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L’inflation galopante déclenche des troubles sociaux en Chine
lundi 13 juillet 2009, par
Le taux d’inflation de la Chine a grimpé jusqu’à 6,9 pour cent en novembre, son plus haut niveau depuis 11 ans, ce qui a provoqué des manifestations de travailleurs contre l’augmentation du coût de la nourriture, du carburant et des loyers ainsi qu’une inquiétude croissante à Pékin quant à la perspective de troubles à venir.
L’inflation a commencé à augmenter à partir du milieu de cette année. En novembre, les prix des aliments ont augmenté de 18,2 pour cent, comparé à ceux de la même période l’année précédente, ce qui faisait suite à une augmentation de déjà 17,7 pour cent en octobre. Tout au long des 12 derniers mois, le prix du porc, viande de base pour la consommation chinoise, a augmenté de 54,9 pour cent. Le prix de l’huile de cuisson a augmenté de 34 pour cent, tandis que les prix des légumes ont augmenté de 29,9 pour cent. L’eau, l’électricité et le gaz ont augmenté de 5,6 pour cent. Dans un pays où une large portion du revenu est affectée à l’alimentation, ces hausses ont frappé durement les travailleurs.
Début décembre, la réunion gouvernementale annuelle de haut niveau sur la politique économique a décidé de restreindre l’offre de monnaie pour prévenir une “surchauffe”, à la suite des craintes d’une instabilité financière aux États-Unis. Au même moment, Pékin a annoncé une série de taxes et de subventions pour augmenter les ventes de céréales et d’huile sur le marché national dans un effort pour contenir l’augmentation des prix des produits de base.
De nombreux facteurs alimentent l’inflation, parmi lesquels les maigres récoltes dans les principales régions du monde productrices de céréales cette année, la hausse internationale des prix du pétrole et une épidémie parmi les élevages de porcs chinois. Une cause majeure de l’inflation et de la “surchauffe” en Chine réside dans l’injection de capital provenant des importants excédents commerciaux du pays. Les autorités chinoises ont relevé cinq fois les taux d’intérêts et dix fois le ratio de réserve obligatoire cette année pour maîtriser les prêts, avec peu de succès.
La réunion économique annuelle a pris place dans la foulée d’une vague de grèves et de manifestations. Fin novembre, plusieurs milliers de travailleurs de la firme Alco Electronics basée à Guangdong ont organisé un rassemblement contre l’augmentation des prix de la nourriture, que ne suivaient pas leurs salaires. Des centaines de policiers furent mobilisés pour briser la manifestation.
Le 10 décembre, selon le Centre d’Information pour les Droits de l’Homme et la Démocratie basé à Hong-Kong, 4000 ouvriers de l’industrie pétrolière ont manifesté pendant près d’une semaine devant la Quilu Petrochemical Corp. dans la province de Shandong, demandant des salaires plus élevés à la suite de la montée des prix et des profits records de l’industrie pétrolière.
Un ouvrier de l’usine a déclaré à Reuters : « La protestation a commencé chez les ouvriers de première ligne qui ont une vie très difficile en ce moment, puisque les salaires augmentent très lentement mais les prix de tout le reste augmentent tellement vite. » Une autre source a déclaré : « Pour une famille de trois personnes avec une seule source de revenu, c’est extrêmement difficile. »
La contestation a gagné en importance quand d’anciens ouvriers qui avaient été licenciés par la compagnie, partiellement privatisée, en 2001, ont rejoint la manifestation. Le journal hongkongais Ming Pao a signalé que certains manifestants distribuaient des affiches “anti-corruption” demandant que le directeur de la compagnie soit renvoyé.
Cette entreprise fait partie de Sinopec, la deuxième plus importante compagnie pétrolière publique chinoise. Elle a engrangé des profits colossaux quand les prix du pétrole ont monté en flèche jusqu’à atteindre près de 100 $ le baril, ce qui a permis de compenser des pertes dans sa division raffinerie. Pourtant, les ouvriers à l’usine Quilu gagnent des salaires mensuels de seulement 1000 à 2000 yuans (92 à 186 euros).
Le Wall Street Journal du 12 décembre faisait remarquer le danger que représentent les manifestations de masse contre le gouvernement, pareilles à celles de 1989 : « La tendance de cette année entraîne des difficultés croissantes parmi les consommateurs du pays et évoque le spectre du type d’inflation déstabilisante, à deux chiffres, qui avait causé des troubles politiques en Chine à la fin des années 1980 et qui avait empoisonné à nouveau l’économie au milieu des années 1990. »
Xie Xiaomei, une ouvrière d’usine shanghaïenne de 61 ans, à la retraite, a raconté au journal que son revenu mensuel était tout juste de 1000 yuans, soit 92 euros. « Ces dernières années, mon salaire a augmenté de moins de 10 pour cent alors que [les prix de] certains produits ont augmenté de 50 pour cent… Je n’ai pas d’argent pour aller consulter un docteur. » Son compagnon Xiao Yindi a ajouté : « Nous gagnerions à revenir à l’époque de Mao Zedong. »
Jiang Zhiguao, un ouvrier immigré à Pékin, a indiqué que le prix des piments, qui sont couramment utilisés dans la cuisine du Hunan, a augmenté de 40 pour cent cette année, alors que « nos salaires n’ont pas été augmentés ».
L’économiste Yi Xianrong de l’Académie Chinoise de Sciences Sociales a déclaré dans le Singapore’s Strait Times du 7 décembre : « Pékin sait qu’il y a un risque qu’un problème économique se transforme en une question politique et sociale. » L’économiste Hu Xingdou de l’Institut de Technologie de Pékin a affirmé que lors d’un récent voyage dans la province orientale du Zhejiang il avait appris que les ouvriers de nombreuses firmes exprimaient leur colère par des grèves et demandaient des salaires plus élevés.
Les tensions sociales se sont exprimées autrement. Le mois dernier, trois personnes ont été tuées et 31 autres blessées dans une bousculade insensée pour acheter de l’huile de cuisson en solde dans un magasin de l’enseigne française Carrefour dans la ville de Chongqoing. Le magasin offrait une réduction d’environ 1 euro sur les bouteilles d’huile de 5 litres. Une ruée similaire s’était produite le 26 octobre dans un supermarché de Shanghai, blessant 15 personnes. Ces tragédies ont poussé le ministre du commerce à interdire les promotions à durée limitée.
Le régime du Parti “Communiste” Chinois (PCC) n’a que peu de mécanismes à sa disposition pour influencer les prix. L’abolition de l’agriculture collectivisée au début des années 1980 a laissé les autorités sans aucun contrôle effectif sur les réserves de nourriture pour une population urbaine qui se développait rapidement. Les tentatives de contenir l’augmentation des prix en augmentant la production de céréales ont également été sapées par une grave sécheresse en Chine et des stocks internationaux limités.
Bien que le PCC parle d’augmenter les réserves de nourriture pour faire baisser les prix, rien n’est dit en ce qui concerne un relèvement du niveau des salaires qui est chroniquement faible. La direction du PCC a appelé à ce que les syndicats d’état aient un rôle plus important dans la négociation des salaires avec les propriétaires d’entreprises privées. L’objectif affiché était de permettre aux salaires d’augmenter en suivant l’inflation, mais la dure réalité est une exploitation capitaliste impitoyable.
D’après un nouveau rapport de l’Académie Chinoise de Sciences Sociales sur “la compétitivité des entreprises chinoises“, la proportion des salaires dans le produit national brut (PNB) est tombée de 53,4 pour cent en 1990 à 41,4 pour cent en 2005 – alors que l’économie est devenue six fois plus importante. La part des profits, en comparaison, est passée de 21,9 à 29,6 pour cent. Le rapport admet qu’ « On peut dire que les importantes augmentations des profits des entreprises ont pour l’essentiel été accomplies en payant de bas salaires aux employés ».
Même le journal officiel Workers Daily reconnaît dans son édition du 17 décembre que la « marée montante n’a pas renfloué tous les bateaux ». « Certaines entreprises ont utilisé diverses méthodes pour violer les droits des employés afin de diminuer les coûts de production. Par exemple, les profits montent en flèche, mais les employeurs refusent de relever les salaires, ils allongent la durée du travail, refusent de verser les pensions de retraite des employés, n’ont aucun fond pour le logement et utilisent un grand nombre de travailleurs précaires mal payés, etc. Pour conserver leurs rares emplois, les travailleurs qui se trouvent dans des situations désavantagées n’ont d’autre choix que se plier aux demandes des patrons, » affirmait l’article.
Une étude faite en 2005 par la Fédération Chinoise des Syndicats, dirigée par l’état, a établi qu’en 2002-2004, 81,8 pour cent des travailleurs gagnaient moins que le salaire moyen de leur région – 34,2 pour cent gagnaient la moitié de cette moyenne et 12,7 pour cent recevaient moins que le salaire minimum légal. Les statistiques indiquent une énorme disparité entre les revenus de la majorité des travailleurs et ceux des couches les plus riches de la société.
Les étudiants des universités ne sont pas mieux lotis. Une étude de la Ligue de la Jeunesse Communiste a découvert que parmi les diplômés de 2005, 66,1 pour cent s’attendaient à trouver un travail qui n’offrirait qu’un salaire de 1000 à 2000 yuans par mois, autant que pour un ouvrier d’usine, et 1,58 pour cent d’entre eux étaient prêts à accepter un “salaire zéro” à l’embauche. Pour autant, 77,3 pour cent des employeurs pensaient que les étudiants “demandaient trop”.
Les travailleurs chinois sont particulièrement exposés à l’inflation à cause de la destruction généralisée des politiques publiques du logement, de l’assurance santé, de l’éducation et des retraites opérée dans les années 1990. La consommation privée s’est contractée de façon significative, de 48,8 pour cent du PNB en 1991 à 38,2 pour cent en 2005. Les ouvriers et les pauvres des campagnes doivent économiser des sommes considérables en cas de maladie ou d’autres urgences et dépensent moins pour les biens de consommation courante.
Les dernières manifestations contre la hausse des prix sont une indication de plus de l’immense explosion sociale qui couve en Chine, au moment où les politiques libérales du régime creusent la fracture entre riches et pauvres.