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Irène, la compagne de Barta, une militante communiste révolutionnaire

mercredi 21 juin 2017, par Robert Paris

« Sans elle notre organisation n’aurait pas existé. » avait dit Barta.

Souvenons-nous de Klara, dite Claire, Louise, Irène, Mémé, militante et compagne de Barta, notre camarade

Biographie de Barta et Irène

Cent ans après la Révolution Russe, la dernière des bolcheviques, Klara en Roumanie, Louise sous le front populaire, Irène dans la clandestinité et à l’Union Communiste, Claire et Mémé dans sa tâche d’éducation socialiste de la jeunesse, a rejoint le samedi 28 janvier 2017, à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans, Rosa Luxembourg, son modèle. (Texte que ses proches ont fait paraître dans le journal "le monde" du mercredi 1er février 2017). Ci contre hommage de Mathieu lors des obsèques de Mémé.

"(...) Mon plus ardent désir est que la jeunesse s’implique dans la lutte sociale. Je conseille aux jeunes, aussi bien à ceux qui n’ont pas beaucoup de temps parce qu’ils font des études qu’à ceux à qui la lecture parait difficile, de faire un effort pour apprendre l’histoire des générations qui ont lutté pour un monde égalitaire et de prendre le relais. (...)

"« Pour moi, un militant n’est pas un prêcheur, encore moins un bateleur. C’est un homme, une femme parmi d’autres, essayant d’élever son savoir et sa conscience à la hauteur du combat pour l’émancipation du genre humain. »

Le 7 novembre 1942, le « groupe Barta » fonde le « Groupe Communiste » qui devient en 1944 « l’Union communiste » (UC). Ce groupe disparaît au début des années 1950.

..."En mai 1936, Barta (David Korner) est en Roumanie. Les nouvelles l’y atteignent. D’abord celles de la grève générale de juin 1936 en France. Puis, surtout, l’écho de la riposte révolutionnaire de la classe ouvrière espagnole à la tentative de coup d’Etat de Franco en juillet 1936. "On sentait l’air vibrer jusqu’à Bucarest" dit Louise. La décision de rejoindre la révolution espagnole est prise. Au nombre des trotskystes sur le départ figure Louise, 16 ans. Née en 1920, fille d’un militant socialiste juif autrichien, elle a suivi le même parcours que Barta. Proche du PC roumain, elle rompt en août 1936, révoltée par les premiers procès de Moscou. Présentée à un militant trotskyste par une camarade de classe, elle décide aussitôt de les accompagner en Espagne. Sous le nom d’Irène, elle sera de toute l’aventure de l’Union communiste. "Sans elle notre organisation n’aurait pas existé" dit Barta. Pourtant, en octobre 1936, date à laquelle les quatre jeunes trotskystes roumains (Barta, Louise, Marcoux et sa compagne) arrivent à Paris, Trotsky fonde des espoirs sur l’évolution de la situation en France où le mouvement trotskyste a une force relative.Les Roumains y demeurent, militant au POI, la tendance restée fidèle à Léon Trotsky..."

extrait de la biographie de Barta, de Richard Moyon qui est à l’origine, avec l’aide de mémé, de la publications des textes de Barta. L’intégralité de la biographie lien ci contre.

IRENE : LA DERNIERE DES BOLCHEVIQUES

Celle qui, pour l’état civil, était Claire Faget née Klara Feigenbaum le 16 janvier 1920 en Bucovine –province de l’Empire Austro-Hongrois devenue Roumaine- est décédée le 28 janvier 2017 en région parisienne. Pour le mouvement révolutionnaire elle fut Louise puis Irène, dirigeante avec Barta de l’Union Communiste (1939-1950). Mathieu, le fils qu’elle eut avec Barta, avait intitulé le texte lu au Père Lachaise « Irène : la dernière des bolcheviques ».

Sa vie militante ne s’est jamais installée. Chacun de ses engagements a été une tentative d’apporter une réponse politique concrète, active, à aussi court terme que possible, à des situations de crise graves, cataclysmique ou potentiellement cataclysmiques. Irène ne militait pas pour exister ou être reconnue ou donner un sens à sa vie mais pour mettre fin à l’injustice et à la misère de la condition humaine. Enfant, elle comprend que bonnes œuvres et charité ne sont que les emplâtres nécessaires du mode de production capitaliste. C’est la découverte du marxisme, la luminosité de ses analyses et la rationalité de sa méthode qui lui donnent la clé, la seule clé, pour peser sur les événements et contribuer à ce que l’histoire suive son cours et aille au terme de son évolution : la fin de la lutte de classes par l’abolition des classes sociales, le communisme authentique à l’échelle mondiale, une société sans argent ni oppression, une société où l’on gère les choses et non les hommes.

De la conviction que l’évolution de la société répond à un déterminisme, découle une seconde conséquence : être les accoucheurs de l’histoire n’impose pas d’avoir, des décennies durant, bâti pierre par pierre, une organisation, rassemblé des centaines ou des milliers de militants. Il est par contre strictement indispensable d’analyser rigoureusement les situations, de mesurer les forces en action, de deviner les fractures sur lesquels agir pour déclencher le processus et mettre l’histoire en mouvement. « Agir, c’est comprendre » disait Irène après Barta.

Présenté ainsi, en 2017, quatre-vingt-un an après qu’Irène ait commencé à militer, l’objectif peut sembler un peu chimérique. Il n’empêche que c’est bien de cette conviction parfaitement marxiste de l’impérieuse nécessité d’agir au niveau de l’histoire et dans son sens qui détermine les objectifs et les moyens que Barta et Irène avec lui ont mis en œuvre.

En 1936, Klara a 16 ans. A l’annonce du premier procès de Moscou, elle se détourne du PC roumain dont elle était proche. Juillet 1936, la révolution espagnole débute : « On sentait l’air vibrer jusqu’à Bucarest » disait-elle. Avec trois compagnons, elle décide de s’y rendre. Mais, très vite, le stalinisme étouffe la révolution espagnole. Les jeunes roumains restent en France et entrent au POI. Klara devient Louise.

La déclaration de guerre en septembre 1939 et la dissolution des organisations communistes par Daladier dispersent les militants trotskystes et en font s’égarer politiquement beaucoup. Louise et Barta publient trois numéros de l’Ouvrier où ils dénoncent la répression et la boucherie, la guerre impérialiste, disent-ils, qui débute. Louise et Lucienne sont arrêtées et emprisonnées trois mois à la Petite Roquette. Elles sont libérées avant la débâcle.

L’occupation change la donne. Louise devient Irène. Le recrutement et la formation théorique et pratique de jeunes militants (dont Mathieu Bucholz assassiné par les staliniens en 1944 et Pierre Bois futur dirigeant de la grève Renault de mai 1947) puis l’édition de La Lutte de Classes1 répondent à l’analyse selon laquelle la seconde guerre mondiale provoquera une montée révolutionnaire comparable à celle qui a mis fin à la guerre de 1914-1918. L’objectif est d’y préparer le prolétariat. Analyse de la situation internationale, dénonciation de la guerre impérialiste, du sort du prolétariat, chair à canon de l’impérialisme, dénonciation de l’impasse du nationalisme, le niveau des articles de La Lutte de Classes comme des brochures de l’UC témoigne d’une hauteur de vue impressionnante. Si l’essentiel des analyses et la rédaction sont assurés par Barta. Il est secondé par Irène sur qui, en outre, repose largement le fonctionnement de l’organisation.

Pourtant, la montée révolutionnaire attendue ne se produit pas. A la Libération, les militants de l’Union Communiste doivent répondre à une situation nouvelle : la participation du PCF au gouvernement et son opposition à toute action de la classe ouvrière (« La grève, c’est l’arme des trusts ! »). Un espace s’ouvre, à condition d’être intransigeant dans la dénonciation de la politique du gouvernement, de la collaboration du PCF et de la CGT et de la sorte de dictature qu’ils imposent aux travailleurs. L’UC concentre ses maigres forces sur l’usine Renault à Billancourt. En avril 1947 malgré l’opposition violente de la CGT, la grève démarre dans le secteur Collas où travaille Pierre Bois et s’étend à toute l’usine. Un Comité de grève est constitué. Même si les revendications ne sont pas entièrement satisfaites, cette grève est une victoire : augmentation des salaires, paiement partiel des jours de grève et surtout, levée de l’emprise du stalinisme sur les travailleurs.
Mais, le risque que le mouvement s’étende et échappe à son contrôle conduit le PC à faire sortir ses ministres du gouvernement. Même si cette sortie aurait probablement eu lieu de toute façon du fait de la guerre froide naissante, la grève Renault d’avril-mai 1947, est un événement exceptionnel. Elle témoigne de la validité des analyses et des méthodes d’action de l’UC et prouve qu’il est possible même à un tout petit groupe d’agir au niveau de l’histoire… si les conditions historiques sont réunies !

La sortie des ministres communistes du gouvernement permet au PCF et à la CGT d’encadrer la vague de grève de 1948… contenant tout débordement et empêchant au bout du compte de se produire la montée révolutionnaire sur laquelle misent Barta et Irène. Malgré la pertinence des analyses de Barta, le suivi au jour le jour de l’action du SDR (le Syndicat Démocratique Renault créé au lendemain de la grève), l’investissement des militants et la sympathie des travailleurs, la génération nouvelle de militants ne naît pas. L’UC s’épuise, les tensions montent. Pierre Bois et Barta se séparent. Le dernier numéro de La Lutte de Classes parait le 30 mars 1950 signant la fin de l’UC. Les tentatives ultérieures de Barta et d’Irène de reprendre une activité commune échouent toutes. Mais, au-delà des circonstances particulières de la disparition de l’UC, Barta y voit le signe de la fin d’une époque : « l’histoire a pris un autre cours, un tout autre cours que celui entre 1914 et la deuxième guerre mondiale ».

Une partie des anciens militants de l’UC, plus jeunes, Pierre Bois ou Robert Barcia dit Hardy, décident, eux de poursuivre leur activité. D’abord organisés dans des groupes différents, Bois et Hardy se regroupent en 1956 au sein de ce qui deviendra Voix Ouvrière puis Lutte Ouvrière. Même si ce courant en revendique l’héritage, Barta et Irène estiment que la réalité de sa politique n’a rien à voir avec celle de l’UC. Irène pense alors que, de fait, ce groupe a renoncé à peser sur le cours de l’histoire. Mais, malgré ses désaccords, elle a, plusieurs années durant, apporté une aide technique à « de jeunes camarades », dactylographiant des bulletins d’entreprise.

Irène fut par la suite à l’origine de la réédition des textes de l’UC, principalement les articles de La Lutte de Classes et de La Voix des travailleurs mais aussi des brochures et des documents internes qu’elle tira de ses archives et dactylographia… pour la seconde fois de sa vie ! Il ne s’agissait pas simplement dans son esprit de restituer à des actions, à des analyses, à des textes et à des militants la place qu’ils méritent, c’était tout autant une façon de préparer l’avenir en donnant des armes politiques aux générations futures tant il est vrai que, jusqu’au bout, Irène est restée imprégnée d’optimisme. L’optimisme révolutionnaire qui fait que, malgré tout, on ne renonce pas.
Un épisode reflète la façon de poser les problèmes politiques qu’elle avait gardée de l’UC. Face aux attentats de 1995 auxquels participent des jeunes des cités comme Khaled Kelkal, Irène comprend l’impérieuse nécessité de réimplanter les idées politiques socialistes dans des quartiers devenus des déserts militants. Le bulletin Cinquième zone qu’elle contribue à créer et qu’elle corrige assidûment s’adresse « aux jeunes des quartiers dont tout le monde parle sans jamais leur parler, et surtout pas politique ». Une initiative dont on a toutes les raisons, aujourd’hui, de regretter amèrement qu’elle n’ait pas entraîné les grandes organisations dans la même voie.
Combattante, drôle, modeste, clairvoyante, intransigeante, dévouée, colérique parfois, généreuse, soucieuse de partager sa culture et pédagogue, bienheureux ceux qui ont eu la chance de la connaître, d’apprendre d’elle et de lutter à ses côtés.... et ainsi, de vivre déjà dans la société future.

Mathieu, fils d’Irène,

Richard Moyon

(qui, après sa rupture avec Lutte ouvrière, participa avec Irène à la réédition des textes de l’UC puis à la parution de Cinquième zone avant d’être l’un des initiateurs du Réseau Education sans frontières.)

1 Les numéros de La Lutte de Classes et de La Voix des Travailleurs ont été quasi-intégralement réédités en trois tomes aux Editions La Brèche avec un avant-propos de Louise.

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