Accueil > 02 - Livre Deux : SCIENCES > Géodynamique et climatologie de la Terre - Protection de la planète > Tchernobyl, 20 ans après

Tchernobyl, 20 ans après

lundi 23 avril 2012, par Robert Paris

Tchernobyl, 20 ans après

Il y a 26 ans, un réacteur nucléaire explosait en Ukraine ; un livre raconte l’après catastrophe :

La supplication Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse ; de Svetlana Alexievitch

Extrait,

Monologue à deux voix pour un homme et une femme

Nina Konstantinovna et Nikolaï Prokhorovitch Jarkov. Il enseigne le travail manuel et elle, la littérature.

Elle : " J’entends si souvent parler de la mort que je ne vais plus aux enterrements. Avez-vous entendu des conversations d’enfants sur la mort ? En sixième, ils se demandent si cela fait peur ou non. Il n’y a pas si longtemps, à leur âge, ils voulaient savoir comment naissent les bébés. Maintenant, ils s’inquiètent de savoir ce qui se passerait après une guerre atomique. Ils n’aiment plus les oeuvres classiques : je leur récite du Pouchkine et ils me regardent avec des yeux froids, détachés... Un autre monde les entoure... Ils lisent de la science-fiction. Cela les entraîne, dans un monde différent, où l’homme se détache de la terre, manipule le temps... Ils ne peuvent pas avoir peur de la mort de la même manière que les adultes... Que moi, par exemple. Elle les excite comme quelque chose de fantastique.

Je réfléchis à cela. La mort tout autour oblige à penser beaucoup. J’enseigne la littérature russe à des enfants qui ne ressemblent pas à ceux qui fréquentaient ma classe, il y a dix ans. Ils vont continuellement à des enterrements... On enterre aussi des maisons et des arbres... Lorsqu’on les met en rang, s’ils restent debout quinze ou vingt minutes, ils s’évanouissent, saignent du nez. On ne peut ni les étonner ni les rendre heureux. Ils sont toujours somnolents, fatigués. Ils sont pâles, et même gris. Ils ne jouent pas, ne s’amusent pas. Et s’ils se bagarrent ou brisent une vitre sans le faire exprès, les professeurs sont même contents. Ils ne les grondent pas parce que ces enfants ne sont pas comme les autres. Et ils grandissent si lentement. Si je leur demande de répéter quelque chose pendant le cours, ils n’en sont même pas capables. Parfois, je dis juste une phrase et leur demande de la répéter : impossible, ils ne la retiennent pas... Alors, je pense. Je pense beaucoup. Comme si je dessinais avec de l’eau sur une vitre : je suis seule à savoir ce que représente mon esquisse. Personne ne le devine, ne l’imagine.

Notre vie tourne autour... autour de Tchernobyl. Où était Untel à ce moment-là ? À quelle distance du réacteur vivait-il ? Qu’a-t-il vu ? Qui est mort ? Qui est parti ? Pour où ? Je me souviens que, dans les premiers mois après la catastrophe, les restaurants se sont de nouveau remplis. Les gens organisaient des soirées bruyantes... "On ne vit qu’une seule fois...", "Quitte à mourir, autant que ce soit en musique". Des soldats, des officiers sont venus. Mais Tchernobyl est désormais tout le temps avec nous... Une jeune femme enceinte est morte soudain, sans cause apparente. Le pathologiste n’a pas établi de diagnostic. Une petite fille de onze ans s’est pendue. Sans raison. Une petite fille... Et quoi qu’il arrive, les gens disent que c’est à cause de Tchernobyl. On nous dit : "Vous êtes malades parce que vous avez peur. À cause de la peur. De la phobie de la radiation." Mais pourquoi les petits enfants sont-ils malades ? Pourquoi meurent-ils ? Ils ne connaissent pas la peur. Ils ne comprennent pas encore.

Je me souviens de ces jours... J’avais la gorge irritée et me sentais lourde. "Vous vous faites des idées sur votre santé, m’a dit le médecin. Tout le monde se fait des idées à cause de Tchernobyl." Mais non, je me sentais réellement mal, avec des douleurs partout et les forces qui m’abandonnaient. Mon mari et moi étions gênés de nous l’avouer l’un à l’autre, mais nous commencions à perdre l’usage de nos jambes. Tout le monde autour de nous se plaignait, même nos amis, de ne plus avoir la force de marcher, d’avoir envie de s’allonger au milieu de la route. Les élèves étaient avachis sur les tables et perdaient connaissance pendant les cours. Tout le monde était devenu sombre. On ne rencontrait plus de gens souriants, de visages sympathiques. Les enfants restaient à l’école de huit heures du matin à neuf heures du soir. Il leur était strictement interdit de jouer dehors, de courir dans la rue. On leur avait distribué des vêtements : une jupe et un chemisier aux filles, un costume aux garçons, mais ils rentraient chez eux dans ces vêtements et l’on ne savait pas où ils traînaient avec. Normalement, les mères devaient laver ces vêtements chaque jour, de manière à ce que les enfants aillent tous les matins à l’école avec des habits propres. Mais on n’avait pas distribué de vêtements de rechange. De plus, les mères avaient leurs tâches domestiques. Elles devaient s’occuper des poules, des vaches, des cochons... Elles ne comprenaient pas pourquoi elles devaient se charger de ce surcroît de travail. Pour elles, des vêtements sales devaient porter des taches d’encre, de terre, de graisse et non des isotopes à courte période. Lorsque j’essayais d’expliquer la chose aux parents d’élèves, j’avais l’impression de leur parler en bantou. "Qu’est-ce que c’est que cette radiation ? On ne l’entend pas, on ne la voit pas... Mais moi, je n’ai pas assez d’argent pour finir le mois. Les trois derniers jours avant la paie, nous ne mangeons que des pommes de terre et du lait. Laissez tomber..." Et la mère faisait un geste las de la main. Or, justement, on a interdit de boire le lait et de manger les pommes de terre de la région. Les magasins étaient approvisionnés en conserves chinoises de viande et en sarrasin. Seulement, les villageois n’avaient pas assez d’argent pour se les payer. Les consignes étaient destinées à des individus cultivés. Elles supposaient une certaine éducation. Or cela manquait cruellement ! Le peuple pour qui les instructions étaient rédigées n’existe pas chez nous. Et il n’est pas si simple d’expliquer la différence entre un röntgen et un rem... De mon point de vue, je qualifierais ce comportement de fatalisme léger. Par exemple, la première année, il était interdit de consommer ce qui poussait dans les potagers. Et pourtant, non seulement les gens en ont mangé, mais ils en ont même fait des conserves. De plus, la récolte était extraordinaire ! Comment expliquer que l’on ne peut pas manger ces cornichons ou ces tomates... Cela veut dire quoi : on ne peut pas ? Leur goût est normal et ils ne donnent pas mal au ventre... Et personne ne "brille" dans l’obscurité... Pour changer leur plancher, nos voisins ont utilisé du bois local. Ils ont mesuré : la radiation était cent fois supérieure à la normale. Vous croyez qu’ils ont démonté ce parquet pour le jeter bien loin ? Pas du tout, ils ont vécu avec. Les gens se disent que tout cela va se calmer et finir par s’arranger tout seul. Au début, certaines personnes apportaient des produits alimentaires aux dosimétristes. Le niveau de radiation dépassait systématiquement la norme des dizaines de fois. Mais l’habitude a été vite perdue. "La radiation, on ne la voit pas, on ne l’entend pas. Ce sont des inventions des scientifiques !" Les choses ont repris leur cours : les labours, les semailles, la récolte... L’impensable s’est produit : les gens se sont mis à vivre comme avant. Renoncer aux concombres de son potager était plus grave que Tchernobyl. Pendant tout l’été, les enfants ont été forcés de rester à l’école. Les soldats l’ont lessivée à fond et ont enlevé une couche de terre autour d’elle. Mais, à la rentrée, on a envoyé ces écoliers récolter les betteraves, ainsi d’ailleurs que des étudiants et des élèves des écoles techniques. Ils étaient tous forcés d’y aller. Tchernobyl était moins grave que de laisser des légumes non récoltés dans les champs...

Le nuage de Tchernobyl : un mensonge d’état, avec la gauche et la droite au pouvoir.

Retour en arrière 2005 - L’expertise qui vient d’être rendue à la justice montrant que des mesures radioactives ont été "occultées" par les autorités de contrôle lors du passage du nuage de Tchernobyl en 1986 au dessus de la France confirme qu’il y eu "un véritable mensonge d’état", ont estimé jeudi des associations anti-nucléaires.

Un rapport d’expertise vient d’être rendu à la juge d’instruction Marie-Odile Bertella-Geffroy, chargée de cette information judiciaire depuis juillet 2001, indiquant que le Service central de protection contre les rayonnements ionisants (SCPRI) a eu connaissance de données précises concernant la contamination radioactive de la France peu après le passage du nuage. Or, le SCPRI, dirigé par le Pr Pierre Pellerin, a restitué ces informations aux autorités et au public de façon incomplète et imprécise, selon les experts.

Selon le Réseau Sortir du nucléaire, qui revendique la participation de quelque 720 associations, "il ne faut pas se focaliser sur le seul Pr Pellerin, bien que sa responsabilité soit accablante". "C’est un véritable mensonge d’Etat qui a été mis en oeuvre dans le but de protéger l’image du nucléaire français, dont la plupart des centrales venaient à peine d’être mises en service", ajoute le réseau associatif dans un communiqué.

"Comme dans les pays voisins de la France, il aurait fallu appeler à ne pas consommer de légumes frais et de produits laitiers, qui captent le plus la radioactivité, à ne pas laisser les enfants jouer dans les bacs à sable, etc.", relève Sortir du nucléaire

"Au lieu de cela, les autorités françaises ont délibérément menti", selon ces associations, qui estiment qu’"aujourd’hui encore, le nucléaire français ne fonctionne que dans l’opacité".

France 2 a diffusé hier soir un reportage dans l’émission « Envoyé spécial » qui verse de nouvelles pièces accablantes au dossier de la gestion de la catastrophe de Tchernobyl par les autorités françaises, en 1986.

Il est aujourd’hui bien établi (1) que dans les jours qui ont suivi l’explosion du réacteur ukrainien, le 26 avril 1986, le SCPRI (Service central de protection contre les rayonnements ionisants), dirigé par le Pr Pierre Pellerin, n’a pas rendu publiques toutes les mesures de radioactivité dont il disposait. Le film de Laurence Jourdan et Jean-Charles Chatard va plus loin, documents à l’appui, dans la reconstitution du mensonge par omission auquel ont participé plusieurs services de l’Etat.

Premier exemple : le 7 mai 1986, un courrier de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) adressé à un responsable de l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) indique que « des restrictions quant à la consommation immédiate de ce lait peuvent donc demeurer justifiées ». La veille, le ministère de l’Agriculture (le ministre est François Guillaume), dans un communiqué, a affirmé que « le territoire est totalement épargné par les retombées des radionucléides ». C’est surtout la note du 16 mai émanant du ministère de l’Intérieur (le ministre de l’époque est Charles Pasqua), révélée par les deux journalistes, qui témoigne clairement de la volonté de retenir l’information : « Nous avons des chiffres qui ne peuvent pas être diffusés. (...) Accord entre SCPRI et IPSN pour ne pas sortir de chiffres. »

Le silence organisé sur les mesures gênantes de radioactivité se poursuit pendant plusieurs semaines : en Corse, l’une des régions les plus touchées par les particules radioactives du « nuage », un médecin inquiet, le Dr Fauconnier, envoie au SCPRI des prélèvements de lait de brebis pour analyse. Le 8 juillet 1986, le Pr Pellerin demande au service local chargé de répondre au Dr Fauconnier de communiquer au médecin corse « les résultats des analyses de son lait de brebis des 26 et 27 mai, mais pas les autres ». Le Dr Fauconnier les obtiendra quatre mois plus tard. Les auteurs du reportage affirment qu’à l’époque, le SCPRI a constaté que la radioactivité de certains échantillons de lait de brebis en Corse était neuf fois supérieure aux normes européennes de consommation. Dans le Var, le CEA a constaté des valeurs quatre fois supérieures aux normes.

Ces nouveaux éléments ainsi que certains témoignages inédits, d’anciens de l’IPSN et du CEA, ne feront pas progresser la démonstration d’un lien éventuel entre la contamination radioactive due à Tchernobyl et les cancers de la thyroïde. En l’absence de véritables études épidémiologiques, ce lien est quasiment impossible à établir scientifiquement. En revanche, les révélations du film intéressent forcément les quelque 500 malades qui ont porté plainte contre X en 2000. Et si ces pièces ne figurent pas déjà au dossier d’instruction, elles ne devraient pas laisser indifférent le juge Marie-Odile Bertella Geffroy, en charge du dossier.

(1) Voir notamment nos éditions du 26 avril 2005.

Messages

  • A Tchernobyl, un sarcophage d’acier va enrober tout le site nucléaire contaminé en espérant que cela n’entraînera pas l’effondrement du coffrage de béton situé en dessous ni une nouvelle libération dans l’air de poussières radioactives. La seule chose qui est sure, c’est que ce coffrage d’acier est une bénédiction pour les sociétés du bâtiment, les trusts français Bouygues et Vinci, qui ont obtenu le contrat, qui ont fait augmenter les prix et les délais de manière astronomique. Le nucléaire, même en pleine catastrophe, reste profitable à certains… En attendant, sur le fond, le coffrage ne résoudra pas le problème essentiel : celui du cœur toujours en fusion. Tout ce que l’on a réussi depuis Tchernobyl avec un cœur un fusion sur la planète, c’est d’y rajouter trois cœurs en fusion… à Fukushima et une mer qui reçoit sans cesse plus d’eau polluée, l’eau qui sert à tenter vainement de refroidir ces cœurs…Voilà enfin une industrie capitaliste qui ne manque ni de rayonnement ni de cœur !!!!

  • Tchernobyl ,35 ans après, n’en finit jamais de menacer l’humanité !
    A Tchernobyl une réaction nucléaire incontrôlée viendrait de démarrer dans une des salles du réacteur n°4 éventré ..

    Lire ici l’article dans la revue Science.

    https://www.sciencemag.org/news/2021/05/nuclear-reactions-reawaken-chernobyl-reactor

    Les réactions nucléaires couvent à nouveau à Tchernobyl. C’est ce qu’indique dans le plus grand mutisme de la communauté internationale scientifique et nucléariste et des médias institutionnels de tous les pays, la revue scientifique en langue anglaise "Science" du 5 mai 2021 (1) se faisant écho des propos de Maxim Saveliev de l’ISPNPP (Institut pour les problèmes de sûreté des centrales nucléaires, à Kiev en Ukraine). Les réactions de fission couvent à nouveau dans des masses de combustible d’uranium enfouies au fond d’une salle de réacteur mutilée. Les scientifiques ukrainiens s’efforcent de déterminer si les réactions pourraient se dissiper d’elles-mêmes (c’est le retour des croyances en l’intervention divine) ou si il faudrait intervenir avec des moyens fabuleux pour tenter d’éviter le pire sur le déjà effroyable.

    Lire aussi l’article du CANSE ici.

    http://coordination-antinucleaire-sudest.net/2012/index.php?post/2021/05/11/Alerte-%3A-a-Tchernobyl-une-r%C3%A9action-nucleaire-incontrolee-vient-de-demarer-dans-la-salle-du-reacteur-n%C2%B04-eventre#c131031

    Ainsi nous pouvons nous demander si le "nouveau" sarcophage mis en place fin 2018 par les bétonneurs français Vinci/Bouygues , ne vise pas tout simplement à dissimuler au monde entier la reprise de réactions nucléaires qui émettraient des radiations détectables par des balises de mesures situées dans des pays voisins de l’Ukraine&Biélorussie ? L’histoire des mensonges de Tchernobyl est exemplaire depuis le début (26 avril 1986) jusqu’à aujourd hui.

    Lire aussi les dossiers de la CRIIRAD

    http://www.criirad.org/actualites/tchernobylfrancbelarus/tchernobylmisajourjuil05/2021-04_Tchern_F_mythe_2_vc.pdf

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.