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Quand des CRS, en 1947, faisaient grève.

mercredi 16 décembre 2020, par Alex

Les récentes violences policières rendent d’actualité la question de l’Etat en général et de sa police en particulier. Une police qui respecterait la devise de la République française : « Liberté, égalité, fraternité » est-elle possible ? Pour les militants conscients du mouvement ouvrier qui ont assimilé l’ABC du marxisme, la réponse est bien sûr non, il suffit de lire et relire L’Etat et la révolution de Lénine.

Mais pour ceux qui s’éveillent à la politique suite aux événements récents, qui croient encore, ou se demandent s’il faut encore croire, en la République française et n’ont pas fait le pas consistant à comprendre la nature bourgeoise de cette République, un épisode à méditer est la reconstruction de la police à la "Libération" en 1945.

Les policiers avaient alors le droit de grève et des CRS soutinrent ouvertement les ouvriers lors des grèves quasi insurrectionnelles de 1947-1948. Les nombreuses compagnies de CRS qui eurent cette attitude furent dissoutes par le socialiste Jules Moch.

Conclusion : une police, ou simplement une fraction au sein de la police, qui soit "exemplaire" est incompatible avec la nature bourgeoise de l’Etat même républicain. C’est la gauche "progressiste", en fait anti-ouvrière, celle de Jules Moch de la SFIO, qui a amputé la police française de l’aile "progressiste" qui s’était formée dans la Résistance. Encore une illustration du fait que la lutte n’avait pas lieu entre des progressistes et des réactionnaires, mais entre la classe ouvrière et la bourgeoisie.

Une encyclopédie consacrée à la police, préfacée par des réactionnaires pro-police N. Sarkozy et D. de Villepin, relate cet épisode.

« ... Dès la fin de l’année 1944 s’opposent deux visions des forces de l’ordre. D’une part le courant socialiste et gaulliste conçoit les forces du maintien de l’ordre comme des instruments de défense de la République, dont l’usage doit être strictement encadré et qui, pour ce faire, sont soumises au contrôle du gouvernement et à celui de la hiérarchie administrative qu’il a nommée. Vis-à-vis des forces de police existant en 1939 ou crées par le régime de Vichy (comme les groupes mobiles de réserve, ou GMR), l’objectif est de les insérer ou de les réinsérer dans l’ordre républicain. C’est le sens profond de l’épuration, dont l’objectif est double par le fait même qu’il s’agit d’un tri : d’une part on se sépare des individus dont les actes sont condamnables, d’autre part cette purification sert à réinsérer dans la République cette institution ainsi épurée. Cela veut dire concrètement que la police, après avoir été mise par Bousquet au service des occupants, retrouvera ses fonctions antérieures, au service de la République.

D’autre part, jusqu’en 1947-1948, existe une vision des forces de l’ordre bien plus engagée. Les groupes militaro-policiers créés par le mouvement communiste (FTP, milices patriotiques, forces républicaines de sécurité) ont cherché non seulement à libérer les territoires sur lesquels ils ont été créés, mais aussi à y installer un pouvoir « populaire » qui appuiera les comités départementaux de libération (CDL), afin d’instaurer un pouvoir révolutionnaire. Leur action va à l’encontre des actions classiques de forces chargées du maintien de l’ordre : ainsi, l’article 14 du statut des milices patriotiques indique-t-il qu’« en cas de grèves les milices patriotiques s’efforceront d’assurer la défense des ouvriers ».

Le conflit entre les deux visions de la police est patent lorsqu’on lit la circulaire aux préfets de Jules Moch, ministre de l’Intérieur, du 24 novembre 1947. : « Vous devez en premier lieu faire respecter en toutes circonstances la liberté du travail. Le droit de grève est inscrit dans la Constitution. Mais il ne s’identifie pas avec le droit d’occuper les lieux du travail et encore moins d’empêcher de travailler ceux qui ne veulent pas faire grève. Le droit de grève, c’est pour les travailleurs le droit de cesser le travail sans encourir de sanctions pénales ou administratives. Ceux qui détournent de son sens véritable ce droit portent une atteinte aux institutions républicaines et mettent en cause l’autorité de l’Etat ».

De fait, la période 1946-1948 verra l’affrontement de ces deux visions, au travers des conflits sociaux très durs de 1947 et surtout de 1948. La gestion politique de ce conflit explique la génèse particulière des CRS (Compagnies républicaines de sécurité), créées par le décret du 9 décembre 1944, le même jour que le décret qui dissout les GMR. De fait, les CRS sont au départ une force mixte qui regroupe d’anciens membres des GMR amalgamés avec des forces issues des mouvement de résistance d’obédience communiste, porteurs d’une idéologie révolutionnaire. Il résulte de cet amalgame que les CRS contiennent une proportion non négligeable de militants communistes, dont l’action et l’idéologie sont véritablement différentes de celles de la hiérarchie qui les commande. A Marseille et dans le Sud, certaines CRS sont composées à parts égales d’anciens FFI ou FTP et d’anciens GMR. Les gouvernements qui se succèdent tentent à la fois de réaliser un compromis et surtout d’imposer une discipline et une hiérarchie qui permette un usage non révolutionnaire de telles forces. Mais le conflit n’est pas loin, et finit par éclater, le 12 novembre 1947, lorsque des émeutiers envahissent, à Marseille, le palais de justice et l’hôtel de ville, sans que les compagnies de CRS présentes aient un minimum lutté contre ce mouvement. Le gouvernement, par une des lois « de défense de la République » du 27 décembre 1947, sera autorisé à dissoudre onze des soixante cinq compagnies de CRS existantes. Le décret du 26 mars 1948 réorganisa les CRS ainsi amputées.

Le statut spécial des forces de police traduit le triomphe de la conception « républicaine » de la police—incarnée par Jules Moch—sur la conception « révolutionnaire » incarnée par Raymond Aubrac, commissaire de la République à Marseille en 1947.

Lorsque Jules Moch présente le projet de loi relative au statut spécial des personnels de police, voté le 28 septembre 1948, il a deux objectifs. Les premier est de « restaurer l’autorité de l’Etat » en lui donnant une police républicaine sur laquelle il puisse s’appuyer. L’autre objectif est de fixer les conditions de travail de ces fonctionnaires spécifiques que sont les policiers, d’où des droits et des devoirs particuliers.

L’article 2 accorde aux policiers la liberté de se syndiquer mais leur refuse le droit de grève. Cette liberté syndicale était en débat depuis la fin du XIXème siècle, lorsque plusieurs « amicales » s’étaient fondées. La loi de 1948 est véritablement la victoire de ce mouvement syndical qui n’était en 1939 que partiellement reconnu et dont les préfets de police pour la plupart n’avaient pas voulu reconnaître la légitimité. Paradoxalement, cette liberté syndicale fut bien moins discutée que l’octroi ou le refus du droit de grève, alors que ses conséquences furent déterminantes pour le « monde » policier. En effet, la syndicalisation du corps policier se fera rapidement et désormais, dans le concret, le syndicat fera partie intégrante de la carrière et de la vie professionnelle. On ajoutera que cette liberté syndicale sépare définitivement la police de la gendarmerie : cette arme en effet ne dispose pas de ce droit.

Quant au droit de grève, on comprend fort bien pourquoi il ne fut pas accordé en 1948. Dans l’esprit du législateur de l’époque, qui prend en compte la situation politique quasi insurrectionnelle du moment, il est impensable que la police se voie octroyer le droit de grève. En effet le droit de grève paraît incompatible avec la subordination qui est le fondement de l’activité de la police. A cet égard, il convient de souligner le rôle déterminant qu’a joué la journée d’action du 14 février 1947 sur l’évolution de l’état d’esprit des pouvoirs publics.

A cette époque les syndicats de policiers sont réunis au sein de la FPFUF affiliée à la CGT unifiée—d’avant la scission et la création de la CGT-FO. Les forces de l’ordre en général, qui disposent du droit de grève, participent activement à cette journée de revendication, centrée essentiellement sur les questions de rattrapage des salaires (c’est la thématique de la « vie chère », typique de l’époque). Cette présence des policiers dans la grève—notamment des CRS—démontra au gouvernement qu’elle pourrait être la force d’un mouvement d’opposition (à l’époque révolutionnaire) qui s’assurerait la neutralité, voire le concours, de ces forces. A partir de cette date, les ministres de l’intérieur successifs s’attachent à limiter le droit de grève des CRS, puis étendent cette contrainte à l’ensemble de la police. dès lors cette loi eut pour conséquence d’engager le corps policier dans un type d’action syndicale bien particulier. Les policiers ne prendront pas part aux grandes journées de grève organisées par les centrales syndicales. Mais ils n’en seront pas pour autant dépourvus de moyens d’action. L’action et la pression syndicale se font constamment sentir dans la gestion du corps par le biais des commissions paritaires et des comités techniques paritaires institués entre 1948 et 1955. ... »

(Histoire et dictionnaire de la Police. Du Moyen âge à nos jours. Chapitre XIII (1946-1966) par Claude CHARLOT)

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