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Tradition et politique révolutionnaire
jeudi 10 novembre 2022, par
Tradition et politique révolutionnaire
décembre 1923
La question du rapport entre tradition et politique des partis est loin d’être simple, surtout à notre époque. Plus d’une fois, récemment, nous avons eu l’occasion de parler de l’immense importance de la tradition théorique et pratique de notre parti et avons déclaré que nous ne pouvions en aucun cas permettre la rupture de notre lignée idéologique. Il suffit de se mettre d’accord sur ce que l’on entend par tradition du parti. Pour ce faire, nous devons commencer en grande partie par la méthode inverse et prendre quelques exemples historiques afin de fonder nos conclusions sur eux.
Prenons le parti « classique » de la IIe Internationale, la social-démocratie allemande. Son demi-siècle de politique « traditionnelle » reposait sur une adaptation au parlementarisme et à la croissance ininterrompue de l’organisation, de la presse et du trésor. Cette tradition, qui nous est profondément étrangère, avait un caractère semi-automatique : chaque jour coulait « naturellement » de la veille et préparait tout aussi « naturellement » la journée à suivre. L’organisation grandit, la presse se développe, la caisse s’enfle.
C’est dans cet automatisme que s’est formée toute la génération qui a suivi Bebel : une génération de bureaucrates, de philistins, de sots dont le caractère politique s’est tout à fait révélé dans les premières heures de la guerre impérialiste. Chaque congrès de la social-démocratie parlait invariablement de la vieille tactique du parti, consacrée par la tradition. Et la tradition était en effet puissante. C’était une tradition automatique, non critique, conservatrice, et elle a fini par étouffer la volonté révolutionnaire du parti.
La guerre mit définitivement fin à l’équilibre « traditionnel » de la vie politique de l’Allemagne. Dès les premiers jours de son existence officielle, le jeune Parti communiste est entré dans une période tumultueuse de crises et de bouleversements. Néanmoins, tout au long de son histoire relativement courte, on peut observer non seulement le rôle créateur mais aussi conservateur de la tradition qui, à chaque étape, à chaque tournant, se heurte aux besoins objectifs du mouvement et au jugement critique du parti.
Dès la première période de l’existence du communisme allemand, la lutte directe pour le pouvoir est devenue sa tradition héroïque. Les terribles événements de mars 1921 révélèrent brutalement que le parti ne disposait pas encore de forces suffisantes pour atteindre son objectif. Elle a dû faire volte-face vers la lutte pour les masses avant de reprendre la lutte directe pour le pouvoir.
Cette volte-face était difficile à accomplir, car elle allait à l’encontre de la tradition nouvellement formée. Dans le parti russe, à l’heure actuelle, on nous rappelle toutes les divergences d’opinion, même les plus saugrenues, qui ont surgi dans le parti ou dans son comité central ces dernières années. Il ne ferait pas de mal de rappeler aussi le principal désaccord qui apparut lors du IIIe Congrès de l’Internationale Communiste. Il est maintenant évident que le changement réalisé à cette époque sous la direction de Lénine, malgré la résistance furieuse d’une partie considérable du congrès au départ, une majorité sauva littéralement l’Internationale de la destruction et de la décomposition dont elle était menacée. si cela allait dans le sens d’un « gauchisme » automatique et non critique, qui, en peu de temps, était déjà devenu une tradition endurcie.
Après le IIIe Congrès, le Parti communiste allemand a effectué, assez péniblement, le changement nécessaire. Alors commença la lutte pour les masses sous le mot d’ordre du front unique, accompagnée de longues négociations et d’autres procédures pédagogiques. Cette tactique a duré plus de deux ans et a donné d’excellents résultats. Mais en même temps, ces nouvelles méthodes de propagande, s’étant prolongées, se sont transformées... en une nouvelle tradition semi-automatique qui a joué un rôle très grave dans les événements de la seconde moitié de 1923.
Il est désormais incontestable que la période allant de mai (début de la résistance dans la Ruhr) ou juillet (effondrement de cette résistance) à novembre, date de la prise du pouvoir par le général Seeckt, a été une période de crise clairement marquée et sans précédent dans la vie de Allemagne. La résistance que tentait d’opposer l’Allemagne républicaine à demi étranglée d’Ebert-Cuno contre le militarisme français s’effondre, emportant avec elle le pitoyable équilibre social et politique du pays. La catastrophe de la Ruhr a joué, jusqu’à un certain point, le même rôle pour l’Allemagne « démocratique » que la défaite des troupes allemandes avait joué cinq ans plus tôt pour le régime des Hohenzollern.
Incroyable dépréciation du mark, chaos économique, effervescence et incertitude générales, décomposition de la social-démocratie, afflux puissant de travailleurs dans les rangs des communistes, attente universelle d’un renversement. Si le Parti communiste avait brusquement changé le rythme de ses travaux et avait profité des cinq ou six mois que l’histoire lui avait accordés pour préparer directement politiquement, organisationnellement, techniquement la prise du pouvoir, l’issue des événements aurait pu être bien différente de celui dont nous avons été témoins en novembre. Là était le problème : le parti allemand était entré dans la nouvelle et brève période de cette crise, peut-être sans précédent dans l’histoire du monde, avec les méthodes toutes prêtes des deux années précédentes de lutte de propagande pour l’établissement de son influence sur les masses. Il fallait ici une nouvelle orientation, un nouveau ton,une nouvelle façon d’aborder les masses, une nouvelle interprétation et application du front unique, de nouvelles méthodes d’organisation et de préparation technique en un mot, un brusque changement tactique. Le prolétariat aurait dû voir un parti révolutionnaire à l’œuvre, marchant directement à la conquête du pouvoir.
Mais le parti allemand a poursuivi, au fond, sa politique de propagande d’hier, même à plus grande échelle. Ce n’est qu’en octobre qu’elle adopte une nouvelle orientation. Mais à ce moment-là, il lui restait trop peu de temps pour développer son élan. Ses préparatifs s’accélérèrent fiévreusement, les masses ne purent le suivre, le manque d’assurance du parti se communiqua de part et d’autre, et au moment décisif, le parti recula sans livrer bataille. Si le parti a cédé sans résistance ses positions exceptionnelles, c’est surtout parce qu’il s’est montré incapable de s’affranchir, au début de la nouvelle phase (mai-juillet 1923), de l’automatisme de sa politique précédente, établie comme s’il s’agissait de pour les années à venir, et poser carrément dans son agitation, son action, son organisation et sa tactique le problème de la prise du pouvoir.Le temps est un élément important de la politique, en particulier à une époque révolutionnaire. Des années et des décennies sont parfois nécessaires pour rattraper les mois perdus. Il en aurait été de même chez nous si notre parti n’avait pas fait son grand saut en avril 1917 et pris le pouvoir en octobre. Nous avons tout lieu de croire que le prolétariat allemand ne paiera pas trop cher son omission, car la stabilité du régime allemand actuel, surtout à cause de la situation internationale, est plus que douteuse.car la stabilité du régime allemand actuel, surtout en raison de la situation internationale, est plus que douteuse.car la stabilité du régime allemand actuel, surtout en raison de la situation internationale, est plus que douteuse.
Il est clair qu’en tant qu’élément conservateur, en tant que pression automatique d’hier sur aujourd’hui, la tradition représente une force extrêmement importante au service des partis conservateurs et profondément hostile au parti révolutionnaire. Toute la force de ce dernier réside précisément dans son affranchissement du traditionalisme conservateur. Est-ce à dire qu’il est libre au regard de la tradition en général ? Pas du tout. Mais la tradition d’un parti révolutionnaire est d’une tout autre nature.
Si nous prenons maintenant notre Parti bolchevik dans son passé révolutionnaire et dans la période qui suit octobre, on reconnaîtra que sa qualité tactique fondamentale la plus précieuse est sa capacité inégalée à s’orienter rapidement, à changer rapidement de tactique, à renouveler son armement et à appliquer de nouvelles méthodes, en un mot, pour effectuer des virages brusques. Des conditions historiques orageuses ont rendu cette tactique nécessaire. Le génie de Lénine lui a donné une forme supérieure. Cela ne veut pas dire, naturellement, que notre parti est complètement libéré d’un certain traditionalisme conservateur : un parti de masse ne peut pas être idéalement libre. Mais sa force et sa puissance se sont manifestées dans le fait que l’inertie, le traditionalisme, la routine, ont été réduits au minimum par une initiative tactique clairvoyante, profondément révolutionnaire, à la fois audacieuse et réaliste.
C’est en cela que consiste et doit consister la véritable tradition du parti. La bureaucratisation relativement forte de l’appareil du parti s’accompagne inévitablement du développement du traditionalisme conservateur avec tous ses effets. Il vaut mieux exagérer ce danger que le sous-estimer. Le fait indéniable que les éléments les plus conservateurs de l’appareil sont enclins à identifier leurs opinions, leurs méthodes et leurs erreurs avec le « vieux bolchevisme », et cherchent à identifier la critique du bureaucratisme avec la destruction de la tradition, ce fait, dis-je. , est déjà à lui seul l’expression incontestable d’une certaine pétrification idéologique.
Le marxisme est une méthode d’analyse historique, d’orientation politique, et non une masse de décisions préparées d’avance. Le léninisme est l’application de cette méthode dans les conditions d’une époque historique exceptionnelle. C’est précisément cette union des particularités de l’époque et de la méthode qui détermine cette politique courageuse et assurée de virages brusques dont Lénine nous a donné les plus beaux modèles, et qu’il a plus d’une fois éclairé théoriquement et généralisé.
Marx disait que les pays avancés, dans une certaine mesure, montrent aux pays arriérés l’image de leur avenir. A partir de cette proposition conditionnelle, on s’est efforcé d’établir une loi absolue qui était à l’origine de la « philosophie » du menchévisme russe. Grâce à elle, des limites ont été fixées pour le prolétariat, découlant non du cours de la lutte révolutionnaire mais d’un modèle mécanique ; Le marxisme menchevik était et reste uniquement l’expression des besoins de la société bourgeoise, une expression adaptée à une « démocratie » tardive. En réalité, il s’est avéré que la Russie, joignant dans son économie et sa politique des phénomènes extrêmement contradictoires, a été la première à être poussée sur la voie de la révolution prolétarienne.
Ni octobre, ni Brest-Litovsk, ni la création d’une armée paysanne régulière, ni le système de réquisition des produits alimentaires, ni la NEP, ni la Commission nationale de planification, n’étaient ou n’auraient pu être prévus ou prédéterminés par le marxisme ou le bolchevisme d’avant octobre. . Tous ces faits et détours étaient le résultat de l’application indépendante et critique des méthodes du bolchevisme, marquées par l’esprit d’initiative, dans des situations qui différaient dans chaque cas.
Chacune de ces décisions, avant d’être adoptée, a provoqué des luttes. Le simple appel à la tradition n’a jamais rien décidé. En effet, à chaque nouvelle tâche et à chaque nouveau tour, il ne s’agit pas de chercher dans la tradition et d’y découvrir une réponse inexistante, mais de profiter de toute l’expérience du parti pour trouver par soi-même une nouvelle solution adaptée à la situation et, ce faisant, enrichir la tradition. On peut même le dire plus nettement : le léninisme consiste à s’affranchir courageusement des rétrospections conservatrices, à se limiter aux précédents, aux références purement formelles et aux citations.
Lénine lui-même, il n’y a pas si longtemps, exprimait cette pensée dans les mots de Napoléon : « On s’engage et puis on voit ». Autrement dit, une fois engagé dans la lutte, ne vous préoccupez pas excessivement du canon et des précédents, mais plongez-vous dans la réalité telle qu’elle est et cherchez-y les forces nécessaires à la victoire et les routes qui y mènent. C’est en suivant cette ligne que Lénine, non pas une mais des dizaines de fois, a été accusé dans son propre parti de violer la tradition et de répudier le « vieux bolchevisme ».
Rappelons qu’ils sont invariablement apparus sous couvert de défense des traditions bolcheviques contre la déviation léniniste (on trouve à ce sujet des éléments extrêmement intéressants dans Krasnaya Letopis [ Chronique rouge n° 9]. Sous l’égide du « Vieux bolchevisme », en réalité sous l’égide de la tradition formelle, fictive, fausse, tout ce qui était routinier dans le parti s’est soulevé contre les Thèses d’avril de Lénine. Un des historiens de notre parti (les historiens de notre parti, jusqu’à présent, n’ont malheureusement pas eu beaucoup de chance) m’a dit au plus fort des événements d’octobre : « Je ne suis pas avec Lénine parce que je suis un vieux bolchevik et je continue sur le terrain de la dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. La lutte des « communistes de gauche » contre la paix de Brest-Litovsk et pour la guerre révolutionnaire s’est également déroulée au nom de la sauvegarde des traditions révolutionnaires du parti, au nom de la pureté du « vieux bolchevisme », qu’il fallait protéger contre les dangers de l’opportunisme étatique. Il est inutile de rappeler que toute la critique de « l’opposition ouvrière » consistait, au fond, à accuser le parti d’avoir violé les vieilles traditions.Ce n’est que récemment que nous avons vu les interprètes les plus officiels des traditions du parti sur la question nationale prendre position en nette contradiction avec les besoins de la politique du parti dans cette question ainsi qu’avec la position de Lénine.
Ces exemples pourraient être multipliés, et bien d’autres pourraient être cités, historiquement moins importants mais non moins concluants. Mais ce que nous venons de dire suffit à montrer que chaque fois que des conditions objectives exigent un nouveau virage, une volte-face audacieuse et une initiative créatrice, la résistance conservatrice trahit une tendance naturelle à opposer les « vieilles traditions » et ce qu’on appelle le vieux bolchevisme l’enveloppe vide d’une période qui vient d’être abandonnée à de nouvelles tâches, de nouvelles conditions, une nouvelle orientation.
Plus l’appareil du parti est enraciné, plus il est imprégné du sentiment de sa propre importance intrinsèque, plus il réagit lentement aux besoins émanant des rangs et plus il est enclin à opposer la tradition formelle aux nouveaux besoins et tâches. Et s’il est une chose susceptible de porter un coup mortel à la vie spirituelle du parti et à la formation doctrinale de la jeunesse, c’est bien la transformation du léninisme d’une méthode exigeant pour son application initiative, esprit critique, et courage idéologique, en un canon qui n’exige rien de plus que des interprètes nommés pour toujours. Le léninisme ne peut se concevoir sans une ampleur théorique, sans une analyse critique des bases matérielles du processus politique. L’arme de l’investigation marxiste doit être constamment affûtée et appliquée.C’est précisément en cela que consiste la tradition, et non dans la substitution d’une référence formelle ou d’une citation accidentelle. Encore moins le léninisme peut-il se concilier avec la superficialité idéologique et la négligence théorique.
Lénine ne peut pas être découpé en citations adaptées à tous les cas possibles, car pour Lénine la formule ne dépasse jamais la réalité ; c’est toujours l’outil qui permet de saisir la réalité et de la dominer. Il ne serait pas difficile de trouver dans Lénine des dizaines et des centaines de passages qui, formellement parlant, semblent être contradictoires. Mais ce qu’il faut voir, ce n’est pas le rapport formel d’un passage à un autre, mais le rapport réel de chacun d’eux à la réalité concrète dans laquelle la formule a été introduite comme levier. La vérité léniniste est toujours concrète !
En tant que système d’action révolutionnaire, le léninisme présuppose un sens révolutionnaire aiguisé par la réflexion et l’expérience, qui, dans le domaine social, équivaut à la sensation musculaire dans le travail physique. Mais le sens révolutionnaire ne peut pas être confondu avec le flair démagogique. Ces derniers peuvent donner des succès éphémères, parfois même sensationnels. Mais c’est un instinct politique d’un type inférieur. Il penche toujours vers la ligne de moindre résistance. Le léninisme, au contraire, cherche à poser et à résoudre les problèmes révolutionnaires fondamentaux, à surmonter les principaux obstacles ; sa contrepartie démagogique consiste à éluder les problèmes, à créer un apaisement illusoire, à endormir la pensée critique.
Le léninisme est d’abord le réalisme, la plus haute appréciation qualitative et quantitative de la réalité, du point de vue de l’action révolutionnaire. C’est précisément pour cela qu’il est inconciliable avec la fuite de la réalité derrière l’écran de l’agitation creuse, avec une perte de temps passive, avec une justification hautaine des erreurs d’hier sous prétexte de sauver la tradition du parti.
Le léninisme est une véritable libération des préjugés formalistes, du doctrinarisme moralisateur, de toutes les formes de conservatisme intellectuel tentant d’étouffer la volonté d’action révolutionnaire. Mais croire que le léninisme signifie que « tout est permis » serait une erreur irrémédiable. Le léninisme inclut la moralité, non formelle mais véritablement révolutionnaire, de l’action de masse et du parti de masse. Rien ne lui est plus étranger que l’arrogance des fonctionnaires et le cynisme bureaucratique. Un parti de masse a sa propre moralité, qui est le lien des combattants dans et pour l’action. La démagogie est inconciliable avec l’esprit d’un parti révolutionnaire parce qu’elle est trompeuse : en présentant l’une ou l’autre des solutions simplifiées aux difficultés de l’heure, elle mine inévitablement l’avenir et affaiblit la confiance en soi du parti.
Balayée par le vent et en proie à un grave danger, la démagogie se transforme facilement en panique. Il est difficile de juxtaposer, même sur le papier, panique et léninisme.
Le léninisme est guerrier de la tête aux pieds. La guerre est impossible sans ruse, sans subterfuge, sans tromperie de l’ennemi. La ruse de guerre victorieuse est un élément constitutif de la politique léniniste. Mais en même temps, le léninisme est une honnêteté révolutionnaire suprême envers le parti et la classe ouvrière. Il n’admet aucune fiction, aucune bulle, aucune pseudo-grandeur !
Le léninisme est orthodoxe, obstiné, irréductible, mais il ne contient pas tant qu’un soupçon de formalisme, de canon ou de bureaucratisme. Dans la lutte, il prend le taureau par les cornes. Faire des traditions du léninisme une garantie supra-théorique de l’infaillibilité de toutes les paroles et de toutes les pensées des interprètes de ces traditions, c’est se moquer d’une véritable tradition révolutionnaire et la transformer en bureaucratisme officiel. Il est ridicule et pathétique d’essayer d’hypnotiser un grand parti révolutionnaire par la répétition des mêmes formules, selon lesquelles la ligne droite doit être recherchée non dans l’essence de chaque question, non dans les méthodes pour poser et résoudre cette question, mais en information ... à caractère biographique.
Puisque je suis obligé de parler de moi un instant, je dirai que je ne considère pas la voie par laquelle je suis arrivé au léninisme comme moins sûre et moins sûre que les autres. Je suis venu à Lénine en combattant, mais je suis venu pleinement et jusqu’au bout. Mes actions au service du parti en sont la seule garantie : je ne puis donner d’autres garanties supplémentaires. Et si la question doit être posée dans le domaine de l’investigation biographique, alors au moins elle doit être faite correctement.
Il faudrait alors répondre à des questions épineuses : tous ceux qui étaient fidèles au maître dans les petites choses lui étaient-ils aussi fidèles dans les grandes ? Tous ceux qui ont fait preuve d’une telle docilité en présence du maître offraient-ils ainsi des garanties qu’ils continueraient son œuvre en son absence ? Tout le léninisme réside-t-il dans la docilité ? Je n’ai nullement l’intention d’analyser ces questions en prenant comme exemples des camarades avec lesquels, en ce qui me concerne, j’entends continuer à travailler main dans la main.
Quelles que soient les difficultés et les divergences d’opinion à l’avenir, elles ne pourront être surmontées victorieusement que par la pensée collective du parti, se contrôlant à chaque fois et maintenant ainsi la continuité du développement. Ce caractère de la tradition révolutionnaire est lié au caractère particulier de la discipline révolutionnaire. Là où la tradition est conservatrice, la discipline est passive et est violée au premier moment de crise. Là où, comme dans notre parti, la tradition consiste en la plus haute activité révolutionnaire, la discipline atteint son point maximum, car son importance décisive est constamment contrôlée dans l’action. C’est la source de l’alliance indestructible de l’initiative révolutionnaire, de l’élaboration critique et audacieuse des questions, avec une discipline de fer dans l’action.et ce n’est que par cette activité supérieure que la jeunesse peut recevoir de la vieille tradition de discipline et la poursuivre.
Nous chérissons les traditions du bolchevisme autant que quiconque. Mais que personne n’ose identifier le bureaucratisme avec le bolchevisme, la tradition avec la routine officieuse.
Léon Trotsky, dans « Cours nouveau », décembre 1923