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Pourquoi nous dormons

lundi 4 mars 2019, par Robert Paris

Pourquoi nous dormons ?

Avertissement : Les réponses à cette question sont aussi diverses que variées et cependant nous allons en donner une nouvelle. Nous dormons parce que nous sommes vivants, le sommeil étant l’état de base de la vie !!! Bien des travaux ont étudié la manière dont nous entrons en sommeil en considérant l’éveil comme le fonctionnement de base du vivant. Des études récentes inversent ce point de vue et considèrent que le sommeil est le mode fondamental de fonctionnement du vivant ! Un renversement de point de vue impressionnant ! Le fonctionnement du cerveau est encore loin d’avoir été décrypté, sans son mode d’éveil comme dans son mode de repos. Les idées sur ces questions changent rapidement. Nous allons voir que la conception du sommeil, de son rôle, ne s’en tient plus aux diverses phases du sommeil, aux types d’ondes, au rôle du sommeil paradoxal et que la phase du repos est en train d’être considérée comme le mode de fonctionnement de base sur laquelle peut se développer le mode en phase active et consciente.

Jean-Didier Vincent, dans « Voyage extraordinaire au centre du cerveau :

« Deux conditions pour dormir : la sécurité et la peau à 27°C. Ces conditions remplies, le sujet peut s’endormir, mais il ne dort pas encore… Les yeux fermés, le sujet sur lui s’accroître la pression du besoin de dormir… Il ne s’enfonce pas progressivement dans le sommeil ; l’éveil le quitte brusquement : une véritable chute dans la nuit de la conscience… Il s’agit d’un commutateur à bascule qui lorsqu’on appuie sur un versant supprime l’inhibition venant du versant opposé. Nous verrons qu’il s’agit d’un système sécurisé, gardien aussi bien du sommeil que de la veille selon l’adage qu’il est un temps pour dormir et un temps pour être éveillé. »

Patrick Berque, « Les sortilèges du cerveau » :

« Le sommeil fait partie des rythmes circadiens déterminant l’alternance des phases de repos et d’éveil. Il rythme nos vies quotidiennement. Il nous force à dormir avec une puissance impérative. Il est indispensable à la vie. Sa privation entraîne une baisse de perspicacité, une maladresse et une impression d’être diminué.

On le retrouve chez toutes les espèces vivantes, insectes araignées, vers de terre, poissons, reptiles, oiseaux, mammifères, primates et l’homme. Nul n’y échappe.

Se mettre au repos est une des premières choses qu’apprend le cerveau. Dès la vingtième semaine de la grossesse, le sommeil apparaît chez le fœtus, avec des alternances d’immobilité et d’agitation selon une périodicité de 50 à 60 minutes, similaire à celle du sommeil observé chez le nouveau-né qui dort dix-huit heures par jour. A l’âge adulte, sa durée est d’environ 7 à 8 heures chez l’homme.

N’est-il pas étrange que nous passions un tiers de notre vie inconscients, à dormir et souvent à rêver !

Pourquoi ? A quoi cela sert-il ? Ce mystère a intrigué dès l’Antiquité…

La privation complète de sommeil chez l’animal entraîne la mort en deux à trois semaines. Chez l’homme, la plupart des gens s’effondrent après trois jours à une semaine…

La découverte du noyau cérébral du sommeil, le thalamus, a été faite par Walter Hess, prix Nobel 1949, en déclenchant un sommeil immédiat par insertion d’une électrode dans l’hippocampe d’un chat. »

Dean Burnett dans « Le cerveau, cet imbécile » :

« Nous ne connaissons toujours pas le but du sommeil ! Nous l’avons observé chez presque toutes les espèces animales, même les plus simples comme les nématodes, des vers parasites très courants. Certains animaux, comme les méduses et les éponges, ne montrent aucun signe de sommeil, mais elles n’ont pas de cerveau donc on ne peut pas vraiment se fier au fait qu’elles « font » quoique ce soit.

Néanmoins des phases de sommeil, ou disons des périodes d’inactivité régulières, sont observées chez une grande variété d’espèces radicalement différentes. Il est clair que c’est une activité importante, profondément enracinée dans l’évolution. Les mammifères aquatiques ont des méthodes de sommeil n’impliquant que la moitié du cerveau parce que s’ils dormaient complètement, ils arrêteraient de nager et risqueraient de couler et de se noyer.

Le sommeil est tellement important qu’il est plus fort que « ne pas se noyer », et pourtant nous ne savons pas pourquoi.

Il existe de nombreuses théories, comme celle de la guérison. On a découvert que les rats privés de sommeil mettaient beaucoup plus de temps à se remettre de leurs blessures et que, de façon générale, ils ne vivent pas aussi longtemps que les rats qui dorment suffisamment.

Selon une autre théorie, le sommeil réduit l’importance des liaisons neurologiques faibles afin de pouvoir les supprimer plus facilement.

Pour d’autres, le sommeil permet d’amoindrir les émotions négatives.

D’après l’une des théories les plus bizarres, le sommeil est venu de la nécessité de nous préserver des prédateurs. Beaucoup de prédateurs sont actifs la nuit et les hommes n’ont pas besoin d’être actifs vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour subvenir à leurs besoins, donc le sommeil offre des périodes prolongées d’inertie durant lesquelles le corps ne libère pas les signaux permettant aux prédateurs de le trouver…

Le sommeil sert à se reposer, à donner au corps et au cerveau le temps de se recharger après une journée épuisante. Eh oui, quand nous avons fait quelque chose de particulièrement fatigant, une période d’inactivité prolongée aide notre organisme à se remettre et à refaire le plein.

Mais si le sommeil n’est lié qu’au repos, pourquoi dormons-nous presque toujours des durées identiques, que nous ayons passé la journée à soulever des briques ou à regarder des dessins animés en pyjama ? Les deux activités n’exigent pas la même récupération. Et l’activité métabolique du corps pendant le sommeil ne baisse que de 5 à 10%. Ce n’est pas un ralentissement très fort ; ça revient à passer de 100 à 0 kilomètres à l’heure quand vous avez de la fumée qui s’échappe du moteur de la voiture.

La fatigue ne dicte pas directement notre sommeil, c’est pourquoi les gens ne s’endorment jamais pendant qu’ils courent un marathon.

En réalité, le déclenchement et la durée du sommeil sont déterminés par notre rythme cardiaque, lui-même calé sur des mécanismes internes précis. Il y a la glande pinéale qui régule notre sommeil en sécrétant de la mélatonine, une hormone qui nous détend et nous rend paisibles. La glande pinéale réagit aux niveaux de lumière. Les rétines de nos yeux détectent la lumière et envoient des signaux à la glande pinéale, et plus celle-ci reçoit de signaux, moins elle libère de mélatonine (mais sans jamais s’arrêter complètement d’en relâcher).

Les niveaux de mélatonine dans notre corps augmentent progressivement au cours de la journée et ils s’accroissent plus rapidement lorsque la nuit tombe, d’où le fait que notre rythme cardiaque s’adapte aux heures de la journée et que nous soyons plus alertes le matin et fatigués le soir.

C’est ce mécanisme qui sous-tend le « jet-lag », la fatigue due au décalage horaire. Voyager, passer d’un créneau horaire à un autre, c’est s’exposer à des niveaux de lumière complètement différents, et vous avez une lumière de 11 heures du matin alors que votre cerveau pense qu’il est 20 heures.

Nos cycles de sommeil sont précisément réglés et ce bousculement des niveaux de mélatonine les détraque. Et il est beaucoup plus dur de « rattraper le sommeil » qu’on ne peut le penser ; notre cerveau et notre corps sont liés au rythme cardiaque, de sorte qu’il est difficile de forcer le sommeil à un moment où il n’est pas attendu (même si ce n’est pas impossible). Quelques jours d’exposition au nouveau cycle de lumière et notre rythme s’ajuste miraculeusement…
Notre température corporelle change elle aussi en fonction de ces rythmes, variant entre 36 et 37 degrés (ce qui est une grosse variation pour un mammifère)…

L’hypothèse selon laquelle le sommeil n’est lié qu’au repos et à la conservation d’énergie est encore plus mise à mal par le fait qu’on a observé le sommeil chez des animaux en hibernation… L’hibernation n’est pas la même chose que le sommeil ; le métabolisme et la température corporelle diminuent beaucoup plus ; la durée est beaucoup plus longue ; en réalité, cela ressemble plus au coma qu’au sommeil. Mais les animaux en hibernation entrent régulièrement en état de sommeil, de sorte qu’il leur faut dépenser davantage d’énergie pour dormir. L’idée que le sommeil n’est lié qu’au repos est à l’évidence trop limitée…

Une autre théorie affirme que le sommeil est essentiel pour que le cerveau évacue les déchets qu’il produit. Les processus cellulaires complexes du cerveau créent une grande quantité de rebuts dont il faut se débarrasser, et des études ont montré que cela a lieu beaucoup plus souvent quand nous dormons ; pour le cerveau, le sommeil serait l’équivalent des heures de fermeture l’après-midi d’un restaurant, où le personnel met de l’ordre entre deux services ; il y a autant d’activité mais elle est différente.

Quelle qu’en soit la vraie raison, le sommeil est essentiel pour le fonctionnement normal du cerveau. Les gens privés de sommeil, en particulier de la phase REM, éprouvent rapidement un déclin de leur attention et de leurs facultés à résoudre des problèmes, une augmentation du stress et une chute générale de leurs performances…

Si vous passez trop de temps sans dormir, votre cerveau commence à initier des « micro-siestes », où il attrape des bribes de sommeil de quelques minutes, voire secondes d’affilée.

Notre évolution a rendu nécessaires de longues périodes d’inconscience et nous ne savons pas vraiment faire avec quelques miettes ici et là.

Même si nous réussissons à fonctionner avec les problèmes cognitifs posés par le manque de sommeil, il réduit l’efficacité du système immunitaire et est associé à l’obésité, au stress et aux problèmes cardiaques… »

Stanislas Dehaene et Marcus Raichle, « Pas de repos pour le cerveau », dans « C3RV34U » :

« Nos neurones sont en ébullition permanente. Même lorsque nous nous reposons, nos aires cérébrales communiquent et discutent entre elles. De nombreuses études récentes de neuro-imagerie l’ont démontré : notre cerveau a une vie intérieure… Bien que nous commencions seulement à comprendre pourquoi notre cerveau dépense une telle énergie à vagabonder, l’étude de l’activité intrinsèque pourrait fournir une des clés pour l’explication des troubles neurologiques, et même pour la connaissance de ce phénomène appelé « conscience »…

L’activité cérébrale d’une personne qui « ne fait rien » est loin d’être négligeable.

On sait maintenant que lorsque l’esprit est au repos – lorsqu’on rêvasse tranquillement dans une chaise, qu’on est endormi dans un lit ou anesthésié lors d’une opération chirurgicale – diverses aires cérébrales bavardent entre elles. Et l’énergie consommée par cette discussion permanente, connue sous l’expression « mode par défaut » du cerveau, est environ vingt fois celle utilisée consciemment pour chasser une mouche avec un journal ou à tout autre stimulus extérieur. En effet, la plupart des choses que l’on fait consciemment, que ce soit de s’asseoir pour dîner ou préparer un discours, constituent une petite déviation de l’actitivré de base du mode par défaut.

Une découverte clé pour la compréhension du mode par défaut du cerveau a été celle d’un système cérébral jusqu’ici inconnu, baptisé le « réseau du mode par défaut ». Son rôle exact dans l’organisation de l’activité cérébrale fait toujours l’objet de recherches, mais on pense qu’il orchestre la façon dont le cerveau organise les souvenirs et gère les différents systèmes qui ont besoin de se préparer aux événements futurs : le système moteur doit être prêt à réagir au quart de tour lorsque vous sentez le chatouillement de la mouche sur votre bras…

L’idée que le cerveau est en constante ébullition n’est pas nouvelle. Hans Berger, l’inventeur de l’électroencéphalogramme fut un pionnier de cette notion. Dans un des articles fondateur sur ses découvertes en 1929, Berger déduisait des oscillations électriques incessantes détectées par sa machine :

« Nous devons faire l’hypothèse que le système nerveux central est en permanence, et pas seulement durant les phases d’éveil, dans un état d’activité considérable. »

Cependant ses idées sur le fonctionnement cérébral furent largement ignorées…

Certaines aires du cerveau sont très actives, à la fois au repos et dans les conditions d’activité…

Des analyses poussées ont montré que réaliser une tâche spécifique augmente d’au moins 5% la consommation énergétique du cerveau par rapport à sa consommation de base.

Une large proportion de l’activité totale du cerveau – de 60 à 80% de l’énergie totale qu’il utilise – provient de circuits qui ne sont pas liés au traitement des événements extérieurs…

Les indices de l’existence d’une vie intérieure du cerveau étant bien établis, il était nécessaire de comprendre la physiologie de cette activité intrinsèque du cerveau – et comment elle pouvait influencer la perception et le comportement…

Au milieu des années 1990, nous avons remarqué de manière presque accidentelle que certaines régions du cerveau, à notre grande surprise, subissent une diminution de leur niveau d’activité par rapport à l’état de repos lorsque les sujets réalisent une tâche. Ces aires – en particulier une zone du cortex pariétal médian (région proche du milieu du cerveau impliquée, entre autres, dans la capacité à se souvenir des événements propre de sa vie) – montrent cette baisse d’activité lorsque d’autres régions sont engagées dans la réalisation d’une tâche particulière, telle la lecture à voix haute. Déconcertés, nous avons surnommé « aire pariétale mystérieuse » la zone montrant la diminution d’activité la plus forte…

En fait, notre « aire mystérieuse » reste constamment active, même lorsqu’elle n’est pas engagée dans une tâche précise…

Ces résultats ont été confirmés, tant pour le cortex pariétal médian que pour le cortex préfrontal médian. Ces deux aires qui permettent d’évoquer des souvenirs et des images mentales personnelles, mais également de nous représenter ce que les autres pensent et ressentent, sont aujourd’hui considérées comme des nœuds centraux du réseau du mode par défaut…

L’organisation frappante de cette activité cérébrale observée sous anesthésie générale ou durant le sommeil suggère qu’elle représente une composante fondamentale du fonctionnement cérébral et non pas seulement « du bruit »… »

Michel Jouvet, dans « Les mystères du sommeil » :

« Le sommeil paradoxal serait une sorte de reprogrammeur effaçant (oubli) ou renforçant (mémoire) les acquisitions du jour en accord avec l’individuation génétique. En bref, nous ne rêverions pas mais « nous serions rêvés ». Pendant cette reprogrammation interne, le cerveau serait coupé de l’extérieur. Des entrées stochastiques seraient assurées par des activations générées au niveau du pont, sélectionnant les nouveaux récepteurs synaptiques synthétisés pendant le sommeil lent… Une énorme quantité d’énergie est nécessaire pour que les cent minutes de sommeil paradoxal soient capables de remanier la circuiterie synaptique initiée pendant les 600 minutes d’éveil. Le sommeil lent serait alors indispensable au sommeil paradoxal en assurant une réserve d’énergie sous forme de glycogène dans la glie. »

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