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Socrate, ce dialecticien

vendredi 31 mai 2013, par Robert Paris

Socrate, ce dialecticien

Socrate à Glaucon dans « La République » de Platon :
« Seule la dialectique a cette puissance d’atteindre l’ultime réalité »

Socrate dans « Apologie de Socrate » :

« Comment toi, excellent homme, qui es Athénien et citoyen de la plus grande cité du monde et de la plus renommée pour sa sagesse et sa puissance, comment ne rougis-tu pas de mettre tes soins à amasser le plus d’argent possible et à rechercher la réputation et les honneurs, tandis que ta raison, de la vérité de ton âme qu’il faudrait perfectionner sans cesse, tu ne daignes en prendre aucun soin ni souci ? »

Et Alcibiade, un aristocrate, s’indigne contre Socrate :

« Il nous parle d’ânes bâtés, de forgerons, de cordonniers, de corroyeurs. »

En somme, les classes dirigeantes s’indignent que Socrate fonde sa philosophie sur les travailleurs manuels qui sont si décriés à Athènes !!!

Socrate :

« Comment découvrir des vérités ? Dans vos observations, remarquez des contradictions. Frottez les comme deux morceaux de bois pour obtenir de la lumière. La connaissance jaillit des contradictions. »

« L’être et le non-être sont partout présents, à tous les niveaux. Le devenir et le mouvement sont toujours à la fois être et non-être. »

« Nous ne nous approchons de la vérité que dans la mesure où nous nous éloignons de la vie. »

« On n’hésitera pas à reconnaître que le mouvement même est l’essence ; tout corps qui tire son mouvement du dehors est inanimé. Mais il s’ensuit nécessairement que le mouvement n’aura pas de fin. »

« Il est aussi difficile de départager le bien du mal, le juste de l’injuste, la vertu du vice, ou le bon du mauvais que de démêler le chaud du froid. Il n’y a pas de réponse toute faite »

Socrate, ce dialecticien

Pour Socrate, il n’y a pas de philosophie sans dialogue contradictoire mais ce dialogue n’est pas seulement entre deux personnes. Il est aussi d’une personne avec lui-même. Dans ses dialogues, Socrate sert seulement de miroir, de psychanalyste. Il permet à une personne de s’interroger sur ce qu’elle pense.

Socrate lui-même est en pleine contradiction dialectique : produit de la Grèce et ne se considérant pas comme Grec, homme libre et conscient de son esclavage, tourné sans cesse vers la connaissance et considérant qu’il n’a accumulé aucune connaissance, ne cessant de chercher à connaître la manière de voir de tous sans chercher du tout à fonder une manière de voir qui s’impose à tous, ayant une énorme influence et ne cherchant nullement à pousser quiconque à devenir son adepte, développant une université orale mais n’ayant aucune aspiration à devenir maître d’université ni enseignant de quoique ce soit, discutant sans cesse du bon, du beau, du juste, mais considérant que le bon est en même temps mauvais, le beau en même temps laid, le juste en même temps injuste, etc…

Socrate n’a pas seulement développé une dialectique parce qu’il ne concevait une pensée qu’au travers d’un dialogue contradictoire mais parce qu’il ne concevait la réalité que comme contradiction. Le bon se transforme en mauvais, le beau en laid, le juste en injuste et inversement. L’homme pense mais sa petite voix interdire lui dit le contraire. Il veut faire telle ou telle action mais sa petite voix intérieure le bloque. Son propre cerveau est déjà un dialogue intérieur. Son corps lui-même est un changement permanent. Tous les éléments de son corps sont sans cesse changés : il est à la fois lui-même et un autre. Il veut faire une chose et son contraire. Ce qu’il veut faire mène aux résultats inverses de ce qu’il souhaitait. Il veut être libre et c’est ainsi qu’il se rend esclave. Il veut s’enrichir et cela l’appauvrit. Il cherche le bonheur et agit en sens inverse.

Quand Socrate rencontre Parménide et Zénon qui sont les plus proches des philosophes, ceux-ci discutent de l’unicité et de la multiplicité, de ma matière et du mouvement. Il leur dit qu’on ne peut opposer ces deux termes car ils sont dialectiquement inséparables. Socrate résume leurs conclusions : la matière est et n’est pas, est unité et pluralité, est séparable et non séparable en parties, est existant et néant, limité et sans limite, etc…Il rappelle que chaque quantité est à la fois somme de plusieurs quantités et ne l’est pas. La matière à la fois s’altère et ne s’altère pas, change et ne change pas, etc…

La dialectique de Socrate décrite par Platon dans « Phédon » :

« - Socrate : Maintenant, ne borne pas ton enquête aux hommes, si tu veux découvrir plus aisément la vérité ; étend la à tous les animaux et aux plantes, bref à tout ce qui a naissance et voyons, en considérant tout cela, s’il est vrai qu’aucune chose ne saurait naître que de son contraire, quand elle a un contraire. « (…) Voyons donc si c’est une nécessité que tout ce qui a un contraire ne naisse d’aucune autre chose que de contraire. (…) Autre question : n’y a-t-il pas entre tous ces couples de contraires une double naissance, l’une qui tire l’un des deux contraires de l’autre, et l’autre qui tire celui-ci du premier ? (…) N’en est-il pas de même de ce que nous appelons se décomposer et se combiner, se refroidir et s’échauffer, et ainsi de tout ? Et si parfois les mots nous font défaut pour le décrire, en fait du moins, c’est toujours une nécessité qu’il en soit ainsi, que les contraires naissent les uns des autres et qu’il y ait génération de l’un des deux à l’autre. (…) N’admet-tu pas que le contraire de la vie, ce soit la mort ? (…) Et qu’elles naissent l’une de l’autre ? (…) Si en effet les naissance ne s’équilibraient pas d’un contraire à l’autre, et tournaient pour ainsi dire en cercle, si au contraire elles se faisaient en ligne droite et uniquement d’un contraire à celui qui lui fait face, si elles ne revenaient pas vers l’autre et ne prenaient pas le sens inverse, tu te rends bien compte qu’à la fin toutes les choses auraient la même figure et tomberaient dans le même état et que la génération s’arrêterait. (…) Si, par exemple, l’assoupissement existait seul, sans avoir pour lui faire équilibre le réveil né du sommeil, tu te rends compte (…) que tout le monde serait endormi. (…) D’où nous vient l’idée d’égalité ? (…) Nous disons bien qu’il y a quelque chose d’égal, je n’entends pas parler d’un morceau de bois égal à un autre morceau de bois, ni d’une pierre égale à une pierre, ni de rien de pareil, mais d’autre chose qui est par delà toutes celles-là, de l’égalité elle-même. (…) Il faut donc que nous ayons eu connaissance de l’égalité avant le temps où, voyant pour la première fois des choses égales, nous nous sommes dit : « Toutes ces choses tendent à être telles que l’égalité, mais ne le sont qu’imparfaitement. » (…) Il faut donc que l’égalité ait existé avant que nous naissions pour qu’elle nous apparaisse ensuite comme une réminiscence. (…) Te parait-il aussi que tous les hommes puissent rendre raison de ces réalités dont nous parlions tout à l’heure ? (…) Tu ne crois pas que tous les hommes connaissent ces réalités ? (…) Qu’on m’apporte le poison. (…) Jusque là nous avions eu presque tous assez de force pour retenir nos larmes ; mais en le voyant boire et quand il eut bu, nous n’en fûmes plus les maîtres. (…) Que faites vous mes étranges amis, s’écria-t-il, soyez donc calmes et fermes. »

Et Socrate, rapporté par Platon, dans « Le Banquet » :

« La nature mortelle cherche, selon ses moyens, à se perpétuer et à être immortelle ; or le seul moyen dont elle dispose pour cela, c’est de produire de l’existence, en tant que perpétuellement à la place de l’être ancien elle en laisse un nouveau, qui s’en distingue. A preuve cela même qu’on appelle la vie individuelle de chaque vivant et son identité personnelle, c’est-à-dire le fait que, de son enfance jusqu’au temps de sa vieillesse, on dit qu’il est le même individu ; oui, en vérité, cet être, qui en lui n’a jamais les mêmes choses, on l’appelle néanmoins le même ! Alors qu’au contraire perpétuellement, mais non sans certaines pertes, il se renouvelle, dans ses cheveux, dans sa chair, dans ses os, dans son sang, bref dans tout son corps entier. »

Socrate dans « La République » de Platon (Allégorie de la caverne) :

« La Cité où ceux qui doivent détenir le pouvoir sont le moins désireux du pouvoir est nécessairement celle qui est la mieux et la plus paisiblement dirigée. »

Socrate à son procès :

« Le plus sage d’entre vous, c’est celui qui, comme Socrate, reconnaît que sa sagesse n’est rien. Convaincu de cette vérité, pour m’en assurer encore davantage, et pour obéir au dieu, je continue ces recherches, et vais examinant tous ceux de nos concitoyens et des étrangers, en qui j’espère trouver la vraie sagesse ; et quand je ne l’y trouve point, je sers d’interprète à l’oracle, en leur faisant voir qu’ils ne sont point sages. »

Socrate face à Glaucon :

« Nécessairement, un tel Etat n’en est pas un, mais deux : celui des pauvres et celui des riches, qui habitent le même sol et conspirent sans cesse les uns contre les autres. (...) Il est certain que, si on n’y met aucun obstacle, les uns seront riches à l’excès et les autres indigents. (...) Il est manifeste que partout où tu vois des mendiants dans un Etat, le même endroit recèle des voleurs, des coupeurs de bourse, des sacrilèges et des malfaiteurs de toute espèce. (...) Or, comme il suffit à un petit corps débile d’un petit ébranlement du dehors pour tomber malade, que parfois même des troubles éclatent sans cause extérieure, ainsi un Etat, dans une situation analogue, devient à la moindre occasion la proie de la maladie et de la guerre intestine. (...) N’en va-t-il pas de même dans la démocratie fondée sur l’argent ? N’est-ce pas la richesse excessive qui a servi à l’établissement de l’oligarchie ? (...) Eh bien, c’est la même recherche de l’argent, le même désir insatiable, qui cause la perte de la démocratie fondée sur le même désir insatiable d’accumulation de biens. (...) La même maladie qui, née dans l’oligarchie, a causé sa ruine, naissant aussi dans la démocratie, s’y développe avec plus de force et de virulence et réduit à l’esclavage l’Etat démocratique. (...) Partageons par la pensée l’Etat démocratique en trois classes, dont il est composé. La première est la même engeance qui s’est développée à la tête de l’oligarchie. (...) Il y a ensuite une autre classe qui se distingue toujours de la multitude. C’est celle qui recherche de l’argent. (...) La troisième classe, c’est le peuple, c’est-à-dire tous les ouvriers manuels et les particuliers étrangers aux affaires publiques qui n’ont qu’un petit avoir. Dans la démocratie, ce serait la classe la plus nombreuse et donc la plus puissante si elle était assemblée. Mais elle n’est guère disposée à s’assembler. (...) Le peuple a l’habitude de choisir un favori qu’il met à sa tête et dont il nourrit et accroît le pouvoir. (...) Et le protecteur du peuple commence à se transformer en tyran. (...) C’est le moment pour tous les ambitieux qui en sont venus à ce point de recourir à la fameuse requête du tyran, de demander au peuple des gardes du corps, afin que le "défenseur du peuple" se conserve pour le servir. Et le peuple lui en donne ; car toutes ses craintes sont pour le défenseur du peuple. Pour sa propre défense, il ne fait rien : il est trop plein d’assurance. (...) Dans les premiers jours, il n’a que sourires et saluts pour tous ceux qu’il rencontre, qu’il se défend d’être un tyran, qu’il multiplie les promesses en particulier et en public, qu’il remet des dettes et partage des terres au peuple et à ses favoris et affecte la bienveillance et la douceur envers tout le monde. (...) Mais, quand il en a fini avec ses ennemis du dehors, (...) il ne cesse de susciter des guerres pour que le peuple ait besoin d’un chef. Et aussi, il se débrouille pour que les citoyens soient appauvris par les impôts et soient ainsi forcés de s’appliquer à leurs besoins journaliers et conspirent moins contre lui. Et s’il soupçonne que certains d’entre eux ont l’esprit trop indépendant pour se plier à sa domination, la guerre lui donne un prétexte de les perdre, en les livrant à l’ennemi. Pour toutes ces raisons, un tyran est toujours contraint de fomenter des guerres. (...) Ainsi, en réalité, quoiqu’en pensent certaines gens, le véritable tyran est un véritable esclave, d’une bassesse et d’une servilité extrêmes, réduit qu’il est à flatter les hommes les plus méchants, impuissant à satisfaire tant soi peu ses désirs (...) Il passe sa vie dans une frayeur continuelle, en proie à des douleurs convulsives. (...) Mais outre ces maux, il est victime de ceux que le pouvoir développe encore davantage, je veux dire l’envie, la perfidie, l’injustice, le manque d’amis. (...) Ainsi donc le sage refusera de prendre part aux affaires publiques, s’il a de telles idées ? Non par le Chien ! Il s’en occupera dans son propre Etat et activement. J’entends, répondis-t-il, tu parles de l’Etat dont nous venons de tracer le plan, et qui n’existe que dans nos discours ; car je ne crois pas qu’il y en ait un pareil en aucun lieu du monde. (...) Peu importe que cet Etat soit réalisé quelque part ou soit encore à réaliser, c’est sur celui-là et lui seul qu’il se fixera et dont il suivra les lois. »

Socrate face à Polos dans Gorgias

« J’entends. Tu ne crois pas, à ce qu’il paraît, que le beau et le laid, le bon et le mauvais soient la même chose. »

Socrate face à Aristippe dans « Mémorables » :

« - Tu veux dire, reprit Aristippe, que les mêmes objets sont à la fois beaux et laids ?

 Oui, par Zeus, répondit Socrate, et qu’ils sont à la fois bons et mauvais. Souvent en effet ce qui est bon pour la faim est mauvais pour la fièvre et ce qui est bon pour la fièvre est mauvais pour la faim ; souvent ce qui est beau pour la course est laid pour la lutte, ce qui est beau pour la lutte est laid pour la course. »

Socrate face à Euthydèmos dans « Mémorables » :

« - En conséquence, dit Socrate, la santé et la maladie elles-mêmes sont des biens, quand elles sont causes de quelque bien, et des maux quand elles causent du mal.

 Mais dans quel cas, demanda Euthydèmos, la santé peut-elle causer du mal, et la maladie du bien ?

 Lorsque, par Zeus, les uns, confiants dans leur force, prennent part à une honteuse expédition, à une navigation funeste et aux nombreuses entreprises du même genre et qu’ils y trouvent la mort, et que les autres, se défiant de leur faiblesse, restent en arrière et se sauvent…

 Mais au moins la science, Socrate, est incontestablement un bien ; car y a-t-il une affaire où le savant ne fasse pas mieux que l’ignorant ? »

Et Socrate lui cite un tel exemple où le savant est mort et l’ignorant s’en sort…

« Que de gens, confiants dans leur force, entreprennent des travaux trop grands et tombent dans des maux redoutables ! Combien, amollis par la richesse, périssent dans les embûches où elle les expose ! Combien à qui la gloire et le pouvoir ont valu d’affreux malheurs ! »

Socrate à Glaucon dans « La République » de Platon :

« Seule la dialectique a cette puissance d’atteindre l’ultime réalité »

Qu’est-ce que la science discute Socrate, conversant directement avec le géomètre Théodore et Théétète (rapporté par Platon dans « Théétète ») :

« C’est précisément cela qui cause mon embarras et je n’arrive pas à concevoir par moi-même assez clairement ce que peut bien être la science. (…) Vous dites que tout se meut et tout s’écoule. (…) Donc nous avons distingué deux formes du mouvement : déplacement et changement. (…) Mais on ne peut pas tabler qu’il y ait déplacement sans altération. (…) Donc la chose se dérobe toujours puisqu’on a dit qu’elle s’écoule sans cesse et change donc sans cesse. (…) Dès lors, on ne peut pas dire que la sensation est science. (…) Ce n’est point dans les impressions des sens que réside la science, mais dans le raisonnement sur les impressions. (…) Lors donc que, s’étant rendu possesseur d’une science, on l’a enfermée dans l’enclos, on peut dire que l’on a appris ou trouvé la chose dont est faite sa science (…) Nous disons que quand on transmet ses connaissances, on enseigne ; que quand on les reçoit, on apprend ; et que quand on les a, qu’on les possède comme les oiseaux dans un colombier, on sait. (…) Si l’on est depuis longtemps possesseur de sciences qu’on a apprises et qu’on sait, on peut rapprendre à nouveau ces mêmes sciences, en ressaisissant la science chaque objet, qu’on avait en sa possession, mais qu’on n’avait pas présente à la pensée. »

La suite

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