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Plus seuls que jamais au monde de la communication universelle ?

samedi 17 octobre 2015, par Robert Paris

Plus seuls que jamais au monde de la communication universelle ?

Il y a eu plusieurs époques au sein de la société bourgeoise, dans la manière d’influencer l’opinion publique, les mœurs, les goûts, les choix sociaux et sociétaux. A chaque fois, les classes dirigeantes fournissaient une manière nouvelle de concevoir l’idéal de la collectivité, les buts, les critères, les orientations ainsi que des techniques nouvelles pour propager ces idéaux et des média. Cela s’est fait notamment au travers des moyens d’expression publics.

Il y a eu l’époque du roman populaire, où les femmes se reconnaissaient dans les héroïnes de Balzac, où les hommes tombaient amoureux d’Anna Karénine. Il y a eu l’époque où c’étaient les héros et héroïnes des films qui devenaient les modèles, où les femmes tombaient amoureuses de Clark Gable et les hommes se reconnaissaient dans Jean Gabin. C’était aussi une époque où on idéalisait les chanteurs et chanteuses, de Tino Rossi à la Callas, suivis par Johnny Halliday ou les Beatles. Après le roman et le cinéma, la radio puis la télévision devenaient les indispensables de la vie. Peut-on vivre sans regarder la télé ? Impossible ! Difficile même d’imaginer que des hommes aient pu vivre sans télévision. Ce devait être l’époque des cavernes, non ?

Avec le développement des technologies de communication, on a atteint une autre époque, celle où chacun peut lui-même se peopliser, faire comme s’il était le Clark Gable du net, se mettre en scène, se diffuser partout dans le monde par des photos, des films, des petits textes, envoyés tous azimuts ou à un petit cercle d’amis. De la selfie au film reproduisant toute sa vie personnelle, on a droit à tout…

Il suffit de considérer que c’est une nouvelle frontière qui vient d’être franchie dans la liberté de l’individu, celle de devenir un nœud du grand réseau mondial des communications internationales et placer son bonheur personnel dans le résultat du maximum d’interactions avec la sphère communicationnelle, le maximum de tweets, de mails, de coups de fils, de photos, de petits messages, de membres de son réseau personnel sur Facebook ou Linkedln, Skype ou autres.

C’est une nouvelle forme de succès personnel qui permet de se retrouver avec d’autres sur des modes, des hostilités ou des goûts. D’un seul coup, on peu devenir tous pro-soja, anti-gluten, pro-thalasso, pro-massage, pro-nuances de grey (prostituer ou esclavagiser sa compagne, quelle mode !) et autres modes plus ou moins ridicules ou horribles (comme s’alcooliser brutalement et violemment), des choses qui s’intitulent « des rituels », des distractions alcoolisées ou sexualisées ou autres, avec de nouvelles normes qui changent de plus en plus vite. Prostituer sa copine ou diffuser les photos suggestives de son ancienne copine, ou encore des actes d’agression deviennent ainsi des modes, qui se diffusent rapidement dans une jeunesse d’autant plus déboussolée que les perspectives d’intégration sociales diminuent en proportion de l’augmentation du chômage, que les critères sociaux diminuent en proportion de la désagrégation des tissus sociaux liés à la crise du monde capitaliste. Sans parler de l’absence apparente de perspective politique et sociale enthousiasmantes auxquelles se dédier.

Les nouvelles modes de la société bourgeoise sont glauques et plutôt inquiétantes, même quand elles n’ont rien à voir avec le fascisme et le terrorisme, le racisme, le racisme contre les femmes, la pornographie, sujets qui cependant s’affichent de plus en plus dans les modes diffusées elles-aussi par ces fameux nouveaux modes de communication. Il est vrai que même les révolutions se sont emparées de ces nouveaux moyens de communication. Rien d’étonnant à cela mais ces nouveaux modes de relation interpersonnelles n’ont pas été inventés pour elles ni en fonction d’elles, bien entendu, mais en fonction des besoins des classes dirigeantes, entre autre le besoin d’occuper la jeunesse et la petite bourgeoisie, de lui donner de faux idéaux, de fausses libertés et de faux objectifs, une fausse importance, une fausse idée de l’individu, de sa place dans la société, de ses possibilités d’y réussir. En résumé, on pourrait dire tout simplement qu’il s’agissait de rien moins que de détruire la lutte des classes et la perspective prolétarienne et socialiste, dans les esprits, au profit d’une perspective purement individualiste.

Toute la société devient portée à maximiser les connexions extérieures, le nombre d’échanges médiatisés, alors que chacun se retrouve plus seul que jamais en réalité, d’autant plus seul qu’il n’a pas moyen de se retrouver avec lui-même.

La société capitaliste a profité de ces nouveaux moyens, à la fois pour créer des besoins, pour diffuser des nouveaux produits et aussi pour mettre la main sur les relations de travail, réussissant ainsi à exercer plus de pression que jamais sur les salariés, agressés par des mails, des réunions, des informations agressives. L’exploitation y a largement gagné. Les connexions nouvelles n’ont nullement augmenté la capacité des exploités de se défendre et au contraire plus favorisé la jeunesse et la petite bourgeoisie, sans que ces derniers offrent davantage une perspective à toute la société.

Cela a redonné l’illusion d’un avenir plus démocratique, plus citoyen, plus libre et ouvert au sein du monde capitaliste, une illusion dangereuse servant surtout à contrer la force objective du prolétariat, à la noyer dans la masse petite-bourgeoise. C’est ce qui s’est produit dans les révolutions, au Maghreb, dans le monde arabe, en Afrique ou au Brésil, notamment.

L’individualisme a été porté au niveau de la religion du monde moderne et cela n’est pas fait sans une aide consciente et active des classes dirigeantes, soucieuses de reprendre barre sur une jeunesse prompte à s’enthousiasmer pour la liberté et contre l’oppression. Une classe dirigeante qui voit arriver avec terreur la pire crise du capitalisme mondial dans laquelle ce n’est plus quelques entreprises, quelques secteurs, quelques « canards boiteux » qui chutent, mais toute l’économie mondiale, alors que la classe ouvrière n’a jamais été une force socialement aussi importante, ayant gagné le monde entier, y compris l’ancien tiers monde.

Déployer le drapeau de la « défense de la liberté individuelle » permet aux classes dirigeantes et aux Etats à leur service de se maintenir à la tête des aspirations populaires et de faire croire qu’elles défendent encore les acquis et les droits des populations, soi-disant menacés par des dictatures, des terrorismes, des racismes, des bellicismes, des fascismes, des arriérations et barbaries diverses, tous bien entendu présentés comme extérieurs à la société bourgeoise, elle-même s’affichant comme le summum de la liberté individuelle.

L’effort de destruction des valeurs collectives, des convictions sociales ou socialistes, de l’espoir dans une société débarrassée de l’exploitation de l’homme par l’homme et de la propriété privée des moyens de production a été porté à son extrême, profitant à la fois des trahisons et du discrédit de la social-démocratie, du stalinisme mondial, du syndicalisme réformiste et bureaucratique, de la démocratie bourgeoise.

On est au point que les nouvelles générations ont non seulement rompu avec tout cela mais en ignorent l’existence comme si c’était des faits d’un monde englouti, disparu, sans même laisser de traces, ou de faits anciens de l’Histoire, au même titre que Charlemagne, Waterloo ou Marignan. Et pourtant, n’en plaise aux classes dirigeantes, il y a fort à parier que cette nouvelle génération soit justement celle qui renoue avec la lutte des classes révolutionnaires, plus exacerbées que jamais, plus dangereuses que jamais pour les classes dirigeantes. Il est plus facile de supprimer la lutte des classes sur le papier ou même dans les esprits que de l’effacer dans les réalités.

Même les moyens modernes de communication peuvent se retourner contre les classes dirigeantes comme en Tunisie et en Egypte où internet est désigné du doigt comme cause de désordre, même en Occident où la contre-information est attaquée sous le sigle de « conspirationnisme ». Même les mœurs les plus réactionnaires peuvent se retourner contre les classes dirigeantes, par un retour dialectique. Ainsi, les classes dirigeantes américaines commencent à craindre que la population civile soit armée, car, en cas de guerre civile, cela changerait la donne…

Et, bien entendu, le fait que cette jeune génération n’ait pas connu l’organisation collective, la vision socialiste collective entraîne aussi qu’elle a accepté le travail individualisé, la précarité, la surexploitation, la pénétration des patrons et cadres dans l’univers personnel, par les mails, par les tweets, par les skype, qu’elle a accepté les emplois faussement libéralisés, les emplois sous-traités, les emplois jetables, les dérives des charges de travail, des horaires de travail, etc…

L’isolement produit par l’individualisation dans le travail, dans les salaires, dans l’organisation de la société, dans les mœurs, a des effets destructeurs : on l’a bien vu avec la vague de suicides dans les entreprises, on l’a vu également avec la vague de burn out, de démoralisations en chaîne sans réaction collective, avec la vague des morts par cancers liés au travail, sans réaction collective dans l’entreprise non plus, avec les effets des nouvelles méthodes d’encadrement des salariés (réunions d’équipe sous l’égide de l’encadrement, notations, entretiens individuels avec les cadres menant à des engagements personnels du salariés et à des menaces si les objectifs ne sont pas atteints et on en passe). Les salariés, isolés, menacés, sous la pression quand ce n’est pas sous le harcèlement et sous la poussée vers la démission ou la pré-retraite forcée, c’est la classe dirigeante qui mène son offensive contre la classe ouvrière, c’est l’aggravation de la lutte des classes par le camp de la bourgeoisie et pas sa suppression pour donner une prétendue société égalitaire de l’individu, du citoyen, de l’homme libre, indépendant des classes. Un tel individu libre et indépendant des classes ne peut naître que de la suppression révolutionnaire des classes sociales, et d’abord de la suppression de la propriété privée des moyens de production, de la suppression de l’Etat au service des possédants.

En tout cas, par toutes ces méthodes modernes de communication, on peut influencer considérablement les consciences, cela peut avoir des conséquences graves sur l’action des hommes mais cela ne change pas irréversiblement le sens de l’Histoire, cela n’efface pas le fait que ce qui marque le monde, ce sont les intérêts irréconciliables des deux classes sociales principales, la bourgeoisie capitaliste et le prolétariat.

Tout au plus, ces efforts considérables pour implanter de fausses valeurs, de fausses libertés, de faux espoirs, nous montrent les craintes des classes dirigeantes, nous montrent ce qui reste leur ennemi numéro : la lutte des classes que peut leur mener le prolétariat.

Bien sûr, l’individualisme forcené, actuellement cultivé à l’extrême, est un obstacle dans le travail de conscience du prolétariat pour construire un monde nouveau face au monde capitaliste en train de s’effondrer. Il entrave la formation d’une conscience prolétarienne, socialiste et internationaliste qui serait un point d’appui considérable dans la situation actuelle. Il favorise les replis réactionnaires de toutes sortes, du racisme au fascisme et à la xénophobie. Il entrave bien entendu la compréhension de la situation mondiale comme la formation d’organisations conséquentes du prolétariat, organisations syndicalistes révolutionnaires comme organisations politiques communistes révolutionnaires. Il souligne la faiblesse actuelle de ces courants, leur éparpillement.

Cela ne signifie nullement que ceux-ci n’aient aucun avenir.

Les classes dirigeantes peuvent manipuler jusqu’à un certain point leurs opinions publiques mais les événements finissent toujours par dévoiler d’une manière ou d’une autre la réalité.

Dans les guerres, et particulièrement les guerres mondiales, les classes dirigeantes avaient pris barre violemment sur les opinions publiques, suspendant momentanément la lutte des classes, condamnée comme « atteinte à la sûreté de l’Etat » et comme « pacte avec l’ennemi », mais la lutte des classes s’est réinvitée tout de suite après, de manière d’autant plus violente et menaçante pour la bourgeoisie mondiale.

Ce qui est certain, c’est que le monde bourgeois capitaliste est dépassé par ses propres succès, qu’il n’est plus capable d’offrir de véritables espoirs aux populations, un véritable avenir, qu’il ne peut que détruire lui-même tous les tissus sociaux qu’il avait tissé.

Ce qui est certain, c’est que la société bourgeoise, si elle est parvenue à faire croire aux prolétaires qu’il n’y avait pas d’autre avenir que le capitalisme, ne croit plus elle-même en son propre avenir.

Ce qui est certain, c’est qu’elle jette de plus en plus les peuples dans les bras des guerriers, des fascistes, des terroristes et des contre-terroristes.

Ce qui est certain, c’est que, loin de permettre la libération de l’homme des chaînes qui attachent les individus, elle les enchaîne plus dur que jamais. Le développement des possibilités technologiques de communications, loin de permettre à chacun d’être plus liés avec un plus grand nombre de gens, de mieux pouvoir s’épauler, se comprendre, se connaître, ramène en fait chacun à… lui-même, à la manière des selfies, des blogs, des face books, où chacun passe son temps à se décrire lui-même sans aller vers les autres. Ces moyens techniques transformés en buts ne sont du coup plus de moyens de communiquer avec d’autres mais d’être enfermé en soi-même, de ne revenir jamais qu’à soi, de constituer un réseau autour de soi pour ne jamais sortir de soi, pour se conforter sans cesse dans son enfermement. Le développement des suicides des jeunes, de leur démoralisation, de leur isolement est attesté par tous ceux qui observent la situation et ils montrent qu’on est loin de progresser vers une société plus reliée, plus réellement en communication avec les autres. Ceux qui passent leur temps à regarder si on leur a téléphoné, si on les a tweeté, si on leur a envoyé un mail, ne peuvent se tourner vers l’extérieur, mais sont sans cesse renvoyés à eux-mêmes. Ce n’est pas un effet pervers de l’évolution mais un objectif des classes dirigeantes. Faire croire à la jeunesse, à la petite bourgeoisie et même à la classe ouvrière que chaque individu est au centre de… lui-même, c’est éviter que les travailleurs se posent collectivement leurs problèmes, qu’ils en discutent avec leur voisin, qu’ils se réunissent pour en parler.

Tout cela signifie que, si la lutte des classes n’est plus « à la mode », elle y reviendra nécessairement et ce qui importe, c’est que les minorités révolutionnaires ne reculent pas sur leurs messages, ne s’adaptent pas, ne se laissent pas démoraliser, ne se laissent pas influencer par le climat, par l’ambiance, par les modes, par les mœurs que diffuse la bourgeoisie et la petite bourgeoisie.

Ce n’est pas l’opinion qui fait le monde mais, à terme, c’est la réalité du monde qui fait, de manière révolutionnaire, l’opinion. Cela ne signifie qu’il faille regarder de manière fataliste les reculs idéologiques et ne pas les combattre. Mais ils ne faut pas considérer que c’est l’opinion qui fait la réalité. C’est l’inverse qui est vrai.

On le voit à la manière où « la révolution » est redevenue un sujet au goût du jour, alors qu’elle avait été prétendument jetée à la poubelle de l’Histoire.

Le socialisme révolutionnaire n’a pas à s’inquiéter de son prétendu discrédit actuel : il est l’avenir du monde humain et social !

Parmi les modes actuelles de cette société bourgeoise en déconfiture, il y a la prétention que le XXIe siècle n’aurait plus besoin des leçons du passé puisqu’il ne connaîtrait plus ni l’affrontement de classe, ni celui Est/Ouest, ni celui avec le stalinisme, ni rien. Balayées les leçons du passé ? Certains vont jusqu’à dire que l’étude de l’Histoire et des théories des luttes sociales n’ont jamais servi à rien, aucune situation n’étant jamais pareille qu’une autre, les événements ne se reproduisant jamais à l’identique et personne n’étant capable de prédire les situations !

Eh bien, nous affirmons exactement l’inverse : face à l’effondrement du capitalisme, c’est bel et bien l’étude des situations révolutionnaires comme les études passées des crises et des révolutions, comme des contre-révolutions, qui est indispensable pour s’armer face à une situation comme nous n’en avons-nous-mêmes jamais personnellement connue. L’étude des idées révolutionnaires est plus indispensable que jamais. Bien sûr, à l’inverse, les classes dirigeantes préparent une génération plus dépourvue de théories, de conceptions philosophiques, de connaissances historiques, de modes de raisonnements, dépourvue d’histoire et de conscience collective comme d’organisation collective se plaçant dans une perspective de sortie du capitalisme au moment même où l’actualité va nous poser concrètement et directement le problème de cette sortie.

Quant à la situation immédiate, comment y faire face, comment combattre l’isolement, l’individuation dans les relations de travail et dans la société ? La réponse ne peut venir que de l’auto-organisation, que de l’organisation en comités de travailleurs, en conseils, en coordinations, en assemblées interprofessionnelles.

Et cela commence effectivement au niveau individuel, par le fait de parler à son voisin, de pousser la porte du secteur voisin, de casser les barrières, de forcer les divisions, de combattre les préjugés entre travailleurs comme dans les milieux populaires et la jeunesse. Cela ne passe pas par le fait de demander, de quémander ou même d’exiger des patrons et du gouvernement, mais d’abord par le fait de discuter entre nous de la situation à laquelle nous avons affaire, de sa signification, de ses particularités, de ces nécessités. Cela passe par le fait de nous habituer à échanger entre nous nos avis sur chaque problème, plutôt qu’aller sans cesse en parler à nos adversaires patronaux, gouvernementaux ou même syndicaux qui, au mieux, n’en ont rien à faire et, au pire, s’arment des informations que nous leur donnons.

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