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Effondrement économique en vue ? Pour le Figaro, "il va y avoir du sang !"

samedi 23 janvier 2016

Pourquoi les pétroles de schiste sont les nouveaux subprimes

Article du Figaro du 21 janvier 2016 :

Alors qu’un minikrach frappe les principales places mondiales, Benjamin Masse-Stamberger analyse les risques d’explosion de la bulle liée aux prêts aux acteurs du pétrole de schiste aux Etats-Unis. Une situation qui rappelle celle qui a précédé la crise de 2008.

« Il va y avoir du sang » « There will be blood ! »

Voici la phrase qui revient en boucle, en ce moment, sur les marchés financiers. Pourquoi ? D’abord, parce que les acteurs financiers vivent depuis le début de l’année un krach rampant, avec des baisses de plus de 10 % des principales places mondiales. Ensuite, parce que l’économie mondiale tangue : difficultés chinoises, Europe à peine convalescente, risque de problèmes graves sur certains pays émergents, qui souffrent de la chute des prix des matières premières et du pétrole. Enfin, certains aperçoivent déjà des risques concernant l’économie américaine. Bien sûr, ce n’est pas l’avis des « experts », qui rappellent qu’en 2015, le pays a créé 2,7 millions d’emplois (moins de 5 % de taux de chômage), et que la croissance a progressé à un rythme de plus de 2 %. Mais les acteurs des marchés financiers savent depuis longtemps que s’ils veulent gagner de l’argent, ce n’est surtout pas les conseils des « experts », qui s’adressent à M. Tout-le-Monde, qu’il faut écouter.

Or, que voient-ils justement ? Que les États-Unis, après six ans de croissance ininterrompue, sont en fin de cycle. Ils voient, également, qu’une grande partie de cette croissance est due à la Fed, la banque centrale américaine, qui, après la crise, a baissé ses taux d’intérêt, et déversé des centaines de milliards de dollars sur l’économie - via le secteur financier - pour éviter un effondrement. Or, où est allée cette manne ? Partout où il y avait du « rendement », comme on dit dans le secteur financier, c’est-à-dire des prêts plus ou moins risqués qui pouvaient rapporter gros.
Un secteur a été particulièrement apprécié des investisseurs, pour sa capacité justement à offrir de gros rendements : l’énergie. Ce secteur représente ainsi aujourd’hui 16 % des dettes à risque émises par les entreprises américaines, contre seulement 4 % il y a quelques années. Les financiers ont notamment massivement prêté aux compagnies développant le pétrole de schiste aux Etats-Unis. Au total, on estime ainsi que ce sont 5400 milliards de dollars qui ont été investis dans l’industrie des « shale oil ». Comme à la fin des années 1990 avec l’économie numérique, puis au milieu des années 2000 avec l’immobilier, ce « boom » a soutenu la croissance américaine, créant des dizaines de milliers d’emplois - le Nord Dakota, où le pétrôle de schiste est particulièrement développé, est ainsi l’un de ceux où le taux de chômage est le plus faible - et faisant baisser le coût de l’énergie pour les industriels américains.

D’où la thématique de la « réindustrialisation » américaine, qui a fleuri après la crise. Avec l’idée que, cette fois, la croissance reposait sur des fondamentaux solides. Mais, comme souvent, cette idée était en partie un leurre, qui a aussi servi aux acteurs du pétrole de schiste - et à beaucoup d’acteurs financiers - de s’enrichir. Pourquoi ? Parce que toute cette belle histoire repose sur le fait que les acteurs du pétrole de schiste puissent être rentables. Or, pour la plupart, leur plan de développement s’est fait avec un prix du Brent à 100 dollars. Beaucoup estiment qu’en-deçà de 80 dollars, voire de 50 dollars pour les plus optimistes, leur pérennité est menacée. Or, il est aujourd’hui aux alentours de seulement 30 dollars, semble-t-il durablement. C’est ce que les plus malins parmi les acteurs du secteur financier sont en train de comprendre. D’où, aussi, l’expression There will be blood, allusion au film de Paul Thomas Anderson, qui se déroule sur fond de ruée vers l’or noir. Car, à moins de 30 dollars, un grand nombre de compagnies spécialisées dans le pétrôle de schiste vont forcément finir par mettre la clé sous la porte.

Mais ce que certains acteurs du marché ont compris, surtout, c’est que cette fin de cycle - qui se traduit également, comme en 2008, par une hausse des taux de la Fed-, avait une signification : il faut se débarrasser au plus vite de ces prêts devenus trop risqués. Et, surtout, ne pas être parmi les derniers à se retrouver « collés » avec ce papier devenu invendable. L’ambiance est si tendue que l’économiste crédit de la banque RBS a même fait le conseil suivant à ses clients : « Vendez tout », en ajoutant : « Dans une salle bondée, la porte de sortie est petite ». D’où la faillite du fonds spéculatif « Third Avenue », en décembre dernier : il détenait beaucoup de crédits risqués aux acteurs de l’énergie. Ses clients ont soudainement et massivement demandé à récupérer leurs avoirs, ce à quoi le fonds s’est trouvé dans l’incapacité de répondre. Un phénomène semblable à celui rencontré au début de la crise des subprimes, lorsque deux fonds de la banque Bear Stearns, exposés aux crédits immobiliers, avaient également dû fermer rapidement, dans l’incapacité de répondre aux demandes de retraits d’argent massifs de ses clients.

Le phénomène rappelle en effet beaucoup l’éclatement de la bulle des subprimes : une fois que le mouvement de désengagement est enclenché, il est presque impossible de l’arrêter. Comme le disait le milliardaire Warren Buffet : « c’est lorsque la marée descend, que l’on voit ceux qui se baignent nus. » Or, le total des prêts accordés au secteur des pétroles de schiste représente 1600 milliards de dollars, contre 1300 milliards pour les subprimes avant l’éclatement de la bulle financière. Où sont passés ces crédits ? Une grande partie a été titrisée, c’est-à-dire transformée en produits financiers complexes, et disséminée un peu partout dans le secteur financier. Où sont-ils exactement aujourd’hui ? Bien malin celui qui peut répondre à cette question, alors que le shadow banking, la fameuse finance de l’ombre non régulée (fonds spéculatifs, fonds d’investissement), n’a cessé de se développer depuis 2008.

Autant dire que c’est un risque majeur qui plane sur la croissance mondiale, sans compter que pourrait s’y ajouter, si le pétrole demeurait à un niveau si bas, le défaut d’un grand pays émergent dépendant des hydrocarbures, comme le Venezuela, ou même à terme la Russie. Autant dire que les marchés financiers ont raison : il va bel et bien y avoir du sang.

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