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Louis de Broglie et ses idées révolutionnaires en physique

dimanche 17 janvier 2021, par Robert Paris

Avant-propos de Georges Lochak à « Louis de Broglie, un itinéraire scientifique » :

« Louis de Broglie a toujours été pénétré d’histoire (…) et en physique également il n’a jamais perdu de point de vue historique et celui-ci a même joué un rôle très important dans l’orientation de ses conceptions scientifiques.

C’est ainsi qu’après la guerre de 1914-1918, entreprenant un réexamen des difficultés qu’offrait à l’époque la théorie des quanta, fondée sur la théorie du rayonnement du corps noir de Planck, le modèle d’atome planétaire de Bohr et la théorie des quanta de lumière d’Einstein (c’est-à-dire l’idée que l’énergie, dans les ondes lumineuses, est transportée par des corpuscules : les photons), Louis de Broglie eut l’idée que le ciment de cette théorie encore disparate devait se trouver dans la réunion de la mécanique et de l’optique en un seul corps de doctrine. Et c’est là que lui servirent ses connaissances historiques, puisque c’est grâce à sa vision d’ensemble de l’évolution des idées en physique qu’il put réunir dans un seul système le principe de Maupertuis (c’est-à-dire le principe de moindre action), emprunté à la mécanique, au principe de Fermat (c’est-à-dire le principe du plus court chemin lumineux), emprunté à l’optique. Et c’est cette vue d’ensemble, concrétisée en faisant appel à la loi des quanta de Planck et étayée par le principe de relativité d’Einstein, clé de voûte de la mécanique ondulatoire, qui conduisit de Broglie à l’idée de la coexistence des propriétés corpusculaires et ondulatoires (…) Curieusement, malgré tous les efforts entrepris en ce sens, la nature physique de l’union entre les ondes et les corpuscules n’a jamais été élucidée (…) Rien de plus irritant qu’une théorie qui « marche » sans qu’on sache pourquoi : c’est ce qui est arrivé à la théorie de la gravitation de Newton avec sa loi de l’action à distance que tout le monde détestait, à commencer par Newton lui-même. (…) De Broglie a élaboré pour cela, dès 1926, une ingénieuse théorie (dite de la « double solution »), mais il s’est heurté à des difficultés mathématiques, à des objections physiques et surtout à l’hostilité d’une bonne partie des physiciens, si bien qu’il a fini par abandonner sa théorie pour longtemps. Mais, vingt-cinq ans plus tard, il l’a reprise au grand scandale de beaucoup, faisant d’incontestables progrès mais sans vraiment résoudre le problème. (….) Or il fallait un courage intellectuel exceptionnel, à un savant sexagénaire couvert d’honneurs et occupant les plus hauts postes, pour faire pareille proclamation. Il s’est trouvé du jour au lendemain dans une position marginale, on murmurait autour de lui au sujet des « atteintes de l’âge » ; il voyait, dans les commissions, son pouvoir se vider de sa substance, perdant jusqu’à celui de défendre ses propres élèves, discrètement « encouragés » à rejoindre d’autres laboratoires. On imagine difficilement, derrière les apparences feutrées de la vie universitaire et les chaleureuses proclamations unanimistes de la communauté scientifique, la violence des combats d’idées en science et le sort qui a toujours été réservé aux idées minoritaires et aux novateurs solitaires (or comment être novateur si l’on n’est pas solitaire ? Les idées neuves ne jaillissent pas d’une commission !). Il en a toujours été ainsi : on nous dresse aujourd’hui des portraits hagiographiques de Pasteur s’avançant majestueusement sur la voie de la découverte et récompensé de ses exploits par l’édification d’un institut portant son nom, mais on oublie combien souvent il a été traité de charlatan, et toutes les avanies qu’il a subies avant que ses idées ne fussent reconnues. De même, on nous représente un Einstein artificiel, doucement rêveur et nimbé de cheveux blancs, son noble visage souligné d’un sempiternel E = mc² ; mais on oublie les attaques, les insultes qu’il a subies dans sa jeunesse de la part des détracteurs de la relativité, ainsi que l’isolement (enjolivé de fleurs certes, mais l’isolement quand même) dans lequel l’avaient plongé aussi bien son refus d’admettre l’interprétation orthodoxe de la mécanique quantique que son opiniatreté à poursuivre ses recherches sur le champ unitaire. Lui qui, à la fin de ses jours, écrivait depuis Princeton, et alors même que le grand public l’adulait : « je suis considéré ici comme une sorte de fossile que les ans ont rendu aveugle et sourd. (…) La pire des choses, sans doute, est ce mur de silence dont les idées minoritaires sont entourées. Et ce mur est surtout impressionnant lorsqu’il s’élève autour d’un personnage aussi célèbre que Louis de Broglie , auteur de dizaines de livres et de centaines d’articles de revues, mais qu’on ne cesse de lire et de citer dès lors que ce qu’il dit n’est plus dans le courant de la mode, et cela tout simplement parce que les ténors du moment font silence de sur son nom. Un peu plus tard, on voit de temps à autre resurgir certaines de ses idées, à propos desquelles, toutefois, son nom n’est même plus cité : c’est ce qui est arrivé quand un certain type d’onde, que De Broglie appelait « onde à bosse » et qu’il avait introduite dans son interprétation de la mécanique ondulatoire, est soudain devenu à la mode sous le nom de « soliton », mais sans que l’on mentionne jamais le nom du père de cette idée. Ce modèle de l’onde à bosse nous ramène au problème du dualisme des ondes et des corpuscules, puisque c’est pour tenter d’élucider ce dualisme que De Broglie avait imaginé ce modèle mathématique la « bosse », c’est-à-dire une région très intense et étroitement localisée dans l’onde, qui pourrait représenter ce que nous observons en tant que corpuscule, mais, faisant partie intégrante de l’onde, cette bosse serait guidée par la propagation de celle-ci et suivrait donc les lois de la mécanique ondulatoire. (…) Y a-t-il un sens à essayer de donner une image physique intelligible du dualisme des ondes et des corpuscules ? A cette question, la majorité des physiciens concernés répondent : « non » ; soit qu’ils renoncent ; soit que, l’expérience ne paraissant jamais saisir que l’un ou l’autre des aspects (onde ou corpuscule) et non les deux à la fois, ils ne voient pas comment leur éventuelle union serait observable, ce qui discrédite le problème à leurs yeux ; soit qu’ils nient que l’onde de Broglie soit une onde physique et qu’ils n’y voient qu’un objet mathématique ; soit, encore, qu’ils nient le problème en refusant à la fois le mot « onde » et le mot « corpuscule » (…) On peut, sans crainte, affirmer que la question du dualisme que pose De Broglie reste parfaitement ouverte. (…) Une telle question peut difficilement entrer dans un projet, faire l’objet d’un programme et, surtout, elle peut difficilement mobiliser un grand laboratoire autour de vastes crédits. (…) On sonnerait, à plus ou moins longue échéance, le glas de la science si l’on imposait, comme on y a trop tendance, à l’ensemble de la recherche de se plier à ce régime-là. Parce que la véritable idée nouvelle, celle qui donnera naissance à la théorie future et qui ouvrira un domaine de recherche entièrement nouveau, ne ressemblera en rien à ce que nous croyons être vrai aujourd’hui. Ce sera, au début, comme cela a toujours été le cas dans le passé, une idées étrange, balbutiante et fragile dont personne ne voudra, une question inattendue posée par un cerveau solitaire qui se sera demandé si d’aventure la nature ne serait pas autrement qu’on ne croit. (…) Or une telle idée neuve, contrairement à ce que l’on prétend parfois avec un bel optimisme, il y a déjà bien longtemps qu’on n’en a pas vu. Et c’est pour cela qu’il faut lire Louis de Broglie : parce que lui, jadis, il a eu une telle idée. »

Louis de Broglie et ses idées révolutionnaires en physique

Louis de Broglie dans "la nouvelle physique et les quanta" :

"Si la théorie électromagnétique sous la forme de Lorentz était réellement applicable aux particules élémentaires d’électricité, elle permettrait de calculer sans aucune ambiguïté les rayonnements émis par un atome du modèle planétaire de Rutherford-Bohr. (...) l’atome perdant constamment de l’énergie sous forme de radiation, ses électrons viendraient tous très rapidement tomber sur le noyau et la fréquence des rayonnements émis varierait constamment d’une façon continue. l’atome serait instable et il ne pourrait exister des raies spectrales à fréquences bien définies, conclusions absurdes. Pour éviter cette difficulté essentielle, M. Bohr a admis que l’atome dans ses états stationnaires ne rayonne pas, ce qui revien tà nier la possibilité d’appliquer la théorie électromagnétique du rayonnement au mouvement orbital des électrons sur leurs trajectoires stables. (..) Bohr a résolu la question des fréquences des raies spectrales grâce à l’hypothèse que chaque transition entre états quantifiés s’accompagne de l’émission d’un quantum d’énergie radiante. (...) En d’autres termes, d’après la théorie quantique, l’émission des raies spectrales d’un corps simple est discontinue et procède par actes individuels isolés."

Louis de Broglie, dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

« Bientôt M. Bohr allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de « complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des « aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant, chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein… A la fin d’octobre 1927, eut lieu, à Bruxelles, le 5 ème Conseil de Physique Solvay consacré à la Mécanique ondulatoire et à son interprétation. J’y fis un exposé de ma tentative, mais, pour diverses raisons, je le fis sous une forme un peu tronquée en insistant principalement sur l’image hydrodynamique. Mon rapport ne fut guère goûté : groupés autour de MM. Bohr et Born, le groupe très actif des jeunes théoriciens qui comprenait MM. Pauli, Heisenberg et Dirac étaient entièrement acquis à l’interprétation purement probabiliste dont ils étaient les auteurs. Quelques voix s’élevaient cependant pour combattre ces idées nouvelles. H. A. Lorentz affirmait sa conviction qu’il fallait conserver le déterminisme des phénomènes et leur interprétation par des images précises dans le cadre de l’espace et du temps, mais son intervention très remarquable n’apportait aucun élément constructif. M. Schrödinger préconisait l’abandon complet de la notion du corpuscule pour ne conserver que celle des ondes régulières du type classique, mais j’étais convaincu qu’une telle tentative ne pouvait aboutir . Qu’allait dire Einstein dans ce débat dont pouvait sortir la solution du redoutable problème qui l’avait tant préoccupé depuis sa géniale intuition sur les quanta de lumière ? A mon grand désappointement, il ne dit presque rien. Une seule fois, il prit la parole pendant quelques minutes : rejetant l’interprétation probabiliste, il lui fit en termes très simples une objection qui, je le crois, a conservé un grand poids. Puis il retomba dans son mutisme. (…)Je revins du Conseil Solvay très décontenancé par l’accueil qu’avaient reçu mes idées. Je ne voyais pas la manière de surmonter les obstacles qu’elles rencontraient et les objections qui m’avaient été faites. J’avais l’impression que le courant qui portait la presque unanimité des théoriciens qualifiés à adopter l’interprétation probabiliste était irrésistible. Je me ralliai donc à cette interprétation et je la pris comme base de mes enseignements et de mes recherches. »
« La nouvelle interprétation était très révolutionnaire : elle renonçait aux descriptions précises dans le cadre de l’espace et du temps, elle abandonnait la causalité et le déterminisme des phénomènes physiques. Bientôt M. Bohr allait la résumer en introduisant la curieuse, mais un peu trouble, notion de « complémentarité » suivant laquelle le corpuscule et l’onde sont des « aspects complémentaires de la réalité » qui se complètent en s’excluant, chacun de ces deux aspects ne se manifestant dans l’expérience qu’au détriment de l’autre. En s’orientant vers de telles conceptions, on s’éloignait évidemment complètement de la représentation synthétique des corpuscules et des champs dans le cadre de l’espace et du temps qu’avait rêvée Einstein. »

En guise d’introduction

Quand Louis de Broglie défendait une conception de la physique quantique relativiste fondée sur la singularité, la discontinuité et la non-linéarité

Mon anxiété sur le problème des quanta par Louis de Broglie

L’interprétation de la mécanique ondulatoire, par Louis de Broglie

La thermodynamique de la particule isolée ou Thermodynamique cachée des particules

La physique quantique restera-t-elle indéterministe ?

La physique quantique restera-t-elle indéterministe ?, par Louis de Broglie

Recherches sur la théorie des quanta, Louis de Broglie

Continu et discontinu en physique moderne, par Louis de Broglie

Physique et microphysique, par Louis de Broglie

Sur les sentiers de la science, par Louis de Broglie

Matière et Lumière, par Louis de Broglie

Retour à l’onde de Louis de Broglie

Ondes, corpuscules, mécanique ondulatoire, par Louis de Broglie

Matter and Light, The New Physics, par Louis de Broglie

Heisenberg Uncertainties and the Probabilistic Interpretation of Wave Mechanics, by Louis de Broglie

Diverses questions de mécanique et de thermodynamique classiques relativistes, par Louis de Broglie

Exposés sur les ondes et corpuscules, par Louis de Broglie

Certitudes et incertitudes de la science, par Louis de Broglie

Nouvelles perspectives en microphysique, par Louis de Broglie

Savants et découvertes, par Louis de Broglie

Lire les articles de Louis de Broglie

Louis de Broglie, un itinéraire scientifique

Louis de Broglie et la diffusion de la mécanique quantique en France

Louis de Broglie ou la passion de la « vraie » physique

Notice sur les travaux scientifiques de Louis de Broglie

Albert Einstein, David Bohm et Louis de Broglie sur lesvariables cachées de la mécanique quantique

Ondes et corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein, par Louis de Broglie

Notice sur la vie et l’oeuvre de Paul Langevin, par Louis de Broglie

Louis de Broglie

ŒUVRES

Œuvres

Lire aussi

• 1924 : Recherches sur la théorie des Quanta (thèse)

• 1926 : Les principes de la nouvelle mécanique ondulatoire

• 1928 : Introduction à la Physique des Rayon X et Gamma (avec Maurice de Broglie)

• 1929 : Découverte de la nature ondulatoire de l’électron

• 1930 : Introduction à l’étude de la Mécanique ondulatoire

• 1932 : La théorie de la quantification dans la nouvelle mécanique

• 1934 : L’électron magnétique. Théorie de Dirac

• 1937 : La Physique nouvelle et les Quanta

• 1937 : Matière et Lumière

• 1938 : Le principe de correspondance et les interactions entre matière et rayonnement

• 1939 : La Mécanique ondulatoire des systèmes de corpuscules

• 1940 : Une nouvelle théorie de la lumière : la mécanique ondulatoire des photons (2 vol.)

• 1941 : Continu et discontinu en physique moderne

• 1941 : Problème de propagation guidée des ondes électro-magnétiques

• 1942 : Théorie générale des particules à spin

• 1943 : De la Mécanique ondulatoire à la théorie du Noyau (3 vol.)

• 1945 : Corpuscules, ondes et Mécanique ondulatoire

• 1947 : Physique et Microphysique

• 1948 : Mécanique ondulatoire et théorie quantique des champs

• 1950 : Optique électronique et corpusculaire

• 1951 : Savants et découvertes

• 1953 : Éléments de théorie des quanta et de Mécanique ondulatoire

• 1953 : La Physique quantique restera-t-elle indéterminée ? (en collaboration avec M. J.-P. Vigier)

• 1956 : Une interprétation causale et non linéaire de la mécanique ondulatoire : la théorie de la double solution

• 1957 : Nouvelles perspectives en Microphysique

• 1957 : La théorie de la Mesure en Mécanique ondulatoire

• 1960 : Sur les Sentiers de la Science

• 1963 : Étude critique des bases de l’interprétation actuelle de la Mécanique ondulatoire

• 1964 : La Thermodynamique de la particule isolée

• 1966 : Certitudes et incertitudes de la Science

• 1968 : Ondes électromagnétiques et Photons

• 1972 : La réinterprétation de la Mécanique ondulatoire

• 1976 : Recherches d’un demi-siècle

• 1978 : Jalons pour une nouvelle microphysique

• 1982 : Les incertitudes d’Heisenberg et l’interprétation probabiliste de la mécanique ondulatoire

Pour conclure :

Louis de Broglie par son plus proche collaborateur Georges Lochak

Vue d’ensemble sur mes travaux, par Louis de Broglie :

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