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Les mysticismes ou les prisons idéologiques de l’homme
jeudi 10 mars 2016, par ,
Les mysticismes ou les prisons idéologiques de l’homme
Nous entendons par mystiques des kabbalistes juifs, des maîtres dévots de l’hindouisme, des mystiques chrétiens de la compagnie de Jésus, des carmélites, des anabaptistes, des franciscains, des mystiques rhénans, des dominicains, des soufis musulmans, des saints anachorètes, des bénédictins, des pèlerins de toutes sortes et de toutes origines et religions…
Le point commun de ces religieux et de leurs idéologies, par ailleurs très diverses, est la volonté de se séparer de la vie civile des êtres humains courants, de se consacrer totalement à la religion, en ascète, en ermite. Claustration, érémitisme, vie ascétique, existence faite de prières et de retour sur soi, tout est bon pour se mettre à part du monde agité des humains.
Ces moines, ces penseurs, ces ermites, ces religieux se cloitrent, s’enferment, se coupent du monde, renoncent à la vie commune de tous les humains, avec ses joies et ses peines, renoncent à l’amour, à l’amitié même parfois, aux bonheurs et aux plaisirs de la vie matérielle pour accéder, croient-ils, à des vérités plus élevées, plus spirituelles.
Tours d’ivoire, cloitres, cellules isolées, monastères, ermitages, grottes, abbayes, couvents, caverne, cabane et autres lieux de retraite, de recueillement et de prières, les moyens de s’isoler, de manière individuelle comme dans une communauté monastique, sont multiples et le principal a un caractère idéologique et spirituel : c’est la conception mystique elle-même.
Tous sont persuadés, grâce à leur renoncement matériel, d’accéder à des hauteurs spirituelles…
Mais peut-on renoncer à son propre corps ? Notre esprit est-il une âme sans corps ? Notre intelligence peut-elle se développer sans relation avec la vie matérielle et avec les autres hommes ? Bien sûr que non !
Dans l’idée mystique, il y a celle de mystère : le monde ne se dévoilerait qu’à ceux qui se cachent, qui se retirent, qui se coupent de lui… Drôle de paradoxe !
Albert Schweitzer écrit : « Nous sommes en présence d’une mystique, chaque fois qu’un homme considère comme aboli la distinction entre le terrestre et le supra terrestre, le temporel et l’éternel, et qu’il a le sentiment, tout en restant encore dans le domaine du terrestre et temporel, d’appartenir déjà au domaine supraterrestre et éternel. »
En effet, le mystère des mystiques est le surnaturel. On n’y accède qu’en s’isolant car, alors, notre cerveau nous délivre des pensées curieuses, inattendues, des rêves éveillés, des hallucinations qui ne nécessitent aucune drogue mais seulement le silence, le recueillement, le bourdonnement des oreilles vides de sons…
Le mysticisme est une sorte de drogue, un moyen de provoquer, sans prendre des hallucinogènes, des hallucinations, à l’aide de nos nerfs, notre inconscient, notre conscience et nos neurotransmetteurs. Tout cela est parfaitement matériel, n’a rien de surnaturel mais c’est effectivement aussi impressionnant que des drogues dures ! Et c’est tout autant un enfermement de l’être humain, une fuite devant la réalité, un refus d’assumer celle-ci, un rejet du monde réel…
Celui qui vit de contemplation, se perd, ne rencontre ni vérité surnaturelle, ni vérité spirituelle, ni aucune vérité. Il se croit transformé parce qu’il y a un vertige à se droguer ainsi à coups de neurotransmetteurs, de tromper ses sens et ses nerfs ainsi que son cerveau.
Le vertige et la fascination du contemplatif ressemblent à une entrée dans un monde nouveau mais ce n’est qu’une impression illusoire. C’est l’impression d’atteindre le suprasensible. Mais cette impression, ce sont nos sens qui la donnent et ce n’est pas au-delà des sens, ni au-delà du fonctionnement matériel du corps et du cerveau.
Cette impression d’accéder à l’invisible, à l’infini, au surnaturel, au spirituel pur, sont des tromperies que l’être humain s’administre à lui-même. Il n’est pas nécessaire d’être un mystique profondément religieux ni proche de dieu pour connaître ce type de sensations de l’être qui s’isole, qui cesse de parler à ses semblables. Cette espèce de folie, les prisonniers en état d’isolement l’ont connue. Ils entendaient des voix. Ils parlaient aux murs. Ils avaient des visions.
L’impression de sérénité du mystique est elle aussi faite d’illusions. Le calme de l’isolement n’est pas serein. Il est fait d’anxiété par rapport aux autres, de crainte du monde, de peur des désirs matériels, de refus de ses propres besoins humains, de rejet des relations sociales.
L’étonnement du mystique est également fait d’auto-tromperie. Au lieu de l’étonnement réel qui mène à la curiosité scientifique, l’étonnement du mystique revient à celui qui entend sa propre voix résonner dans une caverne et se dit que dieu lui parle…
L’étrangeté du monde, que perçoit le scientifique, est liée au plaisir d’examiner réellement celui-ci alors que le mystique, qui croit pénétrer un domaine plus immense que la réalité matérielle, ne fait que regarder en boucle en son propre sein, sans même savoir qu’il fait écho à ses pensées en cercle fermé.
Loin d’atteindre la lumière mystique, il atteint la nuit sans fond.
La poésie du mystique est elle-même une illusion car le poète ne fait que traduire ses sentiments humains et le mystique, lui, refuse de croire que ces pensées soient celles d’un homme et les attribue à une force obscure et inconnue. Le mystique, c’est l’homme qui récuse même ses capacités propres d’être humain, qui refuse l’humanité en allant jusqu’à se récuser lui-même !
Plotin rappelle que « mystique » tout comme « mystère » et « myope » font partie des dérivés du verbe muein, « se fermer ».
La fermeture est profonde chez le mystique : elle est réalisée dans la vie personnelle mais aussi dans la pensée sur le monde, dans les règles imposées, dans les conseils donnés éventuellement aux autres êtres humains.
S’enfermer en soi-même est la caractéristique générale du mysticisme. La cellule n’est que le lieu mais l’enfermement est celui du cerveau humain !
Parce qu’il refuse de voir le visible, le mystique croit voir l’invisible ! Il oublie que le cerveau de l’être humain est capable de s’auto-stimuler, de s’auto-illusionner, de s’auto-récompenser, de s’auto-satisfaire mais qu’en agissant ainsi à l’extrême, il ne fonctionne plus en connexion avec le monde extérieur et perd tout contact avec la réalité.
Philippe Rouby – Psychiatre :
« Quand le ciel s´ouvre et que Dieu m´appelle par mon nom... c´est que la psychose a pris le dessus. La folie c’est quelqu’un qui te donne des ordres ; tu penses que c’est Dieu ou le fantôme de ton père et en fin de compte tu t’aperçois que c’est ta propre pensée qui se retourne contre toi pour te persécuter. »
Patrick Jean-Baptiste dans La Biologie de Dieu, comment les sciences du cerveau expliquent la religion et la foi. Il rapporte la sensation des mystiques : " Les frontières autour de moi se dissolvaient, je me sentais profondément relié à tout " ; " J’ai ressenti un sentiment de communion, une paix, une ouverture, la sensation d’être tantôt centré dans le silence et le vide absolu, tantôt rempli par le présence de Dieu comme s’il infiltrait tout mon être. "
" En concentrant son attention sur un objet affectivement chargé [...] le méditant reçoit sur son lobe pariétal droit des messages qui lui parviennent de l’extérieur par les aires visuelles[...] Les images réelles en réveillant les images gravées dans la mémoire augmentent directement l’activité de l’ hippocampe droit qui, par le biais de ses connexions inhibitrices débranche progressivement le lobe pariétal droit tout en stimulant les noyaux de l’hypothalamus qui contrôlent à distance le coeur et les poumons, s’ensuit une perte d’orientation qui se traduit par une impression d’espace infini et s’accompagne d’un ralentissement du rythme cardiaque et de la respiration. Si la méditation est efficace, tous les équilibres neurophysiologiques finissent par rompre d’un coup, brutalement. Le lobe gauche, chargé de maintenir la coupure entre soi et les autres, disjoncte à son tour. Le sujet atteint alors une quiétude béate, l’extase absolue, le nirvana. Il tombe dans l’E.A.U (abréviation de "l’Etre Absolu Unitaire") disent les neurophysiologistes.
La "Via negativa" donne à peu près le même résultat : [...] Une inattention volontaire [...]implique une modification profonde de l’aire d’attention associative droite, laquelle par des réactions en cascade, agit sur le lobe pariétal droit, dont les neurones, privés des informations habituelles, adoptent leur tempo, se désynchronisent, court-circuitent le lobe gauche et déclenchent le grand flash..."
L’ascèse, la mortification du corps, les chants (inventions typiquement humaine) renforcent le phénomène neurobiologique de l’extase.
Une personne souffrant de schizophrénie aura tendance à être coupée du monde et n’a pas une meilleure appréhension du monde, bien au contraire. Il s’agit de la 6ème cause de handicap mondial et les troubles psychotiques sont à l’origine de nombre de désinsertion sociale, par rupture de contact avec la réalité.
Le mysticisme est une des formes psychologiques de l’enfermement…
Article de décembre 2006 de Jean-François Dortier :
"D’où vient le besoin de croire ?"
"Depuis quelques années, des chercheurs ont entrepris d’aller fouiller dans les méandres du cerveau pour y déceler les mécanismes mentaux archaïques qui pousseraient à croire à l’existence des dieux. C’est au milieu des années 1990 qu’est née la neurothéologie. Andrew Newberg de l’université de Pennsylvanie est l’un des pionniers du domaine. Ce chercheur a eu l’idée de scanner le cerveau des personnes en train de pratiquer la méditation transcendantale. L’imagerie cérébrale montre que l’extase mystique est associée à une chute d’activité d’une zone précise du cortex pariétal. Or cette zone est justement l’aire cérébrale responsable de l’orientation dans l’espace. L’inhibition de cette aire entraîne donc un sentiment d’indifférenciation entre le soi et le non-soi. De là à penser que l’on avait découvert le "centre de la religion", au même sens qu’il existe un centre du plaisir ou du langage, le pas fut vite franchi. Cependant, les choses ne sont pas si simples. (...) "l’expérience mystique mobilise plusieurs régions du cerveau, et non un centre unique." affirme Mario Beauregard, de l’université de Montréal. De surcroit, le fait que des zones cérébrales soient activées lors d’expériences mystiques ne signifie en rien que le cerveau soit programmé pour croire. (...) Pour comprendre comment les humains en sont venus à croire à l’existence d’entités invisibles auxquelles ils vouent un culte, les psychologues évolutionnistes avancent une autre hypothèse. Selon la psychologue Paul Bloom, la croyance en l’existence des "âmes" est un fait universel qui apparaît très tôt dans l’enfance. Cette croyance est un dérivé accidentel d’un mécanisme simple : nous nous percevons nous-mêmes comme des êtres dotés d’un esprit indépendant de notre corps. Les croyances religieuses s’expliqueraient comme le sous-produit d’un mécanisme mental (infantile). (...) Sur ce point, la psychologie évolutionniste rejoint une hypothèse avancée par Sigmund Freud dans "l’avenir d’une illusion".
« Elles [les doctrines religieuses] sont toutes des illusions, indémontrables, nul ne saurait être contraint de les tenir pour vraies, d’y croire. Quelques-unes d’entre elles sont tellement invraisemblables, tellement en contradiction avec tout ce que notre expérience nous a péniblement appris de la réalité du monde, que l’on peut - tout en tenant compte des différences psychologiques - les comparer aux idées délirantes. On ne peut pas juger de la valeur de la réalité de la plupart d’entre elles. Tout comme elles sont indémontrables, elles sont irréfutables. »
Sigmund Freud / L’avenir d’une illusion
« Lorsqu’il s’agit de questions de religion, les hommes se rendent coupables de toutes les malhonnêtetés possibles. Les philosophes étirent la signification des mots jusqu’à ce que ceux-ci conservent à peine quelque chose de leur sens d’origine, ils appellent Dieu quelque vague abstraction qu’ils se sont créée et les voilà désormais, à la face du monde, déistes, croyants en Dieu, ils peuvent s’enorgueillir d’avoir reconnu un concept de Dieu plus élevé plus pur, bien que leur Dieu ne soit plus qu’une ombre sans substance... »
Sigmund Freud / L’avenir d’une illusion
« Ce fondement rationnel de l’interdit du meurtre, nous ne le communiquons pas, mais nous affirmons que c’est Dieu qui a édicté l’interdit. Nous osons donc deviner ses intentions et nous trouvons que lui non plus ne veut pas que les hommes s’exterminent les uns les autres. En procédant ainsi, nous revêtons l’interdit culturel d’une solennité toute particulière, non sans risque de faire dépendre son observance de la croyance en Dieu. »
Sigmund Freud/ L’avenir d’une illusion
« La religion serait la névrose de contrainte universelle de l’humanité ; comme celle de l’enfant, elle serait issue du complexe d’Œdipe, de la relation au père. Selon cette conception, il serait à prévoir que se détourner de la religion doit s’effectuer avec la fatale inexorabilité d’un processus de croissance et que nous nous trouvons aujourd’hui même au beau milieu de cette phase de développement. »
Sigmund Freud / L’avenir d’une illusion
« L’homme de croyance et de piété est éminemment protégé contre le danger de certaines affections névrotiques ; l’adoption de la névrose universelle le dispense de la tâche de former une névrose personnelle. »
Sigmund Freud / L’avenir d’une illusion
Le mysticisme n’est nullement indifférent à la réalité sociale de l’homme.
L’homme qui chasse a des croyances relatives aux animaux chassés. Les considérant comme une famille du même type que la famille humaine, il s’adresse à leurs dieux pour s’excuser de les avoir chassés.
Par exemple, Mircea Eliade parle dans son « Histoire des croyances et des idées religieuses » « de comportement et de spiritualité spécifique au chasseur » « Pendant quelque deux millions d’années, les Paléanthropiens ont vécu de la chasse ; les fruits, les racines, les mollusques, etc., récoltés par les femmes et les enfants étaient insuffisants pour assurer la survie de l’espèce. (…) L’incessante poursuite et la mise à mort du gibier ont fini par créer un système de rapports sui generis entre le chasseur et les animaux massacrés. (…) La « solidarité mystique » avec le gibier dévoile la parenté entre les sociétés humaines et le monde animal. Abattre la bête chassée ou, plus tard, l’animal domestiqué, équivaut à un « sacrifice » dans lequel les victimes sont interchangeables. »
Remarquons que ces sociétés liées aux animaux ont développé des conceptions dans lesquels sont concevables les sacrifices humains chargés de payer le prix de la société humaine aux esprits animaux. Mircea Eliade poursuit : « Pour quelques millions d’années, les Paléanthropiens ont vécu principalement de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Mais les premières indications archéologiques concernant l’Univers religieux du chasseur paléolithique remontent à l’art pariétal franco-cantabrique ( 30.000). (…) Les chasseurs primitifs considèrent les animaux comme semblables aux hommes, mais dotés de pouvoirs surnaturels ; ils croient que l’homme peut se transformer en animal, et vice versa ; que les âmes des morts peuvent pénétrer dans les animaux ; enfin qu’il existe des relations mystérieuses entre une personne et un animal individuel. (…) Les os, et spécialement le crâne, ont une valeur rituelle considérable probablement parce qu’on croit qu’ils renferment l’ « âme », ou la « vie », de l’animal, et que c’est à partir du squelette que le Seigneur des Fauves fera pousser une chair nouvelle ; c’est pourquoi on expose le crâne et les os longs sur des branches ou sur des hauteurs ; chez certains peuples, on envoie l’âme de l’animal tué vers sa « patrie spirituelle » (cf. le « festival de l’ours » des Aïnous et des Gilyaks) ; il existe également la coutume d’offrir aux Etres Suprêmes un morceau de chaque animal tué (les Pygmées, les négritos des Philippines, etc.) ou le crâne et les os (Samoyèdes, etc.) ; chez certaines populations du Soudan, le jeune homme, après avoir abattu son premier gibier, barbouille avec du sang les parois d’une caverne. (…) On peut examiner ainsi les croyances et les comportement religieux des peuples chasseurs contemporains (…) dans la Terre de feu, en Afrique, chez les Hottentos et les Bochimans, dans la zone arctique, en Australie, ou dans les grandes forêts tropicales (les Pygmées Bambuti, etc.). (…) Ces civilisations « arrêtées » constituent en quelque sorte des « fossiles vivants ».
Et Mircea Eliade rappelle que nombre de guerres menées par des tribus de chasseurs nomades contre des civilisations agraires sédentaires (la lutte des classes entre chasseurs-éleveurs et agriculteurs) ressemblent par leurs techniques et étaient conçues pour leur organisation et leurs noms de guerre comme des chasses contre des animaux. C’est le cas des invasions des Indo-européens et des Turco-Mongols.
L’homme qui cueille ou qui cultive a une croyance en la reformation annuelle de la nature, qu’il relie à la reformation des générations humaines, un culte de la fécondité. Le corps de la femme, par exemple, y est divinisé en relation avec la fécondité de la terre.
Mircéa Eliade rapporte :
« Inutile d’insister sur l’importance de la découverte de l’agriculture pour l’histoire de la civilisation. En devenant « producteur » de sa nourriture, l’homme a dû modifier son comportement ancestral. Avant tout, il a dû perfectionner sa technique de calculer le temps, découverte déjà au paléolithique. Il ne lui suffisait plus d’assurer l’exactitude de certaines dates futures à l’aide du calendrier lunaire rudimentaire. Dorénavant, le cultivateur était obligé d’élaborer ses projets plusieurs mois avant leur application, obligé d’exécuter, dans un ordre précis, une série d’activités complexes en vue d’un résultat lointain et, surtout au début, jamais certain : la récolte. En outre, la culture des plantes imposa une division du travail différemment orientée qu’auparavant, car la principale responsabilité sans l’assurance des moyens de vivre revenait dorénavant aux femmes. Non moins considérables ont été les conséquences de la découverte de l’agriculture pour l’histoire religieuse de l’humanité. La domestication des plantes a occasionné une situation existentielle auparavant inaccessible ; elle a par conséquent incité des créations et des renversements de valeurs qui ont modifié radicalement l’univers spirituel de l’homme pré-néolithique. (…) Un thème assez répandu explique que les tubercules et les arbres à fruits alimentaires seraient nés d’une divinité immolée. (…) Ce meurtre primordial a changé radicalement la condition humaine, car il a introduit la sexualité et la mort, et a instauré les institutions religieuses et sociales. (…) Un thème mythique analogue explique l’origine des plantes nourricières – tubercules aussi bien que céréales – comme provenant des excrétions ou de la crasse d’une divinité mythique. (…) La signification de ces mythes est évidente : les plantes alimentaires sont sacrées, puisqu’elles dérivent du corps d’une divinité. En se nourrissant, l’homme mange, en dernière instance, un être divin. La plante alimentaire n’est plus « donnée » dans le monde, tel que l’est l’animal. Elle est le résultat d’un événement dramatique primitif : le produit d’un meurtre. (…) La gratification des céréales aux humains est parfois mise en rapport avec une hiérogamie entre le dieu du ciel (ou de l’atmosphère) et la Terre Mère, ou avec un drame mystique impliquant union sexuelle, mort et résurrection. La première, et peut-être la plus importante conséquence de la découverte de l’agriculture, suscite une crise dans les valeurs des chasseurs paléolithiques : les relations d’ordre religieux avec le monde animal sont supplantées par ce qu’on peut appeler « la solidarité mystique entre l’homme et la végétation ». Si l’os et le sang représentaient jusqu’alors l’essence et la sacralité de la vie, dorénavant ce sont le sperme et le sang qui les incarnent. En outre, la femme et la sacralité féminine sont promues au premier rang. Puisque les femmes ont joué un rôle décisif dans la domestication des plantes, elles deviennent les propriétaires des champs cultivés, ce qui rehausse leur position sociale et crée des institutions caractéristiques, comme, par exemple, la matrilocation, le mari étant obligé d’habiter la maison de son épouse.La fertilité de la terre est solidaire de la fécondité féminine ; par conséquent, les femmes deviennent responsables de l’abondance des récoltes, car elles connaissent le « mystère » de la création. Il s’agit d’un mystère religieux, parce qu’il gouverne l’origine de la vie, la nourriture et la mort. La glèbe est assimilée à la femme. (…) Le travail agraire est assimilé à l’acte sexuel. (…) Certes, la sacralité maternelle et féminine n’était pas ignorée au paléolithique, mais la découverte de l’agriculture en augmente sensiblement la puissance. La sacralité de la vie sexuelle, en premier lieu la sexualité féminine, se confond avec l’énigme miraculeuse de la création. (….) Les crises qui mettent en danger la récolte (les inondations, les sécheresses, etc…) seront traduites, pour être comprises, acceptées et maîtrisées, en drames mythologiques. Ces mythologies et les scénarios rituels qui en dépendent vont dominer pendant des millénaires les civilisations du Proche-Orient. (…) Les cultures agricoles élaborent ce qu’on peut appeler une « religion cosmique », puisque l’activité religieuse est concentrée autour du mystère central : la rénovation périodique du monde. Tout comme l’existence humaine, les rythmes cosmiques sont exprimés en termes empruntés à la vie végétale. Le mystère de la sacralité cosmique est symbolisé par l’Arbre du monde. L’Univers est conçu comme un organisme qui doit être renouvelé périodiquement ; en d’autres termes, chaque année. »
La religion mystique peut avoir un caractère très précis, lié à l’activité productive des hommes, montrant qu’il s’agit de faire face à des problèmes concernant l’activité sociale. Par exemple, prier ou faire des sacrifices pour qu’il pleuve. Les anciens égyptiens croyaient que celui qui a été mangé par le crocodile a été emmené au fond par l’animal pour aller directement au paradis de la vie éternelle. Cela leur permettait d’accepter l’idée de passer toute la journée à défricher les marais du Nil de ses roseaux ou à chasser les hippopotames ou encore laver les enfants dans le fleuve, en supportant le risque permanent des crocodiles cachés.
Les croyances ne se contentent pas du monde tel qu’il est. Elles donnent des interprétations des phénomènes incompréhensibles et elles disent à l’homme ce qu’il doit faire dans des situations où il est attiré par ce qu’il ne doit pas faire. Ce sont les tabous. Ils sont une forme primitive de constitution sociale. Les interdits sont le début de la socialisation de l’homme.
Le mystère religieux provient du mystère de la vie humaine et de la vie sociale et ne peut être résolu qu’avec eux par l’homme qui prendra le pouvoir sur sa propre existence économique, sociale et politique…
C’est là la source, réelle et collective, de la démystification future…
Expérience mystique, méditation et fonctionnement du cerveau
Le mysticisme vu par les protestants
« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect, que le jour où s’y manifestera l’oeuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment, et maîtres de leur propre mouvement social. »
Karl Marx / Le Capital / 1867