’exemple et distribue les machettes. Les Hutus qui refusent de participer au massacre sont assassinés. Plus d’un million de Tutsis seront massacrés dans les 100 jours qui suivront.

L’impérialisme français, sous la direction du président « socialiste » François Mitterrand (ainsi que de la cellule spéciale de l’Elysée pour la Rwanda) et du gouvernement de droite Balladur-Léotard, n’a pas été passif : il a apporté son soutien, plein et entier, aux extrémistes hutus à plusieurs niveaux :
militaire : avant le génocide en bloquant l’avancée du FPR sur Kigali et en enseignant l’art de tuer aux futures milices génocidaires ; pendant le génocide en livrant des armes et du matériel de communication et en aidant au tri ethnique des victimes en éditant les cartes d’identités avec la mention « hutu » et « tutsi » et ensuite lors des contrôles d’identité. N’oublions pas que, durant les années qui ont précédé le génocide, le chef d’Etat major de l’armée rwandaise est un officier français.

diplomatique : en accueillant à Paris, en plein génocide, des membres du GIR et en dissuadant l’ONU de voter l’embargo qui aurait rendu la vente d’arme au Rwanda illégale…

financier : durant tout le génocide en avançant des fonds qui serviront à des achats d’armes

médiatique : en faisant passer ce génocide pour une « guerre tribale » de plus, grâce à la collaboration zélée de la presse hexagonale (notamment Le Monde)

Ce soutien continuera après le génocide avec l’opération Turquoise, véritable opération de sauvetage des génocidaires, déguisée en action humanitaire.

Pourquoi ?
Ce sommet atteint dans l’horreur constitue le point d’orgue d’une politique menée par la France dans ses anciennes colonies depuis leur indépendance.
Pour assurer le pillage des matières premières et la mainmise sur des pans entiers de l’économie locale par des grands groupes français (tels Bolloré, Total, Bouygues, France Telecom…), l’Etat français n’hésite pas à soutenir les pires dictatures, du moment qu’elles sont aptes à garantir le bon déroulement des affaires.

Le régime extrémiste hutu avait par le passé démontré sa fidélité aux intérêts de la France en couvrant la vente illégale d’armes et d’équipement nucléaire à l’Afrique du Sud, alors frappée d’embargo. Le Rwanda devait devenir une plate-forme française, solide et sûre, au cœur d’une Afrique orientale peu fiable ou largement pro-américaine.

Plutôt que de voir ce bastion tomber sous influence « anglo-saxonne » (le FPR étant supposé être financé par la CIA), les décideurs français ont choisi la fuite en avant en soutenant l’extermination totale de tous les opposants au régime et de la minorité tutsi susceptible de soutenir le FPR dans sa marche au pouvoir. Cette ultime manœuvre n’empêcha d’ailleurs pas le GIR d’être chassé de Kigali…

Ce génocide n’est pas une irruption spontanée de la « folie des hommes », il est le résultat d’un choix stratégique de « nos » dirigeants : Mitterrand et Balladur, commis lors d’une cohabitation gauche/droite ! Ce crime est toujours assumé par les hommes politiques français qui ont, d’un commun accord, signé le rapport Quilès (extraits joints en annexe) selon lequel la France n’aurait fait que des erreurs limitées, mais ne serait pas responsable du génocide

Rwanda : un génocide encouragé
et couvert par l’impérialisme français

L’opinion publique française commence à être informée, avec dix ans de retard, sur l’implication de la France dans le génocide rwandais de 1994. Mais cette seule information est loin d’éclairer toutes les responsabilités.
Les responsabilités françaises

On sait maintenant que c’est bien le gouvernement rwandais de l’époque qui a organisé le massacre, utilisant tous les moyens de l’Etat, avec l’aide et la bénédiction du président socialiste de la République française François Mitterrand que ses amitiés liaient à la famille du dictateur rwandais, Juvénal Habyarimana. Mais si Mitterrand, et la cellule spéciale de l’Elysée qu’il dirigeait, ont effectivement pris les décisions essentielles, c’est avec l’accord des ministres et conseillers de droite du gouvernement Balladur, des Juppé, Léotard et autres Villepin. Le Rwanda n’est pas une affreuse affaire échappée à leur contrôle mais une décision mûrement pesée par les dirigeants français de l’époque. D’ailleurs ceux-ci, droite et gauche confondues, refusent toujours de reconnaître leur implication et font donner diplomatie et médias pour maintenir le rideau de fumée. Les procès des représentants politiques, diplomatiques et militaires impliqués dans un génocide, c’est bon pour les Yougoslaves, voire les Rwandais eux-mêmes, pas pour ceux de l’impérialisme français.
Ceux-ci estimaient qu’une défaite du régime du dictateur Habyarimana revenait à voir le Rwanda, porte d’entrée vers le riche Zaïre, tomber dans l’escarcelle des USA. Pour l’empêcher il fallait une implication militaire et financière massive de la France aux côtés du gouvernement rwandais dans le conflit qui l’opposait aux forces armées de l’opposition réfugiée en Ouganda, le Front patriotique rwandais, à majorité tutsie. Très vite, le gouvernement français a couvert et même encouragé la tactique du gouvernement rwandais consistant à faire payer par des massacres de la population tutsie chaque avancée militaire du FPR. Ainsi l’offensive du FPR d’octobre 1990 repoussée avec l’aide des militaires français (opération dite Noroît) a été suivie de massacres de Tutsis au nord du pays, près de Bigogwe, à proximité du camp militaire français du DAMI.
A partir de 1990, le lieutenant-colonel français Chollet, est le véritable chef militaire des forces armées rwandaises. En 1992, Paul Dijoud, directeur des affaires africaines de l’Etat français, déclare à Paul Kagamé (dirigeant du FPR à l’époque et actuel chef d’Etat du Rwanda) : « si vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos femmes et vos familles, parce que tous auront été massacrés ». [1] au nom du président Mitterrand est envoyée à l’un des massacreurs connus, Jean Bosco Barayagwiza, leader du CDR qui vient d’organiser des massacres à Kibuye. Le 28 février 1993, le ministre de la coopération Marcel Debarge appelle, officiellement et au nom de la France, « tous les Hutus à s’unir contre le FPR » [2]. L’ex-spécialiste de la cellule spéciale de l’Elysée, Gérard Prunier, reconnaît : « c’est un appel à la guerre raciale ». Une semaine plus tard, le « Hutu Power », front uni des partis et des milices génocidaires, est né. Jean-Paul Gouteux [3] écrit : « Le mouvement Hutu Power n’a rien d’exotique. Il est occidental et moderne. Ce n’est pas l’expression d’un atavisme tribal enraciné dans l’Afrique profonde. (..) Des Français, hommes politiques, journalistes, ministres, universitaires ou chercheurs ont justifié la politique française au Rwanda à l’aide de considérations ethniques. » [4]
Les mécanismes du génocide

La responsabilité des dirigeants français est bien écrasante. Reste à comprendre pourquoi leurs protégés de la classe dirigeante rwandaise ont voulu ce génocide et comment ils ont trouvé dans la population des centaines de milliers d’exécutants.
Dans les années 1988-1991, une vague de mouvements populaires déstabilise la plupart des régimes africains et en renverse même plusieurs (par exemple, la dictature militaire de Moussa Traoré en 1991 au Mali). Le Rwanda en proie aux mêmes problèmes économiques et politiques, le poids de la dette extérieure et celui de la dictature, n’y échappe pas. Le 8 et le 15 janvier 1990, plus de 100 000 manifestants parcourent les rues de la capitale Kigali. “ Au début de l’automne 1990, le Rwanda traversait une crise profonde qui gagnait petit à petit tout le pays ”, écrit M. Gérard Prunier.
Les questions brûlantes qui causent cette mobilisation ne sont nullement les questions dites ethniques mais les questions sociales et politiques, la crise, la misère, la corruption du régime et la dicature. C’est la corruption en matière de scolarité qui donne l’étincelle mettant le feu aux poudres. Une enseignante, Agathe Uwilingiyimana, qui sera la première assassinée au démarrage du génocide, dénonce les traffics dans les résultats du baccalauréat qui permettent aux enfants de la classe dirigeante d’être reçus en rayant les premiers de la liste des reçus. Ellle subit une violente répression de la part de l’armée, mais la population prend fait et cause pour elle. La mobilisation en sa faveur est impressionante en va faire d’elle une des leaders de l’opposition démocratique qui vise à la démocratisation du pays, dont le multipartisme.
En fait, la révolte populaire avait une base sociale d’autant plus importante que la classe dirigeante était absolument incapable de staisfaire les aspirations populaires, ayant même du mal à imaginer comment elle allait partager un gâteau sans cesse plus restreint entre des équipes concurrentes de la bourgeoisie, du pouvoir, du FPR et de l’opposition. Les recettes du café et du thé, durement touchées par la chute des cours sur les marchés mondiaux, connaissent une baisse inquiétante. Quant aux espoirs suscités par le développement du tourisme, ils auront été fauchés net avec le déclenchement de la guerre. En 1991, le déficit budgétaire, censé ne pas dépasser 2,6 milliards de francs rwandais, a atteint 10,5 milliards. Les dépenses de l’Etat ont monté en flèche : les effectifs de l’armée, guerre oblige, ont quasiment triplé.
Dans les deux années qui suivent le mouvement populaire contre le régime va aller sans cesse croissant. Il culmine en 1992 avec des manifestations monstres à Kigali et dans les grandes villes. Dans la capitale, c’est presque la moitié de la population qui descend dans la rue et conspue les militaires.
Les leaders démocrates du mouvement sont alors appelés à participer au gouvernement aux côtés des membres du pouvoir liés à l’armée et à l’extrême-droite. Les opposants démocrates « réalistes » acceptent de gouverner avec les assassins qui ont déjà maintes fois démontré leur capacité de nuisance. Dans le mouvement d’opposition à la dictature, il y a à la fois des Hutus et des Tutsis. Mais si le régime militaire a momentanément reculé, remisé le parti unique et appelé certains opposants à la direction du gouvernement, ce n’est que partie remise. Pris entre deux feux, entre FPR à l’extérieur et révolte populaire à l’intérieur, les dirigeants partent à la recherche d’une solution de type fasciste.
Pour retrouver une base populaire, les classes dirigeantes se tournent vers les déclassés de la capitale et les pauvres des campagnes et se fondent pour cela sur le préjugé si fréquemment employé en Afrique : l’ethnisme. Des médias qui appellent ouvertement au génocide des Tutsis, comme la « radio des mille collines » affirment que Tutsi est synonyme de pro-FPR et prétendent que si les Hutus ne tuent pas les Tutsis, c’est eux qui seront tués.
Et pour lier à eux une partie de la population ils l’obligent à se mouiller à leurs côtés. Tous ceux qui auront tué ne pourront plus ensuite prendre parti pour le FPR qui les accuserait de crime. D’où de premiers massacres, dès 1990, puis en 1993, dans lesquels des Hutus sont poussés à tuer des Tutsis. D’où aussi la formation de milices de pauvres embrigadés et formés à tuer.
Les massacres

Cette « stratégie », largement encouragée par des dirigeants politiques et militaires français , est adoptée à partir du moment où, sous la pression des USA, le président Habyarimana est contraint de signer les accords d’Arusha. Dans ces accords qui prévoient le partage du pouvoir entre la dictature, l’opposition intérieure et le FPR, la classe dirigeante rwandaise comme les dirigeants français voient la fin de leur domination du pays. L’ambassade de France au Rwanda affirme « les accords d’Arusha ne sont ni bons ni inéluctables » [5]. C’est un appui au clan le plus radical dit « Akazu » ou clan zéro qui, autour de la femme du président, prépare le génocide. Le plan en a été préparé dès 1992 (époque où des ambassadeurs et des personnels de l’ONU en ont transmis l’information tant à la Belgique qu’au Canada), lorsque le mouvement populaire est devenu menaçant. L’assassinat d’Habyarimana, quels que soient ceux qui l’ont commis (Kagamé est maintenant accusé de l’avoir fomenté, ce qui est peut-être vrai mais qui ne change rien à l’infamie des responsables du génocide), en donne le signal au soir du 6 avril.
Le premier acte des bandes de tueurs a consisté à assassiner les Hutus dits « modérés », c’est-à-dire tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre s’étaient opposés à la dictature ou encore avaient pris une part dans la révolte contre la misère. Le massacre a alors atteint en quelques jours le génocide, visant à l’extermination de tous les Tutsis ainsi que de tous les Hutus qui refusaient d’y participer.
En plein génocide, les dirigeants rwandais, et pas des sous-fifres, sont reçus officiellement à Paris [6]. Jean Bosco Barayagwiza chef du parti extrémiste hutu, le CDR, et de la radio des mille collines, et Jérôme Bicamumpaka ministre des affaires étrangères du gouvernement génocidaire, dit intérimaire, sont accueillis le 27 avril 1994 à l’Elysée, à Matignon et au quai d’Orsay. Cela fait 21 jours que le massacre bat son plein. L’Etat français continue à les armer et à les financer. Il leur maintiendra son soutien dans les mois et les années qui suivront.
Il n’est sans doute pas surprenant, ni nouveau, de voir dans un pays pauvre et arriéré africain un pouvoir avoir recours aux méthodes qui furent celles de pouvoirs fascistes européens (on peut même craindre de le voir se reproduire à l’avenir, en Côte d’Ivoire par exemple, où le gouvernement semble parfois regarder de ce côté). Et il n’est pas plus étonnant de voir la France « démocratique » lui apporter son soutien. Jadis dictature féroce dans tout son empire colonial, aujourd’hui soutien des dictateurs, souvent tout aussi féroces, qui maintiennent en retour l’ordre impérialiste.

[7] Cité par Le Figaro du 23 novembre 1997 et par Patrick de Saint Exupéry dans « L’inavouable »
[8] cité par Jean-Paul Gouteux dans « La nuit rwandaise »
[9] cité par Gérard Prunier dans « Rwanda, le génocide »
[10] docteur en entomologie médicale, employé par la coopération en Afrique et qui a dénoncé le génocide rwandais et la responsabilité française, notamment dans « Un génocide secret d’Etat » et « La nuit rwandaise »
[11] Mitterrand parle d’un « gouvernement représentant à Kigali une ethnie majoritaire à 80%. »
[12] cité par Jean-Paul Gouteux dans « La nuit rwandaise »
[13] Cité notamment par Mehdi Ba dans « Rwanda, un génocide français » et par Patrick de Saint Exupéry dans « L’inavouable ».

« Autopsie d’un génocide planifié »
« Connivences françaises au Rwanda »
de Verschave François-Xavier

« Faute d’être soumise à une autorité démocratique, la politique française en Afrique - et en particulier au Rwanda - met en scène une pluralité d’acteurs : politiques, militaires, affairistes, agissant pour leurs propres intérêts en dehors de tout contrôle.

Pendant trois ans (1990-1993), l’armée française a tenu à bout de bras les troupes d’un régime rwandais - ou plutôt d’un clan - s’enfonçant dans le génocide, le racisme et la corruption. Engagée dans le combat contre le Front patriotique rwandais (FPR) (1), l’"ennemi" diabolisé en "Khmer noir", la France a massivement équipé les Forces armées rwandaises (FAR) ; elle les a instruites dans des camps où se pratiquaient la torture et le massacre de civils (à Bigogwe par exemple) ; elle a encouragé une stratégie "antisubversive" qui passait par la création de milices enivrées de haine, et enivrées tout court. Après la publication, en février 1993, du rapport d’une commission internationale dénonçant - déjà - des "actes de génocide", le mot d’ordre, venu directement de l’Elysée, n’a pas changé : "Casser les reins du FPR."

Tout un pan du dispositif franco-africain défini à La Baule sombrera alors dans le jusqu’au-boutisme : sabotage des accords d’Arusha ; (possible) implication dans l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana (près d’accepter l’application de ces accords), puis accueil dans les locaux de l’ambassade de France à Kigali d’une sorte d’assemblée générale extraordinaire du "Hutu power", des partisans de l’épuration ethnique et du massacre des Tutsis.

Après la mort du président, une partie des concepteurs de la "solution finale du problème tutsi" sont à Paris, tandis que se constitue, sous l’aile de la France, un "gouvernement intérimaire" qui continuera d’encourager les appels au meurtre de Radio libre des Mille Collines (lire article page 8). Au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU), la France fera cause commune avec ce "gouvernement" et s’opposera, cinq semaines durant, à la reconnaissance du génocide. D’avril à juin 1994, pendant que les massacres se poursuivaient et qu’étaient tués à la machette environ 500 000 Tutsis, une fraction de l’armée française n’aura qu’une obsession : continuer de ravitailler et d’assister les FAR - sous la protection desquelles "travaillaient" les tueurs. Elle y parvint assez longtemps pour faire le joint avec l’opération "Turquoise" : cette démonstration de force protégea certes quelques rescapés tutsis, mais permit surtout aux responsables du génocide de se mettre à l’abri au Zaïre ou ailleurs. Certains d’entre eux, tel M. Jérôme Bicamumpaka, conservent des visas de longue durée qui leur permettent de venir régulièrement en France et d’y entretenir d’utiles contacts.

Ce bref aperçu montre que la compromission de la France et sa responsabilité dans l’un des plus grands crimes collectifs de cette fin de siècle ne furent pas marginales (2). Comment la République en est-elle arrivée là, quel système de décision et quelle absence de contrôle politique ont-ils pu autoriser de telles aberrations ?

(…)

La présence de la France dans le camp des responsables du génocide rwandais illustre l’agencement désordonné des acteurs et des motivations. Du côté des décideurs, MM. François et Jean-Christophe Mitterrand ont tenu un rôle majeur, en raison des liens très forts les unissant à la famille du dictateur Habyarimana. Le président de la République française suivait avec une exceptionnelle attention, y compris en déplacement, l’évolution de la situation militaire au Rwanda ; durant la période de cohabitation (1993-1995), il nommera à la tête de la Mission militaire de coopération, rue Monsieur à Paris, son homme de confiance, le général Jean-Pierre Huchon - second personnage de l’état-major élyséen, fortement imprégné des schémas anti-Tutsis.

Le gouvernement de M. Edouard Balladur n’a pas contrecarré les tragiques desseins élyséens : la politique franco-africaine profite d’une grande continuité qui dépasse les clivages partisans. M. Charles Pasqua a la même approche des problèmes que M. François Mitterrand (son fils Pierre est l’un des "messieurs Afrique" du ministre de l’intérieur). L’ancien ministre de la coopération, M. Michel Roussin, passé du service de M. Jacques Chirac à celui de M. Edouard Balladur, s’est parfaitement entendu avec l’Elysée. Dans ces conditions, le premier ministre, qui ne s’intéresse guère au continent noir, a choisi de laisser faire. Deux membres du gouvernement se sont pourtant distingués : le ministre des affaires étrangères, M. Alain Juppé, en tentant d’introduire la rationalité du Quai d’Orsay (d’où l’inflexion de l’attitude officielle de la France à la mi-1993, en faveur des accords d’Arusha - inflexion compromise par la suite et par les autres acteurs) ; et celui de la défense, M. François Léotard, en contribuant à cantonner l’opération "Turquoise" dans ses objectifs affichés (fort éloignés des impulsions premières).

La détermination du président Mitterrand à combattre le FPR - ces "anglophones ougandais", "avant-garde du Tutsiland" (4) - a conduit à installer au Rwanda le plus gros dispositif de combat français en Afrique depuis l’affaire tchadienne. Puisque, officiellement, on ne faisait pas la guerre, toute la panoplie des missions discrètes (instruction, encadrement, conseil, renseignement, mise à disposition du régime rwandais de soldats antillais ou de mercenaires semi-publics, manipulation d’opposants politiques) a été utilisée. Le compte-rendu de la rencontre à Paris, le 9 mai 1994 (un mois après le déclenchement du génocide et alors que les massacres se poursuivaient), entre le général français Jean-Pierre Huchon et l’officier émissaire des FAR, M. Ephrem Rwabalinda, est édifiant. Par-delà les fournitures et soutiens militaires que pouvait apporter la France, la question du jour n’était pas comment arrêter le génocide, déjà à moitié accompli, mais comment retourner les médias en faveur du camp en train de le commettre (5) ?

L’engagement de la France au Rwanda est révélateur des dégâts que peuvent causer en Afrique des acteurs politiques, militaires, affairistes, voire mafieux (il y avait notamment un narco-trafic rwando-français), lorsqu’ils ne sont plus soumis à l’autorité démocratique. Certains ressuscitent le "syndrome de Fachoda", une paranoïa face aux "menées anglo-saxonnes" qui légitime les alliances avec le dictateur zaïrois Mobutu et le régime islamiste de Khartoum, contre l’Ouganda et le Rwanda actuel (6). Paris n’hésite pas à sacrifier des populations (Tutsis, Noubas, Dinkas, etc.) à la défense d’une ligne Maginot imaginaire, abritant le commerce français et la francophonie (7). Ce microcosme franco-africain reste lié à ses correspondants locaux par diverses formes de "solidarité" : la cogestion de comptes en Suisse, alimentés par le dépeçage de l’aide publique ou le détournement de marchandises ; la "fraternité d’armes" avec d’anciens élèves des écoles militaires hexagonales, intégrés dans une armée ou une garde présidentielle claniques, avec des officiers acheteurs d’armes ou matériels français, très largement commissionnés...

Mais l’horreur de l’histoire n’est pas faite que de décisions cyniques : elle se nourrit aussi de mesquineries et de lâchetés. Ni l’opinion ni les médias ne peuvent vraiment être exonérés. Ils n’ont rien dit lorsque M. François Mitterrand a affirmé solennellement : "Il n’y a pas de Monsieur Afrique à l’Elysée." C’était le 14 juillet 1990. Quatre mois plus tard, répondant à une demande téléphonique du dictateur Juvnal Habyarimana, M. Jean-Christophe Mitterrand lui promettait l’envoi des parachutistes français...

Notes :
(1) Composé en majorité d’exilés tutsis.
(2) Cf. Colette Braeckman, Rwanda : histoire d’un génocide, Fayard, Paris, 1994 ; François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, La Découverte, Paris, 1994 ; "Dossier" noir de la politique africaine de la France, par la Coalition pour ramener à la raison démocratique la politique africaine de la France, trois livraisons déjà parues, c/o Survie, 57, avenue du Maine, 75014 Paris.
(3) Selon Jean-François Médard. Lire son intervention lors de la "mise en examen" de la politique africaine de la France, les 8 et 9 novembre 1994 à Biarritz reproduite dans L’Afrique à Biarritz, Agir Ici et Survie, Karthala, Paris, 1995.
(4) Dont la carte, centrée sur l’Ouganda, ornait sous cette appellation le bureau du chef d’état-major des armées. D’après Antoine Glaser et Stephen Smith, L’Afrique sans Africains, Stock, Paris, 1994, pp. 184-185.
(5) Lors du "flagrant délit" rwandais, l’ambassade de France a porté beaucoup plus d’attention à la sauvegarde de ses archives qu’au massacre du personnel rwandais de la coopération.
(6) Jusqu’à la "transformation complète de notre politique au Rwanda" annoncée par le ministre Bernard Debré dans Le Monde, 29 décembre 1994 : l’ancienne était indéfendable dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne.
(7) Mais, observe Colette Braeckman, "peut-on sérieusement imaginer que la défense de la francophonie puisse coïncider avec la protection d’un régime digne des nazis ? Aucune loi Toubon ne pourra jamais réparer un tel outrage à l’esprit même de la langue française".

Mars 1995

Chronologie

1973 : Habyarimana prend le pouvoir dans un coup d’Etat sanglant.
Années 90 : révolte sociale contre la misère et politique contre la dictature, avec des manifestations monstres à Kigali (100.000 le 8 janvier 90, puis le 15 janvier)
Avril 1990 : Le chef d’Etat du Rwanda M. Juvenal Habyarimana a achevé, le vendredi 6 avril, une visite officielle en France au cours de laquelle il a rencontré M. Mitterrand.
20 juin 1990 : discours de Mitterrand en faveur du multipartisme au sommet franco-africain de La Baule.
fin 1990 : le lieutenant-colonel Chollet, de l’armée française, organise l’armée rwandaise et Paul Barril travaille pour l’Akazu, clan familial présidentiel
Octobre 1990 : Le 17 octobre, le Zaïre retire ses troupes du Rwanda où elles aidaient le régime en place. Le 18 octobre 1990, le dictateur Juvenal Habyarimana, en visite à l’Elysée, reçoit du président François Mitterrand la promesse de l’aide militaire française en échange d’une promesse d’ouverture politique à l’opposition. Opération Noroit : engagement français dans la guerre contre le FPR sous prétexte d’aide à l’évacuation des Français. Le contingent français stoppe l’offensive du FPR aux portes de Kigali une première fois, puis sert à aider le gouvernement à arrêter ses opposants dans la capitale. Le pouvoir accuse la communauté tutsie tout entière de complicité avec les forces armées du FPR qui attaquent le pouvoir depuis l’Ouganda. 4000 Tutsis rwandais traités de « suspects » de sympathie avec le FPR sont arrêtés sans jugement. " Il nous faut démasquer au plus vite les assaillants infiltrés dans la population ", déclare le président pour expliquer la campagne de délation nationale à laquelle les Rwandais sont aujourd’hui conviés. Une occasion rêvée pour les autorités et pour les particuliers de se débarrasser d’un voisin, d’un collègue de travail ou d’un opposant. Un simple coup de téléphone suffit, les militaires arrivent quelques minutes après, embarquent le suspect en remettant le contrôle d’identité à plus tard. Il a fallu ouvrir un stade pendant quelques jours pour y mettre le trop-plein des interpellés.
Novembre 1990 : " Nous sommes prêts à vous aider financièrement pour régler le problème des réfugiés ", a déclaré, jeudi 8 novembre, le ministre français de la coopération, M. Jacques Pelletier, à l’issue d’une mission dans la région.
Décembre 1990 : Dans son numéro de décembre, le tout nouveau bimensuel Kangura (proche de la direction de l’armée rwandaise) énonce " les dix commandements " que les Hutus (ethnie majoritaire, au pouvoir depuis 1959), sont censés appliquer. Sera ainsi considéré comme " traître " tout citoyen Hutu " qui fait alliance avec les Tutsis dans ses affaires ". Pire : " les Hutus doivent cesser d’avoir pitié des Tutsis " et, s’alliant à " leurs frères bantous ", se montrer " fermes et vigilants contre leur ennemi commun tutsi ". Cet appel à la haine raciale ne semble pas avoir ému le gouvernement du président Habyarimana pas plus que les institutions judiciaires pourtant promptes, semble-t-il, à réagir dès qu’il s’agit de " suspects " d’origine tutsie.
Juin 1991 : instauration du multipartisme qui donne naissance à une douzaine de partis officiels et à une soixantaine de journaux privés. En fait, les partis, associations et journaux qui sont critiques du régime sont sans cesse inquiétés et attaqués, alors que la presse et les organisations d’extrême-droite hutu sont favorisés par le pouvoir. Pourtant, les opposants du MDR, du PL et du PSD cultivent le réalisme, la modération et se refusent à s’appuyer sur la révolte populaire.
Novembre 1991 : manifestation massive, à Kigali, contre la dictature en place, le dimanche 24 novembre. Le président est obligé de céder le multipartisme. Le 1er novembre 1990, retrait des troupes belges, remplacées par les troupes françaises.
Janvier 1992 : « Le 8 janvier 1992, des manifestations d’une ampleur inconnue au Rwanda secouèrent les principales villes du pays, notamment Butare, Gitarama et surtout Kigali, où 50 000 personnes défilèrent pour manifester contre le nouveau Gouvernement. Une nouvelle journée de manifestation est convoquée pour le 15 janvier, mais le pouvoir l’interdit et les manifestants qui passent outre sont arrêtés. » (citation du rapport Quilès)
Février 1992 : la journaliste pro-française Simon Catherine écrit : « Les militaires français ne combattent pas directement, mais c’est vrai qu’ils apportent un "plus à l’armée rwandaise". Paradoxalement, cette présence française est à la fois critiquée par l’opposition et saluée comme une sorte de "gage" donné au processus de démocratisation. Même ceux qui la contestent admettaient, encore récemment, qu’elle avait permis d’éviter de "trop grosses bavures sur le plan humanitaire". » Les média français s’y entendent à cautionner au nom de l’humanitaire les exactions soutenues au Rwanda par la France.
Mars 1992 : massacres organisés par le pouvoir dans le sud-est du pays, répétition de ce que sera la génocide. Dans la région de Bugesera, 13.000 habitants ont du fuir face aux massacres de Tutsis par des Hutus, massacre organisé quasi ouvertement par le pouvoir. Maisons brûlées, personnes violées et gravement blessées sont aussi des moyens utilisées d’une terreur de masse qui reste pour le moment localisée. Le mouvement fasciste hutu tente ainsi d’offrir un dérivatif au mécontentement populaire. Alphonse Mobito de l’Association rwandaise des droits de l’homme affirme que des centaines de personnes « ont été brûlées ou bien jetées dans des fosses d’aisance ». Un tract aux accents violemment tribalistes, lu le 3 mars sur les ondes de la radio nationale, est " en partie " à l’origine du drame, a reconnu, lundi 9 mars, dans un entretien accordé à Radio France internationale (RFI), le premier ministre, M. Sylvestre Nsanzimana. En plus de la radio, il faut citer comme média ouvertement génocidaire et lié au pouvoir le journal « Kangura », qui en appelle régulièrement au " salut du peuple bantou " et dénonce, à longueur de colonne, la " croisade " des Tutsis - ces " serpents venimeux ", qui ont " vendu leurs filles-vipères aux Américains, aux Européens, et même aux Africains " – et qui, malgré ses appels au meurtre des tutsis, n’a jamais été inquiété.
14 mars 1992 : l’opposition démocratique annule la manifestation de protestation contre les massacres qu’elle envisageait du fait de ses négociations avec le pouvoir, accord qui prévoit que le Premier ministre rwandais sera choisi par l’opposition.
Début mars 1992 : la France envoie de nouvelles troupes du 2e Régiment d’Infanterie de Marine.
16 avril 1992 : le pouvoir est contraint de mettre en place un gouvernement d’union des partis politiques, y compris l’opposition démocratique, dont le dirigeant du MDR, Nsengiyaremye, est nommé chef du gouvernement.
Juillet 1992 : Selon M. Habyarimana, interrogé par Radio France internationale, la France est au Rwanda pour protéger ses intérêts, sans autre précision (RFI, 19 juillet 1992).
Août 1992 : le 26 août 1992, signature d’un avenant à l’accord d’assistance militaire de la France au Rwanda : l’Ambassadeur Georges Martres a simplement précisé “ s’être aperçu en 1992 que la coopération militaire destinée à l’armée rwandaise manquait de base juridique puisque l’accord en vigueur à cette époque ne mentionnait que la coopération avec la Gendarmerie ”.
1er septembre 1992 : lettre officielle du président François Mitterrand de remercieents à Jean Bosco Barayagwiza, leader fasciste du CDR qui vient d’organiser des massacres à Kibuye pour torpiller les accords.
Novembre 1992 : les violences des bandes fascistes hutus Interhmwe se multiplient.
28 février 1993 : le ministre de la coopération, Marcel Debarge, en visite à Kigali, appelle tous les Hutus à s’unir contre le FPR. Selon un ex-spécialiste africain de l’Elysée Gérard Prunier, c’est « un appel à la guerre raciale » (dans Rwanda, le génocide). Une semaine plus tard, le front « Hutu power » est fondé.
L’aide à l’armée rwandaise ­ officiellement, en 1993, 12 millions de francs de matériel, et le détachement de quelques dizaines d’instructeurs ­ n’avait jamais cessé, accompagnant la "montée en puissance" de ces troupes : en cinq ans, ses effectifs étaient passés de 15 000 à 40 000 hommes, alors que la guérilla elle-même se renforçait (Cf. Philippe Leymarie, "La France et le maintien de l’ordre en Afrique", le Monde diplomatique, juin 1994).
17 juillet 1993 : formation d’un nouveau gouvernement avec Agathe Uwilingiyimana comme premier ministre.
4 août 1993 : les accords d’Arusha sont signés par le président rwandais et le FPR, en vue d’un partage du pouvoir et d’une fin de la guerre, accords signés sous la pression américaine.
Janvier 1994 : La France a pris part à des fournitures d’armes qui ont servi aux massacres : le rapport de Human Rights Watch de janvier 1994 souligne que des mortiers, des voitures blindées, des pièces d’artillerie, des hélicoptères, ont été livrés au Rwanda. Des conseillers militaires et jusqu’à 680 militaires ont été présents au Rwanda, officiellement pour protéger les expatriés, en fait pour contenir l’avance du Front patriotique. En outre, une vente d’armes égyptiennes, pour une valeur de 6 millions de dollars, a été garantie par le Crédit Lyonnais.
Jusqu’en avril 94 : Opération militaire française « Amaryllis » qui évacue tous les Blancs et quelques gros bonnets des fascistes hutus.
De janvier 1993 à mars 1994 : le régime achète l’essentiel des machettes du génocide ; 581 tonnes soit une machette pour trois adultes hutus
6 avril 1994 : c’est le début du génocide déclenché à l’annonce de la mort du président dont l’avion a été abattu. La garde présidentielle (dont le sommet a été formé en France) démarre assassinant l’opposition politique et les Hutus modérés puis les Interhamwe miliciens du MRND ex parti unique, affilié à l’internationale démocrate chrétienne, installent des barrages où les Tutsis sont systématiquement tués. Puis l’armée et les miliciens contraignent la population hutu à tuer les Tutsis.
Juillet 1994 : opération Turquoise

Historique

La révolte de 1990-92
Le prétexte de la politique des classes dirigeantes et de l’impérialisme français a consisté à prétendre qu’il s’agissait seulement de se défendre contre l’attaque extérieure d’une armée financée et aidée par l’étranger. On ne voit pas pourquoi l’attaque militaire extérieure justifierait-elle une agression intérieure violente contre la moitié de la population civile qui n’avait nullement pris fait et cause dans cette guerre. Si, le 1er octobre 1990, le FPR, opposition organisée et armée à partir de l’Ouganda, lance sa première attaque, le choix de cette période n’était pas fortuit. 1990 était une année charnière dans toute l’Afrique. En effet, cette année-là, à cause de la crise économique du système capitaliste dans laquelle le monde s’enfonçait inexorablement depuis plus de vingt ans, tout le continent africain était pris dans une tourmente de luttes sociales sans précédent. Plus qu’aucune région du monde, l’Afrique plus vulnérable, parce qu’exploitée depuis des siècles, subissait douloureusement les conséquences de la crise. A cause de la chute des prix des matières premières sur le marché mondial, les conditions de vie des masses populaires s’étaient profondément dégradées, essentiellement à cause, d’une part, du fait que les caisses étant de plus en plus vides, les Etats n’avaient plus les moyens d’assurer les services publics nécessaires et d’augmenter les salaires, et d’autre part, de ce que, sous la pression du FMI et respectant les plans d’ajustement structurel de celui-ci, ces mêmes Etats bloquaient les salaires, diminuaient les bourses des étudiants et organisaient des licenciements massifs, tant dans le public que dans le privé, en édictant des lois permettant aux patrons de faire ce qu’ils voulaient.

Toutes ces attaques de la bourgeoisie mondiale à travers la politique de ses valets locaux finirent par déclencher la colère des différentes couches populaires africaines. Celle-ci s’exprima de différentes façons : des émeutes de la faim suite à une augmentation du prix du pain, comme au Maroc ou en Tunisie, mais surtout des grèves et des révoltes. C’était l’ensemble du continent africain qui était secoué. A Abidjan, à Douala, à Lomé, à Libreville, à Bamako, à Kinshasa, à Douala, etc, dans la plupart des capitales africaines, des milliers de gens, des travailleurs, des étudiants, des femmes, des jeunes s’élevaient pour dire qu’ils n’acceptaient plus de vivre comme avant. Ils descendaient dans la rue pour crier leur colère contre la misère. Ils s’érigeaient contre les plans d’ajustement du FMI, réclamaient les arrêts des licenciements, l’augmentation des salaires, des bourses et des meilleures conditions d’études. Ces grèves, émeutes, révoltes allaient ébranler les dictatures, en faire reculer certaines ou même tomber d’autres, comme au Mali, par exemple, en 1991.

Ce déferlement d’événements sans précédent, dont certains, comme la révolte des jeunes en Algérie en 88, avaient commencé des années avant 1990, ce déferlement d’événements donc contraignit l’impérialisme français à faire pression sur ses laquais locaux afin qu’ils modifient quelque peu la façade de leurs régimes dictatoriaux. Ainsi nombre de dictateurs qui, auparavant, avaient juré que de leur vivant ils n’instaureraient pas le multipartisme allaient finalement faire marche arrière et accepter qu’il y ait des partis autres que les leurs. Pour compléter le tableau, ajoutons que c’était dans la même période que, sous la pression des puissances impérialistes, en Afrique du sud, effrayée par l’explosion quasi permanente des townships et des ghettos, la bourgeoisie blanche a décidé d’aller rencontrer la direction de l’ANC à Lusaka, en Zambie, afin de discuter de la perspective d’un changement en douceur de l’apartheid sous la forme d’une solution négociée avec la bourgeoisie noire. Ici et là, le but visé par toutes ces opérations était évidemment de chercher à désamorcer la colère des masses populaires, à la domestiquer, en la détournant vers des changements formels afin d’éviter qu’elle ne débouche sur une remise en cause contagieuse de l’ordre social.

Le Rwanda aussi avait connu les mêmes problèmes que les autres pays africains. La chute des cours des matières premières avait créé au pays d’énormes difficultés : entre 1985 et 1988, le prix du café avait baissé de 30%, celui du thé, de 40%. Le prix de l’étain aussi avait chuté à tel point que, en 1985, la Somirwa, une société minière dont les exploitations d’étain assuraient à l’Etat 25% de recettes en devises et qui employait 8 000 personnes, avait fait faillite. Aussi les masses étaient-elles confrontées aux mêmes problèmes qu’ailleurs : précarité, misère, licenciements, suivis d’un profond mécontentement.

Dès 1989, le régime du parti unique était de plus en plus critiqué, y compris de l’intérieur. Dans la même année, trente trois intellectuels ont osé publier une lettre ouverte réclamant des élections libres. En 1990, sous la pression de la rue et de l’impérialisme français, comme les autres dictateurs, Habyarimana accepta de mettre sur pied une commission nationale en vue de l’instauration du multipartisme. Mais avant que celle-ci ne dépose les résultats de ses travaux, plusieurs paris politiques d’opposition, des syndicats indépendants, des associations de droits de l’homme et une presse libre diverse se créèrent.

En face de l’ancien parti unique le MRND, le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, qui changea de nom pour devenir le MRNDD, le Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, se créèrent toute une série de partis politiques bourgeois, des modérés libéraux aux partis ouvertement racistes, anti-tutsis. Le plus important d’entre eux était le MDR, le Mouvement Démocratique Républicain. Dirigé par des Hutus rivaux d’Habyarimana, originaires de la région du Centre et du Sud, ce parti se voulait l’héritier du Parmehutu de l’ancien dictateur Kayibanda.

Bon nombre de ces partis, pour ne pas dire la plupart, étaient de bouts du MNRD, le parti de la dictature. Leur ambition à tous était surtout de partager le pouvoir avec la clique de "l’Akazu", "la maisonnée" du dictateur. Par ailleurs, quoique se définissant généralement d’obédience hutue ou tutsie, ces partis étaient souvent organisés autour des ambitions personnelles de quelques individus et apparaissaient plus comme représentant les intérêts de telle ou telle région et non telle communauté ethnique. Par exemple Le MDR, issu du MNRD et dirigé par des Hutus, prétendait défendre les intérêts des Hutus du centre et du sud écartés de la gestion des affaires depuis la prise du pouvoir par les Hutus du Nord. Il en était de même pour tous les autres partis. C’est pourquoi, reprochant au parti du dictateur Habyarimana de concentrer exclusivement le pouvoir entre les mains des Hutus du Nord, la seule ambition de tous ces partis était de faire pression sur la dictature afin d’aboutir à un repartage du pouvoir sous la forme d’un rééquilibrage au profit des uns et des autres.

Dans tous les cas, la dictature de Habyarimana s’est trouvée ébranlée par cette situation. Elle était affaiblie par le mouvement de contestation qui se développait dans le pays. Elle avait surtout perdu la confiance d’une frange de sa base sociale petite-bourgeoise. Et ce fut dans cette situation-là qu’intervint la première attaque du FPR.

Les grandes puissances visent à un partage du pouvoir avec le FPR
S’ajoutant au mouvement de contestation intérieur de plus en plus grandissant et aux pressions des pays riches qui souhaitaient une stabilité politique, cette attaque mit la dictature de Habyarimana sous la coupe d’une triple pression. La conjonction de ces trois éléments, à savoir les manifestations des rues, les pressions des puissances impérialistes et les raids du FPR, dans un contexte marqué par d’énormes difficultés économiques dues à la chutes des prix des matières premières, tout cela allait peser plus encore sur le pouvoir au point de l’obliger à composer avec l’opposition et d’accepter de discuter avec elle. Ainsi au mois de mars 1992 et au mois de juin 1993, un gouvernement de transition fut formé avec les partis de l’opposition. Au mois d’août1992, entre la dictature de Habyarimana et l’ensemble de l’opposition, tant politique que militaire, s’engagèrent des discussions et des négociations qui allaient durer plusieurs mois avant d’aboutir à un ensemble d’accords appelés "les Accords d’Arusha", du nom d’une ville tanzanienne où ils ont été conclus en août 1993.

Sur le papier, ces accords prévoyaient que le chef de l’Etat ne dirigerait plus. Le véritable pouvoir serait entre les mains des partis politiques qui s’appuieraient sur une Assemblée Nationale souveraine, avec un gouvernement de transition à base élargie devrait. Entre autres choses, dans ces accords, il y avait aussi la fin de la guerre, la réconciliation, la mise en place d’un Etat de droit, le retour des exilés éparpillés à travers le monde, le partage du pouvoir entre l’ancien parti unique, les partis d’opposition et le FPR. Celui-ci se transformerait en un parti et ses troupes intégreraient les rangs de l’armée. Enfin des élections présidentielles et législatives devraient avoir lieu en 1995.

Les puissances impérialistes ainsi que les partis de l’opposition pensaient tenir à travers ces accords la clé de la crise rwandaise. Ils croyaient qu’il suffirait de coucher sur du papier quelques idées généreuses sur la paix, l’Etat de droit, etc, pour que Habyarimana et sa bande d’Akazu acceptent tout, au point d’abandonner les privilèges. Mais c’était compter sans les dignitaires de la dictature qui firent seulement semblant d’admettre le compromis. Lors d’un meeting en 1992, Habyarimana traita les négociations d’Arusha de "simple chiffon de papier". Des négociations, lui et les siens se servaient surtout comme une couverture afin de mieux préparer la guerre. Car, pour ces gens-là, l’idée d’un simple partage du pouvoir était quelque chose d’inadmissible, une menace sur leurs intérêts. Par ce temps de crise où le gâteau à partager s’était réduit du fait de la chute des revenus de l’exportation, l’avidité de la petite minorité proche du pouvoir s’en était accrue d’autant. Les dignitaires du régime étaient désespérément accrochés à leurs postes, source principale de leur enrichissement, comme les hommes d’affaires qui avaient prospéré sous la parti unique ; les chefs de l’armée et autres militaires avaient peur de la concurrence de leurs rivaux du FPR et d’une démobilisation qui les conduirait au chômage. Par conséquent tout ce monde-là, plus tant d’autres profiteurs du système Habyarimana, ne voulait pas du moindre compromis avec leurs rivaux de l’opposition. Alors, en se servant de l’appareil d’Etat, il allait se liguer, faire bloc afin de s’opposer par tous les moyens à la perspective du partage du pouvoir et, afin de défendre ses privilèges, opter pour un génocide méthodiquement préparé.

La montée fasciste
Ainsi, dès la première attaque du FPR, en octobre 1990, les principaux dignitaires du régime réagirent brutalement. Comme aux sombres heures de la dictature de Habyarimana, ils brandirent le spectre de "l’ennemi intérieur" et ne cachèrent pas leurs intentions de ne pas se laisser faire : en quelques heures, 10 000 personnes, généralement des Tutsis mais aussi des Hutus modérés considérés comme alliés du FPR, furent arrêtées et parquées dans le stade de Kigali. Dans les provinces, les autorités, les bourgmestres, les préfets, les commandants des zone, poussèrent les Hutus à s’attaquer à leurs voisins tutsis : dans la préfecture de Giseny, par exemple, 300 Tutsis furent tués, des milliers d’autres blessés ou obligés de s’enfuir, leurs maisons brûlées, leurs biens pillés. D’autres massacres de ce genre eurent lieu ailleurs. En 1991, suite à une autre attaque du FPR à Ruhengeri, sous la conduite de la police, de l’armée et des hauts fonctionnaires du coin, des Hutus massacrèrent 300 personnes d’une communauté des pasteurs tutsis. Avant ce massacre, un tract, signé par le préfet et le ministre de l’intérieur, avait circulé, appelant les paysans à détruire "les buissons et tous les rebelles qui s’y cachent. Et surtout n’oubliez pas, dit le tract, que celui qui coupe une mauvaise herbe doit aussi détruire ses racines". En 1992, au cours d’un meeting tenu à Gisenyi, un certain Léon Mugeséra, vice-président du MRND, le parti de la dictature, déclare : "Je prie instamment toutes les personnalités importantes du MRND de collaborer. Celui qui est à la tête du Trésor Public, qu’il nous apporte l’argent... L’homme d’affaires doit toucher à sa caisse et nous apporter de l’argent pour que nous allions trancher les têtes de ces salauds. Rappelez-vous que notre mouvement a ses racines dans les cellules et les secteurs. Le président vous a bien dit qu’un arbre bien en branches et en feuilles seulement, mais sans racines, est un arbre mort. Nos chefs de cellule doivent se mettre au travail, même s’ils ne sont pas payés. Tout élément étranger à la cellule doit être noté. Si c’est un complice des Inyenzis (Tutsis), il doit périr sans autre forme de procès... Notre faute, en 1959, c’est que j’étais enfant, c’est que nous les avons laissés sortir saints et saufs...Je vous répète que nous devons vite nous mettre à l’ouvrage... Sachez que celui à qui vous n’avez pas tranché la tête, c’est lui qui tranchera la vôtre." En fait, à partir de 1990, c’est ouvertement, au vu et au su de tout le monde, que les dignitaires rwandais, utilisant l’encadrement étatique totalitaire, préparaient psychologiquement la populations aux futurs massacres par le biais d’une propagande basée sur la menace des Tutsis.

Pendant 4 ans, ce type de discours alimenté par la haine des Tutsis en général allait être tenu non seulement par les dignitaires du régime mais aussi véhiculé, relayé par les média, notamment à la radio nationale d’abord et la radio dite libre des Milles Collines, et dans les colonnes d’un journal appelé le Kangura. En 1990, par exemple, dans une édition de celui-ci où, sur toute la première page il y avait une photo de Mitterrand avec la mention "Un véritable ami du Rwanda", était publié un texte appelé "Les Dix Commandements du Muhutu". Dans ce texte, on pouvait lire :" Tout Hutu doit savoir que toute femme tutsie, où qu’elle soit, travaille à la solde de son ethnie tutsie. Par conséquent, est traître tout Hutu qui épouse une Tutsie, qui fait d’une Tutsie sa concubine, qui fait d’une Tutsie sa secrétaire ou sa protégée. Tout Hutu doit savoir que tout tutsi est malhonnête dans les affaires. Il ne vise que la suprématie de son ethnie. Par conséquent, est traître tout hutu qui fait alliance avec les Tutsis dans les affaires, qui investit son argent ou l’argent de l’Etat dans une entreprise d’un Tutsi... Les Hutus doivent cesser d’avoir pitié des Tutsis... Tout Hutu doit diffuser largement la présente idéologie..."

L’objectif de toute cette propagande anti-tutsie était de chercher à resserrer les rangs de la communauté hutue autour du clan de l’Akazu au nom du nationalisme hutu, en faisant croire aux Hutus, surtout aux privilégiés de cette communauté, notamment aux hommes d’affaires et aux intellectuels qui avaient rejoint l’opposition hutue modérée, qu’ils risqueraient de tout perdre en acceptant un quelconque compromis avec le FRP, présenté comme le bras armé des Tutsis. Ainsi, dans tous les partis d’opposition, allaient se constituer des cercles et des groupes dirigés par des intellectuels qui se rallièrent à la dictature d’Habyarimana pour former ce qu’ils appelaient le Hutu power, le pouvoir hutu, une sorte de large cadre politique fasciste organisé d’en haut pour défendre les intérêts des privilégiés de cette communauté.

Pour se reconstituer une base sociale populaire qui s’était effritée depuis l’appauvrissement du pays et l’apparition du multipartisme, les dignitaires du pouvoir n’utilisaient pas seulement le spectre de la menace tutsie. Ils se servaient aussi d’autres moyens, comme la corruption. Ce fut à coup d’argent qu’ils se rallièrent certains dirigeants des partis adverses. C’est ainsi que le principal parti de l’opposition, le MDR, éclata en deux, entre, d’un côté, une tendance décidée à aller au bout du compromis avec le FPR, et, de l’autre, une autre qui rejoignit le camp de l’Akazu, au nom de la défense des intérêts des Hutus. La Parti Libéral qui avait la particularité d’avoir des Tutsis et son sein et d’être même dirigé par un président tutsi explosa lui aussi en deux fractions, l’une tutsie, l’autre hutue et sensible aux thèses du hutu power.

Et quand la corruption ne suffisait pas, on avait recours aux assassinats, qui se multiplièrent : parce qu’il refusait de se rallier au hutu power, Félicien Gatabazi, le dirigeant hutu du Parti social-démocrate fut assassiné au mois de février 1994. Pour renforcer son camp, le pouvoir encouragea également la création de plusieurs formations satellites, comme le Parti du bas peuple dirigé par une grande bourgeoise, mais surtout la CDR, la Coalition de la défense de la République, une organisation formée à la droite du MRND. Celle-ci était constituée de militants purs et durs de la cause hutue, originaires de la région du centre et du sud et fidèles à l’ancien dictateur Kayibanda. Ils se voulaient plus extrémistes que la clique de l’Akazu et refusaient tout compromis avec le FPR.

Ainsi, tout en participant aux négociations avec les partis d’opposition et le FPR, Habyarimana et les siens regroupèrent autour d’eux une partie des notables hutus et, de ce fait, constituèrent une force, une base sociale privilégiée, au service de laquelle ils mirent tout le savoir faire du parti unique, ses cadres, ses jeunes, ses réseaux, ses cellules, au service d’une violence planifiée et systématique. Et ils s’armèrent pour cela. L’Etat rwandais, grâce à l’encadrement de l’armée française, augmenta considérablement les affectifs de ses forces armées. De 7000, celles-ci passèrent à 40 000 soldats, équipés aussi en achetant des armes auprès de l’Egypte et de l’Afrique du Sud, avec garantie financière du... Crédit Lyonnais. Les transactions se faisaient de la façon la plus simple : le Rwanda mettait en gage sa production de thé, le Crédit Lyonnais donnait sa caution bancaire et le tour était joué : 6 millions de dollars d’achat d’armes à l’Egypte, 5,9 millions à l’Afrique du Sud. Grâce à la garantie politique et économique de l’impérialisme français, l’Etat rwandais s’est ainsi considérablement équipé auprès de l’Egypte et de l’Afrique du sud, sans oublier les armes livrées par la France : des mortiers, des canons légers, des pièces de rechanges, des douzaines de blindés légers Panhard, des transporteurs des troupes et six hélicoptères Gazelles. Sans oublier des milliers de machettes commandées par le pouvoir. Comme par hasard peu avant les massacres de 94 et pas dans un but de travail agricole.

En 1994, 30 0000 soldats rwandais disposaient d’armes légères en grande quantité, de lance-grenades, de mines terrestres et d’une artillerie à moyenne et longue portées. Une partie des armes a été distribuée à des civils, qui constituaient ainsi des "groupes d’autodéfense". Ceux-ci étaient organisés d’une façon méthodique. La plus petite autorité administrative du pays avait son groupe d’autodéfense dont le noyau avait pour nom le "Nyumba Kumi". Chaque noyau de ce type, contrôlé par les autorités, pouvait comprendre deux ou trois personnes et disposait d’une arme. Les "Nyumba Kumi" étaient reproupés par 10 et constituaient à leur tour une cellule.

Ces milices, créés et organisés par le MRND, étaient appelées "les Interahamwes", ce qui veut dire "ceux qui combattent ensemble". Leurs membres étaient recrutés dans la jeunesse désoeuvrée, les chômeurs, mais aussi parmi les réservistes de l’armée et de la gendarmerie. Les privilégiés du régime, leurs enfants, les intellectuels, les commerçants, eux aussi, ont fourni leurs contingents.

Ces groupes dits d’autodéfense étaient formés, entraînés par des militaires français et rwandais. Ils étaient directement placés sous l’autorité du clan de l’Akazu, notamment de Habyarimana lui-même, de son épouse et leur entourage. C’étaient ces milices-là qui allaient plus tard être lâchées sur les Tutsis. Mais bien avant le génocide, elles avaient été entraînées à massacrer, comme lors des différentes attaques du FPR, ou à agresser, tuer ou faire disparaître des opposants politiques et autres défenseurs des droits de l’homme.

A la fin de 1993, sous la conduite de l’appareil d’Etat, toutes les 146 communes de Rwanda étaient ainsi organisées en milices. Chacune d’elle, en fonction de son importance, avait entre 300 et 500 hommes armés de fusils d’assaut, de grenades et de machettes. Dans la ville de Gitamara, il y avait 50 000 fusils pour une population de 144 000 habitants.

Ces milices n’étaient pas seulement équipées. Elles étaient aussi entraînées, rôdées. Galvanisées par les dignitaires du pouvoir et surtout par une radio, la Radio des Mille Collines qui, à longueur des journées, critiquait "la démocratie importée", appelait à "sauvegarder la révolution de 1959" et leur désignait les Tutsis comme des ennemis à abattre, ces hommes savaient à quoi ils avaient été formés, quel travail on attendait d’eux, voire qui ils devaient éliminer, car des listes nominatives avaient été dressées.

Le printemps 94 des assassins
Voilà comment, contrairement aux partis de l’opposition qui se faisaient tant d’illusions par rapport aux négociations, méthodiquement, avec le soutien de l’impérialisme français, le clan d’Akazu s’est préparé, en recrutant, en armant, mettant au point une formidable machine à tuer, pour défendre son pouvoir et ses privilèges ! Et ce fut ainsi aussi, c’est-à-dire par en haut, en s’appuyant sur l’Etat et ses moyens à leur service, et de façon organisée, qu’ils allaient mettre leurs desseins en application le 6 avril 1994.

Sous la pression des puissances impérialistes, Habyarimana avait fini par accepter les Accords d’Arusha. Il était allé signer les signer à Arusha rentrait à Kigali, ce jour-là, pour promulguer à son retour la liste du gouvernement de transition élargi qui lui avait été imposé. Mais pour les extrémistes de l’Akazu, notamment pour les responsables de la Coalition pour la Défense de la République, cela était hors de question ! Ils allèrent jusqu’au bout de leur logique en abattant son avion et déclenchèrent les massacres qui en peu de temps se transformèrent au génocide.

Dès le crash de l’avion, ils mirent sur pied un comité militaire dirigé par des gens comme Bagosora, un colonel à la retraite, membre du clan hutu hostile à tout compromis avec les autres partis. Alors qu’il y avait un gouvernement dans le pays, ils en formèrent un autre de leur cru, dans les enceintes de l’Ambassade de France. Ce gouvernement, totalement à la solde des extrémistes de l’Akazu, était en réalité une sorte de direction, d’état major politique d’où allaient être orchestrés tous les massacres à grande échelle.

La dite radio libre des Milles Collines rendit les Tutsis responsables de l’attentat. Alors munis des listes nominatives et des adresses, les escadrons de la mort, mirent en exécution ce à quoi ils avaient été minutieusement préparés. Les premières victimes étaient d’abord les Hutus modérés qui n’avaient pas rejoint le camp du Hutu power. Certains étaient membres du gouvernement d’union nationale ou de l’opposition qui voulait un compromis avec le FPR ; d’autres, des responsables des associations des droits de l’homme ou de simples citoyens qui au nom de la légalité et du fait qu’il y avait un gouvernement dans le pays refusaient de se mettre à la remorque des militaires du clan d’Akazu. Ils furent tous assassinés. Les massacres commencèrent, en quelque sorte, par un génocide politique, avec l’assassinat de quelques 10 000 opposants ou modérés hutus. Ensuite ce fut le tour des Tutsis, notamment les plus en vue, les plus riches donc les plus connus. Enfin, ce furent les massacres à grande échelle.

A Kigali, la capitale, sous les appels de la Radio des Mille Collines qui les invitait à tuer, les miliciens dressèrent des barrages sur les rues, les routes, les ruelles. Ils fouillèrent les voitures et filtrèrent les passants. Les Tutsis étaient systématiquement éliminés, à coups de fusils, de mitraillette, de machettes. D’autres miliciens perquisitionnaient dans les quartiers, fouillaient dans les maisons, obligeaient les gens dénoncer ou tuer leurs voisins et laissaient des cadavres à leur passage. Tous les Hutus qui hésitaient ou refusaient de participer aux massacres étaient tués à leur tour. Aucun lieu n’était épargné : les bureaux, les écoles, les hôpitaux étaient transformés en mouroirs. A l’université de Kigali, 87 professeurs dénoncés par leurs collègues hutus ont été assassinés par des miliciens tandis qu’à l’hôpital 170 blessés et malades étaient égorgés dans leurs lits ainsi que tout le personnel soignant tutsi.

Dans les villes et les villages des provinces aussi les miliciens agirent avec méthode et organisation. Ils persécutèrent les Tutsis et les massacrèrent, y compris dans les églises. Partout, les opérations étaient dirigées par les bourgmestres, les secrétaires communaux, les responsables de cellule, des prêtres. Chaque massacre était précédé par un meeting organisé par les autorités locales, où prenait la parole le dirigeant national le plus prestigieux. On appelait au "défrichage". Puis la milice locale partait "travailler". On estime à 32 000, le nombre des responsables à tous les niveaux de l’Etat et de l’administration qui ont participé aux massacres collectifs et à 80 à 100 000 celui des tueurs.

Alors, haine ethnique tout cela ? Evidemment non ! Comme on vient de le voir, ce qui s’est passé au Rwanda n’a rien à voir avec ce que certains ont dit ou voulu faire croire, à savoir que le génocide était la conséquence d’une guerre civile entre deux groupes ethniques, des Hutus, majoritaires, massacrant des Tutsis, minoritaires. Aussi horribles qu’ils aient pu être, les massacres dont le Rwanda a été le théâtre étaient le fruit d’une volonté politique conçue, organisée et méthodiquement appliquée par les dignitaires hutus du clan de l’Akazu, au moyen de l’Etat, en se servant de ses institutions, de l’armée, de la police, des pouvoir locaux, de la radio et même de l’église. Ces massacres ont été préparés, organisés, encadrés et consciencieusement exécutés, par des gens mobilisés, éduqués à cette fin, qui savaient ce qu’ils faisaient et pourquoi ils le faisaient.

Quant aux pauvres qui ont été entraînés dans ce massacre, dont de nombreux jeunes du lumpen prolétariat, il y en a eu des dizaines de milliers qui ont suivi mais qui l’ont fait passivement et, le plus souvent sous la menace. Ils étaient isolés, sans organisation, sans moyen pour résister. Ils avaient en face d’eux des assassins consciemment organisés et armés. On leur a donné des machettes mais les militaires et l’encadrement fasciste était sérieusement armé.

Par ailleurs, leurs victimes n’étaient pas que des Tutsis. Nombreux étaient les Hutus qui ont été assassinés par les bandes armées de la dictature. Nombreux aussi étaient les Tutsis qui ont été protégés, cachés, par des Hutus qui avaient refusé de s’associer à ces massacres collectifs.

Annexes

Bien qu’il serve exclusivement à justifier la politique de l’impérialisme français dans ce génocide, le rapport de la « commission Quilès » mérite d’être lu, car il contient aussi un certain nombre de vérités. Ce rapport est accessible sur internet. Nous n’en citons ici que les extraits les plus intéressants.
Extraits du Rapport parlementaire Quilès
enregistré le 15 décembre 1998
(consultable sur internet)

“ Nous entretenons des relations amicales avec le Gouvernement du Rwanda qui s’est rapproché de la France après avoir constaté la relative indifférence de la Belgique à l’égard de son ancienne colonie. ” Intervention du Président de la République M. François Mitterrand en Conseil des Ministres du 17 octobre 1990.

LES ACCORDS DE COOPERATION MILITAIRE
L’article premier de l’accord prévoit les conditions dans lesquelles les personnels militaires français sont mis à la disposition du Gouvernement rwandais et précise leur mission : “ le Gouvernement de la République française met à la disposition du Gouvernement de la République rwandaise les personnels militaires français dont le concours lui est nécessaire pour l’organisation et pour l’instruction de la Gendarmerie rwandaise ”.
“ Les personnels militaires français mis à la disposition du Gouvernement de la République rwandaise sont désignés par le Gouvernement de la République française après accord du Gouvernement de la République rwandaise ” et que “ les intéressés sont placés sous l’autorité de l’officier français le plus ancien dans le grade le plus élevé mis à la disposition de la République rwandaise ”.
Les personnels français “ servent sous l’uniforme rwandais, avec le grade dont ils sont titulaires ou, le cas échéant, son équivalent au sein des forces armées rwandaises. Leur qualité d’assistants techniques militaires est mise en évidence par un badge spécifique " Coopération Militaire " porté sur la manche gauche de l’uniforme à hauteur de l’épaule ”.
L’avenant du 26 août 1992, en remplaçant dans les articles premier et 6 de l’accord de 1975 “ la Gendarmerie rwandaise ” par “ les forces armées rwandaises ”, étend la coopération militaire française à l’ensemble des missions des forces armées du Rwanda.

LES RAISONS DE LA PRÉSENCE DE LA FRANCE AU RWANDA
En lui-même, ce petit pays d’Afrique, enclavé, surpeuplé et sans richesses, ne justifiait guère que l’on s’y intéressât autant. Comme l’a souligné le Ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, lors de son audition, ce pays “ ne revêtait aucun intérêt stratégique particulier pour la France (...) L’indépendance du Zaïre, du Burundi et du Rwanda ne s’étaient pas déroulées dans des conditions optimales (...) Ces trois pays se sont tournés vers la France car elle était le seul pays qui conservait encore une politique exprimant son intérêt et son amitié pour un continent qui semblait largement abandonné par les autres puissances. ” L’engagement de la France au Rwanda est donc issu des conditions dans lesquelles ce pays a eu accès à l’indépendance. Mais il fallait aussi que le Rwanda fût francophone et voisin du Zaïre. Géographiquement, le Rwanda dispose en effet d’une frontière commune avec l’Est du Zaïre immensément riche en ressources minières (uranium, cobalt, diamants...) et constitue de ce fait un poste d’observation privilégié des évolutions de cette région. Il est clair que l’amorce d’une coopération franco-zaïroise ne pouvait prendre forme en laissant de côté le Rwanda et le Burundi qui, d’un point de vue géographique, constituent une voie de pénétration vers le Zaïre et le Sud du continent pour les populations du Nord-Est de l’Afrique.

LES ÉVÉNEMENTS AU RWANDA DE 1990 À 1994
On assiste d’abord à une montée persistante de la contestation. (…) L’historien Gérard Prunier observe ainsi que “ la stabilité politique du régime suivit presque exactement la courbe des prix du café et de l’étain ”. Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’une simple coïncidence : le même auteur fait ainsi valoir que l’agriculture de subsistance paysanne, base de l’économie rwandaise, n’offrant que peu de possibilité d’excédent direct, seules restaient “ pour l’élite du régime, (...) trois sources d’enrichissement : les exportations de thé et de café, pendant peu de temps l’exportation d’étain, et les ponctions sur l’aide internationale. Etant donné qu’une bonne part des deux premières sources allait au fonctionnement du Gouvernement, en 1988, la diminution des sources de revenus ne laissait que la troisième comme recours viable ”. D’où une exacerbation de la concurrence pour l’accès aux postes de responsabilité au fur et à mesure que les ressources se tarissaient. (…)

1990
L’année 1990 représente un tournant important dans l’histoire politique contemporaine du Rwanda. Le poids des facteurs internes, tant politiques qu’économiques, n’est pas à sous-estimer. (…) Le Président Juvénal Habyarimana comprend alors qu’il n’échappera pas à une évolution politique de son régime : ainsi, alors qu’en janvier 1989, il soulignait que tout changement politique ne pouvait se concevoir qu’au sein du système du parti unique, son discours du 5 juillet 1990 marque l’acceptation du principe de séparation entre l’Etat et le MRND, seul parti politique autorisé, et la reconnaissance de la nécessité de réformes constitutionnelles, fondées sur l’instauration du multipartisme. (…) L’évolution du régime faisait donc de plus en plus de mécontents, et les mécontentements s’exprimaient d’autant plus que le niveau scolaire et l’alphabétisation du pays s’étaient développés. Le Gouvernement, ou les proches du régime, tentèrent d’enrayer par la force la protestation. En août 1989, M. Félécula Nyiramutarambirwa, membre du Parlement et originaire de Butare, dans le sud du pays, fut renversé par un camion après avoir accusé le Gouvernement de corruption sur des contrats pour la construction des routes. En novembre de la même année, le Père Silvio Sindambiwe, un journaliste dont la parole était libre, fut également tué dans un “ accident de la circulation ”. Des journalistes tentèrent de relater ces événements. Ils furent arrêtés. (…) C’est dans ce contexte qu’eut lieu, en avril 1990, le sommet franco-africain de La Baule. Sur l’insistance du Président Mitterrand, le Président Juvénal Habyarimana fit une déclaration en faveur du multipartisme le 5 juillet 1990. (…) Dans ces conditions, l’attaque du FPR, le 1er octobre, en montrant l’incapacité du régime du Président à assurer seul la sécurité du pays, contribua durement à l’affaiblissement de sa légitimité. Cette crise de légitimité l’obligea à composer avec son opposition interne et à demander un renforcement de la coopération militaire française. (…) En lieu et place de l’organisation de la résistance au FPR dans Kigali, une vague d’arrestations massive fut organisée. Le 9 octobre 1990, le ministère de la Justice rwandais admettait l’arrestation de 3 000 personnes environ. En fait, les chiffres sont évalués à 10 000. Selon M. Gérard Prunier “ de toute évidence, ces arrestations ne visent pas des partisans du FPR (très peu nombreux, et pas tous connus des services de police) ; elles frappent à l’aveuglette Tutsis éduqués et Hutus contestataires’’. (…) Le Ministre de la Défense, intervenant à la radio nationale, demandera à la population de traquer les infiltrés. Cet appel sera immédiatement suivi d’effet. Une partie des soldats du FPR, vaincus, se réfugieront dans la région du Mutara, au nord-ouest du Rwanda. Cette région est une zone traditionnelle de l’émigration tutsie vers l’Ouganda. Or, 348 civils tutsis y seront massacrés entre le 11 et le 13 octobre 1990, et plus de 500 maisons seront incendiées dans la seule commune de Kibilira. S’il s’agit là d’un massacre dont l’ampleur est relative, compte tenu du caractère massif des exterminations constatées dans la région, ses caractéristiques méritent qu’on s’y arrête. D’abord, aucune des victimes n’est un combattant du FPR ; il ne semble pas non plus qu’il s’agisse de sympathisants avérés de ce mouvement : il serait en effet extraordinairement risqué d’afficher de telles sympathies et les Tutsis conservent le souvenir des persécutions de la période de 1959 à 1962. Ensuite, les massacres sont commis par les paysans sous la conduite des autorités civiles, selon les règles bien connues de la corvée collective. Interrogé sur la révolte qui aurait poussé les paysans du nord-ouest à massacrer les Tutsis, le Président Juvénal Habyarimana répond placidement dans une conférence de presse : “ Il ne s’agit pas d’une révolte. Tout le monde obéit. ” Enfin, les dirigeants locaux sous l’autorité desquels les massacres ont été commis ne seront pas inquiétés par le pouvoir central. (…)

1991

Avec le redéploiement de la vie politique s’est aussi créée, entre novembre 1991 et janvier 1992, toute une série de petits partis. Leur audience ne pourra jamais être mesurée. En fait, il semble que, pour l’essentiel d’entre eux, la perspective ait été d’exister comme parti enregistré de façon à pouvoir réclamer de participer à une “ conférence nationale ”, si une telle conférence était convoquée. Or, si certains de ces partis semblent être le fait d’initiatives indépendantes, comme le Parti pour la démocratie islamique, l’autonomie de nombre d’entre eux semble assez largement sujette à caution. C’est ainsi que, selon M. Dismas Nsengiyaremye, le Parti socialiste rwandais (PSR) et l’Union démocratique du peuple rwandais (UDSR) évoluaient dans le sillage du FPR. Mais, la plupart furent carrément suscités par le pouvoir rwandais, soucieux de créer un effet de nombre et d’expression de sensibilités proches autour du MRND. (…) A compter du 24 janvier 1991, le Lieutenant-Colonel Gilbert Canovas exerce à nouveau la fonction de conseiller du Chef d’état-major des FAR qu’il occupera jusqu’en juin 1991, le Président de la République ayant une fois de plus accepté la prolongation de sa mission. Le 21 mars 1991, la Mission d’assistance militaire est renforcée par l’envoi de 30 militaires du DAMI Panda. La coopération militaire française change d’échelle. La justification officielle en est le souci de prévenir “ les conséquences néfastes que peut avoir pour la paix dans la région la poursuite d’actions militaires déstabilisatrices ”. (…)

1992
Le 8 janvier 1992, des manifestations d’une ampleur inconnue au Rwanda secouèrent les principales villes du pays, notamment Butare, Gitarama et surtout Kigali, où 50 000 personnes défilèrent pour manifester contre le nouveau Gouvernement. Une nouvelle journée de manifestation est convoquée pour le 15 janvier, mais le pouvoir l’interdit et les manifestants qui passent outre sont arrêtés. Cependant, devant l’ampleur de la pression, le Président Juvénal Habyarimana finit par accepter de signer un compromis avec l’opposition réunie. Aux termes de ce compromis, le Gouvernement Nsanzimana serait remplacé par un Gouvernement de coalition. Celui-ci, qui comprendrait des Ministres MRND, serait cependant dirigé par un membre du MDR. (…) Le 7 avril, le Premier Ministre Dismas Nsengiyaremye prêtait serment et le nouveau Gouvernement était mis en place le 16 avril, couronnant ainsi la réussite de la stratégie d’union de l’opposition. (…) L’arrivée au pouvoir du Gouvernement Nsengiyaremye ne signifiait en aucun cas que l’opposition venait de remporter une victoire totale. En effet, si le Général Juvénal Habyarimana, son entourage et son parti étaient, pour la première fois depuis 1973, contraints de partager le pouvoir, ils restaient présents aux affaires. Juvénal Habyarimana restait Président de la République et Chef d’état-major de l’armée. (…) Pour nombre de membres du MRND, l’arrivée au pouvoir de l’opposition et la perspective de négociations, en vue d’un partage du pouvoir, entre l’Etat hutu rwandais et le FPR ne devait susciter qu’un refus absolu. C’est ainsi qu’en mars 1992 apparaît sur la scène politique un nouveau parti, la Coalition pour la défense de la République (CDR). Au contraire des petits partis ci-dessus évoqués, la CDR va jouer un rôle important et largement autonome dans la vie du Rwanda jusqu’à la fin du régime. La CDR se positionne comme un mouvement beaucoup plus intransigeant que le MRND dans son opposition au FPR et à la coalition emmenée par le MDR. Ses dirigeants, M. Jean-Bosco Barayagwiza, son fondateur, M. Jean Barahinyura, son Secrétaire général, M. Martin Bucyana, harcèlent le régime et le MRND, pour leur mollesse envers le FPR et ceux qu’il appelle ses complices (“ ibyitso ”, c’est-à-dire les partis d’opposition). Il est à remarquer que ces personnalités, et de façon générale celles de la frange radicale qu’emmène la CDR, ne sont pas forcément les moins talentueuses, ni les moins brillantes de la vie politique rwandaise. Le journal kinyarwanda “ Kangura ” (“ Réveillez-le ”), dirigé par l’un d’entre eux, M. Hassan Ngeze, est d’une efficacité politique redoutable grâce à des attaques personnelles contre les dirigeants de l’opposition, la corruption voire la criminalité n’étant pas l’apanage des seuls dirigeants du MRND. C’est aussi parmi ces sympathisants que se recrutera plus tard l’essentiel des journalistes de l’extrémiste “ Radio-télévision libre des Milles Collines ” (RTLM). Pour nombre de membres du MRND, l’arrivée au pouvoir de l’opposition et la perspective de négociations, en vue d’un partage du pouvoir, entre l’Etat hutu rwandais et le FPR ne devait susciter qu’un refus absolu. C’est ainsi qu’en mars 1992 apparaît sur la scène politique un nouveau parti, la Coalition pour la défense de la République (CDR). Au contraire des petits partis ci-dessus évoqués, la CDR va jouer un rôle important et largement autonome dans la vie du Rwanda jusqu’à la fin du régime. La CDR se positionne comme un mouvement beaucoup plus intransigeant que le MRND dans son opposition au FPR et à la coalition emmenée par le MDR. Ses dirigeants, M. Jean-Bosco Barayagwiza, son fondateur, M. Jean Barahinyura, son Secrétaire général, M. Martin Bucyana, harcèlent le régime et le MRND, pour leur mollesse envers le FPR et ceux qu’il appelle ses complices (“ ibyitso ”, c’est-à-dire les partis d’opposition). Il est à remarquer que ces personnalités, et de façon générale celles de la frange radicale qu’emmène la CDR, ne sont pas forcément les moins talentueuses, ni les moins brillantes de la vie politique rwandaise. Le journal kinyarwanda “ Kangura ” (“ Réveillez-le ”), dirigé par l’un d’entre eux, M. Hassan Ngeze, est d’une efficacité politique redoutable grâce à des attaques personnelles contre les dirigeants de l’opposition, la corruption voire la criminalité n’étant pas l’apanage des seuls dirigeants du MRND. C’est aussi parmi ces sympathisants que se recrutera plus tard l’essentiel des journalistes de l’extrémiste “ Radio-télévision libre des Milles Collines ” (RTLM). (…) Le mois de mars 1992 voit en effet le début d’une série d’attentats terroristes. Par deux fois, des grenades sont jetées dans la foule, à la gare routière de Kigali, faisant cinq morts la première fois et un mort et 34 blessés la seconde. (…) Le mois de mars 1992 est aussi celui de la reprise des massacres de Tutsis dans les provinces. (…) Dans la région du Bugesera, (…) les massacres durèrent du 4 au 9 mars, et causèrent la mort d’un nombre de personnes évalué à 300 (l’administration rwandaise d’alors en a admis 182). Comme dans le cas des massacres du Mutara (voir ci-dessus), ils furent accomplis par les paysans sous la conduite de leur bourgmestre dans le cadre d’une “ umuganda ”. (…) M. Filip Reyntjens, auteur d’un rapport au nom de la Fédération internationale des droits de l’homme, écrit quant à lui que : “ début mars, on remarque la présence de militaires de la garde présidentielle en civil, munis de poignards et de pistolets. Par ailleurs, des membres des milices Interahamwe du MRND sont introduits dans la région à bord de véhicules de la Direction des Ponts et Chaussées du ministère des Travaux publics, service dirigé par M. Ntirivamunda, gendre du Chef de l’Etat ; l’essence nécessaire à l’opération est fournie par Séraphin Rwabukumba, beau-frère du Président et par l’ancien Ministre Joseph Nzirorera, proche de la famille présidentielle ”. (…) Dès que l’ampleur en fut connue, les massacres du Bugesera firent l’objet d’une démarche des ambassadeurs des pays de l’OCDE auprès du Président Juvénal Habyarimana. A ce propos, il a été écrit que l’Ambassadeur de France au Rwanda, M. Georges Martres, ne s’était pas associé à cette démarche. (…) Selon l’ancien Ministre de la Défense MRND, M. James Gasana, dans un document remis à la Mission et intitulé La violence politique au Rwanda de 1991 à 1993 : témoignage sur le rôle des organisations de jeunesse des partis politiques, c’est le MRND qui aurait le premier créé sa propre organisation de jeunesse, dénommée “ Inkuba ” (foudre), dès juin 1991, pour organiser troubles et manifestations destinés à déstabiliser le régime. Ont été créés par le MRND les “ Interahamwe ” (ceux qui combattent ensemble) et, par la CDR, dès sa constitution, les “ Impuzamugambi ” (ceux qui poursuivent le même but). (…)“ Dès la mi-1992, la décentralisation des Interahamwe autour des personnalités politiques riches alliées à l’entourage de Habyarimana se renforce. Leur mobilité couplée au regain de force du MRND va leur permettre d’opérer au niveau national, en particulier pour des meetings politiques. Il ne se forme pas de groupes préfectoraux car les préfets redoutent une action disciplinaire du Gouvernement. Même si les groupes créés sont généralement communaux, ils se créent par secteur dans la préfecture de la ville de Kigali et dans les environs. Les luttes entre les organisations des jeunesses ont plus fréquemment lieu par quartier en ville de Kigali. “ La prolifération des Interahamwe vers mi-1992 est due principalement à la perte du contrôle des FAR par Habyarimana et le MRND dans un contexte insurrectionnel d’Ukubohoza ou libération créé par les partis FDC(59). Elle est aussi due au positionnement de certaines personnalités du MRDN face à leurs rivaux de même région, au sein du même parti, dans la perspective des élections générales. Enfin, l’adhésion aux Interahamwe était pour les malfaiteurs une façon de trouver une protection politique contre les poursuites en justice, et pour les jeunes chômeurs une façon de subvenir à leurs besoins de survie sous la protection des dignitaires riches.’’ (…) Les premiers contacts officiels entre le nouveau Gouvernement rwandais et le FPR ont lieu à peine un peu plus d’un mois après l’investiture. Le 24 mai en effet, le Ministre Ngulinzira rencontre le FPR à Kampala. Un calendrier de négociation est alors établi. Dès le 29 mai, soit cinq jours seulement après cette première rencontre, les pourparlers de paix commencent à Bruxelles entre le FPR et des représentants du Gouvernement membres des trois partis MDR, PSD et PL, dont la coalition prend désormais le nom de FDC (Forces démocratique pour le changement). Le 5 juin, un accord de cessez-le-feu est trouvé entre le FPR et la coalition gouvernementale FDC, malgré l’opposition du MRND. (…) Le 1er août, le cessez-le-feu entre en application, et le 18 août, soit un mois après le début des négociations des accords de paix proprement dit, le premier protocole d’accord est signé (à Arusha). (…) Les négociations s’engagent alors dans une seconde phase, plus concrète. Celle-ci aboutit à la signature d’accords sur le partage du pouvoir dans le cadre d’un “ Gouvernement de transition à base élargie ”. Ces accords sont signés en deux temps : le 30 octobre 1992 pour les dispositions les plus générales, le 9 janvier 1993 pour les parties les plus difficiles, notamment la répartition concrète des postes ministériels et le nombre des représentants à l’Assemblée nationale de transition. (…) M. Gérard Prunier, lors de son audition par la Mission, a tenu sur ce point les propos suivants : “ en 1992, le Président Juvénal Habyarimana avait demandé au Ministre de la Défense James Gasana de le débarrasser d’un certain nombre d’hommes de son entourage, qu’il trouvait peu sûrs, voire dangereux pour lui, en les marginalisant ou en les éliminant de leur poste (...) parmi ceux-ci figuraient les Colonels Rwagafilita, Serubuga, Sagatwa, avant qu’il ne change de camp, et Bagosora ”. Il a ajouté que “ si James Gasana avait réussi pour les Colonels Rwagafilita, Serubuga et Sagatwa, il avait toujours échoué dans le cas du Colonel Theoneste Bagosora qui représentait l’ultime point de résistance de Madame et de ses frères. Tant qu’il demeurait secrétaire administratif du ministère de la Défense, eux et leur groupe gardaient, dans ce ministère, un accès qu’ils estimaient absolument vital, non seulement pour le contrôle de l’armée, mais aussi parce que l’anse du panier dansait énormément ”. A ce propos, il a fait observer que “ le décuplement, en trois ans, de l’effectif de l’armée, de 5 200 à 50 000 hommes, en accroissant de façon considérable le budget de la défense, avait ouvert de façon tout aussi considérable les possibilités de détournement de fonds, d’abord pour financer les milices -ainsi les milices comme les Interahamwe ou les Impuzamugambi ont-elles été financées par de l’argent volé au ministère de la Défense- mais aussi dans un but d’enrichissement personnel ou politique ”. (…) Conscient de l’inquiétude de ses partisans, le Président Juvénal Habyarimana tente alors de les rassurer. Le même jour, il fait savoir dans un discours à la radio que toute latitude dans les négociations n’est pas laissée au Premier Ministre et au Ministre des Affaires étrangères et que leurs initiatives sont sous contrôle. “ Nos négociateurs à Arusha ont reçu des instructions... les positions qu’ils adoptent ne sont donc pas improvisées... C’est pourquoi je pense que le peuple rwandais peut être rassuré : toutes les précautions sont prises pour s’assurer que les actions individuelles ne mènent pas notre pays vers une aventure dont il ne veut pas ”. Cette déclaration ne suffit pas à apaiser la colère de certains Hutus radicaux. Selon un processus désormais connu, des massacres s’ensuivent donc. Cette fois, c’est la préfecture de Kibuye qui est le théâtre des événements. Selon M. Gérard Prunier, le bilan de ceux-ci se monterait à 85 morts environ, 200 blessés et plus de 5 000 déplacés. La négociation puis la conclusion des deux accords du 30 octobre 1992 puis du 9 janvier 1993 s’accompagnent d’une tension grandissante. Le 2 octobre 1992, le professeur belge Filip Reyntjens dénonce l’existence d’un “ réseau zéro ”. Cette expression, à laquelle on donne souvent le sens de “ zéro Tutsi ” (…)Le “ réseau zéro ” est une sorte d’escadron de la mort formé de miliciens du MRND et de soldats détachés et équipés par l’armée sous le contrôle de proches du Chef de l’Etat, c’est-à-dire des membres les plus notables de l’Akazu. Le professeur Filip Reyntjens cite ainsi les trois frères de Mme Habyarimana, le directeur des travaux publics et gendre du Président, M. Ntirivamunda, le Colonel Elie Sagatwa, secrétaire personnel du Président et son beau-frère, le chef du service de renseignement militaire, le commandant de la Garde présidentielle, et enfin le Colonel Theoneste Bagosora, directeur de cabinet du Ministre de la Défense. (…)Dans le témoignage déjà cité, M. James Gasana expose que “ dès septembre 1992, l’alliance des Interahamwe et des Impuzamugambi est plus forte que les Inkuba. Avec la CDR, ils constituent la base politique des " durs " des FAR. Ils mènent une campagne auprès des militaires pour le renversement du Gouvernement de Dismas Nsengiyaremye. ” De fait, le 18 octobre, la CDR organise une manifestation réclamant le départ du Premier Ministre et de son Gouvernement, s’insurgeant contre l’évolution gouvernementale de Radio Rwanda et remerciant la France pour sa présence. Les manifestants réclament aussi que tous les partis enregistrés participent au Gouvernement. Il s’agit bien, compte tenu de ce qui a été dit de ceux-ci, de tenter de paralyser l’action gouvernementale. (…) La tension continue à monter. Le 22 novembre 1992, M. Léon Mugesera, membre influent du MRND, s’adresse en ces termes aux militants de la ville de Kabaya, en préfecture de Gisenyi. “ Les partis d’opposition ont comploté avec l’ennemi pour faire tomber la préfecture de Byumba aux mains des Inyenzi (...). Ils ont comploté pour saper nos forces armées (...). La loi est très claire sur ce point : " Toute personne coupable d’actes visant à saper le moral des forces armées sera condamnée à mort. " Qu’est-ce que nous attendons ? (...) Et ces complices (Ibyitso) qui envoient leurs enfants au FPR ? Qu’attendons-nous pour nous débarrasser de ces familles ? Nous devons prendre en main la responsabilité et supprimer ces voyous. (...) Nous devons agir. Il faut les liquider tous ! ” (…) M. Michel Cuingnet, ancien chef de la Mission de coopération au Rwanda, a affirmé que dès les premières émissions de la RTLM en avril 1993, “ on annonçait sur les ondes qu’il fallait “ terminer le travail et écraser tous les cafards ”. Après le 6 avril 1994, MSF a rapporté que l’on pouvait entendre sur RTLM ce type de message : “ Il reste de la place dans les tombes. Qui va faire du bon boulot et nous aider à les remplir complètement ? ”. De fait, ces organes de presse, qui n’ont jamais été ni censurés ni interdits, ne font que relayer les propos des officiels du régime. Maître Eric Gillet a rappelé devant la Mission que dans un discours prononcé à Ruhengeri en novembre 1992, “ le Président Juvénal Habyarimana appelle les milices Interahamwe qu’il a créées à le soutenir dans son action et leur donne carte blanche ”.

1993
Maître Gillet a cité également le mot du Colonel Bagosora, qui a déclaré lors d’un retour d’Arusha en janvier 1993 : “ je reviens préparer l’apocalypse ”. Cette volonté d’éradiquer les Tutsis imprègne tout particulièrement l’armée composée uniquement de Hutus. le Général Jean Varret a rapporté devant la Mission : “qu’à la suite de divers attentats, la gendarmerie rwandaise avait demandé, avec l’appui de l’ambassadeur, une formation d’officier de police judiciaire (OPJ), afin de pouvoir mener efficacement des enquêtes intérieures ”. (…)M. Faustin Twagiramungu a toutefois fait entendre une voix légèrement dissonante ou, plus exactement, apportant un complément. Il a précisé que “ les partisans de la CDR que l’on voyait chanter publiquement : "nous allons exterminer", n’avaient jamais dit qu’ils allaient exterminer seulement les Tutsis, mais qu’ils visaient aussi l’opposition qui, si elle comportait des Tutsis, était d’abord constituée par des Hutus”. (…) La signature du deuxième accord sur le partage du pouvoir, le 9 janvier 1993, radicalise encore la situation. D’abord, conformément aux craintes des Hutus radicaux, les accords fixent la répartition des sièges de l’Assemblée de transition devant laquelle répondra le Gouvernement. Celle-ci ne sera donc pas élue mais nommée. Les membres du MRND et de la CDR y voient une concession intolérable au FPR, celui-ci s’assurant ainsi d’une présence en nombre alors que, eu égard à la faible proportion de Tutsis du Rwanda, et au fait que nombre d’entre eux sont des proches du parti libéral, des élections tenues immédiatement ne lui auraient donné qu’une faible représentation. De plus, s’agissant du Gouvernement, les partis FDC et le PDC conservent tous leurs postes ministériels. Les cinq postes attribués au FPR sont, à part une création destinée à prendre en charge les réfugiés, tous pris sur le contingent du MRND, qui perd ainsi au profit du FPR quatre de ses sièges, dont le ministère de l’Intérieur. Eu égard au caractère stratégique de ce ministère, la colère du pouvoir MRND et de ses sympathisants déferle. Le 19 janvier, le MRND et la CDR organisent de violentes manifestations contre l’accord. Le 21 janvier, le Secrétaire général du MRND déclare que son parti le rejette purement et simplement. La présence d’une commission d’enquête internationale sur les violations des droits de l’homme au Rwanda, du 7 au 21 janvier 1993, avait eu un impact certain sur le ralentissement des violences. Son départ le 21 janvier, au moment même où le MRND rejette l’accord, libère leur expression. Pendant six jours, des violences meurtrières menées par des miliciens extrémistes associés aux populations locales dévastent le nord-ouest du Rwanda. Voici comment M. Dismas Nsengiyaremye les présente : “ avec la caution des autorités locales, le MRND organisa des manifestations violentes à travers tout le pays du 20 au 22 janvier 1993 et proclama son intention de paralyser toutes les activités. Les partis d’opposition ne se laissèrent pas intimider et organisèrent des contre-manifestations qui neutralisèrent les activistes du MRND et de ses satellites, dans les préfectures de Byumba, Kibungo, Kigali-ville, Kigali rural, Gitarama, Butare, Gikongoro, Cyangugu et Kibuye (sauf commune Rutsiro). Dans les préfectures de Gisenyi, Ruhengeri, Kigali rural (zone de Bumbogo et de Buliza), Byumba (commune Tumba) et Kibuye (commune Rutsiro), ces manifestations se transformèrent rapidement en émeutes et les prétendants manifestants se mirent à tuer les Tutsis et des membres des partis d’opposition. Il y eut environ 400 morts et 20 000 personnes déplacées ”. (…) Le développement de ces massacres amène le FPR à suspendre les contacts à Arusha. En fait, le 8 février 1993, il décide de rompre le cessez-le-feu et passe à l’attaque dans les environs de Byumba et de Ruhengeri. L’offensive est couronnée de succès. Le FPR enfonce les lignes rwandaises, l’annonce de la paix ayant par ailleurs largement démotivé les FAR. Il s’empare de l’essentiel de leur équipement, occupe la plus grande part des préfectures de Ruhengeri -ville qu’il conquiert dès le 8 février- et de Byumba, et avance jusqu’à Rulindo, à 30 km au nord de Kigali. Cependant, le 20 février, le FPR proclame un cessez-le-feu unilatéral. Il semble que deux éléments aient pu l’arrêter. D’une part l’annonce du renforcement de Noroît le plaçait dans la perspective risquée d’un affrontement direct avec les forces françaises. (…)En même temps, la perte de contrôle du Gouvernement sur l’ordre public devient totale. Le développement des milices devient incontrôlable. M. James Gasana en fait une des conséquences de l’offensive de Byumba : “ Malgré l’action de la gendarmerie, les Interahamwe ne cessent de se renforcer. La reprise des hostilités par le FPR a poussé les populations de Byumba en direction de Kigali, notamment. Il y a ainsi des milliers de jeunes gens déplacés de guerre, déscolarisés, sans autre occupation, aigris, et poussés dans la haine ethnique par la guerre, l‘abandon et la misère qui se font recruter dans les Interahamwe pour survivre. Il s’y ajoute aussi des centaines de militaires qui ont déserté le front ou qui ont été renvoyés pour indiscipline. Il faut scruter la frustration et la colère des milliers de jeunes déplacés de guerre, abandonnés à eux-mêmes dans la misère et l’angoisse des camps, pour comprendre la force que les Interahamwe vont avoir à Kigali. Dans leur long calvaire, ces jeunes ont côtoyé la mort dans les camps. Ils ont vu des centaines de corps mutilés par les bombes des rebelles du FPR. Les victimes sont soit leurs amis ou les membres de leur parenté. N’ayant rien à perdre et cherchant où s’accrocher pour la survie élémentaire, ils deviennent un réservoir de recrutement d’Interahamwe et sont utilisés avec d’autres jeunes dans les affrontements contre ceux qu’ils considèrent comme alliés au responsable de leur misère, le FPR. ” Les attentats aveugles reprennent. (…) Etape supplémentaire et gravissime dans la décomposition de l’Etat, le 14 juin 1993 est marqué par l’évasion spectaculaire et massive de la prison de Kigali de militaires, d’Interahamwe et d’individus impliqués dans les événements de décembre 1992 et janvier 1993. Dans son rapport d’expertise, André Guichaoua note que “ cette évasion de personnes ayant des dossiers très lourds (meurtres, viols, pillages) n’a pu se faire qu’avec la complicité des militaires de garde et des forces de l’ordre aux alentours de la prison ”. (…) Des liens existaient entre le groupe de Paul Barril “ SECRETS ” et l’entourage du Président Juvénal Habyarimana avant que l’attentat ne soit exécuté. Ces contacts auraient été plus particulièrement noués par certains responsables rwandais en vue d’aider à la bonne exécution du contrat de vente d’armes passé le 3 mai 1993 entre le Ministre de la Défense rwandais, M. James Gasana et M. Dominique Lemonnier, gérant de la société Dyl-Invest. Le Gouvernement rwandais n’ayant jamais reçu livraison des armes achetées dans le cadre de ce contrat, malgré le règlement d’une avance de 4 millions de dollars virés sur le compte de M. Lemonnier, le Colonel Elie Sagatwa aurait une première fois chargé M. Paul Barril, en novembre 1993, de veiller à la bonne exécution de ce contrat.

1994
Le 20 mai 1994, M. Jérôme Bicamumpaka, Ministre des Affaires étrangères et de la Coopération du Gouvernement intérimaire hutu aurait donné procuration à M. Paul Barril afin qu’il mette en oeuvre toutes les démarches nécessaires pour récupérer l’acompte versé en novembre 1993. Paul Barril n’ayant pas réussi à obtenir satisfaction, a diligenté une procédure judiciaire devant le tribunal de grande instance d’Annecy contre Dominique Lemonnier, M. Sébastien Ntahobari étant intervenu dans cette procédure au nom du Gouvernement rwandais. Or, M. Ntahobari a bénéficié pour ce faire du concours de maître Hélène Clamagirand, avocate du groupe de Paul Barril mais aussi avocate de Mme Agathe Habyarimana consécutivement à l’attentat. Ceci témoigne des relations ayant pu exister entre ces différents protagonistes. Tous ces éléments ont pu être établis par la Mission sur la base d’informations communiquées par M. Patrick de Saint-Exupéry. (…) Tout concorde pour dire que l’extermination des Tutsis par les Hutus a été préparée de longs mois à l’avance, à la fois en termes d’idéologie, par la manipulation de la population avec l’aide des médias notamment, et en termes d’instruments du génocide, par la distribution systématique d’armes, l’utilisation de caches et la formation des milices. Ces faits étaient pour l’essentiel connus au moins depuis décembre 1993, comme l’a rappelé M. Eric Gillet lors de son audition devant la Mission. M. Georges Martres a estimé que le génocide était prévisible dès octobre 1993 “ sans toutefois qu’on puisse en imaginer l’ampleur et l’atrocité ”. Il a du reste ajouté que “ le génocide constituait une hantise quotidienne pour les Tutsis ”. (…) Ce qui a frappé, semble-t-il, le plus, les témoins de l’époque lors du déclenchement du génocide, c’est, ainsi que l’a rapporté M. Jean-Hervé Bradol, “ qu’il ne s’agissait pas de massacres ou d’une quelconque fureur populaire faisant suite au décès d’un président, mais bien davantage d’un processus organisé et systématique. Ce n’était pas une foule énervée qui procédait à ces tueries, mais des milices agissant avec ordre et méthode ”. (…) Mme Alison Des Forges a également estimé que “ les massacres avaient été déclenchés par un groupe très restreint qui avait décapité le Gouvernement légitime pour pouvoir prendre le pouvoir ”. Ce petit groupe, composé de gens convaincus et organisés, “ disposait de collaborateurs au nord-ouest, à Gisenyi, au sud-ouest à Cyangugu, au sud-centre, à Gikongoro, et à l’est, à Kibungo ”. S’attaquant d’abord aux personnalités qui auraient pu s’opposer aux massacres, manipulant les populations par des messages radio destinés à semer la panique, ce petit groupe a réussi à contrôler la quasi-totalité du système administratif, militaire et politique. “ La preuve du caractère centralisé de ce génocide ” est apportée selon Mme Alison Des Forges par l’organisation systématique de mises en scènes fallacieuses tendant à prouver l’imminence d’une attaque des Tutsis et destinées à attiser la haine des populations contre ces derniers. “ L’extraordinaire efficacité de la machine du génocide ” a expliqué M. José Kagabo, serait donc le reflet de l’efficacité du système de contrôle de la société sous le régime Habyarimana : “ dans chaque préfecture un préfet, appartenant au parti, avait pour mission d’organiser le quadrillage des communes, elles-mêmes quadrillées en quartiers, chaque quartier étant divisé en îlots de dix maisons placés sous l’autorité et la surveillance constante d’un fonctionnaire du parti surnommé " Monsieur dix maisons " ”. Le Colonel Patrice Sartre et le Général Jacques Rosier ont fait part à la Mission de leur impression que l’administration, aussi bien les préfets que les bourgmestres, était sérieusement compromise dans tout ce qui s’était passé. La force d’action la plus importante et la mieux organisée demeure toutefois les milices hutues “ Interahamwe ” (ceux qui attaquent ensemble), proches du MRND, et “ Impuzamugambi ” (ceux qui ont le même but), proches de la CDR, dont les effectifs ont été estimés à 50 000 hommes en avril 1994. Elles disposaient surtout d’armes blanches (machettes, couteaux, massues cloutées..), mais également d’armes à feu, même si de nombreux responsables français ont fait observer que leurs cadres avaient évité de les doter de telles armes. Selon le témoignage du Lieutenant-Colonel Jacques Hogard devant la Mission, les milices s’en prenaient à la population civile tutsie, mais également hutue pour peu qu’elle ne soit pas de leur sensibilité. (…) Le ministère des Affaires étrangères répond le 8 avril à 22 heures : “ devant les risques que présente la situation au Rwanda, des dispositions sont prises pour procéder à l’évacuation de nos ressortissants ”. L’opération Amaryllis vient d’être déclenchée par la France de façon unilatérale. Cette intervention, strictement limitée dans le temps -elle se déroulera du 8 au 14 avril- a vocation d’assurer la protection et l’évacuation des ressortissants français ou étrangers. (…) La spécificité de l’opération d’évacuation Amaryllis tient dans la demande d’évacuation “ en avant-première ” d’une soixantaine de personnes, si les circonstances le permettent. C’est ainsi que 43 Français et 12 personnes de la parenté du Président Juvénal Habyarimana, parmi lesquelles son épouse et ses trois enfants, partiront le 9 avril par le premier avion qui décollera à 17 heures de l’aéroport de Kigali. (…) La France a été accusée d’avoir, d’une part, procédé à l’évacuation exclusive des dignitaires du régime hutu sans s’être préoccupée du sort des représentants de l’opposition hutus modérés ou tutsis, d’autre part, d’avoir appliqué un traitement différent aux personnels français de l’ambassade et aux personnels rwandais. La France a effectivement évacué par le premier avion la veuve du Président Juvénal Habyarimana ainsi que deux de ses filles, un de ses fils, deux de ses petits-enfants et quelques membres proches de son entourage limité, conformément aux ordres, à une dizaine de personnes. Les membres du “ deuxième cercle ” de la famille Habyarimana figuraient bien sur la liste des passagers à évacuer au cours des rotations ultérieures mais ces personnes, comme il a été indiqué, sont parties par la route à Gisenyi. (…)Le génocide commence dans la nuit du 6 avril 1994, dure quatre mois, fait un nombre de victimes de l’ordre de 800 000. Il est couvert ou organisé par des membres du gouvernement intérimaire mis en place après la disparition d’Habyarimana, mais aussi par des responsables militaires, ainsi que les membres de la CDR, du MRND et leurs milices. Une responsabilité lourde pèse sur eux, et notamment sur le Colonel Bagosora, directeur des services du ministère de la Défense, Augustin Bizimungu, Ministre de la Défense, et de nombreux responsables militaires et civils qui ont coordonné le génocide. (…) A partir de quelle date la communauté internationale a-t-elle pris acte qu’un génocide était en train d’être commis au Rwanda ? Le mot “ génocide ” apparaît pour la première fois dans la résolution 925 du 8 juin 1994 qui précise les modalités de mise en oeuvre de la résolution 918. Ce n’est que ce jour que le Conseil de sécurité prend “ note avec la plus vive préoccupation des informations suivant lesquelles des actes de génocide ont été commis au Rwanda ”. Auparavant on ne parlait que de “ violences généralisées ” (résolution 912 du 21 avril 1994) ou de “ très nombreux massacres de civils ” (résolution 918 du 17 mai 1994). L’hypocrisie la plus totale avait été atteinte dans la déclaration du Président du Conseil de sécurité du 30 avril 1994, dans laquelle le Conseil se déclarait atterré d’apprendre “ le massacre de civils innocents à Kigali et dans d’autres régions du Rwanda ” et évoquait “ des attaques contre des civils sans défense ”. Le mot de “ génocide ” était soigneusement évité mais on a eu cependant recours à sa définition juridique puisque le Conseil s’est cru obligé de rappeler “ que l’élimination des membres d’un groupe ethnique avec l’intention de détruire ce groupe totalement ou partiellement constitue un crime qui tombe sous le coup du droit international ”. Il ne s’agit pas d’une simple querelle sémantique. L’emploi du terme de génocide aurait entraîné, en vertu de l’article VIII de la Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, une obligation pour les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies de prendre “ les mesures appropriées pour la prévention et la répression des actes de génocide ”. Or la communauté internationale, et plus précisément les Etats-Unis, n’y étaient pas prêts. M. Herman Cohen a franchement reconnu devant la Mission que les Américains “ ont longtemps refusé de reconnaître le génocide, pour échapper aux conséquences juridiques d’une telle reconnaissance ”. Il est faux de croire que les Nations Unies ne savaient pas ce qui se passait ; au contraire elles ne le savaient que trop, mais ne voulaient pas reconnaître la réalité, préférant pratiquer la politique de l’autruche. Le Secrétaire général de l’ONU avait employé le mot de génocide pour la première fois le 4 mai 1994 dans une interview accordée à une télévision américaine, durant laquelle il avait déclaré “ Here you have a real genocide, in Kigali ”. Il l’a réutilisé le 25 mai 1994 dans une conférence de presse donnée à New York aux Nations Unies. Mais ce n’est que le 31 mai qu’il l’emploie pour la première fois par écrit dans l’un de ses rapports : “ D’après les témoignages recueillis, il ne fait guère de doute qu’il y a génocide, puisque des communautés et des familles appartenant à un groupe ethnique particulier ont été victimes de massacres de grande ampleur ”. (…) Le 22 juin 1994, le Premier Ministre, M. Edouard Balladur, annonçait devant l’Assemblée nationale l’intention de la France d’organiser une opération humanitaire. Il s’est ensuite rendu personnellement devant le Conseil de sécurité le 11 juillet 1994 pour présenter le bilan de l’opération. Lorsqu’il est intervenu devant l’Assemblée nationale, il s’est exprimé dans les termes suivants : “ Le Conseil de sécurité des Nations Unies va examiner, dans quelques heures, le projet de résolution autorisant la France à intervenir au Rwanda dans le cadre d’une opération humanitaire pour sauver les populations menacées. Pourquoi cette intervention ? » (…) L’opération Amaryllis s’achève le 14 avril, l’opération Turquoise s’ouvre le 22 juin. (…) L’opération Turquoise, qui s’est déroulée du 22 juin au 22 août, se différencie des opérations militaires précédentes menées par la France au Rwanda, qu’il s’agisse de Noroît ou d’Amaryllis. Elle concerne les Rwandais eux-mêmes et non plus les ressortissants français ou les ressortissants européens. Elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’un accord d’assistance d’Etat à Etat. Revendiquée par la France, au nom d’une exigence morale, elle est d’emblée définie comme une opération humanitaire, placée sous mandat de l’ONU, et soumise à certaines conditions. Elle est autorisée par la résolution 929 qui prévoit la possibilité de recourir à la force. (…) Dénoncée par les uns comme une opération écran destinée en réalité à permettre aux FAR et aux milices de s’exfiltrer armés vers le Zaïre, en vue d’une reconquête militaire, elle a été critiquée par d’autres, comme M. Jean-Hervé Bradol, pour avoir été dans sa nature même “ une force neutre en période de génocide ”... alors qu’il aurait fallu “ non pas une opération humanitaire, qui lui paraissait inutile, mais une intervention militaire française ou internationale pour s’opposer aux tueurs ” puisque, selon lui, la convention de 1948 sur la prévention et la répression du crime de génocide s’appliquait clairement en la circonstance. (…) Pas plus les milices que les FAR n’ont été systématiquement désarmées dans la ZHS. Un télégramme du 10 juillet 1994 indique à propos de cette zone : “ sauf à provoquer des réactions générales contre l’opération Turquoise, le désarmement des milices ne peut être systématique. Il est actuellement pratiqué ponctuellement dans les cas où des miliciens menacent des groupes de population ”. (…) Le Ministère des affaires étrangères répond par la publication du communiqué suivant : “ Devant la présence constatée de membres du Gouvernement intérimaire dans la zone humanitaire sûre, les autorités françaises rappellent qu’elles ne toléreront aucune activité politique ou militaire dans la zone sûre, dont la vocation est strictement humanitaire. » (…)Toutefois, le ministère des Affaires étrangères a déclaré le 16 juillet : “ Nous sommes prêts à apporter notre concours aux décisions que prendraient les Nations Unies à l’égard de ces personnes (Gouvernement intérimaire), mais notre mandat ne nous autorise pas à les arrêter de notre propre autorité. Une telle tâche pourrait être de nature à nous faire sortir de notre neutralité, meilleure garantie de notre efficacité. ” (…) Le Président de la République française, dans un entretien accordé le 9 septembre 1994, répondait lorsqu’on l’interrogeait sur le soutien de la France au Président Juvénal Habyarimana : “ Son pays était à l’ONU et il représentait à Kigali une ethnie à 80 % majoritaire. Il était reconnu par tout le monde. Pourquoi y aurait-il eu un interdit ? C’est la France, au contraire, qui a facilité la négociation entre les deux ethnies ”. (…) Comme l’a souligné Gérard Prunier au cours de son audition, “ la France (…) avait effectivement entraîné des miliciens qui ont participé au génocide sans avoir pris conscience -bêtise ou naïveté- de ce que représentait son action. ” (…)En cette année 1993, la question récurrente reste celle de la connaissance ou non par l’armée française de la constitution de milices “ dérivées ” des forces armées rwandaises : les milices “ Interahamwe ” (du MRND) et “ Impuzamugambi ” (de la CDR), constituées en 1992, de même que le “ réseau zéro ” et la société secrète “ Amasasu ” créée au sein des FAR par des officiers extrémistes. Le Colonel Jean-Jacques Maurin a confirmé de façon la plus catégorique que jamais au cours des réunions d’état-major auxquelles il avait assisté il n’avait été fait allusion devant lui à un équipement des milices. »

Messages

  • Rwanda : Un génocide organisé par l’impérialisme français
    Non seulement la France de 1994 savait que le génocide des Tutsis se préparait au Rwanda, non seulement elle a aidé et armé ceux qui allaient le commettre, mais elle a “participé à la mise en exécution” d’un massacre qui a coûté la vie à 800 000 personnes. Les 331 pages du rapport rendu public mardi 5 août à Kigali assènent de graves accusations contre les responsables civils et militaires français de cette époque de cohabitation où François Mitterrand avait pour premier ministre Edouard Balladur.
    Rédigé par sept juristes et historiens choisis par le pouvoir rwandais, présidé par l’ancien ministre de la justice Jean de Dieu Mucyo, le rapport est alourdi de 166 feuillets de témoignages dont la lecture suscite à la fois accablement et gêne.
    Accablement, tant s’accumulent les récits de la collaboration des soldats français au tri ethnique de la population, de l’aide apportée aux tueurs, et de leurs exactions, allant des viols aux assassinats. Gêne, tant peuvent être sujets à manipulation des témoignages invérifiables de génocidaires repentis, recueillis par leurs vainqueurs dans un pays traumatisé et autoritaire. L’intitulé officiel de la commission, “chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’Etat français dans le génocide”, montre la précision de l’objectif assigné et le peu de place laissé aux vérités complexes.
    En présentant le rapport devant les caméras de la télévision nationale, le ministre rwandais de la justice, Tharcisse Karugarama, a évoqué la perspective de “poursuites judiciaires” contre “des personnalités pointées du doigt pour leur rôle dans le génocide”. Une liste de 33 responsables français – 13 politiques et 20 militaires – a été diffusée. Outre M. Balladur, sont notamment visés Alain Juppé, ministre des affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin, son directeur de cabinet, François Léotard (défense), Hubert Védrine, secrétaire général de l’Elysée, et Jean-Christophe Mitterrand, conseiller à l’Elysée.
    Le document dresse un inventaire de toutes les charges que l’actuel régime rwandais du président Paul Kagamé, issu de la victoire militaire des Tutsis de l’extérieur contre les génocidaires, a accumulées contre le pays qui a soutenu militairement ses adversaires hutus et parfois ses bourreaux.
    Etayé par de nombreuses notes, le document décrit l’engrenage du soutien français au régime “fondé sur une discrimination ethnique officielle” du président Habyarimana, menacé depuis 1990 par le Front patriotique rwandais (FPR) regroupant les Tutsis exilés en Ouganda. Le document évoque “une stratégie indirecte de confrontation entre l’armée française au Rwanda et le FPR”.
    Attribuant au président Mitterrand un “parti pris antitutsi”, les auteurs expliquent son engagement croissant par sa volonté d’“endiguer l’influence du monde anglophone [les Tutsis du FPR sont anglophones]“ et de montrer aux autres présidents africains amis de la France que Paris ne laisse pas tomber ses alliés.
    Concrètement, le rapport Mucyo accuse la France “d’avoir formé les milices interahamwe qui ont été le fer de lance du génocide”. Les Français “nous disaient que (…) l’ennemi était le Tutsi”, affirme un ancien interahamwe (milice hutue), qui dit avoir été formé par des militaires français. “Les Français (…) ont formé des gens qui ont été utilisés pour tuer”, martèle un ancien militaire rwandais auditionné par la commission. Omniprésents, les Français auraient engagé dès 1992 des programmes de “défense civile” alliant “l’apprentissage de différentes méthodes d’assassinat” et “un endoctrinement des miliciens à la haine ethnique”. De facto maîtres du service de renseignement, des gendarmes français “ont contribué en toute connaissance de cause au fichage informatisé des suspects politiques et ethniques qui devaient être massacrés durant le génocide”, ajoute le document, alléguant la connaissance par Paris du mécanisme d’élimination en préparation et accusant les Français d’avoir ainsi “contribué à la radicalisation ethnique du conflit”.
    Avant même la perpétration du génocide, les militaires français ont déployé “une importante activité dans le contrôle des cartes d’identité” permettant de trier Hutus et Tutsis aux barrages routiers, selon la commission. Des actes d’intimidation, des disparitions voire des viols consécutifs à ces contrôles sont amplement décrits par des témoins.
    Après l’attentat contre le président Habyarimana et le déclenchement du génocide, le 6 avril 1994, ces mécanismes se seraient exacerbés. Le rapport décrit l’ambassade de France, où se sont alors réfugiés les hauts responsables du régime, comme le centre de la résistance des extrémistes hutus. Il dénonce “le soutien accordé par l’ambassadeur Marlaud” au colonel Théoneste Bagosora, considéré comme le cerveau du génocide. En plein massacre, les Français se seraient abstenus de sauver des civils. Un témoignage décrit “une femme enceinte que l’on éventre” devant “deux soldats français qui rigolaient”. En outre, les militaires français auraient pratiqué des “évacuations sélectives”, séparant des couples mixtes, abandonnant les personnels rwandais de leurs propres institutions.
    Inédits, plusieurs témoignages font état de la poursuite de livraisons d’armes françaises – “des dizaines de tonnes” – avant et pendant le génocide et de leur utilisation. Présentée par les Français comme “humanitaire”, l’opération “Turquoise” déclenchée fin juin 1994 est analysée sans nuance dans le rapport Mucyo comme la poursuite d’une “guerre de l’ombre” contre les Tutsis “en plein génocide”.
    Multipliant les témoignages sur des exactions et sur la passivité devant les massacres, le document les présente comme parties prenantes d’une “stratégie” française. A le croire, il en serait ainsi du drame de Bisesero, où les militaires français ont attendu trois jours avant de porter assistance à des victimes du génocide errant dans une forêt.
    Contestée, cette vision mécanique d’une complicité française délibérée sur le terrain est appuyée par un déluge de dépositions faisant état de largages par hélicoptère de Tutsis. Certains auraient ainsi été assassinés, d’autres livrés vivants aux génocidaires. Des dizaines de récits de viols complètent ce tableau insupportable. “Les Français, assure un témoin, nous avaient chargés de leur chercher des filles ou des femmes tutsi (…) qui, disaient-ils, ne leur causeraient pas de problèmes”.
    Alors que l’opération “Turquoise”, sous mandat des Nations unies, est censée permettre la protection des victimes, la commission Mucyo y “discerne” rien moins que “la prise en charge du projet génocidaire par les décideurs français”.
    Livrées quatorze ans après les faits, ces pesantes accusations synthétisent et amplifient des griefs souvent déjà connus. Depuis longtemps déjà, les accusations réciproques lancées devant les tribunaux de chaque pays ou devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda d’Arusha (Tanzanie) alimentent une vive tension diplomatique franco-rwandaise. Les mandats d’arrêt délivrés par le juge Bruguière contre de hauts responsables du régime actuel mis en cause dans l’attentat de 1994 contre l’avion présidentiel qui a déclenché le génocide ont abouti, en 2006, à la rupture des relations diplomatiques par Kigali. Le rapport Mucyo peut d’ailleurs apparaître comme une riposte à ces mises en cause qui entravent la liberté de circuler de plusieurs dignitaires rwandais.
    Le document, remis au président Kagamé en novembre 2007, est finalement publié au moment où la justice espagnole met à son tour en cause des responsables rwandais. Kigali menace aujourd’hui explicitement de déclencher une procédure symétrique ciblant des personnalités françaises.
    Officiellement, le rapport Mucyo n’avait pas été transmis, mercredi 6 août au matin, aux autorités françaises. Dans les milieux diplomatiques, on estimait ses conclusions “pas très nouvelles et peu convaincantes” et l’on voulait croire que l’initiative de Kigali n’était pas de nature à contrarier le réchauffement des relations bilatérales, net depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Et d’insister sur le fait que les personnalités françaises visées appartiennent toutes “au passé”.
    Le Monde, 6 août 2008

  • Je propose une webographie concernant le Rwanda. Cela permet de préciser certains faits. En particulier, depuis 2007, il est établi que les militaires français contrôlaient les barages avant l’attentat contre le falcon présidentiel, et donc avant le déclanchement du génocide.

    Ces éléments sont très importants pour contrecarrer les différentes justifications des officiels de l’Etat français qui disent avoir envoyé les militaires lors de l’opération Turquoise qui a démarré plusieurs semaines après le génocide.

    Selon ces officiels, les militaires français n’étaient pas présents avant cette opération Turquoise.

    Le témoignage publié dans le numéro 1 de la revue La nuit rawandaise donne ainsi des faits qui permettent d’établir précisément le mensonge d’Etat. Faut-il encore préciser que ce mensonge d’Etat mène à la falsification historique, au révisionnisme colporté par les ministres Védrine, Villepin, en première ligne ?

    Pour ceux qui cherchent la vérité, laissons donc parler les documents recensés dans les lignes qui suivent :

    Le lien vers la vidéoconférence (qui date d’il y a près d’un an) :

    http://www.dailymotion.com/video/x9aemu_geneve-serge-farnel-2009-1_news

    elle est découpée en plusieurs parties, mais elle donne des faits précis.

    Une autre vidéo, celle de "un génocide made in france", peut être utile à consulter également

    http://www.genocidemadeinfrance.com/spip.php?article88

    Accrochez-vous, la vérité est difficile à encaisser.

    Les travaux de Farnel, qui fait la conférence, établissent que l’armée française a tué directement, et pas seulement aidé humainement, politiquement, logistiquement et militairement à créer l’armée rwandaise. Voici les liens vers deux articles récents sur la question :

    http://www.lanuitrwandaise.net/actualites/informations/60-militaires-francais-au-rwanda,253.html

    http://izuba.info/w/les-dossiers/un-genocide-francais/france-rwanda-l-histoire-qui-n-a,019.html#forum3

    Cependant, peu de publications évoquent la raison du génocide, voici un lien concernant cette question fondamentale :

    http://www.matierevolution.fr/spip.php?article134

    Bonne écoute, bonne lecture, bon courage.

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