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Déterminisme et physique quantique se sont d’abord opposés

vendredi 9 octobre 2015, par Robert Paris

Comme chacun sait maintenant, la physique quantique s’oppose à des histoires concernant des particules en tant qu’objet individuel et cette limite n’a rien d’expérimental : elle est une caractéristique fondamentale des états de la matière. L’école de Copenhague en déduit la fin du déterminisme en sciences. En fait, c’est plutôt la fin de la matière conçue comme des objets individuels : les particules, les objets matériels s’opposant au vide. En fait une particule n’est pas un seul objet mais un nuage de particules virtuelles (et d’antiparticules) dont une seule est porteuse de la propriété de matière. Cette propriété saute d’une particule virtuelle à une autre à grande vitesse. Du coup, on ne peut suivre l’histoire de la particule matérielle et il en découle tous les paradoxes de la physique quantique du type des expériences à deux fentes notamment et surtout l’impossibilité de suivre une trajectoire d’une particule et d’exposer des liens de cause à effet pour un individu particule.

Cela ne veut pas dire que le déterminisme soit mort. La loi ne s’applique pas à des objets particules individuelles.

Déterminisme et physique quantique se sont d’abord opposés :

Max Born :

« Il est clair que le dualisme onde-corpuscule et l’incertitude essentielle qu’il implique nous obligent à abandonner tout espoir de conserver une théorie déterministe. La loi de causalité… n’est plus valable, du moins au sens de la physique classique. Quant à la question de savoir s’il existe encore une loi de causalité dans la nouvelle théorie, deux points de vue sont possibles. Soit, on persiste à envisager les phénomènes à l’aides images d’onde et corpuscule, alors la loi de causalité n’est plus valable… La loi de causalité est donc sans contenu physique ; la nature des choses impose que la physique soit indéterministe. »

John von Neumann :

« En physique macroscopique, aucun expérience ne peut prouver la causalité, car l’ordre causal apparent n’y a pas d’autre origine que la loi des grands nombres, et cela tout à fait indépendamment du fait que les processus élémentaires, qui sont les véritables processus physiques, suivent ou non des lois causales… C’est seulement à l’échelle atomique, dans les processus élémentaires eux-mêmes, que la question de la causalité peut réellement être mise à l’épreuve : mais, à cette échelle, dans l’état actuel de nos connaissances, tout parle contre elle, car la seule théorie formelle s’accordant à peu près avec l’expérience et la résumant est la mécanique quantique qui est en conflit avec la causalité… Il ne subsiste aujourd’hui aucune raison permettant d’affirmer l’existence de la causalité dans la nature. »

les phénomènes découverts remettaient en cause des notions bien ancrées sur la matière mais aussi sur le déterminisme, sur la possibilité de connaissance de la nature. La plus connue est l’inégalité d’Heisenberg. Elle affirme notamment que la précision des connaissances sur la position d’une particule est inversement proportionnelle à la précision de la connaissance sur sa vitesse. En fait, aucune connaissance sur la particule ne peut être complète. Cela nécessiterait une énergie infinie. On ne peut même pas savoir, en faisant successivement deux expériences sur une particule, s’il s’agit vraiment de la même particule. Certains vont déduire de ces remarques, et de quelques autres du même type, que le monde est indéterministe. C’est cette fois la causalité elle-même qui est remise en question. Un autre aspect de la physique quantique va faire couler de l’encre. C’est son caractère probabiliste. On ne peut pas dire ce qui se passe dans une expérience donnée. On ne peut que calculer des moyennes, c’est-à-dire ce qui se passe sur un très grand nombre d’expériences. Pour un phénomène aussi simple soit-il, il n’est plus question d’interpréter avec des images de pensée. On ne peut pas dire : le photon a été ici, il est passé par là, il lui est arrivé ceci puis cela. Un objet photon supposerait à la fois la connaissance de la position et de la vitesse, ce qui n’est pas le cas. On ne sait même pas si le photon est seul ou en groupe et de combien d’unités ce paquet de photon est constitué. Pour une particule de matière, il en va de même. L’expérience des deux fentes est particulièrement révélatrice. Une particule peut passer par l’une ou l’autre des deux fentes. Il est impossible, en physique quantique, de dire par laquelle elle est passée. Ce n’est pas une limite des moyens de mesure. C’est une limite réelle. Si on fait une observation sur le passage par un trou, on modifie les résultats de l’expérience. Tout ce que donne la physique quantique, ce sont des probabilités de présence de la particule. Pire, cette physique démontre que cela suffit à calculer avec une précision inouïe des phénomènes comme l’électromagnétisme. Une interprétation plus poussée avec des images de ces phénomènes est donc inutile. Mais ce n’est vrai qu’à l’échelle matière/lumière qui n’est pas la seule échelle. Dès que l’on raisonne pour un grand nombre de particules (niveau supérieur) ou pour le vide (niveau inférieur), ce n‘est plus vrai. C’est l’interaction d’échelle, par exemple entre une particule individuelle qui pose problème pour être décrite car elle est le produit des interactions agitées avec le vide quantique. Le caractère probabiliste comme l’inégalité d’Heisenberg et autres propriétés « étranges » de la physique quantique sont interprétables par des images : les quantons virtuels du vide. Les choses fixes n’existent plus dans cette physique puisqu’elles sont des structures émergentes du vide et non des objets. Emergencies et interaction d’échelle ne signifient pas un renoncement à la causalité, un indéterminisme, mais une non-linéarité de la causalité. Ce n’est pas non plus un renoncement au matérialisme mais ne nouvelle image de la matière. La théorie du chaos déterministe démontre qu’une théorie ne renonce pas aux lois causales parce qu’elle fait appel à l’émergence de structures issues du désordre existant à l’échelon inférieur. Ce chaos obéissant à des lois, on le retrouve aussi bien au niveau macroscopique (convection, percolation, turbulence, attracteurs étranges de la tâche de Saturne, etc..) que microscopique (chaos du vide quantique), de la matière inerte que vivante (interaction chaotique de la vie et de la mort au sein de la cellule, rythmes émergents du vivant, émergence du système nerveux, du cerveau, de l’immunologie, etc…). L’émergence des structures sociales ne signifie pas qu’elles n’obéissent pas à des lois. Le renoncement à l’image d’objets fixes n’est pas le renoncement à toute image, à toute philosophie des sciences et de la société. Cette philosophie ne peut être positiviste mais, au contraire, intègre comme processus fondamentalement constructif la négation dialectique. C’est parce qu’elle est sans cesse détruite par l’agitation sous-jacente que la particule a une durée de vie. C’est parce que la cellule est sans cesse le siège du combat de la vie et de la mort qu’elle dure. Une cellule qui inhiberait ses processus d’apoptose soit mourrait immédiatement soit deviendrait cancéreuse et tuerait finalement l’organisme entier. La physique quantique comme la biologie ou la neurologie du cerveau n’ont pas tué le matérialisme et le déterminisme, mais seulement leurs versions linéaires, continues, réversibles, réductionnistes, non dynamiques, simplistes en somme.


Le débat sur le positivisme en physique quantique

En faveur du positivisme en physique quantique

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité. »
John Von Neumann

« Le vrai positivisme est obligé de nier la réalité objective du monde extérieur, ou, au moins, la possibilité d’affirmer quoi que ce soit à son sujet. »
Born

« Les électrons ne sont ni des particules ni des ondes (...) Un électron est une abstraction, qui ne peut plus être décrite par une image intuitive correspondant à notre expérience de tous les jours mais déterminé au travers de formules mathématiques. »
Margenau cité par Malcolm H. Mac Gregor (dans « L’électron énigmatique »)

« La mécanique quantique est en contradiction logique avec la causalité (...) Il n’y a pas pour le moment d’occasion de parler de causalité dans la nature, parce qu’il n’y a pas d’expérience qui indique sa présence. « 
Niels Bohr dans « Théorie atomique et description de la nature »

« Mach avait raison quand il affirmait qu’il n’y a plus de cause et d’effet dans la nature. »
Cassirer dans « Déterminisme et Indéterminisme dans la physique moderne »

Contre le positivisme en physique quantique

« Ma réponse va à l’encontre de certains courants d’opinion philosophiques auxquels l’autorité d’Ernst Mach a donné beaucoup de prestige, précisément dans les milieux scientifiques. Suivant cette opinion, il n’existe pas d’autre réalité que nos propres sensations (...). Maintenant nous avons encore à nous demander pourquoi la théorie de la connaissance de Mach a obtenu tant de succès dans le monde scientifique. Si je ne m’abuse, c’est parce qu’elle est au fond une sorte de réaction consécutive à la déception des vastes espérances conçues par la génération qui nous a précédés après lé découverte du principe de la conservation de l’énergie. (...). Le positivisme de Mach n’est que le contre coup sur la philosophie de la désillusion qui devait nécessairement succéder à la période d’enthousiasme. »
Ernst Planck dans « Initiation à la physique »

« On a voulu tirer de l’interprétation indéterministe et de la notion de complémentarité des conclusions bien fragiles et périlleuses, comme par exemple de mettre en relation les incertitudes de Heisenberg avec le libre arbitre humain. »
De Broglie (dans « Nouvelles perspectives en microphysique »)

« La preuve que cette doctrine (le positivisme) se ferme volontiers l’avenir et est une doctrine statique, c’est que son premier auteur, Auguste Comte, n’avait pas craint de fixer des limites aux possibilités de la chaîne expérimentale ; il avait considéré que jamais nous ne pourrions connaître ce qui se passe dans les étoiles. Très peu de temps après, un démenti lui fut donné par la découverte de la spectroscopie. »
Paul Langevin (dans « La pensée et l’action »)

« Je n’aime pas du tout cette tendance à la mode qui consiste à coller de façon « positiviste » aux données observables. »
Albert Einstein
Lettre à Karl Popper (septembre 1935)

« Le positivisme méthodologique choisit de construire les théories physiques (uniquement) sur les faits expérimentaux. Si elle réussit, une telle théorie est alors compatible avec tous les types de philosophie. La philosophie devient alors complètement superflue pour un physicien. (...) La majorité des physiciens dirait que peu importe comment une théorie est construite, pourvu qu’elle fonctionne, qu’elle conduise à des prévisions exactes. Cela nous conduit à la philosophie du pragmatisme développée par C. Pierce et W. James. L’idée de base du pragmatisme est que l’homme doit agir dans un monde où il ne peut y avoir de connaissance valable. (...) Ainsi le pragmatisme ne combat pas l’idéalisme. »
Franco Selleri (dans « Le grand débat de la théorie quantique »)

« A l’heure actuelle beaucoup de chercheurs subissent encore, parfois à leur insu, l’influence de la doctrine positiviste. (...) Elle tend à atténuer sinon à supprimer la notion de réalité physique objective indépendante de nos observations. »
Louis De Broglie (dans Sur les sentiers de la science)

« La plupart d’entre nous, physiciens comme non physiciens, conservons l’espoir que, correctement comprise, la physique quantique et sa base la particule élémentaire, pourront être exprimés en termes de concepts visualisables. »
Malcolm H. Mac Gregor (dans « L’électron énigmatique »)

LIRE AUSSI :

"La Physique moderne et le déterminisme", Paul Langevin

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