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Divers articles sur les luttes de classes au Tchad

vendredi 30 novembre 2018, par Abacar, Robert Paris

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LE PROBLEME N’EST NI LA FORME DE L’ETAT,
NI SES INSTITUTIONS,
MAIS LUI-MEME : SA NATURE PROFONDE, SA POLITIQUE,
LES INTERÊTS A LUI ASSIGNES, QU’IL DEFEND !

« Forum national » ou « dialogue inclusif » ? Telle était la question que beaucoup se posaient, se demandant si Idriss Déby Itno allait accepter la proposition que lui avait faite le FONAC, le Front National pour le Changement, d’organiser ensemble les discussions sur l’Etat et d’autres problèmes dans un cadre élargi dénommé « dialogue inclusif ». Mais, finalement, comme il fallait s’y attendre, celui que ses partisans appellent « le président fondateur » a balayé d’un dédaigneux revers de la main l’offre à lui faite. Il a décidé d’organiser, à partir du lundi 19 mars dernier, son forum, avec les siens et une audience triée sur le volet, sans la participation des principales organisations de son opposition politique, ni celles de la société civile. Presque donc à huis clos, pourrait-on dire !

Mais, quel qu’en soit le cadre, il y a fort à parier que, de ce type d’initiative, il ne sortira rien de bon qui puisse changer de façon notable les conditions de vie des couches opprimées. Et pour cause !

D’abord, il y a, en effet, le fait que, depuis les années 80 jusqu’aujourd’hui, l’histoire politique du pays est jalonnée de rencontres de ce genre entre les différents éléments de la classe dirigeante sans que cela n’ait en rien modifié un tant soit peu le sort des masses populaires. Même la conférence nationale, considérée par certains comme la mère de toutes les discussions par excellence, n’a essentiellement servi qu’à une recomposition du paysage politique d’alors, d’où est née la dictature actuelle, qui ne se donne même plus la peine de se cacher derrière les oripeaux pseudo démocratiques dont elle s’est drapée des années durant ! Pourquoi alors devrait-on croire qu’une autre discussion de ce genre, qui, de surcroît, se déroule sous la houlette exclusive du MPS, puisse produire un résultat contraire, prenant en compte les profondes aspirations des couches populaires aux libertés essentielles et à des conditions de vie dignes de notre époque ?

Ensuite,- c’est l’essentiel -, si les autres discussions antérieures n’ont résolu aucun des problèmes majeurs auxquels les couches populaires sont confrontées, c’est surtout parce que le vrai problème, justement, ce n’est pas la forme de l’Etat, ni ses institutions, mais lui-même !

Nos politiciens, tout bord confondu, veulent nous faire croire que l’Etat actuel, dont ils sont tous les fidèles serviteurs, présents, passés ou potentiels, serait un appareil en lévitation au-dessus des classes sociales, au service de tous les Tchadiens, sans distinction aucune, qu’ils soient riches ou pauvres. Mais, cela est un grossier mensonge ! En effet, dans l’histoire des hommes, l’Etat n’a pas toujours existé. Les sociétés primitives, où les hommes dépendaient de la nature, vivaient de chasse, de cueillette et de pêche, n’ont pas ressenti le besoin d’en avoir un sur de longues périodes historiques. L’Etat n’a émergé que longtemps plus tard, dans une période récente, à l’échelle de l’histoire : après la découverte de l’agriculture, la naissance de la propriété privée et la division de la société en classes, celle des oppresseurs, d’un côté, celle des opprimés, de l’autre. Mais, dès le début, il est apparu comme un instrument conçu pour maintenir la domination d’une classe sur une autre. C’est ainsi qu’on peut constater que, pendant la période esclavagiste, l’Etat était une machine organisée pour imposer la domination des maîtres sur les esclaves. Pendant la période féodale, il servait à imposer l’ordre des seigneurs féodaux et du clergé sur l’ensemble de la population constituée de serfs, d’artisans, de compagnons, de commerçants, etc. Quand la bourgeoisie a détruit le pouvoir de la féodalité, chassé définitivement celle-ci de la scène de l’histoire et jeté les bases du capitalisme, elle a, à son tour, imposé son Etat, un instrument destiné à défendre ses propres intérêts contre ceux de l’ensemble des masses opprimées, que sont les prolétaires et les paysans pauvres notamment. Voilà ce que nous enseigne l’évolution de l’histoire des hommes !

C’est aussi cette même histoire qui nous apprend quelles sont les origines historiques de l’Etat actuel, quelle est sa nature profonde, quels sont les intérêts qu’il défend ! Le Tchad, en tant que pays, comme l’Etat sous la férule duquel il est placé, sont, en effet, issus du morcellement du continent africain, quand, à la fin du 19e siècle, la France et l’Angleterre notamment ont, en 1885, à la conférence de Berlin, mis à l’ordre du jour la colonisation de l’Afrique. Puissances économiques les plus fortes de l’époque, grâce à la traite des Nègres pratiquée trois siècles durant auparavant, avec une économie dynamique, dominée par des trusts et de gigantesques banques, le but recherché par ces deux pays était triple : trouver des débouchés pour les marchandises de leurs bourgeoisies, des matières premières pour leurs industries, des champs d’investissement pour leurs capitaux. Ainsi, en à peine vingt ans, comme le raconte si merveilleusement l’historien Joseph Kizerbo, dans son livre culte, Histoire de l’Afrique Noire, la France et l’Angleterre se sont partagé toute l’Afrique, en dehors de l’Ethiopie et du Libéria, s’offrant, au final, de véritables empires coloniaux. Elles n’ont laissé que des miettes à l’Allemagne, à la Belgique, à l’Espagne et au Portugal, pays impérialistes de seconde zone, qui s’étaient lancés aussi derrière elles pour avoir leur part dans cette vaste entreprise de rapine.

C’est dans ce contexte de dépeçage du continent africain qu’est né le Tchad, construction artificielle, faite de toutes pièces, en fonction des intérêts du colonialisme français. C’est de là également que tire ses origines l’Etat actuel ! L’acte de naissance du pays est le 22 avril 1900. Placé d’abord sous un régime militaire, ce n’est qu’en 1938 que celui-ci a été mis sous l’autorité d’un gouverneur civil, Félix Eboué, un français d’origine guyanaise.

Mais, quel que soit le régime en vigueur, militaire ou civil, l’ordre imposé était à tout point de vue dictatorial. Les populations autochtones n’y avaient aucun droit ! Pour gouverner, l’administration coloniale, qui symbolisait l’Etat de l’époque, s’appuyait sur les chefs traditionnels, ralliés à son système et réduits au rang d’agents subalternes de ce dernier. Certains de ceux-ci étaient même des pures créatures de l’Etat colonial. Devenus des larbins au service de ce dernier, les chefs avaient pour mission d’appliquer ses directives, servant ainsi de courroie de transmission entre lui et les populations : ils encadraient celles-ci, levaient les impôts, rendaient la justice, jouaient le rôle de délateurs et organisaient aussi les travaux forcés auxquels étaient astreintes les populations désignées par eux et utilisées comme une main d’oeuvre gratuite.

Quoiqu’intégré dans l’empire colonial placé sous l’autorité de l’Etat français, comme dans la plupart des colonies, le régime en vigueur au Tchad reposait sur une division de la population entre colonisateurs et colonisés : il y avait, d’un côté, des citoyens français et, de l’autre, des sujets, appelés couramment indigènes. Constituant la majorité de la population, ceux-ci n’avaient aucun droit, mais, des devoirs. Tous les indigènes adultes devaient participer aux travaux forcés obligatoires. Pour aller d’un coin à un autre, ils devaient demander un laisser-passer, exactement comme en Afrique du sud sous l’apartheid. Ils n’avaient, évidemment, aucune liberté, ni de réunion, ni de presse, ni syndicale. Même la culture du coton, introduite en 1925, était imposée : c’était souvent sous la chicotte que les paysans étaient contraints de cultiver ce produit dont avait besoin l’industrie française, au détriment des cultures vivrières nécessaires à leur subsistance. Par bien d’aspects, l’Etat colonial en vigueur était donc dictatorial, mais aussi ségrégationniste, une sorte d’apartheid local qui refusait de dire son nom.

Cette situation a duré jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, de 39-45, au cours de laquelle elle s’est même aggravée. Mais, quand a pris fin cette boucherie que les différentes puissances impérialistes avaient imposée au monde entier, juste pour le partage des marchés, a émergé un phénomène nouveau et puissant : la naissance du nationalisme des peuples colonisés et semi-colonisés, qui a ébranlé les empires coloniaux notamment, exprimant ainsi une colère profonde des populations contre leur sort d’opprimés, maltraités, méprisés, dominés dans leurs propres pays. Déclenché en Asie et au Moyen Orient, ce fort mouvement international de contestation et de révoltes, porté par le désir des colonisés de s’émanciper, a eu aussi de larges échos et de profondes répercussions sur le continent africain, sous forme de grèves, d’émeutes, de révoltes et d’insurrections : en Algérie, en 1945, à Madagascar, en 1947, au Cameroun avec l’UPC, l’Union des Populations du Cameroun, qui revendiquait déjà l’indépendance en 1948, etc... Dans tout le continent, les combats politiques d’alors s’accompagnaient généralement de grandes luttes sociales initiées et dirigées par des syndicats, comme, par exemple, la grève des cheminots du Dakar-Bamako en 1947, immortalisée par Sembène Ousmane dans son roman Les Bouts de Bois de Dieu. Souvent, les deux formes de luttes, politiques et syndicales, se combinaient, se nourrissaient les unes les autres. Ainsi beaucoup de dirigeants politiques sont-ils nés du mouvement syndical : Sékou Touré, en Guinée, Ruben Um Nyobé, au Cameroun, Houphouët Boigny, à la tête du syndicat des planteurs en Côte d’Ivoire, François Tombalbaye, au Tchad, Djibo Bakary, au Niger, etc...

C’est ainsi que, pour désamorcer la colère populaire afin de continuer à avoir sa mainmise sur ses colonies, de 1945 à 1958, l’impérialisme français a initié un certain nombre de réformes dans ses territoires africains. Juste à la fin de la guerre, il a accepté la formation d’une Assemblée constituante, avec un double collège, où n’étaient autorisés à voter que « les notables évolués ». Par contre, des élections, étaient exclus les paysans pauvres, les ouvriers, les femmes des milieux populaires et leurs enfants. L’indigénat a été aussi supprimé et remplacé par le code civil français : les « indigènes » sont devenus des citoyens de « Union française ». Le travail forcé a été aussi aboli, les libertés d’association, de réunion et d’expression, accordées. C’est dans ce contexte que sont nés les premières organisations politiques, symbolisés notamment par le RDA, le Rassemblement Démocratique Africain, créé en 1947, à Bamako, et ses différentes sections nationales, comme le PPT, le Parti Progressiste Tchadien. De nombreux syndicats libres aussi ont vu le jour. Le point culminant de toutes ces réformes a été la « loi-cadre », concoctée en 1956, par Gaston Defferre, alors à la tête du ministère de la France d’Outre-mer : elle a décidé d’instituer le suffrage universel, de mettre fin au double collège, de créer des exécutifs locaux, qui offriraient d’importantes responsabilités aux élites africaines.

Le but de toutes ces réformes était d’associer de plus en plus les notables africains à la gestion des affaires pour, d’une part, endiguer la colère populaire, et, d’autre part, le moment venu, mettre à la tête des différentes colonies des valets locaux qui auraient pour rôle de continuer à défendre les intérêts de l’impérialisme français sous de nouvelles formes. Le Cameroun a été le laboratoire où la France a échafaudé et poussé cette politique jusqu’à ses ultimes conséquences : après avoir écarté l’UPC de la scène politique en le détruisant militairement, elle a hissé au pouvoir un pantin local, en la personne d’Ahmadou Ahidjo, à qui elle a fait porter les revendications du mouvement insurrectionnel -, la souveraineté nationale et la réunification du pays -, mais vidées de leur contenu nationaliste, dans la perspective d’une indépendance de façade, accordée le 1er janvier 1960, qui renforçait plutôt la mainmise de l’impérialisme français sur le pays dans tous les domaines, économiques, politiques, militaires, diplomatiques notamment ! Cette expérience a été, ensuite, généralisée et appliquée dans toutes les colonies françaises qui allaient accéder à l’indépendance, les unes après les autres, tout au long de l’année 1960, jetant ainsi les bases de ce qu’on appelle de nos jours « la françafrique ».

Maillon important du dispositif colonial français en Afrique, le Tchad a, lui aussi, suivi la même trajectoire politique qui a, finalement, abouti à l’Etat actuel. En effet, dès la fin de la guerre, le pays a été également le berceau d’un nationalisme militant qui s’exprimait contre les aspects les plus répugnants de l’ordre colonial. Contrainte, ici aussi, l’administration française a donc initié un certain nombre de réformes, comme la fin des travaux forcés, la liberté d’association, d’expression, de réunion, etc. De 1947 à 1952, ont été ainsi créés plusieurs partis politiques : le PPT RDA, le Parti Progressiste Tchadien, section locale du Rassemblement Démocratique Africain, l’UDT, l’Union des Démocrates Tchadiens, le PSI, Parti Socialiste Indépendant, l’AST, l’Action Socialiste Tchadienne, le MSA, le Mouvement Socialiste Africain, l’UNT, l’Union Nationale Tchadienne, etc. Des syndicats ont également vu le jour, de 1947 à 49, notamment dans le bâtiment, le commerce, chez les employés ou les gens de maison. En 1956, « la loi-cadre » de Gaston Defferre a également offert aux élites locales l’opportunité d’être associées à la gestion des affaires et intégrées dans l’ordre social en vigueur comme députés, maires, conseillers, fonctionnaires, cadres de l’armée, de la police, etc. De quelque bord qu’ils soient, tous ces notables aspiraient à offrir leur service pour être les larbins de l’impérialisme français, y compris le PPT RDA, suivant l’exemple d’Houphouët Boigny qui, en 1950, avait changé de veste et fait le choix de défendre les intérêts de la France coloniale : lors des élections de 1958, ils ont tous voté « Oui » pour la communauté française. Seule l’UNT, une jeune organisation créée par Ibrahim Abatcha et Mamat Aba, a fait le choix contraire, en votant « Non ».

C’est ainsi que, à l’instar de ce qui s’était passé au Cameroun, le 11 août 1960, les dirigeants du PPT RDA, sous l’égide de François Tombalbaye, devenu premier président du pays, ont été portés au pouvoir à la tête d’un Etat conçu par l’impérialisme français pour défendre ses intérêts et ceux de ses valets locaux. Ce choix n’était pas fortuit, cependant ! Avant la volte-face d’Houphouët Boïgny, des années durant, le PPT RDA avait, en effet, mené un véritable combat contre les exactions et les abus de l’administration coloniale, comme, par exemple, les travaux forcés. Nombre de ses militants avaient été persécutés, emprisonnés. Aussi, ce combat avait-t-il permis à cette organisation de gagner la sympathie des masses populaires sur toute l’étendue du territoire : à l’orée de l’indépendance, c’était le seul parti qui ait une véritable assise nationale, mais aussi des militants aguerris, formés dans les années antérieures des luttes anticolonialistes. Par conséquent, ce n’est pas surprenant que l’impérialisme français ait puisé, en son sein, les politiciens dont ils avaient besoin pour continuer à maintenir sa domination sur le pays, sous de nouvelles formes, dans le cadre d’une indépendance factice, parce que c’était la seule organisation capable d’assurer cet ordre-là.

Voilà donc comment est né l’Etat actuel : dès ses origines, c’est un instrument conçu par la France, qu’elle a ensuite légué à la classe dirigeante locale afin de continuer l’œuvre de domination et d’exploitation du pays, au profit de ses trusts, ceux de la bourgeoisie mondiale et de leurs différents larbins nationaux ! Telle est donc sa nature profonde ! Telle est sa politique ! Tels sont les intérêts à lui assignés, qu’il défend ! C’est cela qui explique le fait que, de sa naissance jusqu’aujourd’hui, les masses populaires n’ont jamais participé aux différents changements opérés au sein de cet Etat. De Tombalbaye à Idriss Déby Itno, en passant par Maloum, Goukouni, Habré, c’est l’impérialisme français qui en a pris l’initiative, changeant, tels des pions sur un échiquier, les hommes et les régimes, en fonction de ses intérêts du moment. Mais, quels que soient ces changements et les larbins locaux chargés de les incarner, - civils, militaires, pseudo révolutionnaires, parti unique, multipartisme -, derrière eux, se terre toujours le même Etat, dont, au fil du temps, les métamorphoses n’ont pas altéré la nature profondément dictatoriale, comme on le voit de nos jours avec le règne du MPS.

Sous le règne de la bourgeoisie, lorsqu’on veut apprécier les rapports entre les populations d’un pays et les institutions en vigueur, ce qui compte, ce n’est pas tant la forme de l’Etat ou ses institutions que les intérêts de classe qu’il défend. En effet, l’Etat bourgeois peut prendre plusieurs formes : il peut être unitaire, comme en France, au Tchad, fédéral, comme aux Etats-Unis, au Nigéria, ou à caractère féodal, comme en Arabie saoudite ou au Maroc. Mais, quelle que soit la forme qu’il prend, il est partout un instrument au service de la bourgeoisie, de cette minorité de riches, tant nationale que mondiale, dont il défend les intérêts. C’est cela qui fait que, partout également, y compris dans les pays riches, cet Etat-là est une dictature pour les masses opprimées, car ni la voix, ni les intérêts de celles-ci ne sont pris en compte dans les sphères où se décident les choix essentiels qui conditionnent la vie de la cité.

C’est cela donc qui explique pourquoi, de Tombalbaye jusqu’aujourd’hui, c’est cet Etat qui, malgré les changements d’hommes et de régimes, est le principal organisateur de la société actuelle, un monde profondément inégalitaire, injuste, où une petite minorité de bourgeois, parasites, et les trusts, dont ils sont les valets locaux, exploitent, pillent, à ciel ouvert, les ressources tant humaines que naturelles du pays et condamnent l’écrasante majorité de la population à la misère, aux maladies, que l’on peut souvent soigner rien qu’avec de l’eau potable ! Voilà qui explique aussi pourquoi les responsables de l’administration de cet Etat, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets, les chefs traditionnels, se comportent exactement comme les fameux « Dieux de brousse » de naguère sous l’ère coloniale, en vivant sur le dos des populations comme des sangsues, leur faisant subir divers abus et exactions, en toute impunité ! Voilà qui explique également pourquoi la justice de cet Etat est discriminatoire : elle protège les plus riches, les nantis, y compris les voleurs, que tout le monde connaît, dont même Idriss Déby Itno lui-même parle, mais elle est féroce envers les pauvres et leurs enfants, que l’on exhibe à la télévision comme un butin de guerre contre l’insécurité, même s’ils volent un pain tout simplement parce qu’ils ont faim ! Voilà qui explique, enfin, pourquoi, pour maintenir cet ordre inique, cet Etat est et a toujours été une horrible dictature, dont l’armée -, formée initialement autour des tirailleurs ayant participé à la guerre d’Indochine ou de l’Algérie pour le compte de l’impérialisme français -, mais aussi la police et autres appareils de répression sont responsables des nombreux massacres, crimes, meurtres, assassinats, emprisonnements arbitraires, qui émaillent l’histoire politique du pays, comme, par exemple, les 40 000 morts perpétrés rien que sous le pouvoir d’Hissein Habré, sans oublier ceux commis sous les quinze ans de la dictature de Tombalbaye ou les bientôt vingt-huit ans de celle du MPS !

Tout cela démontre à suffisance que le forum actuel sur la forme de l’Etat et ses institutions ressemble fort bien à une opération de diversion ! Ne posant pas la question des intérêts de classe que l’Etat défend, il a toutes les allures d’une habile manœuvre qui cherche à couvrir la dictature de nouvelles parures sans en changer la nature profonde. Par conséquent, les travailleurs et l’ensemble des opprimés ne devraient pas se laisser illusionner par ce qui s’y passe. Car, quels que soient les résolutions qui auront été prises et le toilettage dont l’Etat aura été l’objet, cela ne modifiera en rien sa nature profonde. Les riches continueront à piller, à s’enrichir de plus en plus. Par contre, pour les masses populaires, ce sera toujours la misère, les maladies, les privations de toutes sortes et, au-dessus de tout cela, le talon de fer de la dictature ! Dans ces conditions, si celles-ci veulent accéder à de meilleures conditions de vie, dignes de notre époque, mais aussi aux libertés essentielles, elles n’ont pas d’autre choix que de se mobiliser, de se battre pour leurs propres intérêts, comme viennent de le faire les travailleurs en grève, qui ont obligé le pouvoir à reculer. Par ailleurs, le jour où les masses populaires auront l’ambition se débarrasser définitivement de l’exploitation, de la misère et de la dictature, elles devront agir comme l’a fait la bourgeoisie elle-même contre le pouvoir féodal, quand, révolutionnaire, elle voulait transformer le monde en fonction de ses intérêts : il leur faudra alors en finir avec cet Etat-là, détruire son armée, sa police, son administration, sa justice, exproprier les riches, dans le but d’imposer un pouvoir qui leur soit propre, fondé sur la mise en commun des richesses, la démocratie la plus large qui soit, avec autant de partis, de syndicats, d’associations qu’on voudra, dont le moteur ne sera plus la loi de l’argent, mais, la satisfaction des besoins collectifs de tous ! Car, telle est la logique implacable de l’évolution de l’histoire des hommes à l’ère de la domination du monde par le capitalisme.

NI LA PESTE DES UNS, NI LE CHOLERA DES AUTRES !
LIBERONS-NOUS NOUS-MÊMES PAR NOS PROPRES LUTTES !

A part la grève des agents de la fonction publique, qui vient d’être reconduite de façon illimitée, deux autres faits caractérisent la situation politique du pays : d’un côté, les prochaines élections législatives et communales que le pouvoir cherche à organiser et, de l’autre, les bruits de bottes et autres fracas d’armes dans le septentrional, où les troupes d’un mouvement armé appelé CCMSR (Conseil de Commandement Militaire pour le Salut de la République) ont maille à partir avec les forces gouvernementales.

Dans le contexte actuel, marqué par la faillite de l’Etat, il est difficile de parier que les élections auront affectivement lieu. Quémandant auprès de ceux que le jargon gouvernemental désigne comme des « partenaires financiers », tel un mendiant en quête de charité, Idriss Déby Itno a, certes, fait appel à leur bonne volonté pour l’aider à organiser ces élections. Mais, pour l’heure, rien n’indique que celles-ci se tiendront. Cependant, depuis leur annonce, on assiste déjà à un branle bas des partis politiques, tant de la mouvance présidentielle que de l’opposition, qui fourbissent leurs armes pour en découdre, du moins en apparence, mais surtout pour nous faire des promesses mensongères, qui ne seront jamais tenues, et nous vendre, à moindre frais, des rêves sans lendemain !

Comme l’ont montré les expériences passées, même si ses « partenaires financiers » viennent au secours d’Idriss Déby Itno et l’aident à organiser les élections, cela ne changera rien dans les conditions de vie des masses populaires ! Car, ce type d’élections, le pays en a connu, de toutes sortes, depuis vingt-huit ans que dure le régime actuel. Mais, à quoi ont-elles servi ? Ont-elles contribué à améliorer un tant soit peu les conditions de vie de la majorité pauvre du pays ? Aucunement pas ! Bien au contraire, celles-ci n’ont pas cessé de se dégrader de plus en plus, pour en arriver à la situation actuelle marquée par une généralisation de la misère et des maladies, alors que la société n’a jamais été aussi riche qu’aujourd’hui !

Par ailleurs, toutes tes élections antérieures ont été utilisées comme un alibi, une aubaine, par les tenants du pouvoir pour légitimer leur dictature au moyen de fraudes, des bourrages des urnes, de falsifications des résultats ou, au besoin, l’usage de la force brutale de l’armée, comme lors des présidentielles de 2016. Par conséquent, si elles se tiennent, les prochaines élections serviront essentiellement à renforcer politiquement le régime actuel, à consolider les bases des nouvelles institutions nées de l’imposture de la 4e république, qu’Idriss Déby Itno s’est offertes dans le but d’abuser l’opinion en prétendant faire du neuf avec du vieux : la même politique qu’il applique depuis vingt-huit ans, avec pratiquement les mêmes gens, qu’il traite lui-même de voleurs, le tout sous un nouvel habillage institutionnel ! Elles permettront ainsi, une fois de plus, aux responsables du MPS de continuer à avoir leur mainmise sur l’Etat et ses différentes structures, plus les avantages sociaux qui vont avec : salaires mirobolants, détournements, pillages, des fonds publics, commissions illicites, surfacturations des marchés publics, etc.

Parallèlement, ces élections offriront également aux politiciens de l’opposition l’opportunité de conserver leurs postes de députés, de maires, de conseillers, de membres de diverses commissions ou d’accéder à ces responsabilités. Grâce à des marchandages, des tractations, y compris avec les responsables du MPS, ils feront des pieds et des mains pour avoir ces statuts qui, autant que les politiciens du pouvoir, feront d’eux les membres du cercle restreint des privilégiés de l’ordre social actuel, comme l’illustre déjà le train de vie de certains d’entre eux. Le pitoyable spectacle auquel ils se sont livrés devant Idriss Déby Itno, lors des discussions sur la composition du CNDP (Cadre National du Dialogue Politique), comme les dissensions qui les opposent les uns aux autres, depuis lors, nous offrent un avant-goût des manœuvres occultes, des coups bas et autres arrangements qu’ils commettront juste pour préserver leur chance de faire partie des notables et autres valets de l’impérialisme français.

Enfin, au-dessus de tous ces politiciens, marionnettes du théâtre politique local, les principaux bénéficiaires des prochaines élections seront les représentants de la bourgeoisie mondiale, les trusts et autres institutions internationales, qui les financeront. Pour continuer à avoir leur mainmise sur l’économie du pays, comme hier, ceux-ci fermeront les yeux sur les les fraudes et autres forfaitures dont se servira le MPS pour gagner, parce que, pour eux, peu importe que la dictature se renforce, qu’elle impose la misère à la majorité pauvre du pays : l’essentiel est qu’Idriss Déby Itno maintienne l’ordre dont ils ont besoin, sous le talon de fer de son pouvoir, afin que les affaires marchent, que leurs profits augmentent, qu’ils s’enrichissent de plus en plus, moyennant quelques miettes qu’ils laissent au passage à notre classe politique !

Par contre, ceux dont les conditions de vie ne changeront pas du tout, à coup sûr, quels que soient les résultats des élections à venir, sont les travailleurs et l’ensemble des opprimés du pays. Pour ces derniers, ce sera toujours la misère, les maladies, les privations de toutes sortes et la chape de plomb de la dictature étouffant jusqu’aux libertés les plus élémentaires ! Comme les élections antérieures qui n’ont servi qu’à renforcer le pouvoir et à enrichir une minorité de parasites aux dépens des masses opprimées, celles de demain en feront de même ! Voilà pourquoi nous n’avons aucune raison d’en attendre quoi que ce soit de bon, car, même si elles se tiennent, elles ne mettront pas fin à la spirale de la dégradation constante de nos conditions de vie, mais serviront plutôt à les aggraver !

Nous aurions tort également d’avoir des illusions par rapport aux combats que mènent les troupes du CCMSR dans le nord du pays. D’abord, contrairement à ce que certains racontent, allant jusqu’à parer ce mouvement armé d’intentions qui ne sont même pas les siennes, l’irruption de celui-ci sur la scène politique n’est pas quelque chose d’inédit dans l’histoire du pays : il y a longtemps que celui-ci est transformé en une arène où s’affrontent une multitude de bandes armées ! Les bruits de bottes sont devenus des faits coutumiers dans notre paysage politique. Ensuite, les attaques menées par les troupes de cette organisation militaire contre celles du pouvoir n’annoncent pas forcément des lendemains meilleurs, comme le laissent croire quelques illusions suscitées ici et là !

Certes, nul ne peut jeter la pierre à quiconque qui se bat contre la dictature de N’Djaména, quels que soient les moyens qu’il utilise, y compris des armes ! Cependant, notre histoire récente, qui devrait nous servir d’école, a plusieurs fois démontré que les armes, elles seules, aussi importantes soient-elles, ne suffisent pas à tracer le chemin qui conduit vers un avenir meilleur pour les masses opprimées !

En effet, il n’y a pas longtemps, par vagues successives, beaucoup d’entre nous se sont engagés, les armes à la main, derrière des chefs de guerre, des politiciens démagogues et autres charlatans. Cependant, qu’en a-t-i il résulté ? Leur engagement derrière des dirigeants ne représentant pas leurs intérêts, a-t-il servi à entraîner des changement notables au profit des couches populaires ? Leurs sacrifices, souvent énormes, parfois au prix de leurs vies, ont-ils servi à améliorer les conditions de vie de celles-ci, à leur permettre d’accéder aux libertés essentielles ? Aucunement pas ! Les différents responsables, les Goukouny, les Habré, les Kamougué, les Déby, etc, derrière lesquels ils s’étaient battus se sont juste servis d’eux comme chair à canon ou marchepieds pour accéder au pouvoir afin de jouir de ses avantages, tout en nous imposant, chacun à sa manière, les différentes dictatures qui se sont succédé les unes aux autres jusqu’à celle d’aujourd’hui ! Quelle garantie avons-nous alors pour que les dirigeants du CCMSR ne fassent pas la même chose ? Aucune !

Ceux qui se font des illusions par rapport aux bandes armées en général prétendent que c’est par les armes seules qu’on pourrait en finir avec le régime actuel. Mais là n’est pas le problème, parce que les armes ne sont qu’un moyen : elles ne déterminent pas une politique ! La question essentielle n’est pas de prendre des armes, mais plutôt quelles sont les mains qui les tiennent ! Prendre des armes ? Oui, mais, pour quelle politique ? Quels objectifs ? Or, à ces questions-là, les dirigeants du CCMSR ont, eux-mêmes, répondu d’une façon claire, sans ambiguïté : en effet, juste après leurs premières attaques contre les troupes gouvernementales, ils ont lancé un appel aux officiers de l’armée d’Idriss Déby Itno, les appelant à se joindre à eux. Ensuite, dans une autre déclaration, ils ont offert leur service à l’impérialisme français, à qui ils ont fait allégeance. C’est tout un programme, qui montre exactement leur politique et l’objectif ! Ce qu’ils visent, en réalité, c’est juste un remake de ce qu’Idriss Déby Itno a fait il y a vingt-huit ans avec Hissein Habré : remplacer le dictateur en place avec l’aide de l ’impérialisme français pour faire la même politique que lui !

Par conséquent, quelle que soit l’issue des prochaines élections, - si elles se tiennent-, ou des bruits de bottes dans le septentrional, nous n’avons rien à en attendre ! Nous n’avons aucun intérêt à avoir des illusions sur les luttes que se mènent Idris Déby Itno et les dirigeants de son opposition, parlementaire ou armée ! Rigoureusement, anciens sous-fifres de la dictature d’Hissein Habré ou du pouvoir actuel, ils défendent tous les mêmes intérêts, ceux des riches, des bourgeois et privilégiés tchadiens et, au-dessus de ces derniers, ceux de l’impérialisme français. Le fait que les uns sont à ta tête du régime dictatorial, alors que les autres dirigent une opposition contre celui-ci , ne doit pas nous tromper : ils n’ont cure des aspirations des masses à une vie meilleure. On le voit non seulement dans la politique d’austérité que nous impose le pouvoir, mais aussi dans l’attitude de ses opposants : ils regardent en spectateurs les luttes que mènent les travailleurs et d’autres opprimés contre Idriss Déby Itno et ses partisans.

En effet, si, au moment où grondent des multiples colères dans le pays, avec comme point culminant la grève des fonctionnaires contre la politique d’austérité du gouvernement, qui étrangle des pans entiers des couches populaires, nos opposants, toutes tendances confondues, ne manifestent aucune solidarité envers ces luttes, préfèrent se focaliser sur des élections, dont on sait qu’elles ne résoudront aucun problème, ou cherchent des arrangements avec les officiers de l’armée et font des yeux doux à l’impérialisme français, ce comportement n’a rien de fortuit : il s’agit plutôt d’un choix politique, significatif du fait que, même s’ils prétendent combattre Déby, ils ont, eux aussi, du mépris à l’égard des aspirations des masses opprimées et une peur bleue de la colère populaire, autant que le MPS, le parti de la dictature. Quoiqu’ils parlent abondamment du « peuple », qu’ils s’autoproclament même « direction » de celui-ci, au point, pour certains d’entre eux, de prendre les armes en son nom, en réalité, ils craignent tous notre exaspération et nos luttes. Ils ne veulent et ne voudront jamais que nous, les travailleurs et les couches opprimées, prenions notre destin en main, dirigions nous-mêmes nos propres combats et imposions les changements nécessaires conformes à nos intérêts ! La seule chose qui les intéresse, c’est le pouvoir, dans le but de jouir des prérogatives qu’il confère, tout en veillant sur l’ordre social actuel fondé sur l’exploitation des masses laborieuses. Certains d’entre eux, notamment les principaux, l’ont déjà largement démontré par le passé.

Aussi le combat actuel entre Idriss Déby Itno et son opposition, armée ou parlementaire, n’est-il pas le nôtre ! C’est un combat entre les enfants d’une même famille, celle des politiciens bourgeois du pays qui se disputent le pouvoir. Quelle qu’en soit l’issue, que, demain, certains de ces politiciens remplacent d’autres ou qu’ils s’entendent pour se partager les responsabilités à la tête de l’Etat, pour nous, rien de fondamental ne changera. Il n’y aura ni amélioration de nos conditions de vie, ni plus de liberté qu’avant : ce sera toujours la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes abus et exactions, la même dictature, mais aussi, en plus, la menace des guerres ethniques, fratricides, et le fossé de sang permanent, dont nous sommes et resterons les principales victimes, quelles que soient notre région, notre religion ou notre culture. Les vingt-huit ans de règne du MPS, consécutifs au coup de force militaire du 1er décembre 1990, le prouvent amplement : un dictateur est tombé, mais un autre a pris sa place pour continuer la même politique !

Nous ne devrions donc avoir des illusions pour personne. Nous n’avons besoin ni de la peste des uns, ni du choléra des autres ! Pour l’amélioration de nos conditions de vie et l’accession aux libertés essentielles, nous ne pouvons que compter sur nous-mêmes et sur nos propres luttes !

Seule la perspective d’une riposte collective, d’un mouvement d’ensemble de toutes les organisations syndicales, mais aussi des différentes associations de la société civile pourrait nous donner les moyens d’imposer au pouvoir nos propres revendications communes, sociales et politiques. Plus que jamais donc, il est vital que nous profitions des circonstances actuelles pour intervenir dans les événements afin de défendre collectivement notre droit à la vie. Quelles que soient nos organisations syndicales, politiques, associatives, notre ethnie, notre région, notre religion, il est d’une nécessité vitale que nous nous unissions pour faire valoir nos intérêts ! Indépendamment de nos chapelles syndicales ou origines culturelles, nous constituons une classe à part, parce que nous subissons la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, la même dictature. Par-delà nos diversités ethniques ou religieuses, nous avons donc les mêmes intérêts, diamétralement opposés à ceux des bourgeois et privilégiés du pays, dont ceux de notre propre région et confession, qui vivent, eux aussi, sur notre dos et de notre sang, comme des parasites. Aussi devrions-nous nous défendre collectivement, ne faire confiance qu’en nos propres combats, en nous rassemblant sur la bases de nos intérêts spécifiques.

Par ailleurs, notre mobilisation pour défendre collectivement notre droit à la vie est également le seul moyen de garantir les intérêts de l’avenir ! En effet, ce faisant, nous exprimerons notre défiance vis-à-vis des dirigeants du MPS, bien sûr, mais aussi de leurs opposants, quels qu’ils soient. Par notre mobilisation, nous ferons reculer la dictature, mais nous signifierons également aux politiciens de l’opposition, toutes tendances confondues, que nous ne leur faisons pas confiance non plus. Ce sera notre façon de dire aux uns et aux autres que n’attendons rien d’eux, que nous avons marre des souffrances qu’ils nous font endurer des années durant ; nous avons marre d’être pris en otages par leurs bandes armées, aussi bien celles dites officielles, gouvernementales, que les autres ; nous avons marre de voir nos enfants, nos frères, nos sœurs, nos époux, nos filles se sacrifier, mourir inutilement derrière des politiciens de leur engeance, en mal de gloriole, qui exploitent notre colère et notre aspiration à un monde meilleur uniquement pour leur réussite personnelle ! Mieux, en nous emparant de la perspective du « tous ensemble », en la transformant une vaste et profonde mobilisation populaire de taille à faire reculer la dictature et le patronat, nous signifierons clairement à Idriss Déby Itno et ses opposants que, dorénavant, nous ne laisserons personne décider de notre sort à notre place : puisque le capitalisme, dont ils sont tous les serviteurs, ne nous offre pas d’autre choix que de nous battre pour la moindre amélioration de nos conditions de vie, eh bien, nous nous battrons, mais ce sera pour nous-mêmes, pour nos familles, nos enfants ; nous nous prendrons nous-mêmes en charge et imposerons, par nos propres luttes, les changements que nous jugeons nécessaires, dignes de nos attentes et aspirations, tant sur le plan démocratique que social.

Notre émancipation de l’exploitation, de la servitude, de la misère et de la dictature sera notre propre œuvre ou ne sera pas ! Alors, travailleurs et opprimés, de toutes les régions, de toutes les religions, de toutes les ethnies, unissons-nous pour nous libérer nous-mêmes par nos propres luttes !

ADRESSE AUX TRAVAILLEURS,
TANT DU PUBLIC QUE DU PRIVE, ET
A L’ENSEMBLE DES OPPRIMES !

La crise sociale dans laquelle le pays s’enfonce depuis des mois est surtout la conséquence de la volonté du pouvoir, décidé qu’il est à imposer sa politique d’austérité. Malgré la paralysie de l’administration, la dégradation des conditions de vie des agents de l’Etat et, au-delà de ceux-ci, de celles des masses opprimées, Idriss Déby et ses partisans tiennent coûte que coûte à appliquer les mesures prises contre le monde du travail, quitte, finalement, à précariser toute la société. Dans un communiqué pondu, il y a peu, pour réfuter les affirmations d’Amnesty international, selon lesquelles cette politique a de désastreuses répercussions sur la vie des populations, le pouvoir a, en effet, clairement signifié qu’il n’y reviendrait pas, qu’il la maintiendrait jusqu’au bout : « Les mesures d’austérité prises (…) sont appréciées par les partenaires financiers internationaux (…). Rien ne détournera le gouvernement tchadien des réformes, somme toute, salutaires enclenchées (…) », a déclaré la porte-parole du gouvernement. En clair donc, peu importe que les couches populaires crèvent de faim, de maladies, en bavent ! L’essentiel est que la bourgeoisie mondiale et ses larbins locaux trinquent et se gavent !

Aussi, face à la détermination du pouvoir, les agents de la fonction publique en lutte ont-ils toutes les raisons du monde de maintenir la grève, voire de la développer, comme ils l’ont affirmé lors de l’assemblée générale du 1er août dernier, à la bourse du travail. Devant le mépris qu’affiche Idriss Déby Itno face à leurs revendications, ils n’ont pas pas d’autre choix que de se battre pour le contraindre à retirer ses mesures !

Mais, pour ce faire, il serait vital d’évaluer la situation actuelle est d’en tirer toutes les conséquences ! Comme le pouvoir affiche sa détermination à continuer ses attaques, la première des choses à faire, c’est que plate-forme se retire du cadre du dialogue social, car la trompette des négociations que le gouvernement ne cesse d’emboucher, tout en chantant les vertus du dialogue, est un piège, un leurre ! Ce qu’Idriss Déby Itno et ses différents serviteurs proposent, en réalité, c’est une concertation en trompe l’oeil, de l’affichage : ils font semblant d’écouter, mais appliquent ce qu’ils veulent. C’est ce que démontrent d’ailleurs toutes les expériences de discussions antérieures, notamment la dernière du 14 mars passé, qui a vu Idriss Déby Itno lui-même apposer sa signature sur l’accord trouvé entre son cabinet et la plate-forme et s’en porter le garant. Mais qu’a-t-il fait après ? A-t-il respecté cet accord ? N’est-ce pas que, quelque temps après, toute honte bue, reniant sa propre parole, il l’a foulé aux pieds pour continuer à couper les primes et les indemnité des agents de la fonction publique ? Il convient de rappeler également que ces mêmes primes et indemnités que le pouvoir a décidé de supprimer sont, elles aussi, le résultat de longues années de dialogues, conclus par des accords. Mais, qu’a fait également Idriss Déby Itno de ces derniers ? Quand il en a eu envie, il les a balayés d’un revers dédaigneux de la main ! Alors qu’est-ce qui garantit qu’un autre dialogue, suivi d’un autre accord, sera respecté cette fois-ci ? Rien !

Derrière l’hypocrisie et la duplicité du pouvoir, il y a surtout le fait que les limites de ce genre de dialogue découlent de la politique et de la nature même de l’Eat, un instrument imposé par l’impérialisme français, confié à ses valets locaux, afin de défendre les intérêts de la bourgeoisie mondiale et ceux des privilégiés locaux, diamétralement opposés à ceux des travailleurs et de l’ensemble des opprimés du pays ! Toute la politique qu’applique Idriss Déby Itno, depuis les périodes fastes des revenus pétroliers jusqu’aujourd’hui, le prouve amplement. On le voit bien dans ce paradoxe ahurissant : hier, en effet, quand coulait à flot l’argent du pétrole, celui-ci n’a servi qu’à enrichir essentiellement les trusts qui, aux passage, ont laissé des miettes, qu’Idriss Déby Itno a utilisées pour faire la promotion d’une bourgeoisie locale, née de ses multiples liens avec son pouvoir. Nous, les travailleurs et l’ensemble des opprimés, n’avons pas eu grand-chose de ce partage, pour ne pas dire rien ! Mais dès l’éclatement de la crise actuelle, ce n’est pas dans les coffres-forts des trusts et des privilégiés locaux, qu’ils ont enrichis, que les dirigeants du MPS sont allés chercher les moyens de juguler les conséquences du fonctionnement irrationnel du système capitaliste dont ils sont les serviteurs. Ils se sont attaqués plutôt aux plus pauvres, à nous, en supprimant nos primes et indemnités, créant ainsi une situation de précarité générale dont les principales victimes sont les masses opprimées.

S’il en est ainsi, il ne s’agit donc pas d’un hasard, ni de quelque chose ayant trait aux caractéristiques personnelles d’Idriss Déby Itno ! La personnalité de celui-ci, un valet porté au pouvoir par l’impérialisme français, importe peu dans ce domaine. S’il décide de s’attaquer aux plus pauvres d’entre nous et de ne demander aucun sacrifice aux trusts et autres larbins locaux de ceux-ci, il le fait en toute conscience : c’est un choix, politique et social, conforme à son rôle et sa nature de serviteur de la bourgeoisie mondiale, qu’ils assume allégrement, par ailleurs ! Car, il s’agit d’une politique de classe, conçue essentiellement pour défendre les intérêts des riches ! Elle est le pendant, l’expression locale, d’une attaque en règle que mène, à l’échelle de la planète, la bourgeoisie mondiale contre les travailleurs et les opprimés en général, à travers ses institutions comme le FMI, mais aussi ses banques, ses Etats, quels qu’ils soient, qu’elle contrôle.

Par conséquent, c’est une illusion que de croire que c’est en dialoguant avec les tenants du pouvoir, dans un cadre défini et imposé par eux, que nous pourrions accéder à une amélioration de nos conditions de vie, tant politiques que sociales. Tout dialogue, organisé dans ces conditions, ne peut que déboucher sur une impasse et ne résoudra aucun de nos problèmes majeurs, non pas seulement parce que la parole d’Idriss Déby Itno n’a aucun crédit, mais surtout parce que, au final, ce sont les intérêts de la bourgeoisie mondiale et ceux de ses valets locaux qui prévaudront. Nous n’y obtiendrons que ce que le pouvoir voudra bien nous concéder, sans que cela ne lui coûte rien, mais qu’il pourra, en plus, remettre en cause quand il en aura envie, comme le prouve le sort qu’Idriss Déby Itno a finalement réservé à l’accord du 14 mars dernier, dont il s’était initialement porté garant !

Au bout de tout cela, la seule chose qui s’impose comme une conséquence logique des expériences de dialogue passées et récentes, c’est de cesser de nous illusionner que nous obtiendrions quelque chose de notable dans les négociations auxquelles nous convie hypocritement Idriss Déby Itno, alors que, en réalité, il est décidé à appliquer sa politique d’austérité pour satisfaire ses maîtres des institutions de Bretton Woods ! Si donc nous voulons que le gouvernement respecte nos droits, nos acquis, cesse de supprimer nos primes et indemnités, ce n’est pas en discutant avec lui que nous pourrons le faire, mais en l’y contraignant : il n’arrêtera de s’attaquer à nos intérêts que forcé. Pas autrement !

Par ailleurs, si, malgré le fait que la grève s’installe durablement depuis des mois, paralyse les secteurs essentiels de l’administration, Idriss Déby Itno refuse de reculer et affirme péremptoirement qu’il ira jusqu’au bout de sa politique d’austérité, ce mépris vient tout simplement du fait qu’il considère que tout ce que nous entreprenons n’est pas de nature à être une menace pour lui. Il pense que la grève n’ira pas jusqu’à remettre en cause son pouvoir et, au-delà, l’ordre social existant sur lequel veille sa dictature. Il est convaincu que le bras de fer actuel, entre lui et nous, restera dans les limites du cadre constitutionnel et, au bout du compte, se terminera par des négociations qui ne lui coûteront rien. C’est pour cela qu’il s’offre des coudées franches, se comporte comme si de rien n’était, allant jusqu’à faire organiser les examens scolaires, malgré le blocage des établissements publics, durant des mois, par la grève des enseignants.

Par conséquent, il est d’une nécessité vitale de sortir de ce face à face stérile, dans lequel le pouvoir cherche à nous enfermer, où tout tout dialogue ne se fera qu’à nos dépens, en consacrant les intérêts des trusts et de leurs séides locaux ! Nous devrions prendre l’initiative de la lutte, hors des limites du cadre social du dialogue, pour que le pouvoir sache que nous constituons une force colossale qui, si elle se met en branle, pour se faire respecter et défendre ses droits, a toutes les chances de se muer en une menace contre lui !

Pour ce faire, il est plus que temps de faire maintenant ce qui a manqué jusque-là : une mobilisation des travailleurs et de l’ensemble des opprimés du pays dans la perspective de construire une riposte collective en vue de mettre fin à la politique du pouvoir en lui imposant de force les revendications populaires, tant sociales que politiques ! Nous n’aurons que ce que nous gagnerons par nos propres luttes, dirigées par nous-mêmes, aussi bien pour la défense de nos acquis que pour d’autres droits à conquérir !

Par conséquent, les responsables de la plate-forme, l’organe que nous nous sommes offert pour diriger nos luttes actuelles, devraient prendre l’initiative de s’adresser à tous les travailleurs du pays pour leur proposer de nous unir afin de défendre collectivement nos intérêts communs et notre droit à une vie digne de notre époque. En effet, il n’y a pas, d’un côté, des travailleurs du public, et, de l’autre, ceux du privé ! Il n’y a pas non plus des travailleurs de l’Education nationale, de la Justice, de l’Elevage, du Bâtiments, etc, d’un côté, et de l’autre, ceux de la Santé, des Banques, de la Communication, du Transport, de l’Aménagement du Territoire, du Tourisme, etc, avec des intérêts opposés. Nous constituons tous un seul monde du travail, une seul classe ouvrière, parce que nous subissons tous la politique d’austérité que nous impose le pouvoir en vue d’enrichir la bourgeoisie mondiale et les riches locaux, à qui aucun sacrifice n’est demandé ! Quels que soient les catégories, les secteurs d’activité, les statuts, nous intérêts sont communs, comme le sont également nos ennemis : l’Etat, au-dessus duquel trône Idriss Déby Itno, et le patronat qui le soutient.
Femmes et hommes obligés de vendre leur force de travail ou leur intelligence pour vivre, nous devrions combattre le corporatisme, les divisions professionnelles ou autres dans nos rangs, que pratiquent les chapelles syndicales. Nous aurions intérêt à éviter de répéter les erreurs du passé en menant des grèves éclatées, perlées, qui, finalement, ont toutes conduit à des impasses. Nous devrions plutôt constituer un front unique, un mouvement d’ensemble, une mobilisation réunissant tous les travailleurs du pays, du public et du privé, sous la forme d’une riposte collective contre la politique du gouvernement en vue de lui imposer nos revendications communes.
L’homme ne vivant pas que de pain, nous avons également d’autres aspirations que nous devrions défendre dans la guerre actuelle que nous mène le pouvoir. En effet, celui-ci s’attaque injustement à notre pouvoir d’achat, nous impose la misère, les maladies et autres privations, mais, en même temps, nous dénie, de surcroît, le moindre droit démocratique élémentaire, comme celui d’exprimer notre colère, combien légitime, dans la rue ! Nous devrions donc mettre fin à cette situation anachronique, qui, sous la houlette du MPS, fait du Tchad l’un des rares endroits au monde, comme le Burundi, où les populations n’aient pas le droit de manifester ! Comme il existe dans le pays des organisations des droits de l’homme et des militants qui se préoccupent, à juste titre, des questions des libertés, nous devrions nous adresser à eux pour leur expliquer que, plus que quiconque, nous aspirons, nous aussi, aux libertés fondamentales, d’expression, de réunion, de manifestation, du respect du choix des populations lors des élections, de la libre expression de toutes les sensibilités politiques, quelles qu’elles soient, dans tous les médias publics, télévision, radio, journal, etc, transformés en caisse de résonance des mensonges du pouvoir. Il n’y a pas, d’un côté, des questions sociales et, de l’autre, des problèmes politiques d’ordre démocratique. La lutte pour de meilleures conditions de vie, contre les inégalités, les injustices sociales et le combat pour les libertés essentielles ne sont pas contradictoires : elles devraient se compléter, se fondre l’une dans l’autre, sous la forme d’une perspective plus large ayant pour objectif d’en finir avec toutes les oppressions, quelles qu’elles soient, dont souffrent les couches populaires. Par conséquent, nous devrions proposer aux associations défendant les droits de l’homme, à celles des journalistes, des femmes, des étudiants, des élèves, des artistes, etc, de s’unir à nous pour que, ensemble, nous défendions les libertés essentielles, qui nous sont communes, mais aussi nos aspirations au droit à une vie meilleure.
Les conséquences désastreuses de la politique d’austérité que le pouvoir nous impose vont au-delà de l’aggravation de nos conditions de vie. En s’attaquant à notre pouvoir d’achat, en réduisant les moyens dont nous avons besoin pour vivre, cette politique précarise finalement l’existence des pans entiers des couches populaires, qu’elle étrangle, plonge dans la misère, empêche de s’alimenter normalement, de se soigner, d’éduquer leurs enfants, de se loger, etc. C’est, au bout du compte, toute la société qui sombre de plus en plus dans la déchéance. Voilà pourquoi nous aurions intérêt à nous ouvrir aussi à d’autres catégories de la population qui subissent les mêmes problèmes que nous : aux organisations des consommateurs, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres, des travailleurs agricoles et d’autres, qui constituent des millions d’opprimés, victimes, comme nous, de la politique criminelle du gouvernement. Nous devrions donc nous adresser à eux aussi, leur proposer de nous battre ensemble contre la cherté de la vie et autres privations que nous impose le pouvoir.
Voilà, dans ses grandes lignes, la perspective que nous devrions défendre pour sortir de l’impasse actuelle et faire plier le pouvoir ! L’objectif final, c’est de regrouper toutes les organisations syndicales, puis, de les relier aux différentes structures de la société civile, en réunissant celles-ci autour de nous, en les entraînant, en leur offrant une boussole, pour, de cette façon, créer avec elles une riposte collective, un mouvement de « tous ensemble », un nouveau rapport des forces, qui soit capable de mettre fin à la politique du pouvoir. En un mot, la plate-forme devrait apparaître comme l’organe fédérateur de toutes les luttes et de toutes colères multiples, qui couvent dans la pays, en vue d’imposer au gouvernement les changements nécessaires, tant sociaux que politiques, dont la société a besoin.
Cette perspective devrait se construire autour d’un plan d’urgence, d’intérêt public, un programme social comprenant les revendications essentielles de tous les travailleurs et de l’ensemble des couches populaires, que la plate-forme devrait diffuser au sein de la population dans le but affiché de contester ouvertement le droit que s’arrogent le pouvoir et ses maîtres du FMI de détruire nos acquis sociaux, d’aggraver les conditions de vie de tous les milieux populaires et de faire sombrer toute la société dans la déchéance et la dictature ! Oui, pour que se réalisent nos attentes, nos aspirations à une vie meilleure et démocratique, il est vital que nous fassions irruption dans la scène politique, dans les lieux où se prennent les décisions essentielles nous concernant au premier chef, où se décide notre sort, et ce, avec nos propres armes et méthodes. Il n’y a pas d’autre issue à l’impasse des luttes actuelles !
Alors, une fois de plus, vive la grève, parce qu’elle nous offre l’opportunité de faire que cette perspective soit une réalité vivante et organisée, si, collectivement, nous avons l’ambition d’en être à la hauteur !

NE LES LAISSONS PAS FAIRE !
RIPOSTONS COLLECTIVEMENT
POUR IMPOSER ET DEFENDRE
NOS DROITS POLITIQUES ET SOCIAUX !

C’est un euphémisme, certes, que de dire que le pouvoir d’Idriss Déby Itno, dont les racines profondes remontent jusqu’au régime de la DDS, au sein duquel les principaux dirigeants du MPS ont joué des rôles politiques importants, est une dictature !. Mais, avec les révélations qui viennent de lever le voile sur les sombres intentions du pouvoir, relatives au projet de loi concernant les associations, nul doute qu’on voit se dessiner une dérive dictatoriale de plus en plus prononcée qu’avant, qui fait planer des menaces graves sur les quelques libertés consenties jusqu’alors par les tenants du régime.

En effet, le 07 juin dernier, rendant compte du dernier conseil des ministres, Madeleine Alingué, alors porte-parole du gouvernement, a déclaré que, selon celui-ci, « certaines associations, au lieu de renforcer l’Etat de droit et de promouvoir la bonne gouvernance, menacent l’ordre public et la cohésion sociale ». Aussi le pouvoir avait-il décidé de réagir : « Une régulation plus rigoureuse du régime des associations s’avère nécessaire », a-t-elle précisé. Ensuite, de façon plus claire, elle a cité deux mesures concrètes que le pouvoir envisage de prendre : « (...) une révision et actualisation de l’ordonnance (…) du 28 juillet 1962 » en vue de procéder à « des innovations sur l’identité de toutes formes d’association et leur mode de fonctionnement ainsi que sur le délai de notification sur l’autorisation ou le refus de fonctionner », mais aussi, une attention particulière sur « le caractère des associations, le profil des personnes pouvant adhérer (…), les dispositifs de contrôle et les actions à sanctionner ».

Dès que s’étaient répandues ces informations, qui jettent une lumière crue sur les projets funestes du pouvoir visant à réduire les quelques rares libertés dans le pays, elles ont soulevé un tollé au sein des principales associations de la société civile. Lors d’une conférence de presse tenue le 14 juin dernier, celles-ci s’en sont indignées, les ont appréciées comme « une guerre ouverte lancée » contre elles et ont exigé « le retraité de l’ordonnance » qui les fonde, qu’ils ont qualifiée de « liberticide ».

Le moins que l’on puisse dire est que les associations de la société civile ont mille fois raison de protester et de contester les intention du pouvoir, d’autant plus que, comme toute justification pour expliquer cette dérive dictatoriale, celui-ci prétend tout simplement que certaines d’entre elles, « au lieu de renforcer l’Etat de droit et de promouvoir la bonne gouvernance, menacent l’ordre public et la cohésion sociale » ! Voilà l’argument massue dont il se sert afin de mieux les contrôler, de réduire leur champ d’activités ou les interdire, si besoin !

Mais, ces raisons sont fausses, ne tiennent pas debout, car le rôle des associations n’est pas « de renforcer l’Etat de droit », ni de « promouvoir la bonne gouvernance ». Celles-ci sont des regroupements de citoyens libres qui se fixent comme tâche de militer, dans tel ou tel secteur, - social, culturel, politique ou autre -, pour participer aux débats et autres activités qui animent la vie de la cité. Dans ce cadre, si elles le veulent, elles pourraient aussi s’arroger la légitimité d’apprécier positivement ou négativement les choix politiques du pouvoir, les soutenir ou, inversement, les contester. C’est leur droit !

Dans un pays comme la France, par exemple, dont nos dirigeants font semblant de singer le modèle, on trouve, au sein de la société, des organisations ou des regroupements de tout genre qui sont pour ou contre les choix politiques en vigueur. A travers leur presse, des tracts ou autres publications, certains d’entre eux militent même ouvertement pour la destruction de l’Etat bourgeois, prônent la révolution comme seule solution pour résoudre les questions que pose le capitalisme. Mais ni le pouvoir, ni qui que ce soit, ne pourrait les en empêcher, moins encore les accuser de « menacer la cohésion sociale » sans provoquer la colère populaire parce que tout cela fait partie du fonctionnement normal de la démocratie, même si, par ailleurs, celle-ci a aussi ses propres limites à cause de son caractère bourgeois. En réalité, ce que le pouvoir reproche aux associations, qu’il menace de sanctionner ou d’interdire, c’est simplement leur refus de se soumettre à son joug dictatorial, la liberté qu’elles se donnent, quand elle en sentent la nécessité, de le critiquer et non de chanter ses supposés mérites, comme le font certaines organisations, à lui dévouées, qui, à longueur des journées, le louangent, vantent ce qu’elles appellent pompeusement les « acquis de la démocratie ». D’ailleurs, contrairement aux partis de l’opposition qui viennent d’exprimer leur allégeance au pouvoir, d’exécuter la danse du ventre devant Idriss Déby Itno tout en s’entre-déchirant entre eux pour bénéficier de sa magnanimité, mais aussi d’un strapontin au sein du CNDP, généralement, ce sont les organisations de la société civiles, notamment les syndicats et les associations des droits de l’homme, des journalistes, etc, qui combattent la politique du pouvoir. Aussi est-ce cela que celui-ci leur reproche, en réalité !

Les arguments du pouvoir sont, par conséquent un pis-aller, dont il se sert pour accuser injustement les associations d’une responsabilité qui, d’ailleurs, ne pourrait être la leur, car le renforcement de « l’Etat de droit » et la promotion de « la bonne gouvernance » relèveraient plutôt des pouvoir publics, - si tant est que cela soit possible dans une société divisée en classes sociales, en riches et pauvres, dont les intérêts sont diamétralement opposés ! C’est donc, en principe, à Idris Déby Itno et ses partisans que reviendrait cette tâche-là. Mais, encore faudrait-il qu’ils soient venus au pouvoir pour cela, car, après vingt-huit ans de règne, le bilan de leur propre expérience à la tête du pays montre que c’est loin d’être la cas !.
Si, juste après le forum dit national et la proclamation de leur « quatrième république », événements célébrés par eux comme quelque chose de grandiose, en rupture avec tout ce qu’ils ont fait jusqu’alors, Idriss Déby Itno et ses partisans décident de durcir les conditions de création des associations ou même de laisser entendre qu’ils pourraient en interdire certaines, cela n’est pas seulement la preuve du fait qu’ils fabulent quand ils prétendent avoir changé en faisant du neuf avec du vieux. Au delà de leurs mensonges, ce tournant dictatorial est, en réalité, l’expression de quelque chose de plus profond, dont Idriss Déby Itno lui-même avait esquissé les contours, annoncé la couleur et donné le ton, quand, lors de son discours d’ouverture du « forum national », qu’il avait organisé pour se tailler une constitution sur mesure, il avait déjà fait remarquer qu’il y aurait trop de partis et d’associations dans le pays.

Cette dérive n’est surtout pas sans rapport avec la situation politique et sociale du pays, marquée par une crise multidimensionnelle, nourrissant une colère populaire profonde, dont la dictature ne sait pas comment se départir. Elle est une conséquence directe de l’impasse à laquelle la politique du pouvoir a abouti après que celui-ci avait utilisé tous les artifices et les leurres possibles.

En effet, si, pendant un certain temps, la complicité des partis de l’opposition et les revenus du pétrole ont permis au pouvoir du MPS de bénéficier de quelques illusions, aujourd’hui, au bout de vingt-huit ans de règne, cette période est complètement révolue : Idriss Déby Itno et ses partisans ont totalement échoué, dans tous les domaines. A cause de la politique injuste et dictatoriale, qu’ils appliquent, des décennies durant, leur plus grand exploit est d’avoir bâti une société profondément inégalitaire, comme jamais auparavant, composée de deux univers sociaux, que tout oppose, notamment l’essentiel : d’un côté, ceux qui sont immensément riches, les privilégiés, les intouchables, des hommes et des femmes au-dessus des lois, que le pouvoir gave grâce aux miettes que les différents trusts laissent au passage, mais aussi aux détournements des biens publics, à la surfacturation, aux diverses commissions frauduleuses et autres subterfuges ; de l’autre, l’écrasante majorité de la population opprimée, des villes comme des villages, sombrant de plus en plus dans la misère, éprouvant d’énormes difficultés pour s’alimenter, se soigner, se loger, s’éduquer, correctement, subissant toutes les privations possibles, ne pouvant même pas jouir du simple droit de manifester, à cause de la férule d’une dictature qui les empêche d’accéder aux libertés élémentaires essentielles. En plus de tout cela, pour imposer cette politique, Idriss Déby Itno et ses partisans utilisent, à fortes doses, l’etnisme, le tribalisme, le régionalisme, le confessionnalisme, le clanisme, le clientélisme et autres ficelles, poussés à leur paroxysme, afin de diviser les couches populaires, sans oublier le mépris, la morgue, qu’ils affichent face aux préoccupations de celles-ci.

Cette manière de gérer les affaires publiques au profit de la bourgeoisie mondiale et de ses valets locaux, au détriment des aspirations profondes des masses opprimées, a pour conséquence un mécontentement populaire profond, qui couve dans tout le pays. Celui-ci s’exprime de différentes façons : on l’a vu notamment dans des événements comme les manifestations consécutives au viol de Zoura, la forte mobilisation populaire lors des dernières élections présidentielles, qu’Idriss Déby Itno a perdues en réalité, mais surtout les grèves, quasi permanentes, que déclenchent les travailleurs et les étudiants pour défendre leurs intérêts. Le régime cristallise autour de lui un faisceau de colères sans précédent, à tel point que même son propre camp en est atteint : deux ministres ont démissionné, il y a peu, pour ne pas se rendre comptables de sa politique criminelle consistant à supprimer les primes et les indemnités des travailleurs de la fonction publique.

C’est donc ce contexte politique et social qui est l’origine du durcissement actuel de la dictature : face à l’échec patent de leur politique et à la colère des masses opprimées, qui en découle et ne cesse de se développer, après avoir utilisé tous les artifices en vain, Idriss Déby Itno et ses partisans n’ont pas d’autre solution que de faire tomber les masques : montrer le vrai visage hideux de leur dictature, longtemps caché derrière les oripeaux-pseudo démocratiques, et s’imposer par la force brutale. Le hold-up électoral de 2016, réalisé sous le parapluie de l’armée, l’organisation du « forum » dit national, la confection de la nouvelle constitution, « la quatrième république », qui en est née, - tous, événements décidés par Idris Déby Itno, tout seul -, sont, finalement, les différentes étapes d’un seul et même processus conduisant à la situation actuelle, avec, comme ultime conséquence, la mise sous éteignoir des libertés tolérées jusqu’alors, comme au Burundi, au Congo Brazzaville ou en RDC, avec, évidemment, la complicité de l’impérialisme français et, au-delà, celle de la fameuse « communauté internationale », c’est-à-dire, les autres pays riches !

Ce tournant dictatorial révèle au grand jour deux choses majeures. D’une part, il montre les limites des changements opérés depuis le 1er décembre 1990. Contrairement aux
dires des tenants du pouvoir et leurs rivaux de l’opposition, il en ressort, en effet, que le multipartisme n’est pas la démocratie : c’en est une pâle copie, un ersatz, qui cohabite fort bien avec l’exploitation, les inégalités, les injustices de toutes sortes, la misère, la corruption, le tribalisme et la dictature, veillant sur tout cela comme un bras armé pouvant à tout moment mettre fin aux fragiles libertés tolérées ou octroyée, si les dirigeants en sentent le besoin. D’autre part, il confirme la justesse de l’adage populaire, en arabe local, immortalisé à la fin des années 70 par une chanson du Tout Puissant Chari-Jazz, au sommet de son art, qui dit ceci : « Hatap sakit fi loubal almé ma babga toumsa ! ». Textuellement, cela veut dire qu’un simple bout de bois dans l’eau ne deviendra jamais un caïman. Appliqué à la situation du pays, cela signifie que ceux qui nous dirigent, Idriss Déby Itno et ses partisans, pour la plupart formés au sein de la dictature de la DDS, ne pourraient jamais être des démocrates ni se préoccuper des problèmes des masses populaires. Ce n’est pas leur choix ! Ce n’est ni dans leurs gènes ni dans leur ADN politiques ! Compter sur eux pour quoi que ce soit, c’est faire preuve d’une grosse illusion !

Par conséquent, afin de sortir de cette impasse, afin d’empêcher que le pouvoir s’attaque à leur pouvoir d’achat et aux libertés dont ils ont plus que quiconque besoin, la seule perspective qui s’offre aux travailleurs, aux militants des associations de la société civile, des partis politiques et à l’ensemble des opprimés, c’est celle de leurs propres luttes, politiques et sociales, sous la forme d’une riposte collective du monde du travail et des couches populaires ! En effet, si nous voulons accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration de nos conditions de vie, nous ne pourrions pas faire l’économie des luttes populaires, politiques et sociales, nécessaires et indispensables, que nous impose le capitalisme à travers le pouvoir dictatorial actuel. Nos libertés démocratiques, l’amélioration de nos conditions de vie et notre droit à une existence digne de notre époque ne sauraient être discutés, ni négociés, ni marchandés avec les tenants du pouvoir, moins encore ne pourraient être obtenus par un bout de papier dans une urne, comme le prétendent les politiciens de tout bord : vu la situation actuelle, ils ne pourraient qu’être le fruit de nos luttes, politiques et sociales. Partout où ont lieu des changements fondamentaux allant dans le sens du progrès, il y a d’abord les luttes, ensuite les lois, que les premières imposent finalement. Jamais l’inverse ! parce que les lois ne sont rien d’autre que l’expression d’un rapport des forces imposé par une classe sociale pour défendre ses intérêts. Par conséquent, pour qu’ils existent, de façon durable, qu’ils soient respectés et vécus comme des mœurs normales, nos droits à une vie digne de notre époque devraient être aussi arrachés et imposés par les luttes, en dehors de la légalité constitutionnelle actuelle, dans la rue, où se trouve la force des masses opprimées. Il ne pourrait en être autrement ! Car, telle est la loi de l’histoire !
Espérons alors que, au travers des différentes grèves qui éclatent ici et là, comme celles déclenchées par la plate-forme revendicative et les juges et avocats, émergeront des femmes et des hommes qui accéderont à cette conscience et s’attelleront à la construction d’un mouvement de tous ensemble, d’une riposte collective, pour imposer au pouvoir les droits sociaux et politiques dont la société a besoin pour ne pas sombrer dans la déchéance et la dictature !

TOUS ENSEMBLE !

Alors qu’Idriss Déby Itno et ses partisans s’agitent dans tous les sens pour tenter de convaincre les populations des vertus supposées de leur « quatrième république », les faits, bien têtus, protestent contre toute cette campagne pour le moins mensongère et démontrent que, en réalité, le pays continue à s’enfoncer dramatiquement dans une crise tant sociale que politique, dont nul ne peut, pour l’instant, prévoir l’issue. En effet, à peine proclamée et chantée, la « quatrième république » se trouve déjà ébranlée par deux événements majeurs : la grève illimitée déclenchée par la plate-forme revendicative et celle du syndicat des avocats et des juges.

Ce nouveau bras de fer entre la dictature de N’Djaména et le monde du travail contraste fortement, certes, avec l’euphorie des autorités qui, tels des arracheurs des dents, ne cessent de mentir sur les changements que « la nouvelle constitution » entraînerait dans la vie de masses opprimées. Mais, en réalité, il révèle plus que l’hypocrisie, la duplicité, dont Idriss Déby Itno et ses partisans font preuve pour essayer de s’extirper de la fange nauséabonde de la faillite de leur politique : il nous jette surtout en plein visage les contradictions profondes, qui minent la société, entre, d’un côté, les aspirations des couches populaires à une vie digne de notre époque, à la justice, à l’égalité, aux libertés essentielles, et, de l’autre, un pouvoir dictatorial, usé par le temps, honni, vomi par les masses opprimées, qui s’accroche à tous les artifices possibles et à la force brutale notamment pour se maintenir.

Plus que les questions légitimes de salaires, du respect d’une décision conforme à la justice, à l’instar d’autres événements antérieurs, comme l’explosion de colère provoquée par le viol de Zoura, les campagnes de sifflets citoyens après le hold-up électoral qui a permis à Idriss Déby Itno de s’imposer au pouvoir grâce à l’armée et au soutien de l’impérialisme français, la crise sociale actuelle est l’expression d’une double réalité, dont les éléments sont organiquement liés : d’une part, elle traduit la profonde exaspération populaire qui couve dans le pays, à causes des injustices, des inégalités de toutes sortes que le pouvoir fait subir aux masses opprimées depuis vingt-huit ans, et, d’autre part, le rejet de la politique de celui-ci par la majorité des couches populaires, qui en découle comme une conséquence logique.

Cette signification profonde des luttes que mènent les organisations syndicales contre la politique du pouvoir bat ainsi en brèche l’idée, communément répandue, selon laquelle le combat des travailleurs pour leurs intérêts serait catégoriel, voire sectaire, et non politique. Il n’y a rien de plus faux qu’une telle vision des choses ! Car, au Tchad, comme dans bien de pays africains, c’est l’Etat qui est le principal employeur dans l’administration, mais aussi dans certains secteurs industriels importants : COTON TCHAD,, SNE, SONACIM , SONASUT, SOTEL, etc. Même les secteurs d’activités privés ou privatisés, tels les banques, l’hôtellerie, le pétrole, le transport, la téléphonie et autres ne fonctionnent qu’avec son soutien indéfectible : il leur crée les conditions les plus favorables qui soient afin qu’ils fassent le maximum de profit possible moyennant des miettes, laissées au passage, à leurs valets locaux que sont nos bourgeois, vivant sur le dos de la société comme d’inutiles parasites. Dans ces conditions, tout acte de contestation, de manifestation, quel qu’il soit, de petite ou grande envergure, prend automatiquement un caractère politique parce qu’il pose directement la question de l’Etat, en ce sens qu’il s’oppose à la politique de ce dernier. C’est exactement le cas des grèves actuelles, comme celle du mois de janvier qui, quoique les ministres et autres responsables du MPS aient péroré à la télévision que le décret 687 et la loi 032 étaient intouchables, parce que gravés dans le marbre de la loi, a fait reculer le pouvoir sur ces deux points, même si, une fois de plus, au bout du compte, Idriss Déby Itno a fini par démontrer lui-même que sa parole n’a aucune espèce d’importance !

Mieux, lorsque les travailleurs déclenchent une grève pour des questions salariales ou autres, comme de nos jours, même s’ils ne le font pas consciemment, ils s’érigent en même temps contre leurs conditions de femmes et d’hommes opprimés, privés de liberté et de justice, ne pouvant même pas avoir le droit légitime de manifester : leur lutte contre les bas salaires, les privations sociales, les injustices, que leur impose le pouvoir, se transforme aussi en un combat contre les inégalités, les oppressions de toutes sortes, que les classes dirigeantes imposent à l’ensemble de la société, écrasée sous la férule de leur dictature. Elle exprime leurs aspirations profondes à une véritable démocratie, montre que, plus que quiconque, ce sont eux qui ont le plus besoin de liberté, pour s’organiser, s’exprimer, se réunir, manifester, organiser des piquets de grève, etc. Ainsi, leur combat donne un contenu de classe aux notions abstraites de démocratie ou de dictature, dont se gargarisent et raffolent les politiciens de tout bord : il montre que celles-ci ne signifient pas la même chose, selon qu’on soit riche ou pauvre, exploité ou exploiteur. Par exemple, alors que, suite au multipartisme réinstauré par le MPS depuis 1990, sous la pression de l’impérialisme français, toute la classe dirigeante parle, sans vergogne, de démocratie, toutes les luttes que mènent les travailleurs nous enseignent que celle-ci, la démocratie, n’est pas sans lien avec les les rapports sociaux qui régissent la vie de la cité. Elles nous apprennent que la liberté ne se jauge pas seulement à l’aune de l’existence des partis politiques, des syndicats, des associations, des élections, qui sont certes utiles, mais pas suffisants pour fonder ce qu’est la démocratie, car, celle-ci est quelque chose de plus profond, qui tient à la vie même des gens.

En effet, qu’est-ce que la liberté pour les millions d’opprimés du pays, des villes comme des campagnes, qui ont de plus en plus du mal à manger une fois par jour ? Qu’est-ce que la liberté pour les millions de gens qui crèvent de maladies bénignes, dont certaines sont soignables avec de l’eau potable ? Qu’est-ce que la liberté pour les paysans pauvres des régions quasi abandonnées du pays, condamnées à une malnutrition chronique, dont les enfants, qui ont la force de le faire, émigrent ou, par désespoir, vont même renflouer les rangs des barbares de Boko Haram ou d’autres bandes de fous armés, tous nés de la barbarie générale du capitalisme ? Qu’est ce que la liberté pour les milliers de paysannes qui travaillent quotidiennement la terre, mais n’ont pas le droit d’en être les propriétaires ou même d’avoir la force de rêver d’une maternité digne de ce nom où elles pourraient accoucher ? Qu’est-ce que la liberté pour l’ensemble des femmes, qui, quoique majoritaires, n’en sont pas moins opprimées, exploitées, humiliées, subissant souvent des sévices corporels, n’ayant de place nulle part ? Qu’est-ce que la liberté aussi pour les milliers de leurs enfants, des jeunes, issus des milieux populaires, condamnés à un chômage endémique, dont ne les sauve que le triste destin d’être des délinquants alors qu’ils pourraient être utiles à la société ? Qu’est-ce que la liberté pour pour l’écrasante majorité des masses opprimées qui meurent de misère, à N’Djaméné, à Moundou, à Sarh, à Abéché ou Faya, à coté de la richesse insolente de la petite minorité des riches, parasites promus par la politique de classe appliquée par le pouvoir du MPS depuis vingt-huit ans ? Voilà comment nous interrogent et interpellent les luttes des travailleurs qui, finalement, nous apprennent que la démocratie des riches est une dictature pour les pauvres, tous les pauvres, quels qu’ils soient ! Cela est aussi vrai pour toutes les démocraties bourgeoises, y compris dans les pays riches, comme la France, où les travailleurs ont maille à partir avec la politique de Macron qui s’attaque à leurs intérêts et les sacrifie sur l’autel de ceux des plus riches.

En définitive, la leçon principale à tirer des différentes luttes que mènent les travailleurs, celles d’hier comme d’aujourd’hui, est non seulement qu’elles sont profondément politiques, mais, que, par ailleurs, la lutte contre la misère, l’exploitation, n’est pas contraire à celle qu’on mène pour la liberté. Les deux luttes se compètent, se nourrissent l’une l’autre : elles sont les deux faces d’un seul et même combat, plus profond, plus vaste, contre toutes les oppressions, quelles qu’elles soient ! La mobilisation des travailleurs de la fonction publique en lutte intègre donc, de fait, les revendications des autres organisations de la société civile qui se battent pour les libertés essentielles et en précise le contenu.

Tout cela fonde, par conséquent, la justesse des luttes actuelles, mais, aussi leur importance ! En effet, les travailleurs ont mille fois raison de ne pas accepter les sacrifices et les injustices qu’Idriss Déby Itno et ses partisans leur imposent alors que, dans le même temps, ils ne demandent aucun sacrifice aux privilégiés qu’ils ont outrancièrement enrichis, vont jusqu’à amnistier ceux qui ont volé et ne prennent aucune mesure contre ceux qui se comportent tels des seigneurs, au-dessus des lois, en toute impunité, comme l’ont montré les événements de Doba !

Mais, les expériences passées des luttes antérieures, aussi justes qu’elles aient été, elles aussi, ont montré qu’il ne suffirait pas de lancer une grève pour faire plier le gouvernement. Certes, objectivement, les travailleurs constituent une force colossale. A cause de leur position au cœur de l’économie, ils jouent un rôle fondamental dans tout ce qui fait marcher la société. Ils font fonctionner aussi bien les secteurs industriels que l’administration, dont dépend le pays : rien de ce qui est nécessaire à la vie ne se fait sans leur force de travail ou leur intelligence. Tout cela leur confère une force colossale, dont ne dispose aucune autre classe sociale. Par conséquent, s’ils en sont conscients et en ont l’ambition, ils pourraient s’en servir comme d’un levier pour secouer la dictature, la faire plier, lui imposer les revendications populaires et mettre fin à sa politique criminelle !

Cependant, rien n’est automatique ! Pour ce faire, il faudrait une politique ! Aussi, afin de faire reculer le pouvoir, la seule perspective qui en vaille la peine, qui s’impose comme une leçon à tirer de l’expérience des luttes passées, est-elle celle d’une riposte collective du monde du travail. Individuellement, aucun secteur, isolé, n’est à même de changer le rapport des forces entre lui et la coalition du pouvoir et du patronat. Par contre, un mouvement d’ensemble de tous les travailleurs du pays, tant du public que du privé, unissant toutes les chapelles syndicales pourrait inverser le rapport des forces et donner aux travailleurs en lutte les moyens d’imposer les aspirations populaires. Par ailleurs, les travailleurs devraient aussi s’adresser aux autres catégories de la population, qui souffrent des mêmes problèmes qu’eux : aux organisations des droits de l’homme, aux associations des femmes, des étudiants, des élèves, des jeunes, des consommateurs, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres, eux aussi étranglés par la politique du pouvoir, afin de les entraîner dans la lutte, dans un mouvement de tous ensemble, en vue de la défense de leurs intérêts communs.

Les problèmes que posent les luttes actuelles des travailleurs ne se limitent pas à des questions salariales ou autres, de caractère catégoriel ou circonstanciel, aussi justes soient-elles. Ce nouveau bras de fer entre le monde du travail et la dictature exprime quelque chose de plus profond, dont dépend le sort de l’ensemble de la société entière : le choc entre, d’un côté, les aspirations légitimes des masses opprimées au droit d’avoir un salaire correct, de se nourrir, de se loger, d’éduquer leurs enfants, de se soigner, d’accéder aux libertés essentielles, bref, au droit à la vie tout simplement, une vie digne de notre époque, et, de l’autre, les perspectives sombres d’une politique criminelle, à tout point de vue, que cherche à imposer une dictature qui a échoué dans tous les domaines, sauf dans celui de la promotion d’une minorité bourgeoise, parasite, dans l’un des pays les plus pauvres au monde ! Par conséquent, quels qu’ils soient, - travailleurs de rang, syndicalistes, militants des partis politiques, d’organisations des droits de l’homme, des journalistes, des femmes, des étudiants, des élèves et autres structures de la société civile -, tous ceux qui sont réellement révoltés par la situation actuelle et ne souhaiteraient pas voir la société s’enfoncer de plus en plus dans la misère, sous la férule de la dictature, devraient tout faire pour que naisse et prenne corps ce mouvement de tous ensemble, seule perspective pour sortir de l’impasse actuelle et ouvrir la voie vers un avenir meilleur ! Aux travailleurs en lutte d’en prendre donc l’initiative et la tête pour en montrer le chemin !

MENSONGES ET REALITES

Après vingt-huit ans de règne dictatorial, couronnés par un bilan catastrophique pour les masses populaires notamment, dont les conditions de vie ne cessent de se dégrader au fil du temps, comme jamais auparavant, Idriss Déby Itno et ses partisans, tels des charlatans enchanteurs, prétendent avoir enfin trouvé le remède susceptible de soigner toutes les maladies dont souffre le Tchad. Cette miraculeuse décoction s’appelle « la quatrième république », proclamée, à coups de trompettes et clairons, à la suite de la nouvelle constitution concoctée par « le forum national » et adoptée le 4 avril dernier par les députés de la majorité présidentielle, sans la participation de ceux de l’opposition dont les principales organisations politiques, comme celles de la société civile, n’avaient pas pris part non plus aux discussions antérieures à l’origine des réformes constitutionnelles actuelles.

Depuis la clôture du « forum national » jusqu’aujourd’hui, dans le sillage d’Idriss Déby Itno qui avait présenté les résolutions de cette rencontre comme quelque chose d’extraordinaire pouvant changer radicalement le cours de l’histoire du pays, nombreux sont, en effet, les responsables du MPS et leurs affidés, - ministres, députés, gouverneurs, chefs traditionnels et autres -, qui, tels les chantres d’une nouvelle découverte pour le moins considérable, sillonnent le pays pour vanter les vertus supposées de ce qu’ils appellent « la nouvelle république ». Sur fond de tapage médiatique, ils rivalisent d’ingéniosité pour présenter cette dernière comme la potion magique, enfin découverte, capable de guérir le pays de tous ses maux : exploitation, pillage, sous-développement, misère, inégalités, détournements des deniers publics, corruption, gabegie, maladies de tout genre, faillite des secteurs publics essentiels, archaïsme, oppression de la femme, dictature, etc.

Mais tout ce raout intempestif sur les prétendues vertus de la fameuse « quatrième république » n’est, en fait, qu’un chapelet d’effets d’annonce, une kyrielle de mensonges ! « Le forum national », la nouvelle constitution, comme la « quatrième république » qui en a résulté, ne sont, en réalité, que les éléments constitutifs d’un simple ravalement de façade de la dictature, une opération politique visant, d’une part, à occulter le lourd passif du règne calamiteux des responsables du MPS et, d’autre part, à leur construire, en même temps, une nouvelle image de marque, fleurant bon l’innocence et la vertu, dans le but de faire croire qu’ils seraient brutalement devenus plus soucieux des préoccupations des couches populaires. A travers le toilettage de l’Etat, ils espèrent aussi pouvoir sortir de l’impasse plurielle dans laquelle le pays est plongé à cause de leur politique, criminelle à tout point de vue.

Cependant, il y a lieu de penser que ce tour de prestidigitation n’a pas la moindre chance de faire illusion, ni de masquer la réalité des faits ! Car, comment pourrait-on croire qu’il suffirait d’accoler l’adjectif numéral « quatrième » au substantif « république », afin d’en faire son épithète, pour que, comme par enchantement, le pouvoir change de nature et de politique ? Comment croire que les mêmes politiciens qui, depuis vingt-huit ans, ont, consciemment, creusé le gouffre de la désolation dans lequel le pays s’enfonce inexorablement, dans tous les domaines, puissent décider spontanément, sans y être forcés, d’eux-mêmes, d’enrayer cette spirale, combien cruciale pour les masses opprimées notamment, dont la vie se transforme chaque jour en un enfer sous la férule de la dictature du MPS ? Impossible ! Et pour cause !

En effet, contrairement aux mensonges que distillent les responsables du MPS en chantant les vertus supposées de leur « quatrième république », en politique, aucune classe sociale ne sacrifie d’elle-même ses privilèges ni ne quitte la scène de l’histoire sans qu’elle n’y soit contrainte. Par conséquent, il n’y a aucune illusion à se faire sur « l’aube » ou « l’ère nouvelle » qu’ils annoncent. Leurs nombreuses promesses de s’attaquer cette fois-ci aux principaux maux dont souffrent les masses opprimées ne sont que de l’enfumage, une habile remise au goût du jour des vieilles antiennes abondamment ressassées, des décennies durant, sur « l’émergence », « la démocratie », « la lutte contre les détournements des biens publics » ou « la misère », etc, sans que cela n’empêche la société de sombrer de plus en plus dans la précarité et la dictature à cause de leur politique. Ce qui, en réalité, confère à leurs tapageuses proclamations un caractère mensonger, c’est surtout le fait que, derrière celles-ci, se trouve le même Etat, s’appuyant sur le même appareil militaire, administratif, judiciaire, et la même politique à l’origine de la faillite actuelle, avec, pour les principaux, les mêmes hommes et femmes, dont nul n’ignore les mœurs ! C’est cela qui permet de juger des nouvelles intentions des responsables du MPS et de démontrer qu’elles ne sont, en fait, qu’un leurre, dont le but est de masquer la seule et unique politique, à eux, assignée par la bourgeoisie mondiale, qu’ils ont consciemment appliquée jusqu’alors et qu’ils vont continuer à imposer : vider les bouches et les poches des pauvres et des affamés pour remplir celles des riches et des trop rassasiés, comme le veut la loi implacable du capitalisme dont ils sont, avec d’autres, bien sûr, les principaux serviteurs dans le pays !

Dans une société comme la nôtre, divisée en classe sociales, en riches et pauvres, il ne peut y avoir ni égalité, ni justice sociale, ni même une simple solidarité pour les couches populaires dominées par le grand capital et ses valets locaux. Idriss Déby Itno et ses partisans peuvent, certes, changer le nom de leur « république », faire toutes les promesses qu’ils veulent, mais ils ne peuvent changer la réalité sociale : ils ne pourraient être à la fois au service des exploités et de leurs exploiteurs. Car, pour changer vraiment la société, instaurer l’égalité, la justice sociale et la liberté qui va avec, il ne suffit pas de changer de président, de gouvernement ou même de république : c’est toute la société qu’il faut changer, c’est le pouvoir des riches qu’il faut renverser. Mais une telle perspectives n’est pas celle d’Idriss Déby Itno et ses partisans, ces politiciens imposés à la tête du pays par l’impérialisme, en 1990, pour y défendre ses intérêts et ceux des privilégiés locaux, tout en se sucrant au passage ! Même leur dernière trouvaille, - le serment religieux -, confectionnée avec l’aide des responsables du comité islamique, ces représentants du fatras réactionnaire local qui jouent, de tout temps, le rôle de supplétifs de nos dictatures, ne peut, bien évidemment, rien changer en cela ! D’autant moins que pour tous les larbins du pouvoir qui se sont prêtés à ce cinéma-là, les Kassiré, Padaré et autres, le fait de jurer au nom d’un dieu quelconque, quel qu’il soit, n’a vraiment aucune importance ! Car, même si Idriss Déby Itno leur avait demandé de jurer au nom de son chien ou de son âne, ils l’auraient fait bien volontiers, pourvu que, au final, il assure leur pitance, parce que, pour tous ces gens-là, - le « président fondateur » y compris -, le vrai dieu, celui qu’ils vénèrent de toutes leurs forces, pour lequel ils sont capables de toutes les impostures, de toutes les vilenies, c’est l’argent !

Alors que devrait-on attendre de cette « quatrième république », dont on nous chante tant les vertus ? Rien ! Absolument rien qui ne soit déjà connu ! ! Le changement que prétend apporter Idriss Déby Itno avec sa « nouvelle république » est juste un nouvel habillage de la même politique qu’avant, comme l’a titré et résumé si justement N’Djaména-Hebdo, dans son édition du 7 au 13 mai dernier, en ces termes : « Une aube nouvelle avec les mêmes voleurs ! ».

De la fameuse « quatrième république », sortie du chapeau du magicien Idriss Déby Itno, comme hier, ne bénéficieront que ceux qui, depuis des décennies, s’empiffrent, se gavent, s’engraissent grâce à l’exploitation des ressources tant humaines que naturelles du pays : notamment les trusts et multinationales, occidentaux, asiatiques ou autres, qui ont une mainmise sur l’économie, mais aussi leurs valets, la minorité de parasites locaux, nos propres privilégiés, - les hommes d’affaires, tels les fameux opérateurs économiques du MPS, devenus des millionnaires et des milliardaires grâce à la surfacturation, mais aussi les membres du gouvernement, les principaux responsables de l’administration, de l’armée, des grandes institutions, les députés, les maires, les dignitaires du parti au pouvoir, etc -, tous profitant, d’une façon ou d’une autre, des miettes qui tombent de la table à manger de la bourgeoisie mondiale, comme l’illustre leur train de vie insolent dans l’un des pays les plus pauvres au monde !

Inversement, « la nouvelle république » ne changera rien non plus dans les conditions de vie des couches populaires. Pour celles-ci, comme par le passé, ce sera toujours l’exploitation, la pauvreté, la cherté de la vie, les bas salaires, le chômage, les maladies, les privations des droits élémentaires, les arrestations arbitraires, etc, qui sont les marques de la dictature actuelle !

L’actualité brûlante du pays étaye elle-même cette thèse et en fait une éclatante démonstration à travers deux événements majeurs survenus ces derniers jours. Il y a d’abord la nouvelle grève que les travailleurs de la fonction publique ont déclenchée le lundi 28 mai dernier. Elle a pour mobile le fait que, finalement, Idriss Déby Itno est revenu sur l’accord qu’il avait été contraint de signer le 14 mars dernier avec la plate-forme revendicative, dont, par ailleurs, il s’était porté lui-même garant : au lieu de respecter le versement intégral des salaires à la fin du mois de mai et le remboursement des primes et des indemnités supprimées auparavant, comme il s’était engagé à le faire, reniant sa signature et sa propre parole, il a plutôt proposé aux organisations syndicales de continuer à faire des ponctions sur les salaires jusqu’au mois de décembre, sans rien d’autre en échange, de nature à améliorer un tant soit peu les conditions de vie de vie des travailleurs. Ce qui, à juste raison, a provoqué l’indignation de ces derniers et les a poussés à appeler à la grève actuelle afin de défendre leurs intérêts. Ensuite, il y a les récents événements de Doba, marqués par une tentative d’assassinat dont ont été victimes un avocat et ses clients de la part des forces de l’ordre locales. Cette forfaiture a, comme de juste, déclenché la colère du syndicat des avocats, qui a demandé au pouvoir de rappeler les principaux responsables administratifs et militaires de la zone et menace d’entrer aussi en grève si ses revendications ne sont pas prises en compte.

Ces faits démontrent à souhait que, derrière la toge de « la quatrième république », dont le pouvoir vient de se draper, il y a surtout la froide réalité du fait qu’il s’agit du même Etat d’antan au service des riches, de la même dictature, qui n’a changé ni de nature, ni de politique ! C’est cela qui explique pourquoi, malgré le tintamarre sur « la nouvelle ère », « le changement de mentalité », au lieu de se tourner vers les coffres forts des trusts et des des bourgeois locaux, qu’il a vachement enrichis au cours de son long règne, c’est toujours dans les poches des pauvres, des travailleurs, qu’Idriss Déby Itno s’entête à chercher les moyens de satisfaire ses maîtres du FMI, qui lui exigent de faire une économie de 30 milliards sur les dépenses publiques ! C’est cela aussi qui, malgré tout le discours officiel sur la prétendue « aube nouvelle », jette, en effet, une lumière crue sur la signification profonde des derniers événements de Doba : aussi singuliers et géographiquement délimités que ces derniers soient, ils n’en sont pas moins le reflet de la situation générale du pays, qui continue toujours d’être placé sous le talon de fer de la même dictature imposée par le MPS depuis le 1er décembre 1990 !

Tel est donc, en réalité, le vrai visage de la fameuse « quatrième république » d’Idriss Déby Itno et ses partisans qui, malgré l’abondante publicité à moindre frais dont elle fait l’objet, a du mal à cacher aussi bien sa nature profonde que ses principales caractéristiques, qui font qu’elle ressemble comme une jumelle à toutes les dictatures qui l’ont précédée !

LA PLATEFORME REVENDICATIVE DEVRAIT
SE FIXER DES AMBITIONS ET DES OBJECTIFS PLUS GRANDS POUR EMPÊCHER QUA LA SOCIETE SOMBRE DANS LA DECHEANCE ET LA DICTATURE !

La grève, déclenchée par la plateforme revendicative afin d’obliger le pouvoir à revenir sur les mesures qu’il a prises, prend les allures d’un phénomène ayant toutes les chances de s’installer durablement. Mais, alors que la crise sociale paralyse les secteurs principaux de l’administration, l’Education et la Santé notamment, et s’étend en entraînant d’autres, comme tout dernièrement, les journalistes, le pouvoir, lui, fait comme si de rien n’était : utilisant des manœuvres dilatoires, en envoyant, par exemple, différents émissaires auprès des travailleurs en lutte pour leur demander de revenir à la table des négociations, Idriss Déby Itno et ses partisans donnent l’impression que, d’une manière ou d’une autre, ils ne reviendront pas sur les sacrifices énormes qu’ils ont décidé d’imposer aux travailleurs et, au-delà, à l’ensemble de la nation opprimée, juste pour satisfaire les exigences de leurs maîtres des institutions de Bretton Woods, le FMI, en l’occurrence.

Cependant, l’attitude du pouvoir, derrière laquelle certains voient la personnalité d’Idriss Déby Ino, un homme brocardé comme caractériel, doublé d’un bidasse, qui veut en imposer à tout le monde, n’est, en réalité, que dans les normes des choses : elle est l’expression de la lutte de classes, de la guerre, que, de tout temps, l’Etat tchadien a menée et mène contre les travailleurs, en particulier, et l’ensemble des opprimés du pays, en général. Les caractéristiques personnelles de ceux qui dirigent importent peu dans cette affaire-là ! Si, en effet, les dirigeants du MPS et leurs partisans ne s’attaquent pas aux plus riches, aux trusts et la bourgeoisie locale, mais au plus faibles, aux travailleurs et aux opprimés, pour trouver les moyens de juguler les conséquences de la crise économique, née du fonctionnement irrationnel de l’économie capitaliste, ce n’est pas par hasard : ils font un choix mûrement réfléchi, conscient, social et politique ! Car, tel est leur rôle, à la tête de l’Etat : vider les bouches et les poches des pauvres et des affamés pour remplir celles des riches et des trop rassasiés ! C’est cette politique-là, appliquée depuis vingt-sept ans, surtout pendant la période faste des revenus pétroliers, qui a accouché de la société actuelle, un monde profondément inégalitaire, avec, d’un côté, une minorité de bourgeois, parasites, mais privilégiés, qui s’empiffrent, se gavent, exhibent de façon ostentatoire leur opulence, de l’autre, l’écrasante majorité de la population opprimée, s’enfonçant de plus en plus dans la misère, à un point tel que, même ceux qui ont la chance d’avoir un travail, tirent le diable par la queue, ont du mal à se nourrir, à se soigner, à se loger, etc,.

Alors, oui, il n’y a rien d’étonnant dans l’attitude des dirigeants du MPS face à la grève et au sort de l’ensemble des opprimés, victimes des mesures qu’ils ont prises : ils ne sont que dans leur rôle, qu’ils jouent d’ailleurs en bonne conscience ! Il convient de souligner aussi que, ce faisant, Idriss Déby Itno et ses partisans n’innovent en rien, ni n’inventent rien, si tant est qu’ils en soient capables : ils se contentent seulement d’aller chercher dans les arsenaux de la bourgeoisie mondiale les solutions éculées, élaborées par celle-ci, pour enrichir les plus riches, comme on le voit, en France, avec les ordonnances Macron, ou, en Grèce, un pays dont les couches populaires sont étranglées par les sacrifices que leur imposent, des années durant, les banques européennes et le FMI.

Par contre, dans le contexte du bras de fer actuel entre les travailleurs et le pouvoir, le seul comportement qui pourrait intriguer est bien celui des organisations politiques, qui constituent l’opposition traditionnelle au pouvoir. En effet, alors que la crise sociale s’installe durablement, que non seulement le pouvoir fait tout pour imposer des sacrifices injustes à l’ensemble de la société, mais va jusqu’à empêcher toute tentative de manifestation en faveur des travailleurs en grève, réprimant, arrêtant, emprisonnant ceux qui osent braver son autorité, les partis de l’opposition, quant à eux, brillent par un silence fort éloquent. Seul le FONAC a, pondu, certes, un communiqué appelant ses militants à soutenir les luttes des travailleurs. Mais cela n’est resté qu’au niveau d’une position de principes, classique, loin d’être, en réalité, une politique à la hauteur des enjeux de l’heure !

En effet, ce qui se joue, au cœur du bras de fer actuel entre la plateforme revendicative est le pouvoir, c’est le sort de l’ensemble de la société. Du côté où se penchera, finalement, le balancier de l’histoire dépendra notre devenir collectif, en meilleur ou en pire ! Par conséquent, quels qu’ils soient, tous ceux qui ne voudraient pas que la société sombre dans la déchéance et la dictature, tous ceux qui rêvent d’un monde meilleur, plus juste, égalitaire, démocratique, devraient tout mettre en œuvre pour que le camp des travailleurs l’emportent, afin de mettre fin à la politique du pouvoir et aux sombres perspectives qu’elle contient ! S’il y avait, par exemple, un parti révolutionnaire, politiquement et physiquement implanté au sein des masses opprimées, c’est à cette tâche-là qu’il se consacrerait : il mettrait tout son poids, politique et humain, dans la balance, en mobilisant ses militants, mais aussi tous les moyens nécessaires, au service des travailleurs ; il se saisirait de l’opportunité qu’offre la grève actuelle pour en faire un enjeu national afin que, au moyen d’une large mobilisation populaire, les travailleurs créent un rapport des forces à même de faire plier le pouvoir et, par la même occasion, d’ouvrir ainsi la voie vers des possibilités supérieures qui permettraient que tous les problèmes relatifs aux besoins collectifs des masses opprimées, tant sociaux que politiques, soient posés sur la table, discutés, pris en compte et résolus.

Par conséquent, en l’absence d’un tel parti, qui fait cruellement défaut de nos jours, c’est à la plateforme revendicative de porter seule cette perspective-là, de la défendre ouvertement auprès des larges masses populaires, en vue de la constitution avec elles d’une riposte collective de l’ensemble des opprimés contre la politique du pouvoir. Comme elle s’est déjà engagée à s’adresser à toutes les organisations syndicales, mais aussi à celles de la société civile, afin de construire avec elles cette riposte collective, il ne lui reste qu’à doter cette perspective d’un programme, sous la forme d’un plan d’urgence, d’intérêt public, comprenant les exigences essentielles des masses laborieuses face à la cherté de la vie, mais aussi à la dictature. Les plus importantes de ces revendications, pouvant fédérer tout le monde, seraient, par exemple, l’annulation, bien sûr, des mesures prises par le gouvernement, comme le demande la plateforme elle-même, mais aussi la diminution drastique des salaires des dirigeants, des ministres, des députés, des responsables de l’armée, des gouverneurs, des préfets, sans oublier les hauts cadres des grosses entreprises publiques, une taxe plus forte sur les revenus des trusts, les grosses fortunes, une augmentation conséquente des salaires des travailleurs, tant du privé que du public, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions de retraite, des bourses, instituées comme un droit pour tout étudiant, le paiement des arriérés des salaires des fonctionnaires, l’embauche de tous les contractuels et des précaires, dans les secteurs publics essentiels, l’Education, la Santé, notamment, un revenu minimum pour tous ceux qui ne bénéficient d’aucun emploi et d’aucune allocation, notamment les femmes et les mères isolées, un fonds de soutien aux personnes âgées ne bénéficiant d’aucune retraite, une baisse importante des prix des produits et des articles de première nécessité, de l’eau, de l’électricité, du pétrole, de l’essence, du gaz, une baisse importante des prix du transport, des impôts, des loyers, l’instauration de l’échelle mobile des salaires, - chaque fois que les prix des produits indispensables augmentent, les salaires font de même, ils augmentent aussi, proportionnellement -, la gratuité effective de l’éducation et des soins dans le public, la création d’un service de transport public, la construction de logements sociaux, etc.

Le programme d’intérêt public devrait aussi comprendre des revendications politiques, conformes aux aspirations populaires face à la dictature, comme, par exemple, la libération des personnes qui viennent d’être arrêtées, dont le tort est juste d’avoir voulu exprimer leur colère en manifestant, le respect du vote des populations en changeant profondément les structures chargées de l’organisation des élections et de la proclamation de leurs résultats, la défense et la jouissance des droits démocratiques élémentaires, de réunion, d’expression, d’organisation, de manifestation, sans aucune menace ni entrave de la part du pouvoir, la rupture du cordon ombilical qui lie exclusivement la presse publique, la radio, la télévision notamment, au pouvoir du MPS, en vue de l’émancipation des journalistes du joug de celui-ci et de l’instauration d’une expression libre de toutes les sensibilités au sein de l’ONRTV, etc…

Notre bourgeoisie, grande comme petite, est venue tardivement sur la scène de l’histoire, comme un pur produit du colonialisme français, d’abord, et un valet des puissances impérialistes, notamment de la France, ensuite. Aussi est-elle pleutre, poltronne, incapable même de réaliser ses propres tâches démocratiques, comme moderniser la société en la débarrassant des structures féodales, des mœurs rétrogrades, barbares, telle l’oppression de la femme notamment. Par conséquent, c’est aussi aux travailleurs et autres opprimés en lutte qu’il appartient de se charger de ces tâches-là et de les réaliser par leurs combats. Ainsi, dans le cadre de la mobilisation générale de tous les opprimés du pays, ces derniers devraient-ils exiger également l’abolition des chefferies traditionnelles, ces structures féodales, anachroniques, sur lesquelles s’appuient toutes les dictatures en vue de leur maintien, la fin des tribunaux coutumiers, l’instauration d’une justice publique, moderne, unique pour tous, pour toutes les femmes et tous les hommes, égaux en droit, une justice libérée des coutumes et autres considérations religieuses rétrogrades, la rupture des relations entre les pouvoirs publics et les associations religieuses, - la religion devant relever du domaine du privé et de l’associatif : elle n’a pas à se mêler des affaires publiques -, le contrôle stricte de toutes les universités et écoles religieuses, quelles qu’elles soient, au niveau du contenu leur enseignement, notamment, pour voir s’il est conforme au caractère laïque de l’Etat, une lutte hardie contre l’oppression de la femme, comprenant l’interdiction effective du mariage des filles mineures, de la dote, qui ressemble à un prix d’achat des filles, de la polygamie, - symbole officiel de l’oppression de la femme -, de la coutume qui qui permet à un père de donner sa fille en aumône, tel un mouton, une révolution agraire profonde afin que les paysannes soient propriétaires des terres qu’elles travaillent, l’instauration d’un Code familial progressiste, donnant aux femmes les mêmes droits que les hommes face à l’héritage, à la garde des enfants, au divorce, l’octroi d’une pension à la femme divorcée si c’est à elle qu’il revient de garder les enfants, l’interdiction de la coutume qui veut qu’une femme épouse, malgré elle, le frère de son mari défunt ou un membre de la famille de celui-ci, lui revenant ainsi tel n’importe quel objet dont il hérite, la parité totale dans toutes les institutions publiques et les partis politiques, l’harmonisation des droits sur le lieu du travail : toute femme qui a le même diplôme ou remplit la même responsabilité qu’un homme doit avoir le même salaire que lui, l’abolition du port du voile dans les lieux publics, les écoles, les lycées, les collèges, les universités, les bureaux, - comme le réclament les femmes musulmanes tunisiennes, algériennes, iraniennes ou même saoudiennes, en lutte contre l’intégrisme religieux-, la mixité des femmes et des hommes, des filles et des garçons dans les espaces publics, la construction des centres de formation professionnelle destinés à fournir aux femmes une spécialisation dans plusieurs domaines afin qu’elles aient une qualification en vue d’un métier, la création par l’Etat des crèches, des garderies, pour détacher les femmes du lourd fardeau relatif à la maternité, mais aussi des maquis géants, des restaurants publics, dans les centres administratifs, les zones industrielles et tous les quartiers des grandes villes, avec un personnel qualifié, où tous ceux qui travaillent, tant dans le public que dans le privé, peuvent venir se restaurer grâce à des tickets payés par leurs employeurs, afin que les femmes s’émancipent des tâches ménagères, notamment du devoir de faire la cuisine, et consacrent leur temps libre à leur formation culturelle ou à leurs loisirs, une vaste campagne d’alphabétisation des adultes et des jeunes, déscolarisés, femmes et hommes, filles et garçons, en vue de leur permettre d’être autonomes et capables de remplir les tâches administratives élémentaires, une vaste propagande contre toute forme d’obscurantisme, contre l’influence réactionnaire de toutes les religions, qui obscurcissent la conscience des travailleurs, prêchent le culte du chef, l’adaptation à l’ordre établi, avec ses inégalités, ses injustices, sous prétexte que ce serait le fait du destin, mais aussi contre le nationalisme, l’ethnisme, le tribalisme, le régionalisme, la misogynie, la division en castes, toutes ces choses dont les politiciens bourgeois se servent pour opposer les opprimés les uns aux autres, pour les diviser, afin de mieux les dominer, pour les empêcher de prendre conscience du fait qu’ils constituent une seule et même classe, à part, celle des pauvres, qui ont les mêmes intérêts, quelles que soient leur culture, leur religion, leur région ou leur nation, parce qu’ils subissent tous la même exploitation, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes inégalités, la même dictature, imposées par le même Etat et le même patronat, au service des riches, etc…

Tel est donc l’enjeu, au cœur du bras de fer actuel entre le monde du travail et le pouvoir. L’objectif est d’opposer à la politique du pouvoir une perspective qui mette en avant des revendications communes aux masses populaires afin de rassembler ces dernières autour de la défense collective de leur droit à la vie, par le biais d’une riposte commune, construite consciemment, contre la politique du gouvernement, dans le but ultime d’empêcher que la société entière s’enfonce de plus en plus dans la misère et la dictature. C’est un enjeu de taille, certes, mais aussi à portée de main ! Car, si, s’appuyant sur la détermination des travailleurs en lutte, mais aussi sur la colère populaire profonde qui couve dans le pays, la plateforme propose cette perspective-là à l’ensemble des opprimées, qui cherchent une issue à leur situation, il n’y a rien qui puisse empêcher que ce qui relève d’une aspiration aujourd’hui devienne une réalité demain !

VIVE LA GREVE !

Le moins que l’on puisse dire est que les seize mesures prises en 2016, dont les conséquences désastreuses se font encore sentir sur la vie des masses populaires, n’ont pas suffi ! En effet, sous la pression du FMI, qui leur demande de faire des économies de 30 milliards dans les dépenses publiques, Idriss Déby Itno et son gouvernement n’ont pas trouvé mieux que de se lancer, une fois de plus, dans une nouvelle guerre contre les intérêts du monde du travail et, par répercussion, contre ceux de l’ensemble de la nation opprimée : ils ont diminué les salaires et supprimé de 50% les primes et indemnités des travailleurs de la fonction publique. Par ailleurs, comme si cela ne suffisait pas encore, ils ont aussi procédé à l’augmentation des prix de certains produits, tels le gasoil, l’essence, et la taxe d’habitation.

Avant que ces mesures ne soient appliquées, dès leur annonce, elles avaient été accueillies par une bronca d’indignation et de colère de la part de ceux qui allaient en être les victimes, les travailleurs notamment, tant du public que du privé. C’est ainsi que, dès que l’augmentation des prix de l’essence et du gasoil est devenue une réalité dans les stations, le syndicat des transporteurs a réagi par un mot d’ordre d’une grève générale de deux jours, les 22 et 23 janvier derniers. Le premier jour, la grève a été une réussite totale : les rues étaient désertes, la circulation, fluide, les gares, vides, à l’arrêt, à tel point que le ministre des transports a dû ramper vers les syndicats des transporteurs pour engager des négociations, qui se prolongent encore aujourd’hui. Quelques jours après, ayant constaté que les salaires avaient été diminués, la plateforme syndicale revendicative a lancé le mot d’ordre d’une grève illimitée le 29 décembre dernier. Depuis cette date, d’autres secteurs du monde du travail ont rejoint le mouvement social. C’est le cas des travailleurs de la justice, des médecins, mais aussi ceux du secteur privé, les banques, les hôtels, l’énergie, les mines et le pétrole, notamment, qui ont observé aussi deux jours de grève largement suivis.

Ce nouveau bras de fer entre Idriss Déby Itno et le monde du travail, mobilisé dans ses différentes organisations syndicales, est, certes, l’expression du refus par l’écrasante majorité des travailleurs du pays des mesures gouvernementales. Mais, si l’on considère le contexte politique et social général, marqué par vingt-sept ans de dictature, de diverses frustrations et injustices, nul doute qu’il va plus loin, bien au-delà des circonstances apparentes : cette grève se nourrit, en effet, du ras le bol général qui couve dans le pays. Elle en est l’expression éclatante. Toutes les actions menées ces derniers jours derrière la plateforme syndicale, dans le transport, à l’Education, à la Santé, aux Finances, mais aussi dans le privé, les banques, les hôtels, les mines, le pétrole, l’énergie, etc, symbolisent, en réalité, la colère, l’exaspération de larges couches de la population opprimée, qui ont plus que marre de la politique d’Idriss Déby Itno et ses partisans ! C’est cela qu’exprime la détermination des travailleurs des différents secteurs en grève ! C’est ça aussi la source profonde de la sympathie populaire dont jouit cette grève, comme on l’entend sur les ondes des différentes radios !

En effet, après vingt-sept ans de règne, le plus grand exploit d’Idriss Déby Itno et ses partisans au pouvoir, c’est d’avoir réussi à créer dans ce pays, l’un des plus pauvres au monde, une société profondément stratifiée, inégalitaire, où toute la politique de l’Etat consiste essentiellement à promouvoir une minorité de bourgeois parasites au détriment des besoins collectifs de l’écrasante majorité de la population, que sont les travailleurs, les paysans pauvres et autres opprimés, laissés-pour-compte. Certes, cela n’est pas nouveau dans l’histoire politique du pays : de tout temps, depuis ses origines remontant à la période coloniale jusqu’aujourd’hui, l’Etat tchadien, dont le pouvoir s’apprête à discuter de la forme et des institutions dans son prochain forum, a toujours agi ainsi, comme un instrument de domination des masses populaires, aux mains de la bourgeoisie locale, elle-même au service de l’impérialisme français. On pourrait dire aussi que tout cela n’est pas exclusif au Tchad : c’est ainsi que se comportent tous les Etats bourgeois du monde, quels qu’ils soient, suivant la logique implacable du capitalisme qui voudrait que l’économie serve essentiellement à rendre les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, avec comme inévitable corollaire, l’accumulation, à un pôle, et la paupérisation, à l’autre.

Mais, ce qui se passe dans ce pays sous leur long règne du MPS n’a peut-être d’équivalent nulle part dans le monde ! Même pas dans des pays comme le Burundi, la RDC ou, hier, Haïti sous la férule des Duvalier ! Car, l’exploitation des ressources tant naturelles qu’humaines du pays qu’impose l’Etat, au profit des multinationales, s’accompagne d’une gabegie sans fond, d’un pillage sans précédent, à ciel ouvert, des biens publics, oeuvre d’une minorité d’individus au sommet du pouvoir ou proches de celui-ci, dont la voracité est sans fin, la rapacité, sans limites, qui s’enrichissent à vue d’œil, au su et au vu de tout le monde, en bonne conscience, grâce aux différents leviers de commandement et aux régies financières qu’ils contrôlent. Cette dilapidation des biens publics par ceux qui sont au sommet de l’Etat a atteint une proportion telle que, dans un bref moment de lucidité, un jour, Idriss Déby Itno lui-même n’a pas hésité de reconnaître publiquement qu’il n’est « entouré que de voleurs ».

Aussi, toute cette politique qui consiste à enrichir essentiellement les trusts et leurs valets locaux de tout genre a-t-elle pour conséquence la dégradation constante des conditions de vie des couches populaires, d’année en année, malgré les revenus pétroliers, qui, finalement, n’ont servi qu’à alimenter ce vol généralisé des biens publics, base de l’enrichissement de la bourgeoisie locale, petite et grande. La société ne pouvant engraisser une minorité de parasites tout en résolvant les besoins collectifs des masses opprimées, la conséquence de tout cela est donc la lente descente de celles-ci dans les profondeurs de la misère : en ville comme en province, l’immense majorité des couches populaires a du mal à se nourrir, se soigner, s’éduquer, se loger, etc, sans, par ailleurs, jouir des moindres libertés élémentaires, car, tout cet ordre social inique, injuste, se trouve placé sous le talon de fer d’une dictature féroce, comme l’illustrent les dernières interdictions de manifester ou la suspension des partis politiques.

Voilà donc le contexte social et politique où se déroule le bras de fer actuel entre le monde du travail et le pouvoir, un contexte chargé de frustrations, de dégoût de la politique en vigueur par les masses populaires lassées de subir, des années durant, des privations de toutes sortes ! Voilà donc qui explique aussi la sympathie populaire dont bénéficie cette grève, mais également sa justesse ! Oui, les travailleurs qui rejettent catégoriquement les mesures prises par le pouvoir ont mille fois raison ! Ce n’est pas à eux de faire les frais de la crise économique du système capitaliste, ce système irrationnel, qui sacrifie l’écrasante majorité de l’humanité sur l’autel du profit, dont Idriss Déby Itno et son gouvernement sont les serviteurs locaux ! Si ces derniers veulent de l’argent pour résoudre les conséquences de la crise de leur système, ils n’ont qu’à le chercher là où il est : dans les coffres forts des trusts, Esso, Airtel, Glencore, Bolloré, CNPICI, mais aussi des bourgeois locaux, qu’ils ont contribué à enrichir au détriment des masses populaires. Pas dans les poches des travailleurs !

Vu la volonté du pouvoir de leur imposer de nouveaux sacrifices pour satisfaire le FMI, les travailleurs n’ont donc pas d’autre choix que de se battre pour le contraindre à retirer ses mesures. Ils en ont objectivement les moyens ! En effet, à cause de leur position au cœur de l’économie notamment, ils jouent un rôle fondamental dans tout ce qui fait marcher la société. Ce sont eux qui font fonctionner les secteurs industriels dont dépend le pays : les sites pétroliers, la Coton Tchad, la STE, la SLE, la SONASUT, la SONACIM, la Brasserie, la Poste, la Téléphonie, mais aussi les banques, les assurances, le bâtiment, le transport, etc. Dans l’administration également, rien ne se fait sans leur force de travail ou leur intelligence : la Santé, l’Education, la justice, la Culture, la Communication, bref, tous les secteurs publics essentiels ne fonctionnent que grâce à eux. Contrairement aux classes dirigeantes et autres privilégiés qui, tels des parasites, inutiles, vivent sur le dos de la société, les travailleurs, eux, en sont la sève, la source nourricière, dont dépend toute l’organisation sociale. Ce rôle particulier, nécessaire, qu’ils jouent leur confère en même temps une force colossale dont ne dispose aucune autre classe sociale. Par conséquent, s’ils sont conscients de cet état des choses et s’ils en ont l’ambition, ils sont capables de bloquer tout le pays, de le paralyser, de le couper du reste du monde et, par ce biais, d’imposer les revendications populaire au pouvoir !

Mais, cela nécessite une politique ! Pour faire reculer le pouvoir, la seule perspective qui en vaille la peine est celle d’une riposte collective du monde du travail contre la politique du gouvernement. Car, individuellement, aucun secteur n’est à même de changer le rapport des forces entre lui, d’une part, le pouvoir et le patronat, de l’autre. Par contre, tous les travailleurs du pays, tant du public que du privé, secteurs et catégories confondus, unis autour de la nécessité de défendre collectivement leurs intérêts de classe et leur droit à la vie, pourraient changer la donne, c’est-à-dire le rapport des forces entre eux et le pouvoir ! Par-delà les chapelles syndicales, seule cette stratégie de l’unité de tous les travailleurs pourrait donner à ces derniers les moyens d’imposer les aspirations populaires au clan du pouvoir et celui du patronat. La plateforme syndicale l’a d’ailleurs fort bien compris : lors de sa conférence de presse, elle s’est adressée à l’ensemble du monde du travail, à toutes les organisations syndicales, les invitant à construire ensemble cette riposte collective. Par conséquent, c’est cette perspective-là qu’il conviendrait de construire, méthodiquement, consciemment, en vue d’une mobilisation générale du monde du travail, pour une riposte collective contre la politique du pouvoir !

Par ailleurs, à travers les mesures que le pouvoir vient d’imposer, en réalité, ses attaques ne se limitent pas qu’aux travailleurs. Leurs conséquences désastreuses vont au-delà du monde du travail : elles s’étendent sur l’ensemble de la nation opprimée. Quand on sait que dans ce pays le salaire est le seul moyen dont disposent des milliers d’entre nous pour faire vivre des milliers de familles comprenant plusieurs personnes, la réduction du pouvoir d’achat des travailleurs fragilisera inévitablement la vie de l’ensemble des opprimés du pays. C’est toute la société qui en sera touchée et sombrera de plus en plus dans la précarité.

C’est pourquoi, dans leur combat, les travailleurs auraient intérêt à s’ouvrir aussi aux autres catégories de la population qui souffrent des mêmes problèmes qu’eux pour leur offrir une politique, les entraîner dans la lutte, en vue de la défense de leurs intérêts communs. Cette perspective-là aussi la plateforme revendicative l’a bien comprise : lors de sa conférence de presse, elle l’a défendue publiquement en s’adressant aux organisations des droits de l’homme, aux associations des femmes, des étudiants, des élèves, des jeunes, des consommateurs, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres, aux millions donc d’autres opprimés, étranglés, comme les travailleurs, par la même crise du capitalisme et la politique du gouvernement. L’adresse à toutes les organisations du monde de travail et de la société civile a été aussi réaffirmée dans un tract diffusé par l’UST lors de la dernière assemblée générale du mercredi 07/02 dernier, organisée par la plateforme syndicale.

Dans le bras de fer actuel entre le monde du travail et le pouvoir, rien n’est joué d’avance. Nul ne peut, pour l’instant, dire de quel côté se penchera le balancier de l’histoire. La page de celle-ci reste vierge. Mais, si les travailleurs en lutte sont conscients de la force qu’ils constituent, s’ils sont déterminés à aller jusqu’au bout comme ils le disent, ils ont largement les moyens de la remplir à leur manière. Oui, si la plateforme revendicative oppose à la politique du pouvoir, de façon méthodique et organisée, une politique qui mette en avant des objectifs sur lesquels toutes les masses opprimées peuvent être d’accord parce que reflétant les intérêts communs de tous, comme le droit au travail pour tous, le droit à un salaire correct, le droit de se nourrir, de se loger convenablement, le droit à la santé, aux soins, le droit de donner une culture moderne à ses enfants, le droit aux libertés élémentaires, bref, le droit à la vie tout simplement, en vue de construire avec elles une riposte collective afin de faire plier le pouvoir, cette tâche-là n’est pas impossible !

Le mercredi passé, lors de l’assemblée générale organisée à la bourse du travail, le tract diffusé par l’UST se concluait ainsi : « TRAVAILLEURS ET OPPRIMES, DE TOUTES LES ETHNIES, DE TOUTES LES RELIGIONS, DE TOUTES LES REGIONS, UNISSONS-NOUS POUR DEFENDRE COLLECTIVEMENT NOTRE DROIT A LA VIE ! »

Par conséquent, tous ceux qui sont réellement révoltés par la situation actuelle, tous ceux
qui ne voudraient pas que la société sombre dans la déchéance et la dictature devraient tout faire pour que cette perspective-là soit une réalité vivante et organisée, capable d’offrir des possibilités supérieures vers un avenir meilleur, car c’est de tout cela que sont grosses les luttes actuelles que mène le monde du travail.

Alors, oui, vive la grève !

FACE A LA DICTATURE IMPOSEE ET SOUTENUE PAR L’IMPERIALISME FRANCAIS , LES MASSES OPPRIMEES N’ONT PAS D’AUTRE ALTERNATIVE QUE CELLE DE LEUR MOBILISATION ET LEURS PROPRES LUTTES !

Ainsi, après s’être fait proclamer vainqueur de l’élection présidentielle en s’appuyant essentiellement sur l’armée, Idris Déby Itno vient-il d’être couronné président de la république par la Cour Constitutionnelle, un organe dirigé par des sous-fifres à sa solde, créé pour couvrir ses forfaitures d’un vernis démocratique ! Devant un aréopage de dictateurs africains, - parmi lesquels d’affreux torpilleurs de constitutions et créateurs du fameux « coup ko » -, mais aussi de représentants des pays riches, dont la France, bien sûr, et la classe politique locale à lui dévouée, il a rempilé, le 8 août dernier, pour un enième mandat qui, même avec l’introduction de la limitation de celui-ci à deux magistratures, risque de prolonger son long règne, vieux de vingt-six ans bientôt, jusqu’en … 2026 !

Derrière ce comportement d’Idriss Déby Itno, qui foule au pied la volonté de changement exprimée par les masses opprimées lors de la dernière élection et montre, certains pointent du doigt la soif du pouvoir qui animerait ce dernier. D’autres, par contre, y voient le caractère autoritaire de l’individu lui-même et, donc, de son régime, qu’ils qualifient de dictatorial. La presse locale et la toile notamment foisonnent d’échos de ces sentiments, expression d’un véritable rejet du pouvoir actuel par des larges couches populaires, qu’on trouve surtout dans une frange importante de la jeunesse, celle qui, d’année en année, se forme à travers les événements marquants du pays et devient de plus en plus consciente de la vraie nature du pouvoir actuel.

De par sa double formation, celle d’un bidasse de l’armée dite nationale et de pur produit de la dictature d’Hissein Habré, son ancien mentor qu’il a rejoint dans les années 80 sur la base du mensonge historique fondé sur la prétendue ambition de la Lybie de Khadafi de « manger » carrément le Tchad, on peut dire, en effet, qu’Idriss Déby Itno a toutes les caractéristiques d’un satrape. La façon dont il dirige le pays depuis bientôt vingt-six ans en s’appuyant essentiellement sur sa bande armée, comme lors de la proclamation des résultats de la dernière élection présidentielle, le prouve amplement, en plus de la misère, des maladies, des privations de toutes sortes, imposées aux masses populaires, mais aussi des multiples arrestations arbitraires, des assassinats crapuleux et autres interdictions des libertés élémentaires, comme celle de manifester, qui ont émaillé jusque-là sa gestion de la chose publique.

Mais si on réduit ce comportement uniquement à des considérations personnelles, même justes, on ne verra qu’un aspect des choses, et pas forcément le plus important ! Car, dans le désir du président actuel de rester au pouvoir, de toutes les manières, il y a surtout des raisons politiques et sociales, profondes, qui dépassent de loin le cadre sa propre personne. Celles-ci tirent leur origine de la situation générale du pays, qui place ce dernier sous la férule de l’impérialisme français, au point d’en faire une chasse gardée de ce dernier, depuis des décennies remontant jusqu’à la période coloniale.

En effet, malgré le culte nauséabond dont l’entourent ses laudateurs et autres partisans, qui vont jusqu’à brosser de lui l’image d’un dirigeant de stature continentale, dont dépendrait le sort de l’Afrique, en réalité, comme ses prédécesseurs, Idrisa Déby Itno, lui aussi porté et maintenu au pouvoir par l’impérialisme français, n’est qu’un valet, un petit commis, au service d’une vaste entreprise d’exploitation qui a commencé, hier, avec la monoculture imposée du coton et continue, aujourd’hui, avec l’exploitation du pétrole et d’autres ressources, tant humaines que naturelles, au profit essentiellement des trusts et des multinationales, français, américains, chinois et autres, ayant la mainmise sur l’économie du pays. Tel est, de façon classique, son rôle, qui consiste à veiller sur cette entreprise d’exploitation-là, en en assurant l’ordre dont a besoin la bourgeoisie internationale pour piller le pays et ses masses populaires. Voilà essentiellement ce pourquoi il se doit de rester au pouvoir, car telle est la responsabilité à lui confiée par l’impérialisme français, à qui il doit son maintien à la tête du pays, et qui, on l’a vu, n’a pas eu du mal à s’accommoder de sa forfaiture et de ses turpitudes !

Dans ce cadre global, intervient un autre élément qui fonde aussi la volonté d’Idriss Déby Itno de se maintenir au pouvoir : c’est le contexte politique africain actuel, marqué par la décomposition dont un bon nombre d’Etats sont victimes, notamment ceux de la sous-région, essentiellement à cause, d’une part, de la crise du capitalisme mondial et, de l’autre, des politiques économiques et sociales appliquées par nos dirigeants. Cette décomposition, née des frustrations, des exaspérations, qui poussent sur le terreau de la misère, des injustices, des inégalités, qu’imposent nos Etats aux couches populaires, se manifeste sous la forme d’une violence multiple, à plusieurs visages, allant des affrontements ethniques, - comme tout dernièrement en RCA, au Soudan du Sud -, à de véritables explosions sociales, - comme en Tunisie, en Egypte, au Burkina Faso - en passant par des actes barbares perpétrés par des monstres produits par le fonctionnement normal du capitalisme en Afrique, tels les assassins de Boko Haram au Nigéria, ceux d’Aqmi, dans le Nord du Mali ou de DAESH en Libye.

Ce contexte de décomposition générale a été, il y a un peu plus d’un an, à l’origine de l’opération Barkhane, échafaudée par l’impérialisme français, avec le soutien des Américains, en vue de faire face à toute tentative de remise en cause violente des Etats du Sahel et au-delà, qui pourrait constituer un risque pour les intérêts des trusts français et autres, Areva, Shell, Bouygues, Bolloré, Elf-Total, Exxon, par exemple. Or, dans cette construction militaire, conçue essentiellement pour protéger nos dictatures afin qu’elles continuent à jouer leur rôle de valets des puissances impérialistes, le Tchad, pays qui, depuis la période coloniale jusqu’à nos jours, abrite une base militaire française et joue traditionnellement un rôle important dans le redéploiement militaire stratégique de l’impérialisme français sur le continent, est l’un des principaux rouages : c’est N’Djaména qui est la plaque tournante de l’opération Barkhane.

Ayant réussi à s’équiper militairement pour défendre son propre pouvoir, grâce aux retombées du pétrole et ce, au détriment des besoins essentiels des masses populaires, Idriss Déby Itno tient, dans cette opération, le rôle d’un petit gendarme chargé du maintien de l’ordre, qu’il joue et accomplit avec la peau des jeunes Tchadiens, enrôlés dans l’armée et sacrifiés ici et là sur l’autel, non pas de « la liberté et de la paix », comme le prétendent le pouvoir et la presse officielle, mais des intérêts froids de l’impérialisme international et des couches dirigeantes locales. Pour contrer donc la menace des illuminés de Boko Haram et autres, - ces barbares nés de la barbarie générale du capitalisme qui étrangle nos sociétés, impose à nos masses opprimées la misère, les maladies, les injustices et les oppressions de toutes sortes, dont celle de la femme notamment -, l’impérialisme français a, par conséquent, besoin de l’ancien chef d’état-major d’Hissein Habré, parce que, parmi tant d’autres prétendants locaux à la dictature, il est le seul qui ait pu s’offrir la bande armée la plus importante, la mieux équipée, à même de maintenir l’ordre nécessaire à la domination impérialiste. Voilà pourquoi aussi, malgré toutes les irrégularités et le coup de force perpétrés par Déby et ses partisans lors de la dernière élection, qui, ailleurs, auraient servi de prétexte à Hollande et compagnie pour s’indigner hypocritement au nom de la démocratie, des droits de l’homme, du respect du libre choix des populations, etc, la France n’a pas levé le petit doigt et a couvert, puis béni leur hold-up électoral d’un silence fort éloquent et complice !

Mais, il y a également des facteurs d’ordre local, qui justifient la volonté d’Idriss Déby Itno de rester au pouvoir, coûte que coûte ! En effet, depuis vingt-six ans bientôt qu’il est à la tête du pays, celui-ci représente les intérêts d’une multitude de gens, qui se sont alliés à lui, dont les aspirations, les ambitions, les projets de vie s’incarnent en lui. On les trouve dans tous les secteurs essentiels du pays : dans l’économie, les affaires, les banques, les assurances, les unités industrielles, le gouvernement, à l’assemblée nationale, dans l’administration, dans les différentes institutions étatiques, dans son parti, etc. C’est le cas, par exemple, des différents dignitaires, des ministres aux maires en passant par la hiérarchie militaire, les gouverneurs, les préfets, les sous-préfets, les conseillers, les directeurs généraux, tous membres du MPS, mais aussi les chefs traditionnels et religieux, ces représentants du fatras réactionnaire local, sur lesquels s’appuient toutes les dictatures pour obscurcir la conscience des masses opprimées par des prêches et autres balivernes au nom de la paix ; c’est aussi celui des principaux responsables et dignitaires politiques du MPS ou des opérateurs économiques de ce parti, notamment leur frange de milliardaires et autres multimillionnaires, qui se sont enrichis sous l’ombre du pouvoir, souvent en peu de temps, grâce aux miettes qui tombent de la table à manger des trusts pétroliers et à la surfacturation des marchés publics.

En Idriss Déby Itno se concentrent, se réfractent les intérêts multiples de tous ces gens-là, membres du cercle restreint des privilégiés du pays, que l’Etat engraisse comme des oies de Noêl, alors que les conditions de vie de la majorité pauvre de la société n’arrête pas de se dégrader. C’est donc aussi pour cela, pour les intérêts de cette minorité de parasites, que le locataire du Palais rose doit rester au pouvoir, même si, par ailleurs, le scandale du vol, du pillage des derniers publics par les siens est tel qu’il le reconnaît lui-même, au point d’avouer publiquement qu’il n’est « entouré que des voleurs » !

Enfin, dernière raison, mais aussi la plus importante des toutes, sans doute, celle qui permet à Idriss Déby Itno de disposer d’un avantage considérable que n’a aucun de ses rivaux et de réaliser son dessein de rester au pouvoir : l’Etat !

En effet, mieux que quiconque, l’ancien chef d’état-major d’Hissein Habré, arrivé au pouvoir grâce à un coup de force militaire, sait que ce ne sont pas les idées vaguement généreuses sur la démocratie, la justice, l’égalité, la liberté, dont sont friands les dirigeants de l’opposition, qui font marcher les choses. Formé à l’école de la dictature de la DDS, pour lui, à juste titre, ce qui compte et qui décide de la marche des événements, c’est le rapport des forces qui, pour l’instant, est en sa faveur. Il est conscient du fait que s’il est à la tête du pays, ce n’est pas parce qu’il aurait les meilleures idées, le meilleur projet politique et social ni l’adhésion massive et nécessaire des masses populaires, mais tout simplement parce qu’il dispose d’un état-major politique et militaire, symbolisé par l’armée, la police, la gendarmerie, le gouvernement, l’administration, la justice, les institutions publiques diverses, qui sont tous à sa solde, en plus du soutien indéfectible de l’impérialisme français. C’est de cet ensemble organisé appelé communément l’Etat qu’il tire son pouvoir et sa logique dictatoriale ! C’est cela qui lui permet d’imposer aussi bien ses choix, politiques, sociaux, sa manière de faire que les hommes dont il a besoin pour diriger et non autre chose. On l’a vu notamment lors de la dernière élection, au cours de laquelle il s’est essentiellement appuyé sur ce rapport des forces en sa faveur pour, d’une part, s’offrir une campagne à la mesure de son ambition, en utilisant les moyens de l’Etat afin de sillonner tout le pays, d’acheter des consciences, de bourrer les urnes, et, d’autre part, au final, d’utiliser les institutions prévues à cet effet pour se proclamer vainqueur, sous le parapluie de l’armée.

Au-delà des caractéristiques personnelles de l’individu, voilà donc les raisons essentielles qui ont, dès le début, scellé le sort de la dernière élection à un point tel que, bien avant que les populations n’aient élu celui qui serait leur président, Idriss Déby Itno s’était permis de poser sa candidature à la tête de l’Union africaine, comme s’il savait d’avance que ce serait lui qui gagnerait les prochaines joutes électorales, démontrant ainsi au passage le peu de respect, d’importance, qu’il accorde à l’opinion, au choix, des masses populaires et, au-delà, à l’élection elle-même ! Dans ces circonstances, ces mêmes raisons jettent également une lumière crue sur la nature même de cette dernière et en étalent au grand jour ce qu’elle était réellement : une farce, une mascarade, truquée, jouée d’avance, dont l’issue ne souffrait de l’ombre d’aucun doute, mais aussi une habile supercherie, juste bonne pour divertir les plus naïfs enclins à croire qu’on pourrait changer le cours de l’histoire par de simples bouts de papiers dans une urne !

Ceci dit, que faudrait-il faire alors pour sortir de cette énième impasse ?

On ne peut évidemment pas répondre à cette question sans tenir compte du contexte politique actuel, marqué par le contentieux électoral entre le pouvoir et son opposition, notamment la frange de celle-ci organisée au sein du FONAC (Front de l’Opposition Nouvelle pour l’Alternance et le Changement). En effet, depuis le coup de force électoral, sous le contrôle de l’armée, qui leur a permis de se proclamer vainqueurs de l’élection présidentielle, pour les responsables du MPS, le débat électoral est clos. Il l’est d’autant plus depuis que leur candidat a été investi dans ses novelles fonctions, puis adoubé par l’impérialisme français et la communauté internationale. Par contre, les principaux chefs de l’opposition, notamment les Kebzabo, Alhabo, Dadnadji, Laokein, Gali et leurs partisans, malgré les dissensions en leur sein, campent tous sur leur position initiale : ils continuent à refuser de reconnaître le pouvoir actuel issu du dernier hold-up électoral et, pour sortir de cette impasse, réclament la tenue d’un dialogue inclusif en vue d’une recomposition du paysage politique, tout en menaçant, par ailleurs, d’entreprendre des actions qu’ils qualifient d’avance de « pacifistes » pour obtenir gain de cause.

Pour l’heure, nul ne peut dire à quoi aboutira ce bras de fer entre Idriss Déby Itno et les principaux chefs de son opposition. Seul l’avenir nous situera. Mais d’ores et déjà, sans aucun risque de se tromper, on peut affirmer que, quelle que soit la tournure que prendra cette guéguerre entre les différents protagonistes de la dernière élection, quelle qu’en soit l’issue, pour les masses opprimées, il n’en sortira rien de bon ! En effet, qu’Idriss Déby Itno et ses rivaux s’entendent autour d’un compromis ou que l’un des deux camps l’emporte sur l’autre, cela ne changera rien dans les conditions sociales des couches populaires : pour celles-ci, ce sera toujours l’exploitation, la cherté de la vie, la misère, les maladies, les injustices de tout genre, etc, avec, au bout, le même Etat dictatorial ! Car, ces politiciens-là, les Déby, Kebzao, Alhabo et autres, sont des gens d’un même monde, qui se connaissent, se fréquentent, ont déjà travaillé ensemble : ils défendent rigoureusement les mêmes intérêts, ceux de l’impérialisme français notamment et des riches locaux, dont ils sont tous les fidèles serviteurs. La seule chose qui les oppose, c’est juste la question du partage du pouvoir, certains cherchant à s’y maintenir, d’autres à y accéder pour, dans tous les cas, faire la même politique sous de nouvelles formes.

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Par conséquent, les masses populaires n’ont rien à attendre de ces politiciens-là ! Ils n’ont aucun intérêt à écouter les sirènes de l’un ou l’autre bord. Le bras de fer entre Idriss Déby Itno et ses différents rivaux ne les concerne pas. Seuls devraient compter plutôt leurs propres intérêts de classe, les intérêts des pauvres en général, des travailleurs, des opprimés, différents de ceux de la bourgeoisie dont les politiciens du pouvoir et ceux de l’opposition ne sont que des larbins.

Contrairement à ce que veulent nous faire croire les responsables du pouvoir comme ceux de l’opposition en cherchant à focaliser l’attention des gens sur leur différend, les travailleurs et l’ensemble des opprimés ont d’autres préoccupations et d’autres combats à mener, essentiellement contre la politique du pouvoir : contre l’exploitation, la misère, les bas salaires, le chômage, la cherté de la vie, les maladies, l’ignorance, le manque des libertés élémentaires, les oppressions de tout genre, notamment celle da la femme, etc. Pour ce faire, ils ont donc tout intérêt à s’organiser, à s’unir, par-delà les différences culturelles, régionales et religieuses, afin de se défendre collectivement contre les démagogues de tout bord qui sont tous leurs véritables ennemis. C’est en se mobilisant comme une seule classe ouvrière, unissant en son sein tous les travailleurs, des secteurs publics et privés, mais aussi les chômeurs, les retraités, et en s’ouvrant aux associations des droits de l’hommes, à celles des étudiants et élèves, des femmes, des consommateurs, des journalistes, des paysans pauvres, des artisans, des artistes, etc, que les travailleurs pourront entraîner tous les opprimés derrière eux et constituer avec ceux-ci un rapport des forces de taille à s’imposer à celui de la dictature et faire reculer celle-ci au point de l’obliger à respecter leurs aspirations, tant sociales que démocratiques : c’est de cette façon et de cette façon seulement qu’ils pourront améliorer leur condition de vie, accéder, de façon durable, aux libertés démocratiques, mais aussi faire barrage au risque d’affrontements ethniques que les politiciens démagogues du MPS comme ceux de l’opposition font planer sur le pays, juste pour bénéficier des avantages du pouvoir.

Il n’y a pas d’autre alternative ! La seule perspective qui en vaille la peine et soit capable de faire plier la dictature, c’est celle de la mobilisation des travailleurs et de l’ensemble des opprimés en vue d’une riposte collective contre la dictature en place ! Aussi est-ce dans cette direction qu’il faut aller, en tirant les leçons des dernières initiatives – marches, « villes mortes », « sifflet citoyen », grèves- et en saisissant toutes les opportunités futures pour continuer les luttes, surtout pour les étendre, les développer, les amplifier, en vue de construire, avec méthode et patience, un mouvement de « tous ensemble » contre la dictature d’Idriss Déby Itno, dans le but affiché de la faire plier. Dans les jours et les mois à venir, telle devrait être la tâche de tous ceux qui, quel que soit leur secteur d’activité, leur statut social, syndicalistes, militants des partis politiques, des associations, étudiants, élèves, etc, femmes et hommes, jeunes et vieux, sont réellement révoltés par le pouvoir du MPS et aspirent à de véritables changements, tant sociaux que démocratiques !

LE BAL DES HYPOCRITES

Le bombardement, par des Mirages français, les 3 et 7 février dernier, d’une colonne de rebelles tchadiens a fait couler tant d’encre et de salive dans le pays. Il a suscité un faisceau de réactions contradictoires, du moins en apparence, avec, d’un côté, ceux qui approuvent et justifient cette intervention, et, de l’autre, ceux qui en contestent le bien fondé. Pendant des jours, toute la classe politique, composée, d’un côté, du MPS et ses alliés, et, de l’autre, de l’opposition, tant parlementaire que militaire, et ses partisans, s’est mise en scène à travers des postures qui puaient aussi bien l’hypocrisie, la duplicité que l’arnaque politique !

Dans ce cinéma à moindre frais, la palme d’or est revenue aux responsables du MPS. Mobilisant leurs partisans, mais aussi, les moyens de l’Etat, l’administration et les médias publics, – la radio et la télévision notamment -, ces derniers se sont lancés dans une vaste campagne de désinformation au cours de laquelle ils ont abreuvé les populations de propos mensongers, aussi grotesques les uns que les autres !

Ainsi, alors que tout le monde sait que la colonne bombardée par les Mirages français était celle de l’UFR, une bande armée dirigée par Timan Erdimi, un neveu d’Idriss Déby Itno, pour justifier l’intervention française, celui-ci et ses partisans l’ont présentée comme celle d’un groupe de terroristes armés, formés en Libye, faisant irruption dans le pays pour y détruire « les institutions démocratiques » dans le but « d’imposer la charia ». Cette version tronquée des faits a été ainsi colportée à travers tout le pays, de meeting en meeting, de manifestations en manifestation, organisés pour soutenir le fondateur du MPS et l’armée. Au cours de ces rassemblements, les dirigeants du MPS, des plus grands aux plus petits, ont poussé jusqu’à leur paroxysme la duplicité et la démagogie, utilisant – ironie du sort- la même stratégie mensongère, avec pratiquement les mêmes expressions, que les dignitaires de la dictature d’Hissein Habré quand, en 1990, ceux-ci les traitaient, eux-mêmes, de mercenaires, de groupes islamistes inféodés à la Libye du dictateur Kadhafi.

Face à ce qu’ils décrivaient comme une menace terroriste, ils se sont alors présentés comme les défenseurs de « la démocratie » et de « la liberté », qu’ils auraient instaurées dans le pays depuis l’arrivée du MPS au pouvoir. Ils ont aussi prétendu défendre contre les affreux terroristes la « cohésion sociale », « la paix », « l’unité du pays », mais aussi, bien sûr, la fameuse « émergence », phénomène aux contours mal définis, dont l’avènement est, chaque année, reculé dans un avenir incertain, de plus en plus lointain. En même temps que ces notions au contenu vide, qui n’ont aucun rapport avec les conditions de vie des masses opprimées, ils se sont aussi lancés dans une attaque en règle contre tous ceux qui, suite à l’intervention des Mirages français, avaient osé émettre un avis contraire au leur. Ils les ont accusés d’être « les ennemis de la République ». Le secrétaire général du MPS a même brandi la menace d’interdire les partis dont les responsables avaient protesté contre l’intervention de l’impérialisme français dans les affaires politiques du pays : « La charte des partis politiques a fixé des interdits et prévu des sanctions en cas de violation de la loi. Tous les leaders et ou les chefs de partis politiques savent que la collusion avec une opposition armée, la complicité et l’incitation à la subversion sont passibles de sanctions extrêmes », a-t-il déclaré, sur un ton martial, nostalgie de l’époque de l’UNIR, dont il est l’un des purs produits.

Le clou de cette campagne a été le meeting organisé, le 15 février, au stade Mamat Ouya, rempli à ras bord pour la circonstance par des badauds et des élèves de la capitale, invités à investir les lieux parce que, ce jour-là, les établissements, tant publics que privés, de la ville avaient été fermés. A cette occasion, après la prestation de ses différents affidés, qui s’étaient égosillés à ressasser les mêmes déclarations mensongères, Idris Déby Itno lui-même s’est mis en scène. Traitant les troupes de son cousin de « terroristes », « d’étrangers », comme n’avaient cessé de le faire ses séides depuis des jours, il s’est présenté au public comme le bouclier qui protégerait le pays de toute menace : « Tchadiens, dormez tranquilles », a-t-il lancé à la foule, acquise et dévouée, de ses laudateurs. Mieux, allant plus loin que les autres dans la démagogie, il s’est offert en victime expiatoire pour la défense du pays : pour ce faire, il a prétendu qu’il serait prêt au « sacrifice suprême » ! En guise de note finale à sa prestation, il a exprimé sa reconnaissance aux autorités françaises : « Merci à la France ! Merci à Macron ! », a-t-il conclu.

Depuis bientôt vingt-neuf ans qu’ils sont au pouvoir, les responsables du MPS sont passés maîtres dans l’art de la désinformation, de la falsification de l’histoire du pays, présentée toujours sous un angle qui leur est favorable, comme s’ils n’avaient ni passé ni passif politiques ! Ils viennent encore de nous en faire une éclatante démonstration ! En effet, toute la réalité politique du pays proteste ouvertement contre les déclarations intempestives dont ils ont été responsables suite à l’intervention des Mirages français dans l’Ennedi Est. Quand, par exemple, les dirigeants du MPS, anciens sous-fifres d’Hissein Habré, qui ont assumé d’importantes responsabilités sous la dictature de la DDS, avec le bilan catastrophique que l’on sait, nous serine, sans vergogne aucune, qu’ils auraient combattu leur mentor d’antan et instauré « la démocratie et la liberté » dans le pays, que peut-on penser d’autre, à part le fait qu’ils prennent de monstrueuses licences avec l’histoire, qu’ils la tronquent, la défigurent, l’altèrent, sciemment ?

Contrairement à ce qu’ils en disent, le processus qui a conduit à l’instauration du multipartisme au Tchad n’a jamais été le fait de leur choix : le MPS n’est pas né pour combattre la dictature au Tchad et instaurer une véritable démocratie dans ce pays ! Il est plutôt le fruit, l’émanation, des contradictions entre deux camps au sein de la dictature de la DDS, comme l’a été, des années auparavant, le CSM, le Conseil Supérieur Militaire, qui avait pris le pouvoir, en 1973, sans avoir l’intention de changer quoi que ce soit ! Dans l’histoire des peuples, il est courant, voire classique, que différents bouts d’un même pouvoir dictatorial ou d’une même classe dirigeante bourgeoise se mènent une lutte à mort sans que cela n’ait aucun rapport avec les aspirations des masses populaires à de meilleures conditions de vie et à plus de liberté. Tel est ce qui s’est passé au sein de la dictature de l’UNIR entre Hissein Habré et ses principaux sous-fifres en 1990.

Quant au multipartisme, il relève entièrement de la volonté de l’impérialisme français. Imposé par ce dernier, dans les années 90, dans son pré-carré africain, ce type de régime était la solution concoctée par la France pour faire face à la situation particulière d’alors, marquée par trois choses essentielles. D’une part, il y avait la faillite, l’usure, des dictatures des partis uniques. Au bout de trente ans, qui avaient permis à l’impérialisme français et ses valets locaux de s’enrichir vachement en exploitant les masses populaires, ces dictatures avaient fait leur temps : usées, honnies, elles n’arrivaient plus à cacher les inégalités ni à servir de prétexte à « l’unité nationale », comme le prétendaient les dirigeants de l’époque. D’autre part, les pays africains subissaient douloureusement, en cette période, les contrecoups de la crise économique, qui avait entraîné une chute drastique des prix des matières premières, et de la politique d’ajustement structurel. Cela avait comme conséquence le dégraissage dans les secteurs publics, la privatisation des entreprises étatiques, la fermeture de certaines d’entre elles, la suppression des bourses, le non recrutement dans la fonction publique, etc., avec, comme corollaire, une dégradation brutale des conditions de vie des masses populaires, comme jamais auparavant, entraînant, à son tour, de multiples explosions de colère : des grèves, des émeutes, des révoltes, qui secouaient pratiquement tout le continent.

Toutes ces luttes ont donc fini par obliger l’impérialisme français à changer de fusil d’épaule, à lâcher les dictatures des partis uniques, en demandant à ses différents valets africains de ravaler la façade hideuse de leurs pouvoirs en instaurant le multipartisme. L’objectif était de chercher à désamorcer la colère populaire, à la domestiquer, afin qu’elle ne se transforme pas en une profonde explosion sociale et n’entraîne dans une dérive fatale tout le mécanisme politique de domination échafaudé depuis des décennies par la France pour défendre ses intérêts. Cela s’est fait au moyen de changements formels – pluralisme politique, syndicats, presse indépendante, élections-, sans pour autant que l’ordre social en vigueur ne change d’un iota : même Etat, même administration, même armée, même police, même justice, tous voués à la défense des intérêts de la bourgeoisie français et de ses valets locaux, qui continuent à s’enrichir de plus en plus, alors que les masses populaires s’enfoncent de plus en plus dans la déchéance. Même là où il y a eu des alternances, le multipartisme n’a rien changé dans la vie réelle des couches populaires : partout, il cohabite avec la dictature, les inégalités, les violences de toutes sortes, ethniques, xénophobes, religieuses, dont les principales victimes sont les opprimés. De la démocratie, il n’est qu’une pâle copie, un affreux ersatz !

Dans ce contexte, arguer que le MPS aurait été fondé pour combattre la dictature d’Hissein Habré afin d’instaurer la démocratie dans le pays, c’est créer une légende, de toutes pièces ! Le seul rôle que cette organisation ait réellement joué, c’est d’avoir été un instrument au service de l’impérialisme français, dont celui-ci s’est servi pour chasser Hissein Habré du pouvoir parce que celui-ci avait peur même d’un simple toilettage de sa dictature ! Voilà qui explique que le seul changement opéré par les principaux dirigeants du MPS s’est limitée à une simple éjection de leur ancien mentor du pouvoir. Pour l’essentiel, ils ont tout gardé de l’ancien régime dictatorial : même Etat, même armée, même administration, même justice, même police, avec quasiment les mêmes hommes, y compris les dignitaires de l’UNIR qui avaient suivi Hissein Habré dans sa piteuse fuite avant de rebrousser chemin ! Les oripeaux pseudo démocratiques dont se drape le régime actuel, après l’instauration du multipartisme, ne sont, en réalité, qu’un nouvel habillage, des paillettes à bon marché, derrière lesquels se tapit le même Etat qui, au fil du temps, malgré ses différentes métamorphoses et le changement permanent de ses serviteurs, comme nulle part au monde, conserve son caractère fondamentalement dictatorial, tel qu’on le voit à travers le fait que, depuis bientôt vingt-neuf ans, c’est Idriss Déby Itno et ses partisans qui, malgré le faisceau de multiples colères contre leur politique, gagnent inlassablement toutes les élections, interdisent aux populations le moindre droit de manifester ou de s’exprimer sur les médias publics, radio et télévision, transformés en officines où l’on entend qu’une seule version des faits, un seul son de cloche : les leurs, comme au temps de l’UNIR !

Mais, plus que tout cela, ce sont les conditions de vie, imposées aux travailleurs et aux masses opprimées, qui expriment de la façon la plus éclatante la nature profondément dictatoriale du pouvoir actuel ! Car, quand les responsables du MPS parlent de « liberté », de « démocratie », qu’est-ce que cela signifie pour la majorité pauvre de ce pays qui, même avec un travail, vit au jour le jour, trime, tire le diable par la queue ? Qu’est-ce leur « liberté », leur « démocratie », pour les millions d’opprimés qui ne mangent qu’une seule fois par jour, ont du mal à se soigner, à se loger, à accéder à l’eau potable, à éduquer leurs enfants, dont nombreux deviennent des cireurs de chaussures, des garçons et des filles à tout faire dans les familles des riches, des délinquants, des prostitués, juste pour assurer leur pitance ? Qu’est-ce leur « liberté », leur « démocratie », pour les jeunes issus des couches populaires, diplômés ou pas, condamnés par leur politique à un chômage endémique, qui secrète un désespoir profond à tel point que nombre d’entre eux vont jusqu’à se faire enrôler dans les différentes bandes armées qui pullulent dans la région ou se lancer dans la périlleuse aventure de la migration vers d’autres cieux, assumant à la fois le risque de mourir dans le désert ou la Méditerranée, mais aussi, de se faire arrêter et emprisonner par le pouvoir pour avoir osé fuir la misère qu’il leur impose, à eux et leurs parents ? Oui, qu’est-ce leur « liberté », leur « démocratie », pour l’ensemble des travailleurs et des opprimés du pays, victimes de leur politique ?

En vérité, quand les dirigeants du MPS parlent de « liberté », de « démocratie », il s’agit de celles dont jouissent les riches : les dirigeants des trusts internationaux et leurs valets locaux, qu’ils soient blancs, jaunes ou noirs, qui ont le droit, la liberté, d’exploiter les populations et les richesses du pays pour faire du profit, de piller les caisses de l’Etat en toute impunité, empêchant ainsi la majorité pauvre de la nation d’accéder au minimum vital ! Il en est de même des expressions comme « la paix », « la cohésion sociale », « la défense de la patrie », qui reviennent de façon récurrente dans leurs discours : derrière tous ces mots, ce qui préoccupe les responsables du MPS, c’est la défense de leurs intérêts de privilégiés locaux et ceux des multinationales, dont ils sont les serviteurs ! Des préoccupations des mases opprimées, ils n’ont cure et se moquent éperdument ! Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’écrasante majorité de ceux qui ont applaudi les bombardements des Mirages français sont les différents profiteurs de la mangeoire gouvernementale : Idriss Déby Itno lui-même, bien sûr, les ministres, les députés, les gouverneurs, les responsables du MPS, grands et petits, mais aussi leurs opérateurs économiques, leurs alliés de tout genre !

L’opposition a joué aussi sa partition dans cette orgie de déclarations intempestives, non dénuées d’arrières pensées et de calculs ! Dans la foulée des dirigeants des organisations militaires, les responsables des partis politiques de l’opposition ont aussi dénoncé l’intervention de la France dans les affaires politiques du pays : « L’intervention militaire française (…) est politiquement inopportune, juridiquement incertaine, et militairement disproportionnée. Elle suscite donc plus qu’une réprobation, une condamnation (…). », on-t-ils écrit, dans un communiqué, rendu public dans N’Djaména Bi-Hebdo, du 25 février, signé par Saleh Kebzabo au nom des « Partis politiques de l’opposition ». Ils n’ont pas non plus manqué de critiquer les menaces que le secrétaire général du MPS avait proférés contre eux pour avoir protesté contre l’intervention militaire française. Leur chef de file, Saleh Kebzabo, a même défié le pouvoir de mettre à exécution ses menaces : « Nous attendons de pied ferme ceux qui menacent de poursuivre un homme politique ou un journaliste pour avoir exprimé ses opinions sur le sujet. C’est un relent de dictature qui ne fera qu’accentuer les crises multiformes que traverse le Tchad », a-t-il déclaré dans N’Djaména Bi-Hebdo du 25 février.

Cependant, si les différents responsables de l’opposition, tan politique que militaire, ont protesté contre l’intervention de l’impérialisme français, ils n’ont pas, pour autant, mis en cause sa politique dans le pays, ni exprimé la moindre velléité de s’émanciper de lui. Malgré les mots durs utilisés contre le caractère dictatorial du pouvoir, ils n’écartent pas non plus de discuter avec Déby et son clan, de dialoguer avec eux : tous, parlementaires comme militaires, considèrent, en effet, que la France est incontournable dans la résolution de l’impasse actuelle où le pays se trouve plongé. Aussi voudraient-ils donc qu’elle use de son influence pour que Idriss Déby Itno accède à leur vieux vœu de discuter avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif. Dans les colonnes de L’Observateur du 13 février, Saleh Kebzabo a précisé ainsi les conditions de cette perspective : « La réaction de la France est illégitime. Elle doit plutôt jouer un rôle de passerelle. Le gouvernement français doit au contraire aider les Tchadiens à ce qu’ils arrivent à un dialogue inclusif comme nous l’avons réclamé (…) », a-t-il clarifié.

Nul ne peut, pour l’instant, dire si Idriss Déby Itno finira par satisfaire le vœu de son opposition en organisant un dialogue inclusif qui réunira toute la classe dirigeante. Seul l’avenir le dira, d’autant plus que cette perspective dépend plus de l’impérialisme français que l’humeur de ses valets au pouvoir. Mais d’ores et déjà, on peut constater que les réactions des uns et des autres, suscitées par les bombardements effectués par des Mirages français les 3 et 7 février, ne sont contradictoires qu’en apparence : conditionnées plutôt par des motivations politiciennes inavouées, elles sont loin des aspirations des masses opprimées à une vie meilleure et à plus de liberté. Elles visent surtout, d’une manière ou d’une autre, à renforcer la domination de l’impérialisme français sur le pays. Elles démontrent ainsi, au passage, que, rigoureusement, Déby Itno et les dirigeants de son opposition, parlementaire ou armée, défendent tous les mêmes intérêts, ceux des riches, des trusts et des privilégiés locaux.

Les bisbilles et autres combats actuels entre ces gens-là ne pourraient, par conséquent, être ceux des masses populaires ! Sur tous les terrains, ce sont des luttes entre les enfants d’une même famille, celle des politiciens bourgeois du pays qui se disputent le pouvoir, sous l’Oeil distrait de l’impérialisme français. Quelle qu’en soit donc l’issue, pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés, rien de fondamental ne changera. Il n’y aura ni amélioration de leurs conditions de vie, ni plus de liberté qu’avant : ce sera toujours la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes abus et exactions, la même dictature.

Ainsi, pour que leurs conditions de vie s’améliorent, qu’ils accèdent aux libertés essentielles, les travailleurs et les masses opprimées n’ont-ils pas d’autre choix que de compter sur eux-mêmes, de ne faire confiance qu’en leurs propres combats, de se défendre collectivement, en se rassemblant sur la base de leurs intérêts spécifiques et en utilisant leurs propres armes : la grève et la force de la rue, contre l’ordre imposé par l’impérialisme français et ses valets locaux, quels qu’ils soient !


TCHAD : L’AVENIR EST ENTRE LES MAINS DES TRAVAILLEURS !

Ainsi, comme il fallait s’y attendre, s’appuyant sur les structures conçues à cette effet, en l’occurrence la CENI et le Conseil Constitutionnel, qui lui sont inféodées, Idriss Déby Itno, sans le moindre scrupule, toute honte bue, n’a pas hésité à se faire proclamer vainqueur de l’élection présidentielle ! Au premier tour, et avec la manière, s’il vous plaît : nuitamment, tard le soir, presqu’en catimini, sous un quadrillage militaire hideux des principaux centres urbains du pays, N’Djaména et Moundou, notamment !

Alors que l’élection présidentielle s’était déroulée sous le signe d’un engouement populaire sans précédent, marqué par un profond désir de changement, expression d’un rejet massif de la politique des dirigeants du MPS au pouvoir depuis bientôt vingt-six ans, cette forfaiture, s’il en est encore besoin, démontre, certes, de façon éclatante, le caractère combien dictatorial de l’ordre actuel en vigueur. Mais, elle va même plus loin, au-delà des péripéties circonstancielles d’une élection : elle illustre surtout le fait que, entre le régime déchu d’Hissein Habré, - ce dictateur, ancien mentor d’Idriss Déby Itno et consorts, qui vient d’être condamné à perpétuité, à juste raison, à cause des multiples crimes commis, des années durant, sous son règne – et le pouvoir actuel, il n’y a, en réalité, aucune différence de fond. C’est, essentiellement, le même Etat, avec pratiquement les mêmes hommes, surtout au niveau des principaux leviers de commandement, et, par conséquent, les mêmes mœurs, les mêmes pratiques : culte nauséabond de personnalité, qui voudrait faire d’Idriss Déby Itno le centre incontournable de la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays, ethnisme, tribalise, régionalise, clientélisme, érigés en méthode de gouvernement et poussés à des extrêmes jamais atteints auparavant, exploitation des ressources humaines et naturelles au profit d’une minorité de parasites, dilapidation, pillage des deniers publics, arrestations arbitraires, libertés élémentaires étouffées, muselées, broyées, sous un chape dictatoriale, tous, des faits nus et têtus, qui évoquent les heures sombres de la période du parti unique sous Hissein Habré !

Protestant contre les allégations des dirigeants du MPS selon lesquelles ils auraient apporté la liberté et la démocratie dans le pays, cette forfaiture prouve plutôt, de façon éclatante, que, le 1er décembre 1990, les anciens sous-fifres d’Hissein Habré, qui ont pris le pouvoir, se sont juste contentés de l’en chasser pour continuer à faire la même politique que lui, avec le soutien de l’impérialisme français, bien sûr, mais aussi celui de la classe dirigeante d’alors, c’est-à-dire des dignitaires, des notables et autres caciques du régime déchu. Le multipartisme, la création des partis, des syndicats, d’associations, l’éclosion d’une presse indépendante, les élections, les structures étatiques, comme la CENI ou le Conseil Constitutionnel, qui viennent de faire étalage de leurs limites, toutes ces choses qu’Idriss Déby Itno a consenti à réaliser sous la pression de l’impérialisme français notamment, pour se sacrifier à l’air du temps, ne sont, somme toute, qu’un simple trompe-l’œil : derrière ces parures pseudo démocratiques, en réalité, se cache le même pouvoir d’antan, le même Etat, sous un nouvel habillage, certes, mais sans que, au fil du temps, ses métamorphoses, ses mutations, comme le renouvellement permanent de son personnel politique n’aient ni changé ni altéré sa nature profondément dictatoriale, tel que vient de le montrer le hold-up électoral réalisé par Idriss Déby Itno, en s’appuyant essentiellement sur l’armée, - dont toute l’architecture, de la hiérarchie de commandement aux échelons inférieurs en passant par les structures intermédiaires, est conçue exclusivement pour la défense de son pouvoir -, en plus du soutien indéfectible de l’impérialisme français.

Que devrait-on attendre alors de cette énième forfaiture, qui met à nu la nature dictatoriale du pouvoir actuel ? Rien ! Absolument rien qui ne soit déjà connu ! Les principaux bénéficiaires de ce hold-up électoral sont et seront les mêmes que ceux d’hier, qui, depuis des décennies, s’empiffrent, se gavent, s’engraissent grâce à l’exploitation des ressources tant humaines que naturelles du pays : il s’agit notamment des trusts et multinationales, occidentaux, asiatiques ou autres, qui ont une mainmise sur l’économie, mais aussi des valets de ces derniers, de la minorité de parasites locaux, qui constituent nos propres privilégiés, - les hommes d’affaires, tels les fameux opérateurs économiques du MPS, devenus des millionnaires et des milliardaires grâce à la surfacturation, les membres du gouvernent, les principaux responsables de l’administration, de l’armée, des grandes institutions, les députés, les maires, les dignitaires du parti au pouvoir, etc -, qui profitent tous, d’une façon ou d’une autre, des miettes qui tombent de la table à manger de la bourgeoisie mondiale, comme l’illustre le train de vie insolent qu’ils mènent dans l’un des pays les plus pauvres au monde.

Par contre, le nouveau coup de force perpétré par Idriss Déby Itno ne changera rien dans les conditions de vie des couches populaires. Pour celles-ci, comme par le passé, ce sera toujours l’exploitation, la pauvreté, la cherté de la vie, les bas salaires, le chômage, les privations des droits élémentaires, les arrestations arbitraires, comme on l’a vu dernièrement avec l’incarcération des dirigeants syndicalistes et des organisations de la société civile, dont le seul tort avait été de projeter de faire une marche, une chose tolérée par la loi, qui fait partie des mœurs naturellement vécues sous d’autres cieux, mais qui, au Tchad d’Idriss Déby Itno, pose problème ! Vu la baisse du prix du pétrole sur le marché mondial, dont le pouvoir se sert comme d’un prétexte pour quémander, mendier des aides sur la scène internationale, auprès des puissances impérialistes et autres bailleurs de fonds, il y a même de fortes chances que les conditions de vie déjà difficiles des plus démunis s’aggravent de plus en plus à cause, d’une part, des mesures d’austérité prises par le pouvoir sous le fallacieux prétexte de faire des économies et, d’autre part, des licenciements opérés par le patronat, qui vont tous s’amplifier.

Par conséquent, les travailleurs et l’ensemble des opprimés ne devraient rien attendre d’Idriss Déby Itno. Les promesses électorales faites par celui-ci ne sont qu’un leurre, un long chapelet de mensonges, dont le but est de cacher la seule et unique politique qu’il a appliquée jusqu’alors depuis vingt-six ans et qu’il va continuer à imposer : vider les bouches et les poches des pauvres et des affamés pour remplir celles des riches et des trop rassasiés, tel que le veut la loi implacable du capitalisme dont il est, avec d’autres, l’un des principaux serviteurs !

Par ailleurs, dans la situation politique actuelle, marquée par le contentieux électoral entre la dictature de Déby et les politiciens de l’opposition, les masses populaires n’auraient pas non plus intérêt à se faire des illusions par rapport à ces derniers pour sortir de l’impasse présente et accéder à de meilleures conditions de vie. Certes, les candidats désignés comme perdants ont raison de contester les résultats de l’élection présidentielle et de demander que le vote des populations soit respecté. Mais leur agenda ne pourrait en aucun cas être celui des masses opprimées car, même si, par miracle, l’un d’entre eux arrivait au pouvoir, cela n’entrainerait pas non plus des changements notables pour les couches populaires parce que, tous ces gens-là, les Déby, Kebzabo, Gali, Alhabo et autres, appartiennent, en réalité, au même monde : bien de choses les lient les uns aux autres, ils ont travaillé ensemble, sous la dictature d’Hissein Habré ou celle qui dirige aujourd’hui. Rigoureusement, ils défendent tous les mêmes intérêts, ceux des riches, des bourgeois et privilégiés tchadiens et, au-dessus de ces derniers, ceux de l’impérialisme, français, américain ou chinois. Que donc certains soient à la tête de la dictature et que d’autres dirigent une opposition parlementaire ou même armée contre celle-ci, cela ne doit pas faire illusion : ni politiquement ni socialement, ils ne sont différents les uns des autres. On l’a vu notamment lors de la campagne électorale, au cours de laquelle ils déclinaient leurs programmes politiques, qui sont fondamentalement identiques.

Alors, oui, même s’il est juste de contester le hold-up électoral réalisé par Idriss Déby Itno et ses comparses, le bras de fer actuel entre ceux-ci et certains candidats de l’opposition parlementaire ne concerne en rien les masses opprimées ! C’est un combat, sur le terrain électoral, entre les enfants d’une même famille, celle des politiciens bourgeois du pays, qui se disputent le pouvoir. Par conséquent, quelle qu’en soit l’issue, pour les travailleurs et l’ensemble des opprimés, rien de fondamental ne changera. Il n’y aura ni amélioration de leurs conditions de vie, ni plus de liberté qu’avant : ce sera toujours la même exploitation, la même misère, les mêmes maladies, les mêmes injustices, les mêmes abus et exactions, la même dictature, tel un bras armé chargé de veiller sur cet ordre-là !

Dans la société actuelle divisée en classes sociales, la ligne de démarcation ne saurait ni ne pourrait être entre, d’un côté, des prétendus démocrates, et, de l’autre, des tenants de la dictature. Elle est plutôt entre riches et pauvres, oppresseurs et opprimés, bourgeois et prolétaires. Or, les politiciens qui nous dirigent ou ceux qui aspirent à le faire et l’impérialisme français ne se feront jamais hara kiri pour que les opprimés s’émancipent de leur domination et accèdent à des conditions de vie meilleures. La bourgeoisie, quelle qu’elle soit, n’a pas, en effet, de tendance suicidaire !

Voilà pourquoi, pour sortir de cette impasse dans laquelle les maintient la dictature d’Idriss Déby Itno, la seule perspective qui s’offre aux travailleurs et à l’ensemble des opprimés, c’est celle de leurs propres luttes, politiques et sociales, sous la forme d’une riposte collective du monde du travail et d’une mobilisation générale des couches populaires ! En effet, si les masses opprimées veulent accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration de leurs conditions de vie, par le biais d’une répartition juste des richesses, fruit de leur travail et de leur sueur, elles ne pourraient pas faire l’économie des luttes populaires, politiques et sociales, nécessaires et indispensables, que leur impose le capitalisme à travers le pouvoir dictatorial qui règne de N’Djaména. Les libertés démocratiques, l’amélioration des conditions de vie et le droit à une existence digne de notre époque ne sauraient être discutés, ni négociés, ni marchandés avec les tenants du pouvoir actuel, moins encore obtenus par un bout de papier dans une urne, comme vient de le démontrer le hold-up électoral perpétré par Idriss Déby Itno : ils ne pourraient qu’être le fruit des luttes, politiques et sociales, des masses laborieuses elles-mêmes. Pour qu’ils existent, de façon durable, qu’ils soient respectés et vécus comme des mœurs normales, ils devraient être arrachés et imposés par celles-ci, en dehors de la légalité constitutionnelle actuelle, dans la rue. Il ne pourrait en être autrement !

Il n’y a pas longtemps, le viol de la jeune Zouhoura par des enfants pourris des dignitaires du régime a déclenché dans tout le pays une vague d’indignation qui s’est transformée en une profonde exaspération, expression d’un profond ras le bol populaire, symbole d’un rejet de la politique du pouvoir, de ses injustices, ses inégalités, en plus du mépris de ses responsables. De façon spontanée, cette contestation a très vite pris une forme organisée : des structures syndicales et de la société civile se sont coalisées, ont formé un collectif, une sorte de coordination des luttes, dénommée « Ca suffit », à l’origine de plusieurs initiatives : une marche, qui a été interdite, un mot d’ordre de « villes mortes », largement suivi, notamment dans la capitale, un autre de « Sifflet citoyen », une grève générale déclenchée à la suite des arrestations des responsables syndicaux et ceux des organisations des droits de l’homme.

Cette forme d’organisation, inédite dans l’histoire du pays, a ébranlé le pouvoir à tel point qu’il a réellement pris peur. Aussi est-ce dans cette direction qu’il faudrait aller de nouveau, en se donnant les moyens de reprendre la lutte, à un moment ou à un autre. L’expérience des dernières luttes multiformes, dont le souvenir est encore vivace dans l’esprit des gens, devrait servir de point d’ancrage, être considérée comme un tour de chauffe, une étape, un jalon, dans le processus d’une stratégie globale à élaborer, à construire patiemment, méthodiquement, pour aller vers un mouvement de « tous ensemble », organisé autour de la classe ouvrière notamment, contre la dictature d’Idriss Déby Itno !

Les hommes politiques actuels au pouvoir, leur gouvernement, leurs partisans et le patronat qui les soutient, ne changeront de politique et ne tiendront compte des aspirations populaires que forcés et contraints. Mais, le rapport des forces entre eux, le monde du travail et l’ensemble des opprimés ne peut pas être changé par les formes de lutte utilisées traditionnellement jusqu’aujourd’hui, c’est-à-dire une grève dans un secteur donné, isolée des autres ou des négociations secteur par secteur, entreprise par entreprise. Pour changer la donne, pour faire plier le pouvoir, il faudrait donc une mobilisation générale de toute la classe ouvrière, qui, de par sa position de choix au cœur de l’économie, a la force de bloquer totalement celle-ci, de paralyser tout le pays et d’imposer les revendications populaires.

C’est donc vers cette perspective-là qu’il faudrait aller, avec l’objectif d’amplifier les luttes, de les unifier, pour construire, méthodiquement, une mobilisation générale de tous les travailleurs du pays, du public et du privé, qui unirait dans le même combat les salariés de l’Education Nationale et ceux de la SONASUT, ceux de la Santé et ceux de la Coton Tchad, ceux de l’Energie et ceux du Transport, ceux des Banques et ceux du Bâtiment, ceux de la Poste et Télécommunication et ceux du Commerce, ceux du Pétrole et des Mines et ceux de l’Information et de l’Audiovisuel, ceux des Assurances et ceux de la Culture, mais aussi les actifs et les chômeurs, les précaires et les retraités, les licenciés, les contractuels, les vacataires, etc, dans une riposte collective contre la politique du pouvoir, car, quels que soient les secteurs d’activité, la catégorie et le statut des uns des autres, tous les travailleurs ont les mêmes intérêts et les mêmes ennemis, en l’occurrence, l’Etat, au-dessus duquel trône Idriss Déby Itno, et le patronat !

En l’absence d’un parti révolutionnaire prolétarien, il reviendrait aux syndicats de porter cette perspective-là, notamment à l’UST, le plus combatif et le plus important d’entre eux, en alliance, en solidarité, avec les autres centrales. Mais, dans ce combat, tout en généralisant et unifiant les luttes dirigées par eux-mêmes, les travailleurs auraient intérêt à reproduire, mais à grande échelle, l’expériences des dernières luttes en s’ouvrant aussi à d’autres catégories de la population qui souffrent des mêmes problèmes qu’eux : aux organisations des droits de l’homme, bien sûr, mais aussi aux associations des femmes, des étudiants, des élèves, des jeunes, des consommateurs, des journalistes, aux associations culturelles, à celles des artisans, des artistes, des petits commerçants, des paysans pauvres, des travailleurs agricoles et d’autres, qui constituent des millions d’opprimés étranglés, comme eux, par la même crise du capitalisme et la politique du gouvernement. Ils pourraient ainsi leur servir de boussole, les regrouper autour d’eux, leur offrir une politique, les entraîner, et, de cette façon, par un mouvement « de tous ensemble », créer avec eux un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et de lui imposer les changements nécessaires, tant sur le plan social que politique. A part le MPS et ses alliés, évidemment, les organisations ou les militants politiques qui le désireraient pourraient aussi participer à cette mobilisation, à condition, toutefois, qu’ils se mettent au service des luttes et des revendications des masses laborieuses et non qu’ils en prennent la tête : c’est aux travailleurs et les autres couches opprimées de diriger eux-mêmes leurs combats, en choisissant et contrôlant leurs propres représentants. Ils ne devraient se mettre à la remorque de personne, en tout cas, pas derrière des politiciens bourgeois et opportunistes qui, à la moindre occasion, les trahiront !

Voilà la perspective-là qu’il conviendrait de discuter, dès maintenant, dans les usines, les entreprises, mais aussi les bureaux, les universités, les écoles, les lycées, les chantiers, les ateliers, les gares routières, les « tachas », les marchés, les quartiers, les villages, etc, dans le but clairement affiché de préparer, dans les jours et les mois à venir, une riposte collective du monde du travail et une mobilisation de l’ensemble des opprimés afin de défendre le droit à la vie des populations pauvres. Les discussions devraient s’accompagner de la tenue d’assemblées générales décidant des revendications des uns et des autres, mais aussi de la création de comités de liaisons entre travailleurs du public et du privé, entre une entreprise d’un secteur donné et une autre spécialisée dans une activité différente, entre organisations syndicales et celles des femmes, des jeunes, des chômeurs ou de défense des droits de l’homme, afin d’aboutir à une coordination tant locale que nationale des luttes.

L’avenir est donc entre les mains des travailleurs et de l’ensemble des masses opprimées, dans leur mobilisation, leur organisation et leurs luttes ! Ce n’est pas la détermination des couches populaires d’en finir avec la misère ou de trouver une autre issue à leur situation en général qui fait défaut, comme le montrent les différentes luttes déclenchées à la suite du viol de Zouhoura ou celles d’avant. Ce qui manque, c’est la perspective qu’il faudrait pour que ces luttes soient efficaces et servent réellement à changer les conditions de vie de la majorité opprimée, c’est-à-dire un mouvement d’ensemble de tous les travailleurs, secteurs et catégories confondus, du public comme du privé, et de l’ensemble des opprimés, quelles que soient leurs ethnies, leurs régions, leurs religion, sous la forme d’une vaste mobilisation populaire, dirigée par eux-mêmes pour imposer les changements nécessaires.

Par conséquent, c’est à cette perspective-là que devraient s’atteler tous ceux qui, syndicalistes, militants des partis politiques, des associations de tout genre, femmes, hommes, vieux, jeunes, sont réellement révoltés tant par les conditions de vie des populations pauvres que par la dictature et aspirent à de véritables changements. Cela devrait se faire sous la forme d’une action consciente, d’une démarche délibérée, organisée, avec rigueur.

En effet, pour que se réalisent les changements nécessaires dignes de leurs attentes et aspirations, il est vital que les masses opprimées interviennent, fassent irruption dans la scène politique, dans les lieux, les sphères où se prennent les décisions essentielles les concernant au premier chef, où se décident leur sort et leur vie, et ce, avec leurs propres armes et méthodes. Par ailleurs, si ce type de combat se développe, s’amplifie au point de faire reculer la dictature et lui imposer les revendications populaires, immanquablement, en naîtront des possibilités supérieures. Alors tout sera-t-il possible, y compris le renversement de la dictature actuelle, car, l’armée d’Idriss Déby Itno, sa police, sa gendarmerie, même avec le soutien de l’impérialisme français, ne seront jamais suffisamment fortes pour endiguer une mise en branle de millions de travailleurs et d’opprimés, décidés à trouver une issue à leur situation au moyen d’une vaste et profonde mobilisation populaire s’exprimant aussi bien par des grèves dans les secteurs économiques vitaux que par des manifestations monstres dans la rue. La dictature, fondée sur la bande armée au pouvoir, ne pourra rien faire face l’ensemble des opprimés de la ville de N’Djaména, debout, entraînant derrière eux ceux de Moundou, de Sarh, de Bongor, d’Abéché, de Mao, de Faya, de Laï, de Fada etc, sous la forme d’une riposte collective de l’ensemble des masses populaires, de toutes les régions, de toutes les ethnies, de toutes les religions, unies autour de la nécessité de défendre consciemment leurs intérêts spécifiques contre la politique du pouvoir et d’imposer à ce dernier les changements auxquels elles aspirent.

Tel est l’enjeu ! Il est de taille, certes, mais, à part le fait d’être le seul qui en vaille la peine, il est aussi à portée de main : les travailleurs et l’ensemble des opprimés constituent une force colossale, la seule qui soit capable de tout changer, de transformer radicalement la société. Alors, s’ils en ont l’ambition, s’ils s’emparent de cette perspective-là et, de façon méthodique, consciente, organisée, se lancent dans une riposte collective contre la politique des dirigeants du MPS, au nom de leur doit à la vie, ils pourront non seulement faire avaler aux politiciens au pouvoir leur morgue, leur « hougoura », mais aussi imposer les revendications populaires et ouvrir le chemin vers un avenir meilleur !

LE DIALOGUE INCLUSIF EST UN LEURRE,

UN PIEGE POUR LES MASSES OPPRIMEES !

Lors de son récent voyage au Soudan, les 8 et 9 février derniers, Idriss Déby a lancé un appel aux dirigeants de l’opposition armée : il les a invités « à rentrer au pays ». Pour être crédible, il s’est même engagé « à leur assurer toutes les garanties de sécurité pour leur permettre de se réinsérer honorablement dans la vie publique et civique ».

Il n’en a pas fallu plus pour que l’UFR, la coalition armée de l’opposition, saisisse l’opportunité qui lui avait été ainsi offerte pour proposer la perspective d’uns solution négociée de la crise actuelle : d’abord, le 10 février, par le truchement d’un communiqué publié par sa représentation en Europe, elle a affirmé « sa disponibilité pour trouver une solution pacifique de la crise tchadienne, à travers un dialogue national, incluant tous les acteurs concernés, avec l’aide de la communauté internationale » ; ensuite, le 23 du même mois, par le biais d’un autre communiqué rendu public, cette fois-ce, par son porte-parole, elle a réitéré son « appel pour une rencontre de réconciliation, qui ouvre la voie à un dialogue inclusif (…) ».

Cette prise de position de l’opposition armée n’est ni inédite ni surprenante. En effet, comme elle l’a fait remarquer elle-même dans ses communiqués, quoiqu’elle ait réuni d’énormes moyens militaires, tant en hommes qu’en matériel, malgré les apparences, celle-ci n’a jamais été hostile à l’idée de trouver une solution négociée de la crise politique actuelle par le biais d’un cadre de discussions élargi. Loin s’en faut ! A en croire les déclarations de certains de ses principaux dirigeants, paradoxalement, il semblerait même que les offensives qu’elle lance de temps en temps contre le pouvoir de Déby n’aient pas pour objectif de faire tomber la dictature, mais seulement d’obliger celle-ci à accepter la perspective d’une solution négociée de la crise.

Cependant, l’UFR n’est pas la seule organisation à réclamer « un débat national » pour résoudre la crise actuelle.

En effet, face à l’impasse sanglante dans laquelle la dictature de Déby a entraîné le pays et aux affrontements militaires qui en ont découlé comme une conséquence logique, depuis des années, nombreuses sont les voix qui se lèvent régulièrement pour demander la tenue d’une rencontre baptisée pour la circonstance « dialogue inclusif » : celle-ci, selon elles, devrait comprendre les principaux acteurs de la crise, c’est-à-dire le pouvoir, les différentes composantes de son opposition, mais aussi les syndicats, les diverses associations, les ONG, les chefs religieux et traditionnels, etc, qu’on regroupe généralement sous le vocable de « société civile ».

Réunie au sein de la CPDC, la Coordination de Partis Politiques Pour la Défense de la Constitution, l’opposition parlementaire aussi, dont l’objectif, dès le début, y compris à l’époque d’Ibni Oumar Mahamat saleh, est de ne pas affronter la dictature, de quelque manière que ce soit, milite naturellement pour ce débat, comme l’UFR. Alors que l’essentiel de ses dirigeants ont rallié le pouvoir, y occupent d’importants postes ministériels, officiellement, elle réclame néanmoins la tenue d’un dialogue inclusif.

Parallèlement aux exigences de l’opposition, tant armée que parlementaire, et accompagnant celles-ci, d’autres initiatives ont été prises également, ici et là, pour favoriser la tenue de ce débat. Des organisations ont même vu le jour à cet effet. C’est le cas, notamment, du CAPRN, Comité de l’Appel à la Paix et à la Réconciliation, et de la CIDI, Commission Indépendante Pour le Dialogue Inclusif. Selon ses animateurs, celle-ci, par exemple, se fixe comme objectif « de rassembler les Tchadiens pour arriver à un dialogue politique susceptible d’ouvrir les voies vers une paix définitive au Tchad ».

Depuis les derniers affrontements militaires entre les troupes de N’Djaména et celles de l’UFR, au mois de mai de l’année passée, de nombreuses personnes sont également intervenues sur le net pour réclamer la tenue d’un dialogue inclusif, non seulement pour instaurer la paix dans le pays, mais aussi, selon elles, pour organiser des élections libres, mettre fin à la dictature, à la misère et jeter les bases d’un véritable développement. Peu de temps avant la fin de l’année écoulée, sous la plume d’Enoch Djondang, la rédaction du site Tchadnouveau a aussi publié un dossier sur cette question, qui abonde dans le même sens : celui-ci tente de démontrer que le dialogue inclusif demeure une nécessité politique incontournable pour sortir de la crise actuelle ; mais, souligne-t-il, avec regret du reste, ce sont le pouvoir et certains politiciens de l’opposition parlementaire qui n’en veulent pas pour des raisons partisanes et égoïstes. L’une des plus récentes réactions en date, exigeant également ce débat, est la lettre écrite par Félix Ngoussou, parue dans Tchadforum et adressée à Déby, à la suite du dernier voyage de celui-ci à Sarh. Entre autres choses, l’auteur de la missive reproche à l’ancien chef d’état major d’Hissein Habré de ne pas prendre en considération « la demande incessante d’une importante couche de la société pour le forum national » qu’il qualifie de « meilleur moyen de réconciliation nationale qu’une sélection partielle des opposants ».

Pour l’instant, fort du soutien de l’impérialisme français et de l’avantage qu’il a ainsi par rapport à ses opposants, sur le terrain militaire notamment, seul, en effet, le dictateur Déby semble indifférent aux sirènes de ce dialogue. Fidèle à la ligne de conduite qui a toujours été la sienne, il préfère privilégier les ralliements individuels à sa dictature, comme il l’a fait l’année passée avec Haballah Soubiane et d’autres.

Cependant, malgré les apparences, en réalité, les chances d’un dialogue inclusif dépendent moins des humeurs d’un Déby qui donne l’impression d’en faire à sa tête et d’en imposer à tout le monde que des choix de l’impérialisme français, le principal maître du jeu. Pour l’heure, les autorités françaises soutiennent le dynaste de N’Djaména : c’est un valet qui a fait ses preuves dans le maintien de l’ordre nécessaire à la bonne marche des affaires, dont ont besoin les trusts, occidentaux ou autres, et les couches privilégiées locales à leur solde, alors que la coalition armée est peu sûre, peu fiable, parce qu’elle est traversée par des dissensions en son sein à cause des ambitions opposées de ses chefs.

Toutefois, cette position de la France pourrait très bien évoluer, car ce qui compte pour l’impérialisme, ce sont ses intérêts et non les liens qu’il entretient momentanément avec tel ou tel séide local. L’histoire politique du Tchad le démontre amplement. De Tombalbaye à Déby, en passant par Malloum, Habré, Goukouny, c’est toujours l’impérialisme français qui, pour la sauvegarde ses intérêts, a été à l’origine de la valse des dictateurs et de certains événements importants qui ont marqué le pays. Aussi, à la faveur du rapprochement actuel entre le Tchad et le Soudan, par exemple, rien d’étonnant que, demain, pour le maintien de l’ordre et le renforcement de la stabilité dans le pays ou même dans la région, notamment au Darfour, avec, comme corollaire, la consolidation de ses relations avec le pouvoir réactionnaire de Khartoum, l’impérialisme français décide-t-il d’exiger de Déby et ses opposants de tout genre de s’entendre autour d’un certain nombre de compromis politiques négociés, comme il l’a fait en Côte d’Ivoire contre la volonté de Laurent Gbagbo.

Cependant, le plus important n’est pas tant de savoir si un dialogue inclusif est possible dans les circonstances actuelles, mais plutôt à quoi servirait une telle perspective si jamais elle se réalisait ! Est-ce que, comme le prétendent ceux qui militent pour cela, la tenue d’un dialogue inclusif suffirait à instaurer la paix de façon définitive dans le pays ? Est-ce qu’elle mettrait fin à la dictature, aux guerres ethniques, aux violences de tout genre, mais aussi à l’exploitation, à la misère, aux maladies, dont sont victimes les masses opprimées ? En d’autres termes, le dialogue inclusif tant réclamé engagerait-il le pays dans la voie royale d’un véritable changement qui prendrait en compte les aspirations des couches populaires aux libertés essentielles et à des conditions de vie dignes de notre époque ?

Voilà les questions fondamentales que l’on est en droit de se poser face à ce débat tant réclamé entre Déby et ses opposants ! Mais, à moins que l’on ne soit un menteur fieffé, il est difficile d’y répondre de façon affirmative. Et pour cause !

En effet, depuis à peu près une trentaine d’années ou plus, l’histoire politique du Tchad est d’abord celle d’une série de guerres, fratricides et criminelles, avec pour responsables quasiment les mêmes hommes, tous à la solde de l’impérialisme français, dont les noms sont évocateurs et synonymes de conflits ethniques, de dictatures, de répressions sauvages, d’assassinats, d’emprisonnements, de tortures, de charniers, de pillages des deniers publics, de viols, etc... Un passé toujours présent, le spectre de la mort, immuable, planant de façon permanente comme une menace et pesant d’un poids décisif sur le destin des populations opprimées parce que charriant et traînant derrière lui un passif des plus monstrueux : des milliers de personnes assassinées, depuis la jacquerie paysanne de Mangalmé en 1965, surtout depuis les événements de février 79 qui allaient jeter les bases de la dictature d’Hissein Habré, d’abord, et celle actuelle d’Idriss Déby, ensuite !

Plus que sous certains cieux africains, ici aussi, les forfaitures des responsables et autres gestionnaires des pouvoirs dictatoriaux qui se succèdent les uns aux autres ont atteint des dimensions extrêmes, comme au Rwanda, au Burundi ou en RDC ! Elles ne se limitent pas à d’importants détournements de fonds publics. Elles se chiffrent à des milliers de vies humaines arrachées, à plusieurs millions de femmes, d’hommes et d’enfants pris en otages, des années durant, dans les mailles et les rets des ambitions criminelles d’une multitude de chefs de guerre et de politiciens, en mal de gloriole, qui n’hésitent pas à marcher sur des cadavres, s’il le faut, pour accéder au pouvoir ou s’y maintenir, avec évidemment, dans tous les cas, l’aide de l’impérialisme français !

Or, si le dialogue inclusif, dont on parle tant comme une sorte de potion magique pouvant guérir le pays de tous ses maux, se tient, ce sont, essentiellement, ces gens-là, - le dictateur Déby, les dirigeants de son opposition, toutes tendances confondues, et d’autres individus plus ou moins insignifiants -, qui en seront les principaux acteurs et participants ! Ainsi, qu’on le veuille ou non, quel qu’en soit le caractère élargi, même avec la mise à l’écart de certains politiciens, comme Habré, par exemple, cette rencontre ne pourra pas échapper au triste sort d’être tout simplement le rendez-vous au sommet des chefs de gangs, des politiciens, des charlatans et autres aventuriers qui, depuis les années 80 notamment, ont tous, d’une façon ou d’une autre, participé, à la tête de l’Etat, au processus politique qui a conduit à l’impasse actuelle.

Dans ces conditions, que pourrait-on en attendre qui ne soit déjà connu ? Quel réel changement pourrait sortir des mains de ceux-là mêmes dont la politique et les responsabilités sont à l’origine de la situation actuelle ? Aucun ! En tout cas, rien de fondamentalement différent de ce qu’ils font aujourd’hui ou ont fait dans un passé récent !

Pour s’en convaincre, il convient d’abord de rappeler que ce type d’assises, que certains parent de toutes les vertus possibles à cause du caractère inclusif qu’il devrait avoir, selon eux, n’est pas quelque chose de nouveau dans le paysage politique du pays. Par le passé aussi des rencontres de ce genre ont eu lieu avec la bénédiction de l’impérialisme français. C’est, par exemple, dans une certaine mesure, le cas des différentes conférences de kano dans les années 80 et surtout, tout récemment, de la conférence nationale. Mais elles ont toutes échoué : elle n’ont résolu aucun des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les masses populaires, surtout ceux de la misère, de la dictature, des guerres et autres violences.

L’échec de ces rencontres, qui étaient aussi inclusives à leur manière parce qu’elles regroupaient l’essentiel des acteurs politiques de l’époque, dont certains sont les mêmes chefs de guerre et autres charlatans d’aujourd’hui, montre que, en politique, une perspective ou un projet quelconque ne vaut pas par sa forme, son caractère, mais plutôt son contenu, c’est-à-dire les objectifs et les ambitions de ceux qui en sont les porteurs.

Ainsi, s’il est vrai que ralliement d’Hassaballah Soubiane, l’année passée, est fort symptomatique du fait qu’il n’y a rien de fondamental qui l’oppose à Déby et que, somme toute, il n’a fait que regagner le giron de la dictature qu’il avait loyalement servie auparavant, il n’y a pas non plus de raison d’avoir des illusions quand les politiciens de l’opposition, armée ou parlementaire, réclament également une solution négociée de la crise par le biais d’un dialogue inclusif. Entre l’un, Hassaballah Soubiane, et les autres, les dirigeants de l’UFR et de la CDPC, la divergence n’est pas de fond mais de forme : elle se situe uniquement au niveau de la manière de faire ! En revanche, ils sont tous d’accord sur la nécessité de discuter et de trouver un compromis politique avec Déby.

Cependant, s’ils font tous ce choix, politique et social, c’est essentiellement parce que le dictateur actuel est un politicien qu’ils connaissent bien, avec lequel ils avaient tous travaillé sous le pouvoir tyrannique d’Hissein Habré avant d’être ensuite ses propres sous-fifres il n’y a pas longtemps. Au-delà de la propagande des uns et des autres, du fait que certains sont à la tête de la dictature alors que d’autres prétendent combattre celle-ci, y compris par les armes, ils appartiennent au même monde que les politiciens qui sont au pouvoir, celui de la bourgeoisie et des privilégiés du pays. Rigoureusement, ils défendent tous les mêmes intérêts, ceux de l’impérialisme français et des couches sociales privilégiées locales. Ce qui, fatalement, les lie, en réalité, les uns aux autres et les condamne à s’entendre un jour ou l’autre.

Par conséquent, si, comme le réclament les dirigeants de l’UFR et de la CPDP, fort de son avantage sur le plan militaire, de façon magnanime, Déby acceptait enfin de négocier avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif, il n’y aurait rien à en attendre non plus qui soit de nature à initier un changement quelconque digne des aspirations populaires aux libertés élémentaires et à de meilleures conditions de vie. Sous le parapluie de l’impérialisme français, il serait, certes, possible que tous ces politiciens s’entendent autour d’un certain nombre de compromis, comme le partage du pouvoir ou une révision de la constitution satisfaisant les ambitions des uns et des autres. Certains dirigeants de l’opposition armée ou parlementaire pourraient alors aller à la soupe, trouver ou retrouver des responsabilités ministérielles autour de la mangeoire gouvernementale. D’autres seraient casés ailleurs, dans les différents services de l’Etat, à l’assemblée nationale, dans l’armée, dans les ambassades ou les entreprises publiques. Déby et son opposition pourraient aussi s’accorder sur un code électoral, les conditions des élections, la composition d’une commission pour organiser celles-ci, la durée d’une transition, etc…, toutes choses qui sont à mille lieues des préoccupations actuelles des couches populaires en butte à tant de difficultés pour vivre.

Par contre, sans aucun risque de se tromper, on peut, d’ores et déjà, parier que, le pouvoir qui sortirait d’un tel marchandage ne serait qu’une nouvelle dictature pour les masses opprimées. Celles n’y gagneraient rien, à part, une fois de plus, des illusions suivies d’une nouvelle déception, car, parmi les principaux acteurs actuel d’un tel débat, il n’y aurait personne pour dire que ce qui préoccupe les travailleurs et les petites gens, ce n’est pas de savoir qui, entre Déby et ses opposants, est le meilleur, mais comment faire pour mettre fin à l’exploitation, à la misère, aux maladies, au chômage, aux violences de tout genre, dont la majorité pauvre du pays est victime ! Il n’y aurait surtout personne pour poser sérieusement le problème des aspirations essentielles des masses opprimées étranglées par la cherté de la vie et moins encore pour se battre afin que, non seulement celles-ci soient prises en considération, mais qu’elles soient imposées, s’il le faut, au dictateur, en obligeant celui-ci à les satisfaire ! Même pas dans les rangs de la société civile !

En effet, parmi ceux qui militent pour la tenue d’un dialogue inclusif, beaucoup croient que, si une telle perspective se réalisait, une forte présence de ce qu’on appelle « la société civile » suffirait pour imposer et réaliser les changements nécessaires. Mais ils se font de grosses illusions !

Dans les syndicats et les diverses associations, comme les organisations de défense des droits de l’homme, nombreux sont, certes, les militants de base, - ouvriers, instituteurs, professeurs, infirmiers, journalistes, étudiants, élèves, femmes, chômeurs et autres -, qui sont réellement révoltés par les conditions imposées aux masses populaires, qui veulent sincèrement en finir avec l’exploitation, la misère, les injustices et la dictature. Ils l’ont d’ailleurs prouvé plusieurs fois dans les combats multiformes, - grèves, marches, manifestations de protestation et autres -, qu’ils ont menés contre le pouvoir de Déby, exprimant ainsi l’exaspération des masses opprimées contre la politique de celui-ci, comme vient d’en faire la démonstration la grève du Syndicat des Enseignants Tchadiens qui a paralysé la quasi-totalité des établissement du pays du 15 au 22 février dernier.

Mais ces luttes, qu’il convient, bien sûr, de saluer et d’encourager, ne pourraient conférer à la société civile en général des vertus particulières ni faire d’elle ce qu’elle n’est pas, c’est-à-dire le cadre organisé pour défendre les intérêts des couches populaires et décidé à les imposer par tous les moyens.

Plusieurs raisons concourent à expliquer cela.

En effet, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent ou ce qu’on veut nous faire croire, par exemple, le fait que les organisations et les associations qui constituent la société civile se refusent consciemment à se placer et se battre sur le terrain politique n’a en réalité rien de vertueux. C’est même un écueil, un handicap. Car, en ne voulant pas s’engager politiquement, les dirigeants de ces structures abandonnent à Déby et ses opposants le terrain primordial, celui de la politique, où se décident les choses essentielles. Aussi, indéniablement, la portée de leurs actes s’en trouve-t-elle limitée, quelles que soient, par ailleurs, la justesse et la légitimité des problèmes qu’ils posent ! Sans nul doute, dans le contexte actuel, prétendre ne pas faire de la politique ou se revendiquer de l’apolitisme n’est pas en soi une vertu parce que, quelles qu’elles soient, les préoccupations des masses populaires, tant sur le plan social que démocratique, sont d’abord des problèmes politiques, qui ne verront leur résolution que dans les luttes et les combats politiques multiformes et nécessaires que les travailleurs et les opprimés devraient mener.

Par ailleurs, la société civile n’est pas un ensemble socialement et politiquement homogène. Elle est aussi traversée par toutes les contradictions diverses qui s’affrontent au sein du pays. Par conséquent, si on peut trouver en son sein des militants, femmes et hommes, décidés à en découdre avec la dictature et la misère, on ne peut pas en dire autant pour tout le monde, notamment pour la plupart de ses dirigeants ! L’apolitisme de ces derniers est non seulement stérile, mais, en réalité, il est aussi de façade : s’ils prétendent, pour la plupart, ne pas faire de la politique, cela ne veut aucunement dire qu’ils soient neutres ou indifférents par rapport aux enjeux, aux combats, politiques et sociaux de l’heure.

Comme les chefs traditionnels ou religieux, ces représentants du fatras réactionnaire local, les responsables des organisations de la société civile sont, eux aussi, liés, d’une façon ou d’une autre, aux forces politiques en présence : certains sont proches du pouvoir, en sont même les créatures ou les transfuges ; d’autres se situent dans l’opposition. Généralement, ils défendent également l’ordre social en vigueur, exactement comme les Déby, les Kamougué et autres Nouri ou Timane parce que, socialement, ils appartiennent, eux aussi, au même monde que ces politiciens, celui des « élites », des « cadres », c’est-à-dire des gens formés par l’Etat, souvent avec l’aide de l’impérialisme français, non pas pour être à l’écoute des préoccupations des masses opprimées, pour y réfléchir et leur trouver des solutions adéquates, mais pour être les gestionnaires de l’ordre social en vigueur imposé par la dictature.

C’est cela qui explique le fait que bien de ministres et autres larbins au service du pouvoir actuel viennent de la société civile ou de ce qu’on appelle « les élites » en général. Au sein même des organisations et associations qui constituent cette nébuleuses, - la société civile -, au niveau de leurs directions notamment, il ne serait pas faux de dire aussi qu’il y a de nombreux autres candidats à la mangeoire qui, tapis dans l’ombre, attendent leur heure pour offrir leur service au satrape actuel, comme d’autres l’ont fait par le passé. Même ceux, parmi eux, qui, en apparence au moins, se veulent plus radicaux, portent un regard souvent critique sur la dictature de Déby, ne se fixent pas comme objectif de détruire celle-ci, mais juste de la toiletter, d’en expurger certains aspects répugnants, mais pas plus ! Comme les politiciens du pouvoir et ceux de l’opposition, en effet, ils n’ont pas pour objectif, eux non plus, des changements profonds grâce aux luttes et à la mobilisation des opprimés : ils ne rêvent que des réformes à moindres frais qui sont loin de remettre en cause l’ordre social en vigueur et de répondre aux aspirations des masses opprimées.

C’est aussi pour cette raison que, au Tchad ou dans les autres pays africains, les responsables et les politiciens des pays riches, ceux-là mêmes dont l’impérialisme soutient les dictatures les plus abjectes du continent, y compris militairement, tiennent également tant à nos « sociétés civiles », non pas, comme le prétendent certains, parce que celles-ci seraient l’expression des aspirations populaire à plus d’égalité, de justice et de liberté, mais, fondamentalement, parce qu’elles jouent le rôle d’une soupape utile et efficace pour désamorcer la colère des opprimés, empêcher qu’elle n’explose ou qu’elle n’aille au-delà de quelques réaménagements formels, qui n’ont souvent aucun rapport avec les aspirations des masses populaires. On l’a vu tout récemment dans la crise guinéenne, avec l’acharnement d’un Bernard Kouchner qui a utilisé tous les moyens possibles pour imposer les dirigeants de la société civile ainsi que ceux des partis politiques comme principaux interlocuteurs face aux militaires afin d’éviter que le mécontentement populaire qui couvait dans le pays ne se transforme en une véritable explosion sociale, qui pourrait s’attaquer à l’ordre en vigueur !

Considérée de façon globale, surtout au niveau des buts que s’assignent ceux qui dirigent les principales structures qui la constituent, la société civile n’offre donc aucune garantie particulière quant à la défense des intérêts de l’avenir, notamment ceux des masses populaires aspirant à plus de liberté et à des conditions de vie meilleures, même si, par ailleurs, il convient, bien sûr, de soutenir et de saluer toute les initiatives de luttes diverses qui se prennent en son sein ! Par conséquent, s’il est évident qu’on ne peut pas compter sur les politiciens de l’opposition, armée ou parlementaire, pour qu’ils exigent du dictateur Déby de véritables changements prenant en compte les diverses aspirations populaires, il est illusoire également de penser que la société civile en général puisse le faire car, d’une part, les personnalités qui dirigent celle-ci ne s’en donnent pas les moyens et, d’autre part, tel n’est pas leur objectif non plus !

Ce qui s’est passé lors de la conférence nationale, par exemple, nous en donne une éloquente illustration.

En effet, avant la tenue de ces assises, tant du côté des politiciens de l’opposition que des dirigeants de la société civile, qui, à quelques exceptions près, sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui, nombreux étaient ceux qui, par démagogie ou par naïveté, avaient prétendu qu’il suffirait de la tenue de cette conférence pour que le pays s’engage dans un véritable changement. Ils avaient déclaré que, au terme des discussions, ils instaureraient la démocratie qui, selon eux, serait la condition essentielle pour jeter les bases d’un véritable développement économique. Certains d’entre eux avaient même promis de faire de la conférence nationale le cimetière où serait célébré l’enterrement de la dictature de Déby, laissant croire ainsi qu’ils imposeraient à celui-ci les changements nécessaires dont les masses opprimées avaient besoin.

Mais, dès l’ouverture de ladite conférence, ils ont vite fait de montrer leur vrai visage : alors que, conformément à leurs diverses promesses, leurs partisans rêvaient de les voir combatifs, offensifs, décidés à se battre pour faire reculer le dictateur sur tous les points et lui imposer leurs choix politiques - si tant est qu’ils en aient eu de différents -, ils se sont révélés plutôt pleutres, timorés, craintifs. Au lieu d’un combat acharné, par tous les moyens, y compris la grève, la mobilisation des partis, des syndicats, des associations et de l’ensemble de la population opprimée, dans la rue, pour imposer à Déby les changements nécessaires, tout au long de la conférence, leur principal crédo était au contraire la modération au service de la recherche d’un consensus avec la dictature.

Ainsi, au grand dam de ceux qui avaient placé leurs espoirs en eux, ces gens, qui prétendaient représenter les « forces vives », se sont mués en « âmes mortes » : ils se sont agenouillés devant Déby ; ils lui ont léché les bottes ; ils lui ont pratiquement tous offert leur service pour travailler avec lui, notamment au niveau de la primature, chacun arguant qu’il avait les meilleurs atouts pour s’entendre avec lui. Mieux, quand, repoussant de façon dédaigneuse leurs offres, le dictateur a décidé d’imposer ses choix et ses hommes, toute honte bue, ils se sont non seulement pliés à sa volonté, mais, par ailleurs, ils sont entrés massivement dans son gouvernement pour y occuper des strapontins ministériels. Finalement, ils ont, de cette façon, aidé Déby à gagner la bataille de la conférence nationale sans coup férir et, par la même occasion, lui ont offert aussi, sur un plateau d’argent, la caution politique et le label de « démocrate » dont il avait besoin afin d’abuser l’opinion et d’avoir les coudées franches pour diriger à sa guise, allant jusqu’à fouler aux pieds la constitution et autres mesures décidées par la conférence dont ils avaient dit qu’elle serait souveraine.

Le comportement des politiciens de l’opposition et des dirigeants de la société civile lors de la conférence nationale, qui ressemblait fort bien à une trahison de leurs partisans tout au moins, n’était, cependant, pas fortuit ! Leur souci d’éviter tout conflit avec le dictateur, de tout faire pour trouver un terrain d’entente avec lui, au point même de décevoir certains de leurs militants, était surtout un choix politique et social : ces gens-là tiennent eux aussi à l’ordre établi et leur principale ambition est simplement de servir ce dernier. En courtisant la dictature au lieu de la combattre vraiment, ils cherchaient aussi à plaire aux couches dirigeantes, aux plus riches, aux notables. Au-delà de ceux-ci, c’était surtout aux yeux des dirigeants des pays riches, de la France et des Etats-Unis notamment, qu’ils voulaient apparaître comme des politiciens responsables, raisonnables, respectueux de l’ordre en vigueur, autant que le camp de la dictature. Chose que les événements ultérieurs n’ont pas d’ailleurs tardé à confirmer puisque, au cours du long règne de bientôt vingt ans de Déby, la plupart des dirigeants de l’opposition politique et certaines personnalités de la société civile de l’époque ont, à un moment ou à un autre, signé des alliances avec ce dernier, sont entrés dans ses gouvernements, ont assumé d’importantes responsabilités au sein de son pouvoir et contribué ainsi à la consolidation de la dictature actuelle.

Alors, qu’est-ce qui empêcherait ces mêmes gens-là ou leurs semblables de faire la même chose aujourd’hui si le pouvoir de N’Djaména décidait de discuter avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif ? Rien ! Mais absolument rien !

Par ailleurs, dans toutes les organisations politiques et les associations de la société civile, il y a, bien sûr, des militants de base qui aspirent à de véritables changements. Par conséquent, si une telle rencontre se tenait dans un avenir plus ou moins proche, il pourrait certainement, au cours de ces assises, y avoir, ici et là, quelques groupuscules, quelques âmes charitables, qui parleraient d’égalité, de justice, de démocratie ou réclameraient des solutions courageuses pour s’attaquer réellement aux différents maux dont souffrent les masses opprimées. Mais, cela ne devrait pas non plus faire illusion : leur haine contre la dictature et leur volonté d’en finir avec la misère et l’exploitation ne suffiraient pas pour imposer au dictateur et ses opposants les changements nécessaires ! Ces groupuscules ou militants isolés prêcheraient avec raison, certes, contre l’ordre actuel des choses mais inutilement, car, les politiciens qui nous dirigent et leurs opposants se moquent éperdument des aspirations populaires et plus encore des états d’âmes de ceux qui pensent qu’il suffirait d’en appeler à leur bon sens pour qu’ils changent d’avis !

Mieux que quiconque, d’expérience, le dictateur Déby et ses rivaux, notamment les autres chefs de guerre, ses anciens compagnons des FAN et de l’UNIR, savent que ce ne sont pas les idées et les intentions vaguement généreuses sur la démocratie, la justice, l’égalité, dont sont friands certains partisans de l’opposition et de la société civile, qui font marcher les choses. Formés, pour la plupart, à l’école de la dictature de Habré, pour eux, à juste titre, ce qui compte et qui décide de la marche des événements, c’est le rapport des forces qui, pour l’instant, est en leur faveur. Plus que quiconque, Idriss Déby, qui est arrivé au pouvoir par les armes, est conscient du fait que s’il est à la tête du pays, ce n’est pas parce qu’il aurait les meilleures idées, le meilleur projet politique et social ou l’adhésion massive des masses populaires, mais tout simplement parce qu’il dispose d’un rapport des forces en sa faveur : un état-major politique et militaire, symbolisé par l’administration, l’armée, la police, la gendarmerie, la justice et un parti, le MPS, qui sont à sa solde, en plus du soutien de l’impérialisme français. C’est de cela qu’il tire son pouvoir et sa logique dictatoriale ! C’est cela qui lui permet d’imposer aussi bien ses choix, sa manière de faire que les hommes dont il a besoin pour diriger et non une quelconque constitution, moins encore des idées vaguement généreuses sut tel ou tel aspect de la vie sociale et politique.

Dans ces conditions, pour l’heure, dialogue inclusif ou pas, aucune loi, aucun accord, aucun compromis, rien ne pourrait empêcher que le satrape actuel et ses partisans continuent à gérer le pays comme bon leur semble, en fonction de leurs propres règles et surtout de leurs propres intérêts ! Lorsqu’ on voit, en effet, ce qui s’est passé l’année dernière en Mauritanie, au Niger, en Guinée, par exemple, avec les dictateurs Mohamed Abdelaziz, Mamadou Tandja, Dadis Camara, ou qu’on se souvient des événements qui ont eu lieu, il n’y a pas longtemps , au Togo, au Zaïre, au Congo Brazzaville, en Haïti, où les Eyadéma, les Mobutu, les Sassou et autres Cédras se moquaient éperdument des résolutions des conférences nationales, aussi souveraines qu’elles aient été, et des résultats des urnes, il ne suffirait pas d’avoir des accords, des lois et quelques intentions généreuses pour « démocratiser » les chefs de guerre tchadiens et les amener à respecter les aspirations populaires aux libertés essentielles et à de meilleurs conditions de vie !

De ces choses-là et même de leur propre parole, ils n’ont cure ! A leurs yeux, elles ne valent rien : ce ne sont que des papiers qu’ils piétinent quand il en ont besoin, comme l’a fait Déby lorsqu’il a décidé unilatéralement de changer la constitution afin de rester au pouvoir, se fondant uniquement sur le rapport des forces en sa faveur, tout en rendant combien actuels de nos jours ces propos d’Auguste Blanqui, un révolutionnaire français du 19e siècle, qui disait : « Qui a du fer a du pain ! », vérité essentielle que les sbires et autres combattants au service de la dictature de N’Djaména, qui l’ont bien comprise et assimilée, expriment à leur manière, souvent de façon brutale, quand, crachant sur les lois et autres mesures constitutionnelles, ils traitent les décisions et les décrets gouvernementaux de « Katkat sakit », « rien que du papier », et à juste raison !

Par conséquent, si, dans les circonstances actuelles, un dialogue inclusif se tenait, il y aurait des chances que, fort de l’avantage qu’il a sur ses adversaires, mais aussi à cause du fait que parmi ceux-ci il n’y a personne qui veuille lui contester réellement le pouvoir en s’appuyant sur les luttes des masses opprimées, rien ne puisse empêcher le dictateur Déby de faire comme il voudrait. Aucune loi, aucune constitution, aucun accord, aucun discours vaguement généreux ne seraient suffisants pour l’obliger à respecter les aspirations populaires ! Par contre, il se servirait aisément des assises pour en tirer les principaux bénéfices politiques, pour les capitaliser pour son propre compte, en apparaissant comme l’homme incontournable, le pacificateur du pays, le restaurateur de « la démocratie » et de la paix, et redorer ainsi le blason de sa dictature souillé du sang de tant de victimes depuis bientôt vingt ans ! Il serait largement aidé en cela par les moyens énormes dont dispose aujourd’hui l’Etat grâce à l’argent du pétrole. Il pourrait s’en servir pour soudoyer ses opposants, corrompre certains ou satisfaire les ambitions d’autres, en les associant à la gestion des affaires publiques, en leur offrant des strapontins ministériels à côté de son trône ou en les casant dans des postes juteux où ils boufferaient jusqu’à satiété.

Ainsi ne serait-il pas exclu que ce beau monde de politiciens s’entende, mais, par ailleurs, il serait même possible que toute l’opposition, avec ses diverses composantes, s’incline devant Déby, le maintienne à son poste et le reconnaisse comme son chef, exactement comme ce qui s’est passé en 1993, lors de la conférence nationale !

Mais, - et c’est là l’essentiel -, quels que soient les changement que déciderait un dialogue inclusif dans la situation actuelle, ils ne seraient que formels : oui, le pouvoir qui en sortirait serait inévitablement une nouvelle dictature. Les masses populaires n’y gagneraient rien, ni démocratie, ni amélioration de leurs conditions de vie. Pour elles, ce sera toujours l’exploitation, la misère, les maladies et, au-dessus de tout cela, la dictature !

Il ne serait même pas sûr que soient dissipées les menaces de guerres ethniques qui planent sur le pays ou qu’il soit mis fin au règne et à la loi des bandes armées, des chefs de guerre et de gangs ! Car, les violences de toutes sortes, dans lesquelles le pays s’enfonce des années durant, dont les principales victimes sont les opprimés, ne viennent pas d’un caractère quelconque particulièrement belliqueux des masses populaires, mais des conditions de vie imposées à celles-ci : la source profonde de la crise sociale, qui étrangle le continent et crée les conditions d’une décomposition générale s’exprimant de façon violente, n’épargnant personne, ni les peuples, ni les Etats, est le système capitaliste lui-même, en faillite !

Dans ces conditions, quels que soient les réaménagements formels issus d’un dialogue entre Déby et ses opposants, tant que l’ordre social actuel existera, par millions, les masses opprimées continueront à être condamnées à la famine, aux maladies, à la dictature, et, inévitablement, il y aura toujours des femmes, des hommes et leurs enfants qui, exaspérés, refuseront de s’agenouiller, se mettront debout pour chercher une issue à leur situation, par tous les moyens, y compris les armes. Mais, si, comme aujourd’hui, ils ne trouvent pas les idées dont ils ont besoin pour s’émanciper du capitalisme, de sa cohorte de misère, de maladies et de dictatures, eh bien, ce seront malheureusement d’autres démagogues, d’autres chefs de guerre, d’autres Habré, d’autres Déby, d’autres Nouri, d’autres Kamougué ou d’autres Kassiré qui, profitant de leur mécontentement né des frustrations sociales, exploiteront leur colère pour leur propre compte : ils se serviront d’eux comme forces de manoeuvres électorales ou comme de la chair à canon, dans leurs partis, leurs bandes armées bâtis sur des bases ethniques, et le opposeront les uns aux autres dans des affrontements fratricides.

Prétendre ou dire qu’on pourrait changer une situation comme celle du Tchad par des discussions entre les politiciens locaux, principaux responsables de l’impasse actuelle, ou, encore, comme le font certains, en appelant à la bonne volonté du dictateur au nom de dieu et autres conneries est donc un leurre, surtout un piège pour les masses opprimées ! Mieux, laisser croire que ce serait de façon pacifique, en douceur, en négociant avec le pouvoir qu’on pourrait accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration des conditions de vie de la majorité pauvre du pays, comme le font les politiciens de l’opposition agglutinés au sein de la CDCP, c’est non seulement mensonger, politiquement stérile, irresponsable, mais surtout criminel ! Car, c’est de cette manière-là que, d’une part, on désarme les masses opprimées et, d’autre part, on prépare les drames et les barbaries dont celles-ci sont coutumièrement victimes, tel qu’on vient de le voir récemment en Guinée ou, il n’y a pas longtemps, au Rwanda.

Les dictateurs africains, les Déby, les Sassou, les Biya et autres, n’accepteront jamais que les aspirations fondamentales des masses laborieuses, tant démocratiques que sociales, se réalisent, s’ils n’y sont pas contraints ! Ils n’ignorent pas les conditions désastreuses à tout point de vue dans lesquelles vivent les couches populaires africaines, condamnées, pour certaines, à mourir tout simplement de manque d’eau potable, alors que jamais nos sociétés n’ont été aussi riches qu’aujourd’hui. La plupart d’entre eux viennent même des milieux populaires défavorisés si ce n’est de la paysannerie pauvre. Mais, au lieu de s’attaquer aux causes des maux dont souffrent les masses opprimées, ils font consciemment un autre choix, celui d’être les serviteurs du capitalisme, ce système monstrueux, principal responsable du sous-développement qui étrangle le continent africain. Par conséquent, discuter avec eux pour chercher à les convaincre de prendre en considération les aspirations populaires et de les réaliser est aussi vain que de vouloir faire pousser du mil au sommet du Tibesti !

En revanche, la force organisée des masses populaires, des travailleurs, des chômeurs, des femmes, des jeunes, des paysans pauvres, quels que soient leurs partis, leurs syndicats, leurs associations, en d’autres termes, la mobilisation de l’ensemble des opprimés et leurs luttes, contre la dictature, pour leur droit à la vie, pourraient conduire aux véritables changements tant attendus.

En effet, si les masses opprimées veulent accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration de leurs conditions de vie par le biais de la répartition des richesses, fruit de leur travail et de leur sueur, elles ne pourraient pas faire l’économie des luttes populaires, politiques et sociales, nécessaires et indispensables, que leur impose le capitalisme à travers le pouvoir dictatorial qui règne à N’Djaména. Les libertés démocratiques, l’amélioration des conditions de vie et le droit à une existence digne de notre époque ne sauraient être ni discutés, ni négociés, ni marchandés avec les tenants du pouvoir actuel : ils ne pourraient qu’être le fruit des luttes, politiques et sociales, des masses laborieuses elles-mêmes. Pour qu’ils existent, de façon durable, qu’ils soient respectés et vécus comme des mœurs normales, ils doivent être arrachés et imposés par celles-ci, en dehors de la légalité constitutionnelle actuelle, dans la rue. Il ne pourrait en être autrement ! Toutes les expériences des ces trente dernières années, notamment la conférence nationale dont l’échec est plus que patent, le prouvent amplement

Par conséquent, la seule façon efficace de réaliser les changements nécessaires qu’attendent les couches populaires est de les imposer à Déby par les luttes de tous les opprimés victimes de la politique en vigueur. Car, seule la perspective d’un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière et des autres catégories sociales souffrant des conséquences de la crise économique pourrait, au moyen d’une mobilisation populaire, créer un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et l’obliger à respecter les aspirations politiques et sociales des masses laborieuses.

Dans cette optique-là, la question de la cherté de la vie, ce problème majeur qui préoccupe l’ensemble des masses laborieuses, pourrait être l’élément fédérateur susceptible de permettre la mobilisation du monde du travail et des autres catégories d’opprimés victimes de la crise sociale. En l’absence d’un parti révolutionnaire, s’ils en avaient l’ambition, ce devrait être aux syndicats, comme l’UST ou le SET qui ont déclenché des grèves pour exprimer la colère des masses opprimées contre la dégradation constante de leurs conditions de vie, de prendre l’initiative de cette perspective-là.

Certes, à cause des dictatures qui se sont succédé dans le pays depuis des décennies, avec l’aide de l’impérialisme français, les luttes politiques et sociales des travailleurs entraînant d’autres couches populaires, victimes comme eux des politiques officielles, ne sont pas encore devenues des mœurs et des traditions vécues naturellement. Bien qu’étant souvent à la pointe du combat contre la dictature de Déby, les travailleurs n’en sont encore qu’au début de leur apprentissage quant à la nécessité de leur organisation en vue de la défense de leurs droits sociaux et politiques ainsi que ceux de l’ensemble des masses opprimées. Mais, cela n’efface ni n’enlève rien au fait qu’ils constituent une force colossale, la seule capable de tout bloquer et de tout changer, si elle en a l’ambition : ce sont eux, les travailleurs, qui sont dans les usines, les secteurs économiques et les services sociaux essentiels, comme le pétrole, la Coton Tchad, mais aussi le Bâtiment, le Transport, le Commerce, les Banques, les Assurances, l’Education, la Santé, les Finances, le Trésor, les Impôts, la Communication, les PTT, la Culture, la Justice, l’Energie, les Eaux, les Mairies, etc. Ils occupent une place de choix dans tous les domaines essentiels qui font marcher la société. Sans eux, rien ne pourrait fonctionner dans le pays.

Par conséquent, si les travailleurs prennent l’initiative d’engager contre Déby, son gouvernement et le patronat les luttes nécessaires, dirigées par eux-mêmes, pour l’amélioration des conditions de vie des masses populaires et les libertés essentielles, ils pourraient entraîner et regrouper autour d’eux les autres catégories sociales étranglées par la même crise du capitalisme : ils pourraient ainsi servir de boussole et offrir une politique aux chômeurs, aux femmes, aux jeunes, aux paysans pauvres, aux petits commerçants et, de cette façon, créer, par un mouvement de « tous ensemble », un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et lui imposer les changements nécessaires, tant sur le plan social que politique.

Mieux, si la classe ouvrière et l’ensemble des opprimés, qui, régulièrement, se mettent en grève ou manifestent pour exprimer leur colère contre la cherté de la vie, sont mobilisés, décidés à utiliser pour leur propre comptes toutes les failles, s’ils sont conscients que les choses ne changeront pour eux que s’ils se battent pour leurs propres intérêts, la période actuelle pourra alors offrir des possibilités supérieures : ils pourront non seulement obliger le pouvoir à satisfaire les revendications populaires, - comme, par exemple, une augmentation conséquente des salaires, dans le public et dans le privé, du SMIC, des allocations de chômage, des pensions des retraites, des bourses, l’interdiction des licenciements tant dans le privé que dans le public, une embauche massive dans les secteurs-clés, tels ceux de l’Education et de la Santé, à commencer par celle des contractuels et des précaires, mais aussi dans le privé, une baisse importante des prix des produits de première nécessité, du transport, des impôts, des loyers, la défense et la jouissance des libertés démocratiques essentielles, d’expression, d’organisation, etc -, mais ils pourront même paralyser tout le pays et renverser la dictature actuelle, car, l’armée de Déby, sa police, sa gendarmerie ne seront jamais suffisamment fortes pour endiguer une mise en branle de milliers, si ce n’est de millions, de travailleurs et d’opprimés, décidés à trouver une issue à leur situation au moyen d’une vaste et profonde mobilisation populaire s’exprimant aussi bien par des grèves dans les secteurs économiques vitaux que par des manifestations monstres dans la rue.

Malgré les oripeaux officiels, les forces gouvernementales au service de la dictature ne sont, en réalité, qu’une bande armée comme les autres. Elles ne sont vraiment puissantes et arrogantes que si elles ont en face d’elles une autre bande de même nature, comme celle de l’UFR, moins équipée de surcroît. Mais elles ne pourraient rien face l’ensemble des opprimés de la ville de N’Djaména, debout, entraînant derrière eux ceux de Moundou, de Sarh, de Bongor, d’Abéché, de Mao, de Faya, de Laï, de Fada etc, sous la forme d’une riposte collective de l’ensemble des masses populaires, de toutes les régions, de toutes les ethnies, de toutes les religions, unies autour de la nécessité de défendre consciemment leurs intérêts spécifiques contre la politique du pouvoir et d’imposer à ce dernier les changements auxquels elles aspirent.

Les partisans du dialogue inclusif ou ceux qui prônent un changement en douceur en prenant langue avec la dictature vont certainement pousser des cris d’orfraies face à cette perspective-là. Certains prétendront que cela ne serait pas possible et, pour se donner bonne conscience, ils accuseront les masses d’avoir peur, d’être analphabètes ; ils argueront qu’elles ne seraient pas suffisamment conscientes ; d’autres diront que, face à une dictature surarmée comme celle de Déby, ce serait utopique !

Mais, dans un pays où, des décennies durant, des milliers de gens, des travailleurs, des femmes, des jeunes, s’organisent dans des partis, des syndicats, diverses associations, ou, pour certains, vont même jusqu’à prendre des armes pour chercher une solution aux problèmes auxquels ils sont confrontés, leurs propos ne serviront qu’à étaler au grand jour leur fatalisme et leur impuissance. Ils démontreront surtout que ceux qui, doutant de la force et des capacités des masses populaires, proposent de discuter avec la dictature, sont soit des incapables qui prennent leur propre faiblesse pour des réalités objectives, soit des démagogues, des charlatans, qui, craignant la volonté populaire, cherchent à fixer des limites à la révolte des opprimés bien longtemps avant qu’elle n’explose ! Car, ce que l’on sait, ce que l’histoire a permis de vérifier, c’est justement le caractère utopique des changements en douceur, par des négociations, avec nos dictateurs. Toutes les expériences, toutes les tentatives dans ce sens n’ont abouti qu’à des échecs, à des impasses, qui n’ont servi qu’à renforcer les chaînes de l’exploitation, de la misère, de la dictature et autres violences dont les masses populaires sont les principales victimes. Ce qu’on sait aussi, c’est que, quelles qu’en soient les limites objectives, toutes les avancées, sociales et politiques, petites ou grandes, réalisées ces dernières années en Afrique en général, depuis les années 90 notamment, comme l’instauration du multipartisme, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la création des syndicats, des associations, l’éclosion d’une presse privée multiple ou les augmentations des salaires, n’ont été possibles que parce que les travailleurs et les masses opprimés ont lutté, organisé des grèves, sont descendus dans la rue ou parce que, parfois, leur colère était telle que, avant qu’elle n’explose, l’impérialisme et certains de ses valets ont compris qu’il était de leur intérêt d’anticiper et de faire ces réformes nécessaires.

Alors oui, l’avenir se situe en dehors de tout dialogue, quel qu’il soit, avec le dictateur Déby. Il est entre les mains des travailleurs et de l’ensemble des masses opprimées, dans leur mobilisation, leur organisation et leurs luttes ! Ce n’est pas la détermination des couches populaires d’en finir avec la misère ou de trouver une autre issue à leur situation en général qui fait défaut. Ce qui manque, c’est la perspective qu’il faudrait pour que leurs luttes soient efficaces et servent réellement à changer leurs conditions de vie, c’est-à-dire un mouvement d’ensemble de tous les travailleurs, secteurs et catégories confondus, du public comme du privé, et de l’ensemble des opprimés, quelles que soient leurs ethnies, leurs régions, leurs religion, sous la forme d’une vaste mobilisation populaire, dirigée par eux-mêmes pour imposer les changements nécessaires.

Par conséquent, au lieu de perdre inutilement du temps en discutant avec le pouvoir de Déby et le patronat, comme le font souvent les directions syndicales, ou de se focaliser sur les chances d’un dialogue inclusif ou sur les prochaines élections alors qu’on sait d’avance qu’elles ne changeront rien, c’est à cette perspective-là que devraient s’atteler tous ceux qui, syndicalistes, militants des partis politiques, de l’opposition armée et des associations, sont réellement révoltés tant par les conditions de vie des populations pauvres que par la dictature et aspirent à de véritables changements. Cela devrait se faire sous la forme d’une action consciente, délibérée, organisée, avec rigueur. Au besoin, si c’est nécessaire, il faudrait aller au-delà de la volonté des directions syndicales et leur imposer cette perspective-là, car, pour que se réalisent les changements nécessaires dignes de leur attentes et aspirations, il est vital que les masses opprimées interviennent, fassent irruption dans la scène politique, dans les lieux, les sphères où se prennent les décisions essentielles les concernant au premier chef, où se décident leur sort et leur vie, et ce, avec leurs propres armes et méthodes.

La perspective d’un mouvement d’ensemble des travailleurs et des masses opprimées est aussi la seule façon efficace pour que tous ceux qui veulent que les choses changent réellement se regroupent, se comptent et jettent ainsi les bases d’un parti révolutionnaire qui leur soit propre, cet organe politique qui fait cruellement défaut aujourd’hui, mais qui est combien indispensable, combien nécessaire, tant pour défendre les intérêts collectifs des couches populaires face à la politique du pouvoir que pour en finir un jour avec l’ordre social injuste en vigueur, le capitalisme !

Messages

  • Le gouvernement français justifie les frappes aériennes de la France au Tchad dans la nécessité de protéger Idriss Déby contre un risque de renversement !!! Finie la françafrique, pensez-vous !!! C’est encore le pré carré français avec Macron comme avec les précédents... Et, là, il y a de l’argent pour faire la guerre, pas pour les aides sociales et les services publics !!!

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