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La révolution française a commencé

jeudi 17 décembre 2009

Léon Trotsky

La révolution française a commencé

9 juin 1936

Jamais la radio n’a été aussi précieuse que ces derniers jours. Elle donne la possibilité de suivre d’un lointain village de Norvège les battements du pouls de la révolution française. Il serait d’ailleurs plus exact de dire le reflet de ces battements dans la conscience et dans la voix de messieurs les ministres, les secrétaires syndicaux et autres chefs mortellement effrayés.

Les mots de "révolution française" peuvent paraître exagérés. Mais non ! Ce n’est pas une exagération. C’est précisément ainsi que naît la révolution. En général, même, elle ne peut pas naître autrement. La révolution française a commencé.

Léon Jouhaux, à la suite de Léon Blum, assure à la bourgeoisie qu’il s’agit d’un mouvement purement économique, dans les cadres stricts de la loi. Sans doute les ouvriers sont-ils pendant la grève les maîtres des usines et établissent-ils leur contrôle sur la propriété et son administration. Mais on peut fermer les yeux sur ce regrettable "détail". Dans l’ensemble, ce sont "des grèves économiques, et non politiques", affirment messieurs les chefs. C’est pourtant sous l’effet de ces grèves "non politiques" que toute la situation du pays est en train de changer radicalement. Le gouvernement décide d’agir avec une promptitude à laquelle il ne songeait pas la veille, puisque, selon Léon Blum, la force véritable sait être patiente ! Les capitalistes font preuve d’un esprit d’accommodement parfaitement inattendu. Toute la contre-révolution en attente se cache dans le dos de Blum et de Jouhaux [1]. Et ce miracle serait produit par... de simples grèves "corporatives" ? Que serait-ce si les grèves avaient eu un caractère politique ?

Mais non, les chefs énoncent une contre-vérité. La corporation embrasse les ouvriers d’une même profession, les distinguant et les séparant des autres. Le trade-unionisme et le syndicalisme réactionnaire font tous leurs efforts pour maintenir le mouvement ouvrier dans des cadres corporatifs. C’est là la base de la dictature de fait que la bureaucratie syndicale exerce sur la classe ouvrière-la pire de toutes !-avec la dépendance servile de la clique Jouhaux-Racamond à l’égard de l’Etat capitaliste. L’essence du mouvement actuel réside précisément dans le fait qu’il brise les cadres corporatifs, professionnels ou locaux, en élevant au-dessus d’eux les revendications, les espoirs, la volonté de tout le prolétariat. Le mouvement prend le caractère d’une épidémie. La contagion s’étend d’usine en usine, de corporation en corporation, de quartier en quartier. Toutes les couches de la classe ouvrière se répondent, pour ainsi dire, l’une à l’autre. Les métallurgistes ont commencé : ils sont l’avant-garde. Mais la force du mouvement réside dans le fait qu’à peu de distance de l’avant-garde suivent les lourdes réserves de la classe, y compris les professions les plus diverses, puis son arrière-garde, que d’ordinaire messieurs les chefs parlementaires et syndicaux oublient complètement. Ce n’est pas pour rien si le Peuple reconnaissait ouvertement que l’existence de plusieurs catégories particulièrement mal payées de la population parisienne avait été pour lui une révélation "inattendue"... Or, c’est précisément dans les profondeurs de ces couches les plus exploitées que se cachent d’intarissables sources d’enthousiasme, de dévouement, de courage. Le fait même qu’elles soient en train de s’éveiller est le signe infaillible d’un grand combat. Il faut à tout prix trouver accès à ces couches !

S’arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. Selon la légende, à la question de Louis XVI : "Mais c’est une révolte ?", un de ses courtisans répondit : "Non, sire, c’est une révolution." Actuellement, à la question de la bourgeoisie, "C’est une révolte ?", ses courtisans répondent : "Non, ce ne sont que des grèves corporatives." En rassurant les capitalistes, Blum et Jouhaux se rassurent eux-mêmes. Mais les paroles ne peuvent rien. Certes, au moment où ces lignes paraîtront, la première vague peut s’être apaisée. La vie rentrera apparemment dans son ancien lit. Mais cela ne change rien au fond. Ce qui s’est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique de la révolution.

Toute l’expérience passée de la classe ouvrière, son histoire d’exploitation, de malheurs, de luttes, de défaites, revit sous le choc des événements et s’élève dans la conscience de chaque prolétaire, même du plus arriéré, le poussant dans les rangs communs. Toute la classe est entrée en mouvement. Il est impossible d’arrêter par des paroles cette masse gigantesque. La lutte doit aboutir, soit à la plus grande des victoires, soit au plus terrible des écrasements.

Le Temps a appelé la grève les "grandes manoeuvres de la révolution". C’est infiniment plus sérieux que ce que disent Blum et Jouhaux. Mais la définition du Temps est aussi inexacte, car elle est, en un sens, exagérée. Des manoeuvres supposent l’existence d’un commandement, d’un état-major, d’un plan. Il n’y a rien eu de tel dans la grève. Les centres des organisations ouvrières, le parti communiste compris, ont été pris à l’improviste. Tous craignent avant tout que la grève ne dérange leurs plans. La radio transmet de Cachin cette phrase remarquable : "Nous sommes, les uns et les autres, devant le fait de la grève." En d’autres termes, la grève est notre malheur commun. Par ces paroles le sénateur cherche à convaincre les capitalistes, en les inquiétant, qu’il leur faut faire des concessions s’ils ne veulent pas aggraver la situation. Les secrétaires parlementaires et syndicaux, qui s’adaptent à la grève avec l’intention de l’étouffer le plus tôt possible, sont en réalité en dehors de la grève, s’agitent en l’air, et ne savent pas eux-mêmes s’ils retomberont sur leurs pieds ou sur la tête. La masse qui vient de s’éveiller n’a pas encore d’état-major révolutionnaire.

Le véritable état-major est chez l’ennemi de classe, et il ne coïncide nullement avec le gouvernement Blum quoiqu’il s’en serve fort habilement. La réaction capitaliste joue actuellement un gros jeu, extrêmement risqué, mais elle le joue savamment. Elle joue en ce moment à qui perd gagne : "Cédons aujourd’hui à toutes ces désagréables revendications qui ont été approuvées en commun par Blum, Jouhaux et Daladier. De la reconnaissance du principe à la réalisation du fait, il y a encore beaucoup de chemin. Il y a la Chambre des députés, il y a le Sénat, il y a l’administration : ce sont d’excellentes machines d’obstruction. Les masses manifesteront de l’impatience et tenteront de serrer plus fort. Daladier se séparera de Blum. Thorez tentera de se détacher à gauche. Blum et Jouhaux se sépareront des masses. Alors, nous nous rattraperons, et avec usure, des concessions actuelles". Ainsi raisonne le véritable état-major de la contre-révolution, les fameuses "deux cents familles" et leurs stratèges mercenaires. Elles agissent selon un plan, et ce serait une légèreté que de dire que leur plan n’a aucune base solide. Non, avec l’aide de Blum, de Jouhaux et de Cachin, la contre-révolution peut arriver au but.

Le fait que le mouvement des masses atteint, sous cette forme improvisée, des dimensions si grandioses et des conséquences politiques aussi gigantesques souligne on ne peut mieux le caractère profond, organique, véritablement révolutionnaire de la vague de grèves. C’est en cela que réside le gage de la durée du mouvement, de sa ténacité, de l’inéluctabilité d’une série de vagues nouvelles, toujours plus amples. Sans cela, la victoire ne serait pas possible. Mais rien de cela ne suffit pour vaincre. Contre l’état-major et le plan des "deux cents familles", il faut un état-major et un plan de la révolution prolétarienne. Ni l’un ni l’autre n’existent encore, mais ils peuvent être créés, car toutes les prémisses et tous les éléments d’une nouvelle cristallisation des masses sont là, sous nos yeux.

Le déclenchement de la grève est provoqué, dit-on, par les "espoirs" que suscite le gouvernement de Front populaire. Ce n’est là qu’un quart de la vérité, et même moins. S’il ne s’était agi que de pieux espoirs, les ouvriers n’auraient pas couru le risque de la lutte. Ce qui s’exprime avant tout dans la grève, c’est la méfiance ou tout au moins le manque de confiance des ouvriers, sinon dans la bonne volonté du gouvernement, du moins dans sa capacité à briser les obstacles et à venir à bout des tâches qui l’attendent. Les prolétaires veulent "aider" le gouvernement, mais à leur façon, à la façon prolétarienne. Assurément, ils n’ont pas encore pris conscience de leur force. Mais ce serait les caricaturer grossièrement que de présenter les choses comme si la masse n’était inspirée que par des "espoirs" en Blum. Il ne lui est certes pas facile de rassembler ses idées sous la tutelle des vieux chefs qui s’efforcent de la faire rentrer, le plus vite possible, dans la vieille ornière de l’esclavage et de la routine. Malgré tout, le prolétariat ne reprend pas l’histoire au commencement. La grève a toujours et partout fait apparaître à la surface les ouvriers les plus conscients et les plus hardis. C’est à eux qu’appartient l’initiative. Ils agissent encore prudemment, tâtant le terrain. Les détachements les plus avancés s’efforcent de ne pas se couper en avançant trop vite, de ne pas s’isoler. L’écho amical qui leur vient de l’arrière leur donne courage. L’écho que se font les unes aux autres les différentes fractions de la classe constitue comme un essai d’automobilisation. Le prolétariat lui-même a le plus grand besoin de cette manifestation de sa propre force. Les succès pratiques qu’il a obtenus, quelque incertains qu’ils soient en eux-mêmes, doivent élever de façon extraordinaire la confiance des masses en elles-mêmes, surtout dans leurs couches les plus arriérées et les plus opprimées.

La principale conquête de la première vague réside dans le fait que des chefs sont apparus dans les ateliers et les usines. Les éléments d’états-majors locaux et de quartier sont apparus. La masse les connaît. Ils se connaissent. Les véritables révolutionnaires chercheront la liaison avec eux. Ainsi la première automobilisation de la masse a marqué et en partie désigné les premiers éléments d’une direction révolutionnaire. La grève a secoué, ranimé, renouvelé dans son ensemble le gigantesque organisme de la classe. La vieille écaille organisationnelle est encore loin d’avoir disparu, et elle se maintient, au contraire, avec pas mal d’obstination. Mais, dessous, apparaît déjà une nouvelle peau.

Sur le rythme des événements qui vont sans doute s’accélérer, nous ne dirons rien maintenant. Seules sont possibles encore des suppositions et des conjectures. La seconde vague, son déclenchement, sa tension permettront sans aucun doute d’établir un pronostic plus concret qu’il n’est actuellement possible de le faire. Mais une chose est claire d’avance ; la seconde vague sera loin d’avoir le même caractère pacifique, presque débonnaire, printanier, que la première. Elle sera plus mûre, plus tenace et plus âpre, car elle sera provoquée par la déception des masses devant les résultats pratiques de la politique du Front populaire et de leur première offensive. Des fissures se produiront dans le gouvernement, comme au sein de la majorité à la Chambre. La contre-révolution prendra du coup de l’assurance et deviendra plus insolente. Il ne faut pas s’attendre à de nouveaux succès fragiles. Placée en face du danger de perdre ce qu’elle croyait avoir conquis, devant la résistance croissante de l’ennemi, devant la confusion et la débandade de la direction officielle, la masse sentira de façon brûlante la nécessité d’avoir un programme, une organisation, un plan, un état-major. C’est à cette situation qu’il faut se préparer et qu’il faut préparer les ouvriers avancés. Dans l’atmosphère de la révolution, la rééducation de la masse, la sélection et la trempe des cadres s’effectueront rapidement.

Un état-major révolutionnaire ne peut naître de combinaisons de sommets. L’organisation de combat ne coïnciderait pas avec le parti, même s’il existait en France un parti révolutionnaire de masse, car le mouvement est incomparablement plus large qu’un parti. L’organisation de combat ne peut pas non plus coïncider avec les syndicats, qui n’embrassent qu’une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Il s’agit d’un gouvernement direct de la classe révolutionnaire. Il n’est pas besoin ici d’inventer des formes nouvelles : il y a des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n’y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation : ce sont les soviets de députés ouvriers.

Le gros des ouvriers révolutionnaires marche aujourd’hui derrière le Parti communiste. Plus d’une fois dans le passé, ils ont crié : "Les soviets partout !", et la majorité a sans doute pris ce mot d’ordre au sérieux. Il fut un temps où nous pensions qu’il n’était pas opportun, mais, aujourd’hui, la situation ,a changé du tout au tout. Le puissant conflit des classes va vers son redoutable dénouement. Celui qui hésite et qui perd du temps est un traître. Il faut choisir entre la plus grande des victoires historiques et la plus terrible des défaites. Il faut préparer la victoire. "Les soviets partout ?" D’accord. Mais il est temps de passer des paroles aux actes [2].
Notes

[1]Les dirigeants communistes ont eu la même attitude que Léon Blum et Léon Jouhaux. Monmousseaux dans les Cahiers du bolchevisme affirme : "Il ne s’agit pas pour les travailleurs de contester en fait le droit de propriété des entrepreneurs".

[2] C’est en fait à cette époque que le mot d’ordre : "Les soviets partout !" disparut à peu près totalement des réunions et manifestations communistes. Dans son rapport à la conférence mondiale de juillet 1936, Maurice Thorez, parlant des nouveaux adhérents, s’était écrié : "Ils pensent que notre mot d’ordre de propagande : "Les soviets partout !" peut et doit être réalisé tout de suite. Ce n’est pas notre avis." Quoique disparu des mots d’ordre officiels, le cri "Des Soviets partout !" retentit cependant en certaines occasions : ainsi, s’il faut en croire la Lutte ouvrière, il jaillit fréquemment de la foule le 26 mars 1937, lors de la grandiose manifestation pour l’enterrement des victimes de la fusillade de Clichy.

Messages

  • Extraits de Léon Trotsky dans « La France à un tournant » (28 mars 1936) :

    « Comprendre clairement la nature sociale de la société moderne, de son Etat, de son droit, de son idéologie constitue le fondement théorique de la politique révolutionnaire. La bourgeoisie opère par abstraction (« nation », « patrie », « démocratie ») pour camoufler l’exploitation qui est à la base de sa domination. (…) Le premier acte de la politique révolutionnaire consiste à démasquer les fictions bourgeoises qui intoxiquent les masses populaires. Ces fictions deviennent particulièrement malfaisantes quand elles s’amalgament avec les idées de « socialisme » et de « révolution ». Aujourd’hui plus qu’à n’importe quel moment, ce sont les fabricants de ce genre d’amalgames qui donnent le ton dans les organisations ouvrières françaises. (…) Aussi invraisemblable que cela paraisse, quelques cyniques (staliniens) essaient de justifier la politique de front populaire en se référant à Lénine qui, paraît-il, a démontré qu’on ne pouvait pas se passer de compromis et notamment d’accords avec d’autres partis. (…) Les bolcheviks ont passé des accords d’ordre pratique avec les organisations révolutionnaires petites-bourgeoises pour le transport clandestin en commun des écrits révolutionnaires, parfois pour l’organisation en commun d’un manifestation dans la rue ou pour riposter aux bandes de pogromistes. Lors des élections à la Douma, ils ont eu recours, dans certaines circonstances et au deuxième degré, à des blocs électoraux avec les menchéviks ou avec les socialistes révolutionnaires. C’est tout. Ni « programmes » communs ni organismes permanents, ni renoncement à critiquer les alliés du moment. Ce genre d’accords et de compromis épisodiques, strictement limités à des buts précis – Lénine n’avait en vue que ceux-là – n’avait rien de commun avec le Front populaire, qui représente un conglomérat d’organisations hétérogènes, une alliance durable de classes différentes liées pour toute une période – et quelle période ! – par une politique et un programme communs. (…) La politique su Front populaire est une politique de trahison. (…) Seule une infime partie des cadres de l’Internationale communiste avaient commencé leur éducation révolutionnaire au début de la guerre, avant la révolution d’Octobre. Ceux-là, presque sans exception, se trouvent actuellement en dehors de la troisième internationale (stalinisée). (…) La majeure partie des cadres actuelle de l’Internationale communiste a adhéré non pas au programme bolchevique, non pas au drapeau révolutionnaire, mais à la bureaucratie soviétique. Ce ne sont pas des lutteurs, mais des fonctionnaires dociles, des aides de camp, des grooms. De là vient que la troisième internationale se conduit d’une manière si peu glorieuse dans une situation riche de grandioses possibilités révolutionnaires. »

    Extraits de Léon Trotsky dans « L’étape décisive » (5 juin 1936) :

    « Le nouveau gendarme du capital, Salengro, a déclaré avant même d’avoir pris le pouvoir (au nom du Front populaire), absolument comme ses prédécesseurs, qu’il défendrait « l’ordre contre l’anarchie ». Cet individu appelle « ordre » l’anarchie capitaliste et « anarchie » la lutte pour l’ordre socialiste. L’occupation, bien qu’encore pacifique, des fabriques et des usines par les ouvriers, a, en tant que symptôme, une énorme importance. Les travailleurs disent : « Nous voulons être les maîtres dans les établissements où nous n’avons été jusque là que des esclaves. »

    Lui-même mortellement effrayé, Léon Blum veut faire peur aux ouvriers et leur dit : « Je ne suis pas Kérenski » (…) Il est impossible, pourtant, de ne pas reconnaître que, dans la mesure où l’affaire dépend de Blum, c’est au fascisme qu’il fraie la voie, non au prolétariat.

    Plus criminelle et plus infâme que tout est, dans cette situation, la conduite des communistes : ils ont promis de soutenir à fond le gouvernement Blum sans y entrer. (…) Mais, après la grande vague de grèves, les événements ne peuvent que se développer que vers la révolution ou vers le fascisme. (…)

    Les staliniens français ont baptisé les comités d’action « comités de Front populaire », s’imaginant qu’ils conciliaient ainsi la lutte révolutionnaire avec la défense de la démocratie bourgeoise. Les grèves actuelles sont en train de mettre en pièce cette pitoyable illusion. (…)

    Le mot d’ordre de comités ne peut être abordé que par une véritable organisation révolutionnaire, absolument dévouée aux masses, à leur cause, à leur lutte. Les ouvriers français viennent de montrer de nouveau qu’ils sont dignes de leur réputation historique. Il faut leur faire confiance. Les soviets sont toujours nés des grèves. La grève de masse est l’élément naturel de la révolution prolétarienne. D’atelier en atelier, d’usine en usine, de quartier en quartier, de ville en ville, les comités d’action doivent établir entre eux une liaison étroite, se réunir en conférences par villes, par branches de production, par arrondissements, afin de couronner le tout par un congrès de tous les comités d’action de France. »

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    NOTE

    Le 8 juin, à l’usine Hotchkiss de Levallois, se tint une assemblée convoquée par le comité de grève de l’usine, à laquelle participèrent les délégués de trente-trois usines des environs. L’assemblée votera une résolution demandant l’élection sur les mêmes bases d’un comité central de grève. Le 10 juin, à Paris, 587 délégués représentant 243 usines de la région parisienne se sont réunis pour décider de la conduite à suivre.

    Extraits de Léon Trotsky dans « La révolution française a commencé » (9 juin 1936) :

    « Les mots de « révolution française » peuvent paraître exagérés. Mais non ! Ce n’est pas une exagération. C’est précisément ainsi que naît la révolution. En général même, elle ne peut pas naître autrement. La révolution française a commencé.

    Léon Jouhaux, à la suite de Léon Blum, assure à la bourgeoisie qu’il s’agit d’un mouvement purement économique, dans les cadres stricts de la loi. Sans doute les ouvriers sont-ils pendant la grève les maîtres des usines et établissent-ils leur contrôle sur la propriété et son administration. Mais on peut fermer les yeux sur ce regrettable « détail ». Dans l’ensemble, ce sont « des grèves économiques » et non politiques », affirment messieurs les chefs. C’est pourtant sous l’effet de ces grèves « non politiques » que toute la situation du pays est en train de changer radicalement. Le gouvernement décide d’agir avec une promptitude à laquelle il ne songeait pas la veille, puisque selon Léon Blum la force véritable sait être patiente ! Les capitalistes font preuve d’un esprit d’accommodement parfaitement inattendu. Toute la contre-révolution en attente se cache derrière le dos de Blum et de Jouhaux. (…) S’arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. (…) En rassurant les capitalistes, Blum et Jouhaux se rassurent eux-mêmes. (…)

    La principale conquête de la première vague de grève réside dans le fait que des chefs ouvriers sont apparus dans les ateliers et les usines. (…) La grève a secoué, ranimé, renouvelé dans son ensemble le gigantesque organisme de la classe. (…) L’organisation de combat ne coïnciderait pas avec le parti, même s’il existait en France un parti révolutionnaire de masse, car le mouvement est incomparablement plus large qu’un parti. L’organisation de combat ne peut pas non plus coïncider avec les syndicats, qui n’embrassent qu’une partie insignifiante de la classe et sont soumis à une bureaucratie archi-réactionnaire. La nouvelle organisation doit répondre à la nature du mouvement lui-même, refléter la masse en lutte, exprimer sa volonté la plus arrêtée. Il s’agit d’un gouvernement direct de la classe révolutionnaire. Il n’est pas besoin ici d’inventer des formes nouvelles : il y a des précédents historiques. Les ateliers et les usines élisent leurs députés, qui se réunissent pour élaborer en commun les plans de la lutte et pour la diriger. Il n’y a même pas à inventer de nom pour une telle organisation : ce sont les « soviets de députés ouvriers ». « 

    Extrait de Léon Trotsky dans « Devant la seconde étape » (9 juillet 1936) :

    « (…) Les ouvriers ont exercé en juin une grandiose pression sur les classes dirigeantes, mais ne l’ont pas conduite jusqu’au bout. Ils ont montré leur puissance révolutionnaire, mais aussi leur faiblesse : l’absence de programme et de direction. (…) Dans toutes les périodes révolutionnaires de l’histoire, on trouve deux étapes successives, étroitement liées l’une à l’autre : d’abord un mouvement « spontané » des masses, qui prend l’adversaire à l’improviste et lui arrache de sérieuses concessions ou au moins des promesses ; après quoi la classe dominante, sentant menacées les bases de sa domination, prépare sa revanche. (…) On ne saurait, dans l’histoire des révolutions, trouver à cette règle aucune exception. La différence pourtant – et elle n’est pas mince – réside dans le fait que la défaite a quelquefois revêtu le caractère d’un écrasement : telles furent, par exemple, les journées de juin 1848, en France, qui marquèrent la fin de la révolution ; alors que, dans d’autres cas, la demi-défaite constitua simplement une étape vers la victoire : c’est par exemple le rôle que joua en juillet 1917, la défaite des ouvriers et des soldats de Pétersbourg. (…) Tirer à temps de la situation objective la perspective de la seconde étape, c’est aider les ouvriers avancés à ne pas être pris à l’improviste et à apporter dans la conscience des masses en lutte la plus grande clarté possible. »

    Extrait de Léon Trotsky dans « L’heure de la décision approche… Sur la situation en France » (18 décembre 1938) :

    « Chaque jour, que nous le voulions ou non, nous nous persuadons que la terre continue à tourner autour de son axe. De même, les lois de la lutte des classes agissent indépendamment du fait que nous les reconnaissions ou non. Elles continuent à agir en dépit de la politique du Front populaire. La lutte des classes fait des Front populaire son instrument. Après l’expérience de la Tchécoslovaquie, c’est maintenant le tour de la France : les plus bornés et les plus arriérés ont une nouvelle occasion de s’instruire. (…)

    Pour justifier la politique de Front populaire, on invoqua la nécessité de l’alliance du prolétariat et de la petite bourgeoisie. Il est impossible d’imaginer mensonge plus grossier ! Le parti radical exprime les intérêts de la grande bourgeoisie et non de la petite. Par son essence même, il représente l’appareil politique de l’exploitation de la petite bourgeoisie par l’impérialisme. L’alliance avec le parti radical est par conséquent une alliance, non avec la petite bourgeoisie, mais avec ses exploiteurs. Réaliser la véritable alliance des ouvriers et des paysans n’est possible qu’en enseignant à la petite bourgeoisie comment s’affranchir du parti radical et rejeter une fois pour toutes son joug de sa nuque. Cependant le Front populaire agit en sens exactement opposé (…) En 1936, socialistes, communistes et anarcho-syndicalistes aidèrent le parti radical à freiner et à émietter le puissant mouvement révolutionnaire. Le grand capital réussit dans les deux dernières années et demie à se remettre quelque peu de son effroi. Le Front populaire, ayant rempli son rôle de frein, ne représente dès lors pour la bourgeoisie qu’une gène inutile. »

  • En mettant en comparaison ce texte de Léon Trostsky et celui du procès de Riom ou Blum se défend d’avoir failli à sa tache de gestion des interêts de la bourgeoisie, je me pose la question de savoir si notre camarade et dirigeant de la 4eme inter, ne sous estimait pas le niveau de conscience de classe du gouvernement de front populaire.

    Pour preuve ces deux extraits ou on peut comprendre que Leon laisse entendre que Blum aurait une certaine naiveté politique vis à vis des ouvriers et qu’il serait en train de "rassurer" les patrons d’usine sur la réalité des grèves :

    "S’arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. Selon la légende, à la question de Louis XVI : "Mais c’est une révolte ?", un de ses courtisans répondit : "Non, sire, c’est une révolution." Actuellement, à la question de la bourgeoisie, "C’est une révolte ?", ses courtisans répondent : "Non, ce ne sont que des grèves corporatives." En rassurant les capitalistes, Blum et Jouhaux se rassurent eux-mêmes. Mais les paroles ne peuvent rien. Certes, au moment où ces lignes paraîtront, la première vague peut s’être apaisée. La vie rentrera apparemment dans son ancien lit. Mais cela ne change rien au fond. Ce qui s’est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C’est la grève. C’est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c’est le début classique de la révolution"

    Evidemment les propos de Blum au proçès en 1940/41 sont ceux de quelqu’un qui doit justifier sa politique de défense des intérêts bourgeois et donc on peut imaginer qu’il n’avouerait pas des faiblesses d’opinions concernant des jugements qui remontent à 4 années.

    Mais cette extrait du proçès semble difficilement inventable de toutes pièces :

    "J’en reviens maintenant aux circonstances dans lesquelles ont été votées, non seulement la loi des quarante heurts, mais les autres lois sociales. Je l’ai déjà dit à la Cour ; cette loi de quarante heures fait partie intégrante d’un ensemble politique. Cette politique, je n ai pas eu à la choisir, elle m’a été imposée dans les circonstances où j’ai pris le gouvernement, par une nécessité de droit, et par une nécessité de fait, ayant véritablement le caractère d’un cas de force majeure." Rappelez-vous que les 4 et 5 juin, il y avait un million de grévistes. Rappelez-vous que toutes les usines de la région parisienne étaient occupées. Rappelez-vous que le mouvement gagnait d’heure en heure et de proche en proche dans la France entière La panique, la terreur étaient générales. Je n’étais pas sans rapport moi-même avec les représentants du grand patronat et je me souviens de ce qu’était leur état d’esprit à cette époque. Je me souviens de ce qu’on me disait ou me faisait dire par des amis communs. "Alors quoi ? c’est la révolution ? Alors quoi ? Qu’est-ce qu’on va nous prendre ? Qu’est-ce qu’on va nous laisser ?..." Les ouvriers occupaient les usines. Et peut-être ce qui contribuait le plus à la terreur, c’était cette espèce de tranquillité, cette espèce de majesté calme, avec laquelle ils s’étaient installés autour des machines, les surveillant, les entretenant, sans sortir au dehors, sans aucune espèce de signe de violence extérieure. Je suis arrivé à l’Élysée avec mes collaborateurs vers 7 heures du soir. Je les ai présentés au président de la République. Au moment où nous allions nous retirer, M. Albert Lebrun nous a dit : "J’ai une demande à vous transmettre de la part de M. Sarraut, président du conseil, ministre de l’Intérieur et de la part de M. Frossard, ministre du Travail. Ils considèrent la situation comme si grave qu’ils vous demandent de ne pas attendre jusqu’à demain matin pour la transmission des pouvoirs. Ils vous prient avec instance de vous trouver l’un et l’autre au ministère de l’Intérieur et au ministère du Travail dès ce soir 9 heures, pour qu’il n’y ait pas un instant de délai d’interruption dans le passage des services. Ils ne veulent pas plus longtemps demeurer chargés d’un intérim dans les circonstances actuelles". (…) M. Albert Lebrun m’a demandé de rester auprès de lui et m’a dit ceci : "La situation est terrible, quand comptez-vous vous présenter devant les Chambres ?" Je lui ai répondu : "Après-demain, samedi, je ne vois pas le moyen d’aller plus vite". Il me dit, alors : "Vous allez attendre jusqu’à samedi ? Vous ne voyez pas ce qui se passe ?" "Comment voulez-vous que j’aille plus vite ? ai-je repris. Il faut malgré tout que je rédige la déclaration ministérielle, que je convoque un conseil de cabinet et un conseil des ministres. D’ailleurs matériellement convoquer les Chambres pour demain serait impossible". M. Lebrun me répondit alors : "Les ouvriers ont confiance en vous. Puisque vous ne pouvez convoquer les Chambres avant samedi et que certainement dans votre déclaration ministérielle vous allez leur promettre le vote immédiat des lois qu’ils réclament, alors je vous en prie, dès demain adressez-vous à eux par la voix de la radio. Dites-leur que le Parlement va se réunir, que dès qu’il sera réuni vous allez lui demander le vote rapide et sans délai des lois dont le vote figure sur leurs cahiers de revendications en même temps que le relèvement des salaires. Ils vous croiront. Ils auront confiance en vous, et alors peut-être ce mouvement s’arrêtera-t-il ?" J’ai fait ce que me demandait Monsieur le président de la République, et qui, au point de vue correction parlementaire était assez critiquable, car du point de vue de la stricte correction parlementaire et républicaine, je n’avais pas d’existence avant de m’être présenté devant les Chambres et d’avoir recueilli un vote de confiance. J’ai donc pris la parole à la radio le lendemain et j’ai dit aux ouvriers ce que m’avait dit à moi Monsieur le président de la République....Sans perdre une minute, je m’efforce d’établir un contrat entre les organisations patronales suprêmes, comme le Comité des forges et la Confédération générale de la production, et d’autres part, la Confédération générale du travail. (…) On ne demandait qu’une chose aux Chambres : aller vite, vite, afin de liquider cette situation redoutable, cette situation que j’ai qualifiée non pas de révolutionnaire mais de quasi-révolutionnaire, et qui l’était en effet. (…) La contrepartie, c’était l’évacuation des usines. Dès ce jour-là, les représentants de la CGT ont dit aux représentants du grand patronat qui étaient à Matignon : Nous nous engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais nous vous en avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs d’aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, à une marée comme celle-là, il faut lui laisser le temps de s’étaler. Et puis, c est maintenant que vous allez peut-être regretter d’avoir systématiquement profité des années de déflation et de chômage pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n’y sont non plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres." Et je vois encore M. Richement qui était assis à ma gauche, baisser la tête en disant : "C’est vrai, nous avons eu tort" (…) Mais je dois vous dire qu’à ce moment dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m’attendait, on m’espérait comme un sauveur. ... un homme auquel on attribue sur la classe ouvrière un pouvoir suffisant pour qu’on lui fît entendre raison, et qu’il la décidât à ne pas abuser de sa force. (…) C’était sur la foi de ma parole, sur la foi des engagements pris vis-à-vis d’eux et du Parlement républicain que, petit à petit le mouvement s’est épuisé. Il n’y a aucun doute en qu’à partir de Matignon la décrudescence ait commencé. Il y avait un million de grévistes à ce moment-là, et trois semaines après 100 000. À la fin de juillet (1536) on pouvait considérer que le mouvement était terminé".

    Je pense que Blum, comme Allende et tous les dirigeants réformistes qui sont appelés par la bourgeoisie au pouvoir d’Etat, le sont justement non pas pour adoucir la réalité ou tromper (même en toute honnêteté) leur classe (bourgoisie), mais pour au contraire leur clairvoyance sur les réalités des rapports de force entre les classes,leur dévouement à la nation capitaliste etleur crédit auprès de la classe ouvrière, pour mieux la désarmer.

    • C’est une erreur d’interprétation de ce que dit Trotsky.

      Il parle de tentative de se rassurer de la part de Léon Blum.

      Blum est conscient de ce qu’il fait mais il est affolé par le mouvement de masse.

    • "Actuellement, à la question de la bourgeoisie, "C’est une révolte ?", ses courtisans répondent : "Non, ce ne sont que des grèves corporatives." Trotsky en 36.

      Ces courtisans sont donc les Blum, Jouhaux etc.., et donc Leon emploie cette comparaison qui date de la révo. française, pour dire justement que les courtisans, contrairement à 1789, cachent ou se trompent sur la réalité d’une situation sociale et politique.

      L’affollement de Blum, c’est lui même qui en parle le mieux dans son proçès, mais Léon lui parle d’autre chose : " des grèves corporatives" voilà ce qu’attribue Trostky à Blum comme analyse de la situation pour mieux railler le front populaire et défendre son point de vue sur les grèves de 36.

      Que Blum ait parlé de grève corpo publiquement pour endormir ou "rassurer" la petite bourgeoisie, peut être ; mais ce n’était surement le cas comme en témoigne ses propos à son proçès, dans les salons du pouvoir.

      Cela ne veut pas dire que Trotsky se trompait sur la nature profonde des fronts populaires, mais en tout cas sur des dirigeants du PS. oui, c’est possible.

    • J’insiste. je ne crois pas du tout que cela veuille dire cela.

      Trotsky écrit que Blum est un courtisan de la bourgeoisie mais pas seulement cela. Il sert de fourrier au fascisme dit-il dans un autre texte.

      C’est aux militants ouvriers que Blum cherche avec la CGT et surtout le soutien du PCF à faire croire qu’il s’agit d’une action purement revendicatives, corporative. pas pour rassurer la petite bourgeoisie mais pour fourvoyer la classe ouvrière.

    • Extraits de Léon Trotsky dans « L’étape décisive » (5 juin 1936) :

      « Le nouveau gendarme du capital, Salengro, a déclaré avant même d’avoir pris le pouvoir (au nom du Front populaire), absolument comme ses prédécesseurs, qu’il défendrait « l’ordre contre l’anarchie ». Cet individu appelle « ordre » l’anarchie capitaliste et « anarchie » la lutte pour l’ordre socialiste. L’occupation, bien qu’encore pacifique, des fabriques et des usines par les ouvriers, a, en tant que symptôme, une énorme importance. Les travailleurs disent : « Nous voulons être les maîtres dans les établissements où nous n’avons été jusque là que des esclaves. »

      Lui-même mortellement effrayé, Léon Blum veut faire peur aux ouvriers et leur dit : « Je ne suis pas Kérenski » (…) Il est impossible, pourtant, de ne pas reconnaître que, dans la mesure où l’affaire dépend de Blum, c’est au fascisme qu’il fraie la voie, non au prolétariat.

      Plus criminelle et plus infâme que tout est, dans cette situation, la conduite des communistes : ils ont promis de soutenir à fond le gouvernement Blum sans y entrer.

  • Dans "Où va la France ?" publié fin octobre 1934, Trotsky, qui comprenait que la France évoluait vers une situation révolutionnaire, explique que dans tous les pays opèrent les mêmes lois historiques, les lois du déclin capitaliste :

    « Si les moyens de production continuent à rester dans les mains d’un petit nombre de capitalistes, il n’y a pas de salut pour la société. Elle est condamnée à aller de crise en crise, de misère en misère, de mal en pis. […] La bourgeoisie a mené sa société à une banqueroute complète. Elle n’est capable d’assurer au peuple ni le pain ni la paix. C’est précisément pourquoi elle ne peut supporter plus longtemps l’ordre démocratique. Elle est contrainte d’écraser les ouvriers à l’aide de la violence physique. Mais on ne peut pas venir à bout du mécontentement des ouvriers et des paysans par la police seule. Faire marcher l’armée contre le peuple, c’est trop souvent impossible ; elle commence par se décomposer et cela s’achève par le passage d’une grande partie des soldats du côté du peuple. C’est pourquoi le grand capital est contraint de créer des bandes armées particulières, spécialement dressées contre les ouvriers, comme certaines races de chiens sont dressées contre le gibier. La signification historique du fascisme est d’écraser la classe ouvrière, de détruire ses organisations, d’étouffer la liberté politique à l’heure où les capitalistes s’avèrent déjà incapables de diriger et de dominer à l’aide de la mécanique démocratique. »

  • Les " chefs " du prolétariat continuent de démontrer à l’envi leur lâcheté devant la réaction, leur pourriture, leur aptitude véritablement canine à lécher la main qui leur a donné le fouet. La palme revient bien entendu à Blum.

    Léon Trotsky dans "Journal d’exil"

  • Oui effectivement il me manquait d’autres références qui éclairent mieux les propos de Trotsky à propos de Blum.

    Merci pour ces précisions.

    • Toute l’expérience passée de la classe ouvrière, son histoire d’exploitation, de malheurs, de luttes, de défaites, revit sous le choc des événements et s’élève dans la conscience de chaque prolétaire, même du plus arriéré, le poussant dans les rangs communs. Toute la classe est entrée en mouvement. Il est impossible d’arrêter par des paroles cette masse gigantesque. La lutte doit aboutir, soit à la plus grande des victoires, soit au plus terrible des écrasements.

  • Daniel Guérin écrit dans "Front populaire, révolution manquée" :

    "Au lendemain du premier mai, passant aux actes, les ouvriers de l’usine Bréguet, au Havre, avaient occupé les ateliers pour protester contre le licenciement de deux de leurs camarades (...) Latécoère à Toulouse, Bloch à Courbevoie avaient suivi l’exemple. Le mouvement avait fait tâche d’huile. Il avait pris très vite le caractère d’une vague de fond. Le pays que Blum s’apprêtait à gouverner n’était déjà plus celui qui, quelques semaines plus tôt, avait porté le Front populaire au pouvoir. (...) Cette grève générale n’avait pas été ordonnée par les directions syndicales. (...) Elle avait surgi spontanément de la conscience ouvrière (...) Blum expliquera sans ambages : "A ce moment, dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m’attendait, on m’espérait comme un sauveur." (...) Le géant populaire avait pris conscience de sa force colossale et hésitait à mettre bas les armes. Au cours de deux réunions successives, les 9 et 11 juin, les délégués des ouvriers métallurgistes, en dépit des efforts conciliateurs de leur direction syndicale, estimèrent insuffisantes les concessions syndicales et décidèrent de poursuivre la grève jusqu’à satisfaction de toutes leurs revendications. Le bruit courut qu’ils allaient sortir en masse des usines et descendre sur la capitale. (...) Le 11 juin au soir, au gymnase Jean-Jaurès, Maurice Thorez avait donné le signal du repli : "Il faut savoir terminer une grève." Au même moment, le gouvernement faisait saisir le journal des trotskystes, "La lutte ouvrière" qui titrait sur la largeur de sa première page : "Dans les usines et la rue, le pouvoir aux ouvriers". (...) L’admirable article de Trotsky, "la révolution française a commencé", paru dans le numéro saisi de la "La lutte ouvrière" ne fut vraiment lu que par un quarteron d’initiés. (...) En juin 1936, nous avons raté le coche de l’Histoire."

    • Daniel Guérin poursuit :

      "L’expérience de juin 36 avait été pour nous une leçon un peu humiliante, mais salutaire. Le brusque essor des masses nous avait pris au dépourvu. Nous avions été débordés. Malgré des improvisations merveilleuses, dont le mérite revenait à l’instinct de classe, à l’ingéniosité des travailleurs, il avait manqué, à l’heure décisive, l’essentiel : une coordination entre les divers éléments en lutte, une direction d’ensemble de la bataille. Et ce fut pourquoi les organisations traditionnelles, s’étant enfin ressaisies, purent aussi facilement museler la classe. Comment éviter, à l’avenir, de répéter les fautes commises ? Ce que nous avions appris, c’était que les structures essentiellement corporatives de l’organisation syndicale, indispensables en période "normale" pour la défense des intérêts professionnels immédiats des travailleurs, ne suffisaient plus en période de lutte généralisée. D’abord parce qu’en de tels instants le moteur doit être à la base (...) ensuite parce que les cloisonnements corporatistes deviennent, dans une situation révolutionnaire, autant d’entraves (...) Les comités locaux pourraient jouer un rôle infiniment plus important (...) De même que les entreprises enverraient des délégués à chaque comité local, à leur tour les comités locaux éliraient des délégués à un Conseil central des délégués ouvriers de la région parisienne. "

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