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Lire sur le Hasard et la Nécessité

mardi 31 octobre 2017, par Robert Paris

Lire sur le Hasard et la Nécessité

Giordano Bruno :

« La nécessité et la liberté font un, donc il n’est pas à craindre, quand on parle de la nécessité dans la nature, que l’on ne puisse pas agir librement. En fait, on est libre de tout ce que l’on fait, mais, en même temps, on n’est pas libre du tout, car, quand la nécessité et la nature l’exigent, elles l’imposent. »

Démocrite (ou plutôt une citation attribuée à tort à Démocrite) :

« Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité. »

Ce qu’a vraiment écrit Démocrite :

« Rien ne vient du néant, et rien, après avoir été détruit, n’y retourne. Les atomes se déplacent dans tout l’univers en effectuant des tourbillons et c’est de la sorte que se forment les composés : feu, eau, air et terre ».

Karl Marx :

« On affirme bien aussi de Démocrite qu’il a fait intervenir le hasard ; mais des deux passages qui se trouvent à ce sujet chez Simplicius l’un rend l’autre suspect, car il montre de manière évidente que ce n’est pas Démocrite qui a fait usage des catégories du hasard, mais Simplicius qui les lui a attribuées comme conséquence. Il dit, en effet, que Démocrite ne fournit aucune raison de la création du monde en général, et qu’il semble donc faire du hasard cette raison. Mais il ne s’agit pas ici de la détermination du contenu, mais de la forme, que Démocrite a consciemment utilisée. »

Antoine Danchin :

« Pourtant le hasard n’est pas une notion grecque, et si nous n’avons pas cette conception, très marquée du temps de Camus, de l’isolement de l’Homme et de la vie dans l’univers, il est légitime de nous interroger sur l’origine de cette citation. Elle ne se trouve pas dans Démocrite, même si, par certains aspects, sa pensée est voisine de ce qu’on lui fait dire ici. »

Héraclite :

« Tout se fait par discorde. »

« Le temps d’une vie est un enfant joueur, qui jette les dés : c’est le royaume d’un enfant. »

« Certains disent que tout est en condition de devenir et de flux, et que rien n’a d’existence définie une fois pour toutes, à la seule exception d’une structure permanente au delà des changements, à partir de laquelle, par des réorganisations, chaque chose naît naturellement. »

Lucrèce, « De Rerum Natura » :

« Tant s’en faut que l’état si varié des choses

N’ait que ses éléments, clairs ou serrés, pour causes.

Encor s’ils admettaient du vide aux corps uni,

Le corps igné pourrait devenir dense ou rare ;

Mais devant les écueils que le vrai leur prépare,

Ils esquivent le vide, ils l’ont partout banni ;

La peur d’un sol ardu les jette aux fausses routes.

Aussi ne voient-ils pas qu’ôtant le vide aux corps,

Ils rendent tout massif : les choses ne font toutes

Qu’un seul plein qui ne peut rien émettre au dehors,

Comme un foyer qui lance et chaleur et lumière,

Et prouve qu’il n’est point de compacte matière.

S’ils pensent que le feu, par quelque autre moyen

Transforme ainsi sa masse, en groupes la resserre,

Sans que nulle partie en lui soit nécessaire,

Il faudra que ce feu tout entier tombe à rien,

Et que tout l’Univers prenne de rien naissance ;

Car tout être changé, qui de ses bornes sort,

Anéantit par là ce qu’il était d’abord.

Si donc rien n’est sauvé de la première essence,

Le monde, tu le vois, rentre dans le néant,

Et du néant renaît tout entier florissant ! »

Leucippe :

« Aucune chose ne devient sans cause, mais tout est l’objet d’une loi [raison] (λόγος), et sous la contrainte de la nécessité. »

Empédocle :

« Privés de corps, les membres, sous l’empire de la Répulsion, erraient çà et là, disjoints. Mais dès qu’une divinité se fut unie à l’autre plus étroitement, on vit les membres s’ajuster au hasard des rencontres, et d’autres en grand nombre sans cesse continuèrent la chaîne ; il naquit ainsi des êtres aux pieds tournant pendant la marche, aux mains innombrables, aux membres emmêlés. D’autres naissaient avec deux visages, deux poitrines, boeufs à face humaine ou au contraire hommes à crâne de boeuf, et encore les androgynes, créatures hybrides, aux membres délicats. »

Epicure :

« La nécessité, qui est mentionnée par certains comme la maîtresse absolue, n’est pas ; bien au contraire, certaines choses sont fortuites, les autres dépendent de notre arbitraire. La nécessité est impossible à convaincre, le hasard au contraire est instable. Il vaudrait mieux suivre le mythe relatif aux dieux que d’être le valet de l’είμαρμένη (du destin) des physiciens. »

Aristote, Physique II, 5, 17 :

« Le hasard se place parmi les faits qui font exception à la nécessité. »

Voltaire, Lettre à M. Mariotte :

« Sa sacrée Majesté le Hasard décide tout. »

Engels, « L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État » :

« Mais le hasard n’est que l’un des pôles d’un ensemble dont l’autre pôle s’appelle nécessité. Dans la nature, où le hasard aussi semble régner, nous avons démontré depuis longtemps, dans chaque domaine particulier, la nécessité immanente et la loi interne qui s’imposent dans ce hasard. [Et ce qui est vrai de la nature ne l’est pas moins de la société.] Plus une activité sociale, une série de faits sociaux échappent au contrôle conscient des hommes et les dépassent, plus ils semblent livrés au pur hasard, et plus leurs lois propres, inhérentes, s’imposent dans ce hasard, comme par une nécessité de la nature. Des lois analogues régissent aussi les hasards de la production marchande et de l’échange des marchandises ; elles se dressent en face du producteur et de l’échangiste isolés comme des forces étrangères qu’on ne reconnaît pas tout d’abord et dont il faut encore péniblement étudier et approfondir la nature. Ces lois économiques de la production marchande se modifient avec les différents degrés de développement de cette forme de production ; mais toute la période de la civilisation est placée, dans son ensemble, sous leur dépendance. Et, de nos jours encore, le produit domine les producteurs ; de nos jours encore, la production totale de la société est réglée non d’après un plan élaboré en commun, mais par des lois aveugles qui s’imposent avec la violence d’un cataclysme naturel, en dernier ressort dans les orages des crises commerciales périodiques. »

Einstein :

« Dieu (la nature) ne joue pas aux dés. »

Thom :

« Halte au hasard, silence au bruit ! »

Cournot :

« De l’arabe az-zahr signifiant jeu de dès. Le hasard est ce qui ne correspond à aucun principe de détermination, à aucune cause connue. Ne signifie pas la rupture du déterminisme, mais le concours entre plusieurs séries causales indépendantes. »

Le couplage des contraires, du hasard et de la nécessité, c’est une règle du vivant, mais c’est aussi la règle de toute la matière, de tout l’Univers

Un ordre à un niveau d’organisation hiérarchique de la matière peut-il être issu d’un désordre à un autre niveau et peut-il alors produire une propriété que cet autre niveau ne possédait pas ?

Les exemples de ce type de situation sont innombrables et touchent tous les domaines de la connaissance. Le cas le plus simple est le fait qu’il existe des lois sociales, économiques, sociétales alors que les êtres humains agissent en tous sens. Le couplage dialectique de la liberté humaine et de la nécessité collective, où les contraires ne se contentent pas de s’opposer mais se composent et se produisent mutuellement, est vécu tous les jours par nous mais bien des gens pensent que ce n’est pas pareil dans le domaine du Vivant et que cela l’est encore moins pour la matière, en Chimie ou en Physique. Et ils ont tort !

On connaît le mouvement brownien des molécules, agitation au hasard et on sait qu’elle produit, pour une grande quantité de molécules, des propriétés nouvelles que chaque molécule ignorait complètement : la température et la pression. Ces propriétés n’ont aucun sens pour un petit nombre de molécules, pour une molécule, pour un atome, pour une particule. Ce sont des propriétés émergentes qui sont issues de l’agitation d’un grand nombre d’éléments de niveau inférieur.

Pouvons-nous donner une autre propriété, une autre loi qui émerge ainsi d’une agitation de la matière au niveau hiérarchique inférieur ? Prenons la propriété bien connue que l’on appelle la flèche du temps et qui consiste dans la manière dont le temps s’écoule toujours dans la même direction : du passé vers le futur. Cette propriété n’existe pas dans le vide quantique qui est pourtant le fondement même de la matière durable que nous appelons aussi matière réelle, par opposition à la matière du vide qui est éphémère et que l’on appelle matière virtuelle, bien qu’elle n’existe pas moins. Au niveau du virtuel, il n’y a aucun sens d’écoulement du temps et ce dernier émerge de l’agitation d’un grand nombre de particules réelles.

Une fois de plus le hasard a donné naissance à la nécessité.

Remarquons que l’inverse est tout aussi vrai. La nécessité pour la matière, ce sont par exemple ses structures : la particule, l’atome, la molécule et leurs lois. Mais ces particules interagissent au hasard ! Hasard et nécessité se prennent ainsi sans cesse en sandwich, se transforment l’un dans l’autre. L’énergie libre est du domaine du hasard mais on sait, depuis Einstein notamment, que la matière peut se transformer en énergie. Au fait, l’énergie peut aussi se transformer en matière ! Que la table sur laquelle j’écris conserve sa structure globale est une nécessité physique mais cela n’empêche pas que cette structure globale soit fondée sur des molécules qui s’agitent sans cesse ! La structure de la particule est une nécessité physique qui entraîne par exemple la conservation de la masse. Mais cela n’empêche pas que cette conservation est fondée sur la transmission d’un boson de Higgs d’une particule virtuelle à une autre. L’ordre global est fondé sur un désordre local !

C’est encore le hasard qui agit lors des décompositions nucléaires, des noyaux atomiques instables, ce qui amène l’impossibilité de prédire exactement le moment de la survenance de cette décomposition des éléments, une transmutation brutale et inattendue. Cependant, c’est l’ensemble de ces décompositions nucléaires qui produit la loi de décomposition qui est une loi statistique.

C’est l’agitation moléculaire qui permet aux molécules de se positionner dans tous les emplacements disponibles d’une structure matérielle pour former un cristal. Ce dernier, qui apparaît comme la plus ordonnée des structures matérielles, est produit de l’agitation du niveau d’organisation inférieur de la matière ! Sans cette agitation, les molécules ne pourraient pas explorer toutes les positions possibles et les occuper toutes, donnant au cristal une structure parfaite, avec ses facettes, ses angles caractéristiques, ses propriétés optiques et son brillant.

Il en va de même dans le domaine du Vivant.

Dans ce cas, l’ordre biologique semble représenté par la molécule d’ADN. Pourtant, cette molécule est inactive et n’intervient que lorsque des protéines s’y attachent. Les molécules ne vont nullement directement sur le gène de l’ADN qui doit les recevoir : elles arrivent au hasard sur la molécule d’ADN et c’est le hasard qui amène certaines protéines à rencontrer le gène adéquat.

Dans chaque tissu, l’ordre consiste dans la nécessité qu’a le tissu, de posséder de manière précise à chaque endroit, d’une cellule d’un type bien particulier : cellule sanguine ici, cellule nerveuse là, cellule musculaire ailleurs. On pourrait penser que les cellules vont recevoir des ordres qui vont leur dire exactement où elles doivent aller. Eh bien pas du tout ! Les cellules vont partout, au hasard, et, à chaque fois qu’elles arrivent là où elles ne sont pas désirées (par exemple, une cellule musculaire dans un tissu sanguin), la cellule reçoit de ses voisines une autorisation de mise en route d’une capacité interne qui est sans cesse prête à fonctionner et qui dicte à la cellule la procédure d’autodestruction, dite apoptose. Ainsi, l’immense majorité des molécules est sans cesse détruite par apoptose.

Et ce mécanisme, qui n’est en rien économe, est le fonctionnement permanent de toute construction d’un individu. Le fait de détruire tout ce qui ne sert à rien est même le mécanisme de construction du cerveau. Ce dernier, lors de sa formation, construit le maximum de cellules, au hasard, avec le maximum de liaisons au hasard en tous sens et tout ce qui ne sert à rien s’apoptose. De même pour la formation des organes, la sculpture des membres, etc…

Ce qui est le plus nécessaire, c’est le hasard et ce qui produit le plus de hasard, ce sont les structures nécessaires… Le hasard se transforme en nécessité et la nécessité se transforme en hasard.

Séparer par des barrières infranchissables le hasard de la nécessité ou même en faire deux fonctionnements indépendants, mène à des contresens et à des absurdités de raisonnement. Tout autant que d’opposer diamétralement, et pas dialectiquement, matière et vide, ou vie et mort, ou homme et femme, ou humain et animal, ou inné et acquis, ou bien et mal, ou corps et esprit, ou raisonnement et expérience, ou abstrait et concret, ou ordre et désordre, ou chaos et déterminisme, ou agitation et structuration, ou conscient et inconscient, et on en passe…

La matière est divisée en niveaux hiérarchiques de structures mais ceux-ci rétroagissent sans cesse sur la base suivante : deux ordres, à deux niveaux différents, sont séparés par une interface désordonnée. Le fait d’être tiraillé entre deux lois, c’est cela le hasard. Ce n’est pas l’absence de lois. De même, deux désordres produisent, à leur interface, un ordre.

L’une des sciences les plus reconnues, la Physique, a momentanément touché du doigt les exemples les plus criants de dialectique des contraires du hasard et de la nécessité, de l’ordre et du désordre, avec la découverte de la physique quantique mais le courant de pensée alors dominant parmi les physiciens était celui dit de l’école de Copenhague et il a pris parti violemment contre toute idée de dialectique des contraires, notamment contre la dialectique de l’onde et du corpuscule, y opposant les notions confuses « dualité » et de « complémentarité » qui n’ont cessé de changer au fur et à mesure, sans jamais vraiment correspondre à la réalité étudiée et observée. La raison n’en était pas scientifique ou philosophique mais sociale : la notion de dialectique restait, et reste encore, trop attachée au marxisme, qui l’avait adoptée, et donc à la révolution sociale.

L’ouvrage moderne et scientifique le plus récent sur cette question « hasard et nécessité » a été l’ouvrage de Jacques Monod, qui, suite à la réception de son prix Nobel a utilisé ce crédit pour diffuser son point de vue philosophique sur le vivant. Là encore, un des buts principaux de son écrit va être de faire de ses découvertes récentes une arme de guerre contre le marxisme. Donc pas question de découvrir que la vie serait un couple dialectique du hasard et de la nécessité. Et encore moins question de trouver hasard et nécessité en dehors du vivant et on a montré précédemment combien cette dialectique s’y trouver bel et bien !

On pourrait, au départ, se dire, en lisant le titre, qu’il affirmerait que la vie est à la fois hasard et nécessité, et serait ainsi un couplage dialectique des contraires. Mais non ! Ce n’est pas cela la thèse de Monod, pas du tout !

Voyons comment Jacques Monod raisonne sur ces questions, dans « Le Hasard et la Nécessité » :

« La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l’objectivité de la Nature. C’est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance « vraie » toute interprétation des phénomènes donnée en termes de causes finales, c’est-à-dire de « projet ». »

Le lecteur pourrait se dire qu’avec un pareil préambule, on est bien partis pour avoir une thèse matérialiste scientifique mais attendez donc ! Lisez plutôt ce qui vient juste après :

« L’objectivité cependant nous oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structures et performances, ils réalisent et poursuivent un projet. Il y a donc là, au moins en apparence, une contradiction épistémologique profonde. »

Monod affirmerait-il que c’est un contradiction inhérente à la nature, une contradiction qui ferait que hasard et nécessité seraient entremêlés, composés, indispensables l’un à l’autre, dialectiquement inséparables, mais pas du tout. L’apparence, Monod prétend la dévoiler, la contradiction il affirme pouvoir la rompre.

Voyons d’abord comment Monod explique ces notions de projet et de téléonomie…

« L’évolution elle-même paraît accomplir un "projet", celui de prolonger et d’amplifier un "rêve" ancestral ».

Le projet serait donc, ou paraîtrait être, un rêve ancestral… Lequel ?!!! Celui de la bactérie de se reproduire !

« Mais tout projet particulier, quel qu’il soit, n’a de sens que comme partie d’un projet plus général. Toutes les adaptations fonctionnelles des êtres vivants comme aussi tous les artefacts façonnés par eux accomplissent des projets particuliers qu’il est possible de considérer comme des aspects ou des fragments d’un projet primitif unique qui est la conservation et la multiplication de l’espèce. »

Même si ce n’est pas un acte divin ou mystique, il y aurait, selon Monod, un projet et même un dessein, un but. C’est le fondement, dit-il, d’une téléonomie. Il ne va pas jusqu’à la téléologie puisqu’il se prétend matérialiste, mais le dessein intelligent de la nature, c’est un grand pas vers l’idéalisme…

Voyons quels seront les pas suivants et dans quel sens… Quel but, quel dessein ?

Malgré tous les « paraît », « semble », « peut-être », on nage en plein animisme verbal, en pleine personnalisation de la bactérie qui « cherche », qui « justifie », qui a « un but »…

A ce stade, on croit encore, dans certains passages, que Monod va reconnaître le caractère dialectique de la transformation l’un dans l’autre des contraires : hasard et nécessité.

« Hasard capté, conservé, reproduit par la machinerie de l’invariance, et ainsi, converti en ordre règle, nécessité. »

Mais Monod veut rompre la contradiction et il choisit le hasard « pur ».

« Il est bien remarquable de trouver, à la base d’un des phénomènes d’adaptation moléculaire les plus exquisement précis qu’on connaisse, une source au hasard. »

Monod rejoint ainsi Aristote (Physique II, 4, 24) :

« Notre ciel et tous les mondes ont pour cause le hasard ; car c’est du hasard que proviennent la formation du tourbillon et le mouvement qui a séparé les éléments et constitué l’univers dans l’ordre où nous le voyons. »

Mais nous allons voir que Monod ne défend cette thèse que pour le vivant et non pour l’univers matériel :

« Nous disons que ces altérations sont accidentelles, qu’elles ont lieu au hasard. Et puisqu’elles constituent la SEULE source possible de modifications du texte génétique, SEUL dépositaire à son tour des structures héréditaires de l’organisme, il s’ensuit nécessairement que que le hasard SEUL est à la source de toute nouveauté, de toute création dans la biosphère. »

On remarquera qu’on spécifie ainsi la biosphère qui serait ainsi un domaine à part du reste de l’univers matériel, ce qui suppose une dichotomie du monde réel, la matière en physique restant déterminée par la nécessité des lois… C’est énorme !

Quel fondement d’un tel choix : la matière suivrait la nécessité absolue du temps et la vie s’en libèrerait :

« En ce sens l’évolution sélective, fondée sur le choix de rares et précieux incidents que contient aussi, parmi une infinité d’autres, l’immense réservoir du hasard microscopique, constitue une sorte de machine à remonter le temps. »

C’est presque du Bergson !

Cette fois-ci, pas de « semble », pas de « paraît », mais une affirmation absolue qui est appuyée par :

« Et rien de permet de supposer (ou d’espérer) que nos conceptions sur ce point devront ou même pourront être révisées. »

Diable ! C’est d’un affirmatif pour une déclaration de dualisme aussi absolu !

Quelle est dès lors la place de la sélection dans cette biosphère ?

« Les seules mutations acceptables sont donc celles qui, à tout le moins, ne réduisent pas la cohérence de l’appareil téléonomique, mais plutôt le renforcent encore dans l’orientation déjà adoptée ou, et sans doute bien plus rarement, l’enrichissent de possibilités nouvelles. »

Darwin, au moins, avait proposé une conception de la sélection qui ne répondait pas aux seuls besoins de l’appareil vivant mais aussi aux nouvelles nécessités dues à des modifications du milieu.

On retrouve l’idée centrale de Monod de « téléonomie ».

Dans sa « Leçon inaugurale » faite le 3 novembre 1967, au Collège de France, Chaire de biologie moléculaire, Monod explicite sa notion personnelle de la téléonomie :

« La Téléonomie, c’est le mot qu’on peut employer si, par pudeur objective, on préfère éviter « finalité ». Cependant tout se passe comme si les êtres vivants étaient structurés, organisés et conditionnés en vue d’une fin : la survie de l’individu, mais surtout celle de l’espèce. »

La « téléonomie », c’est donc, selon Monod, le camouflage, un peu hypocrite ou gêné, d’un point de vue finaliste… qu’il défend ! C’est l’idée qu’il préexiste un projet et que la vie se calque sur ce projet…

On remarquera qu’on est revenu aux hypocrites « tout se passe comme si »….

Mais, au-delà de la gêne et de la « pudeur objective », « Le Hasard et la Nécessité » est très affirmatif sur ce point :

« C’est l’existence même de ce projet, à la fois accompli et poursuivi par l’appareil téléonomique qui constitue le « miracle ». »

Pourquoi Monod ressent le besoin d’un projet, d’une finalité, d’une téléonomie ?

C’est Jacob qui l’explique dans sa « Logique du Vivant » :

« Que l’évolution soit due exclusivement à une succession de micro-événements, à des mutations survenant chacune au hasard, le temps et l’arithmétique s’y opposent. Pour extraire d’une roulette, coup par coup, sous-unité par sous-unité, chacune des quelque cent mille chaînes protéiques qui peuvent composer le corps d’un mammifère, il faut un temps qui excède, et de loin, la durée allouée au système solaire. »

On voit là à quel point Monod et Jacob, loin d’éclairer le lien entre hasard et nécessité, ont buté dessus et ressentent le besoin d’un « miracle » : le projet !!!

Monod conclue par :

« L’ancienne alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres. »

Mais Monod ne peut pas croire réellement au pur hasard et il explique pourquoi dans sa « Leçon inaugurale » :

« Mais que l’homme fût le produit d’une somme incalculable d’événements fortuits, précieusement conservés, comment le croire devant l’homme biologique lui-même, sinon devant ses œuvres ? Comment le pur hasard aurait-il jamais pu écrire l’Odyssée, Andromaque ou la Passion selon saint Mathieu ? »

Foin du hasard, quand il conclue qu’il faut « choisir entre le Royaume et les ténèbres », c’est un retour à la religion, de même sa téléonomie est une manière camouflée de retour à la téléologie !!!

C’est Jacob qui explicite le mieux le point de vue de Monod. Dans sa « Logique du Vivant », il écrit :

« Il y a deux niveaux d’explication, bien distincts mais trop souvent confondus, pour rendre compte de l’apparente finalité dans le monde vivant. Le premier correspond à l’individu, à l’organisme dont la plupart des propriétés, tant de structure que de fonctions ou de comportement, semblent bien dirigées vers un but. C’est le cas, par exemple, des différentes phases de la reproduction, du développement embryonnaire, de la respiration, de la digestion, de la recherche de nourriture, de la faite devant le prédateur, de la migration, etc. Ce genre de dessein préétabli, qui se manifeste dans chaque être vivant, ne se retrouve pas dans le monde inanimé. D’où, pendant longtemps, le recours à un agent particulier, à une force vitale échappant aux lois de la physique. C’est seulement au cours de ce siècle qu’a disparu l’opposition entre, d’un côté, l’interprétation mécaniste donnée aux activités d’un être vivant et, de l’autre, ses propriétés et son comportement. En particulier, le paradoxe s’est résolu quand la biologie moléculaire a emprunté à la théorie de l’information le concept et le terme de programme pour désigner l’information génétique d’un organisme. Selon cette manière de voir, les chromosomes d’un oeuf fécondé contiennent, inscrits dans l’ADN, les plans qui régissent le développement du futur organisme, ses activités, son comportement. »

Depuis, la notion de programme pour représenter la vie est bien dépassée. Et celle de projet n’a jamais trouvé son explication scientifique réelle.

Jacob n’est d’ailleurs pas plus clair là-dessus que Monod, lui qui parle sans cesse du « rêve de la bactérie de procréer ».

Il écrit dans sa « Logique du Vivant » :

« Quel peut être alors le but de la bactérie ? Que cherche-t-elle à produire qui justifie son existence, détermine son organisation et sous-tend son travail ? A cette question, il n’y a apparemment qu’une réponse et une seule. Ce que cherche à produire sans relâche une bactérie, ce sont deux bactéries. Voilà, semble-t-il, son seul dessein, sa seule ambition. »

Mais l’étude scientifique de la biologie n’autorise pas réellement de tels raccourcis. La bactérie n’a pas de but, pas de projet, pas de dessein.

On peut dire que la vie cherche à se reproduire, ou à se maintenir, mais on peut tout aussi bien dire le contraire, puisque chaque cellule contient d’avance un « programme » de suicide cellulaire, l’apoptose !

Ce qu’on ne peut pas, c’est nier la dialectique des contradictions, qui va de l’inanimé au vivant.

Monod, “Le hasard et la Nécessité”

Quand Jacques Monod s’appuyait sur ses travaux en biologie pour démolir le marxisme dans un pamphlet intitulé « Le hasard et la nécessité »

Monod commenté par Gourrier

La question « hasard et nécessité » est discutée ici par divers auteurs :

D’Holbach

Epicure

Boutroux

Marx

Engels

Aristote

Pavé

Langevin

Danchin

Couloubaritsis

Encore Aristote

Encore Langevin

Encore Danchin

Gruber-Martin

Démocrite

Anfray

Riveline

Toujours Langevin

Taine

Wahl

Brahic

Alexandre d’Aphrodise

Toujours Danchin

Thomas d’Aquin

Conche

Lavabre-Bertrand

Simiand

Ordre et désordre de la matière, deux réalités complètement et dialectiquement imbriquées

Ordre et désordre

Le mouvement brownien

Einstein : dieu ne joue pas aux dés

Le temps et sa flèche

Pourquoi la matière désordonnée s’organise spontanément

Chaos et hasard

Le hasard en biologie moléculaire

Les probabilités et le mouvement brownien

La matière : dialectique de l’ordre et du désordre

Ordre et désordre dans un front de diffusion

Thèses sur l’ordre et le désordre dans la matière

Le hasard et la nécessité en biologie

Sur le déterminisme

L’auto-organisation ou l’ordre spontanément issu du désordre

René Thom : « Halte au hasard, silence au bruit ! »

Liberté et nécessité

Déterminisme et physique quantique se sont d’abord opposés

Chaos et déterminisme se composent tout en s’opposant

Qu’est-ce que le hasard

La contradiction fondamentale entre Liberté et Nécessité

Lire aussi

Lire encore

Messages

  • « Hegel a été le premier à représenter exactement le rapport de la liberté et de la nécessité. Pour lui, la liberté est l’intellection de la nécessité. “ La nécessité n’est aveugle que dans la mesure où elle n’est pas comprise. ” (dans « Encyclopédie ») La liberté n’est pas dans une indépendance rêvée à l’égard des lois de la nature, mais dans la connaissance de ces lois et dans la possibilité donnée par là même de les mettre en oeuvre méthodiquement pour des fins déterminées. Cela est vrai aussi bien des lois de la nature extérieure que de celles qui régissent l’existence physique et psychique de l’homme lui-même, - deux classes de lois que nous pouvons séparer tout au plus dans la représentation, mais non dans la réalité. La liberté de la volonté ne signifie donc pas autre chose que la faculté de décider en connaissance de cause. Donc, plus le jugement d’un homme est libre sur une question déterminée, plus grande est la nécessité qui détermine la teneur de ce jugement ; tandis que l’incertitude reposant sur l’ignorance, qui choisit en apparence arbitrairement entre de nombreuses possibilités de décision diverses et contradictoires, ne manifeste précisément par là que sa non-liberté, sa soumission à l’objet qu’elle devrait justement se soumettre. La liberté consiste par conséquent dans l’empire sur nous-même et sur la nature extérieure, fondé sur la connaissance des nécessités naturelles ; ainsi, elle est nécessairement un produit du développement historique. Les premiers hommes qui se séparèrent du règne animal, étaient, en tout point essentiel, aussi peu libres que les animaux eux-mêmes ; mais tout progrès de la civilisation était un pas vers la liberté. Au seuil de l’histoire de l’humanité il y a la découverte de la transformation du mouvement mécanique en chaleur : la production du feu par frottement ; au terme de l’évolution qui nous a conduits jusqu’aujourd’hui, il y a découverte de la transformation de la chaleur en mouvement mécanique : la machine à vapeur. - Et malgré la gigantesque révolution libératrice que la machine à vapeur accomplit dans le monde social (elle n’est pas encore à moitié achevée) il est pourtant indubitable que le feu par frottement la dépasse encore en efficacité libératrice universelle. Car le feu par frottement a donné à l’homme pour la première fois l’empire sur une force de la nature et, en cela, l’a séparé définitivement du règne animal. La machine à vapeur ne réalisera jamais un bond aussi puissant dans l’évolution de l’humanité malgré tout le prix qu’elle prend à nos yeux comme représentante de toutes ces puissantes forces de production qui en découlent, ces forces qui permettent seules un état social où il n’y aura plus de différences de classes, plus de souci des moyens d’existence individuels, et où il pourra être question pour la première fois d’une liberté humaine véritable, d’une existence en harmonie avec les lois connues de la nature. Mais à quel point toute l’histoire de l’humanité est encore jeune et combien il serait ridicule d’attribuer quelque valeur absolue à nos conceptions actuelles, cela ressort du simple fait que toute l’histoire passée peut se caractériser comme l’histoire de la période qui va de la découverte pratique de la transformation du mouvement mécanique en chaleur à celle de la transformation de la chaleur en mouvement mécanique. »

    Engels, « Anti-Dühring »

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