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Qui était Marat, dirigeant révolutionnaire français ?
samedi 25 mai 2013, par
« La grandeur du crime est la seule différence qu’il y ait entre un conquérant et un brigand…. Toutes les religions prêtent la main au despotisme ; je n’en connais aucune toutefois qui le favorise autant que la chrétienne. »
Les chaînes de l’esclavage (1774), Jean-Paul Marat
« Le Mal est dans la chose même et le remède est violent. Il faut porter la cognée à la racine. Il faut faire connaître au peuple ses droits et l’engager à les revendiquer ; il faut lui mettre les armes à la main, se saisir dans tout le royaume des petits tyrans qui le tiennent opprimé, renverser l’édifice monstrueux de notre gouvernement, en établir un nouveau sur une base équitable. Les gens qui croient que le reste du genre humain est fait pour servir à leur bien-être n’approuveront pas sans doute ce remède, mais ce n’est pas eux qu’il faut consulter ; il s’agit de dédommager tout un peuple de l’injustice de ses oppresseurs. »
Lettres polonaises (1770), Jean-Paul Marat
Qui était Marat, dirigeant révolutionnaire français ?
Autobiographie de Marat
Marat, médecin
Français d’origine suisse, Marat est issu d’une famille modeste. Médecin de formation, il commence sa carrière en Angleterre, où il écrit The Chains of Slavery (Les Chaînes de l’esclavage), pamphlet violent contre la monarchie.
Il rentre en France en 1776. En 1789, il s’affirme comme un journaliste engagé. Dans son journal, L’Ami du peuple, il attaque les aristocrates mais aussi les membres du tiers état les plus fortunés et les "fausses idoles" (Necker, Mirabeau...). De la prise de la Bastille aux massacres de septembre 1792, il continue à adopter des positions extrémistes, avouant en 1792 espérer une "dictature suprême" permettant d’instaurer l’authentique Révolution. Elu à la Convention, il siège avec les Montagnards et s’attaque aux Girondins qui sont éliminés en juin 1793. Mais les haines qu’il a suscitées le rattrapent bientôt : pour venger les Girondins, Charlotte Corday l’assassine le 13 juillet 1793 dans sa baignoire.
Un peuple doit-il payer les dettes de l’Etat ? Point de vue de Marat, l’Ami du Peuple
Jean-Paul Marat (né Mara, il ajoutera plus tard un t à son nom, sans doute pour le franciser) a vu le jour le 24 mai 1743 à Boudry, dans la principauté de Neuchâtel, à l’époque sous suzeraineté du roi de Prusse.
Son père, prêtre défroqué originaire de Sardaigne, s’était réfugié à Genève et s’y était converti au protestantisme après avoir abjuré la religion catholique. Il y avait épousé Louise Cabrol, une jeune protestante originaire de Castres dont les grand-parents français s’étaient, eux aussi, réfugiés en Suisse au moment des persécutions ; de ce mariage sont nés, entre 1742 et 1769, neuf enfants : Jean-Paul est le second.
Homme cultivé, polyglotte, possédant des notions de médecine et de chimie, il était devenu professeur de langues et dessinateur dans une fabrique d’indiennes. Après avoir quitté Boutry, la famille s’installe à Peseux puis à Neuchâtel, où le futur révolutionnaire fait ses études au collège. Il quitte Neuchâtel et sa famille en 1759, à l’âge de seize ans, et pendant deux années est le précepteur du fils du riche négociant bordelais Nérac.
En 1762 il se rend à Paris pour compléter sa culture, poursuit des études de médecine, s’initie à la philosophie, puis part en Angleterre où il reste plus de dix ans, exerçant la médecine à Londres et à Newcastle. Il reçoit son diplôme de médecine en 1775. C’est à cette époque qu’il commence à écrire et à publier. Il rédige d’abord, en 1771, un roman de cœur sous forme de lettres, Les aventures du jeune comte Potowsky, qui ne sera connu qu’en 1843 ; en 1772, il publie anonymement à Londres un Essay on human soul, développé l’année suivante en un Philosophical Essay on Man, traduit en français en 1776 sous le titre De l’homme, ou des principes et des lois de l’influence de l’âme sur le corps et du corps sur l’âme. En 1774, il publie à Edimbourg, où il enseigne le français, et toujours anonymement, The chains of slavery, réflexion sur l’insurrection et la violence qui paraîtra en 1793 en France sous le titre Les chaînes de l’esclavage et sous son nom : la thèse principale en est que le pouvoir émane du peuple en tant que souverain, mais qu’à travers les âges et sous tous les régimes, les exécutifs se sont attachés à retourner ce pouvoir contre ceux qui le lui avaient confié.
Le 24 juin 1777, Marat reçoit le brevet de médecin des gardes du corps du comte d’Artois, et sa notoriété en tant que médecin et physicien s’établit rapidement. Il ouvre un cabinet d’expérimentation physique, et entreprend des recherches sur la nature du feu, la lumière et l’électricité médicale, ce dernier thème lui permettant d’être couronné par l’Académie de Rouen en 1783. Il connaît cependant divers revers de fortune : ainsi ses positions scientifiques, en particulier à propos de Newton auquel il voue une grande admiration, tout en lui portant différentes critiques, sont contestées par l’Académie des Sciences.
En 1782 il tombe malade, et l’année suivante songe à partir en Espagne, où on lui propose de fonder une académie à Madrid. En 1784, il perd sa charge de médecin au service du comte d’Artois. Il mène jusqu’en 1789 une existence précaire, et sa santé est mauvaise. Durant ces années, il rédige un Plan de législation criminelle, qui analyse les formes sociales de l’oppression, publié en 1780 à Neuchâtel, censuré en France mais intégré par Brissot en 1782 dans la Bibliothèque philosophique.
Avec Les chaînes de l’esclavage et le Plan de législation criminelle, Marat a construit une idéologie qui lui permet d’entrer de plein pied dans la Révolution. À la fin de l’année 1788, il écrit l’Offrande à la Patrie, où il développe la réalité complexe du Tiers état avant même la convocation des États généraux. Au mois de mars 1789, son Supplément à l’Offrande, réaction directe à la lettre royale de convocation et à son règlement, met déjà en garde contre les pièges tendus aux patriotes.
Le 25 juillet, le comité de constitution présente à l’Assemblée, par la voix du député Mounier, un premier projet constitutionnel ; Marat décide alors d’intervenir, et lance, le 11 août, une feuille de huit pages, Le Moniteur patriote, consacrée à la critique de ce projet de constitution, critique nourrie, entre autres, par son expérience anglaise. Puis il publie La Constitution, ou projet de Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, suivi d’un plan de Constitution juste, sage et libre, texte qui est à rapprocher de son Plan de législation criminelle. Au début du mois de septembre, Marat apparaît sur la scène politique à visage découvert.
Le 12, il publie le premier numéro du Publiciste parisien, journal politique, libre et impartial, dont les quatre premiers numéros sont des comptes rendus neutres des séances de l’Assemblée.
Le 16, il change de titre pour devenir L’Ami du peuple, journal politique, libre et impartial, publié par une société de patriotes, et dès lors Marat se déchaîne : l’Assemblée « avance avec une lenteur extrême », les Français « s’endorment au bord de l’abîme » : « Qu’attendre d’un peuple d’égoïstes dont la vanité est l’unique mobile ? Une nation sans lumières, sans mœurs, sans vertus, n’est pas faite pour la liberté. »
L’Ami du peuple, journal de petit format in 8° et qui compte généralement huit pages mais ira parfois jusqu’à seize, paraît en principe chaque jour ; de septembre 1789 à septembre 1792, Marat fait ainsi paraître près de mille numéros (la publication n’étant pas continue au cours de ces trois années mais soumise à des interruptions). S’il utilise les services d’informateurs qui rassemblent la documentation et trient les courriers arrivant bientôt de la France entière, voire de dénonciateurs, Marat en est le seul rédacteur.
Dès le 24 septembre, il attaque la municipalité de Paris et le maire Bailly, qu’il accuse de gestion ruineuse et inefficace, ainsi que la juridiction du Châtelet, ce qui lui vaut un décret de prise de corps au début du mois d’octobre. Il demande alors la protection de son disctict, les Cordeliers, dont l’assemblée générale vote le 7 un arrêté par lequel elle déclare prendre sous sa protection tous les auteurs de son arrondissement.
Le 8, des huissiers, sur ordre du Châtelet, se présentent à son domicile pour l’arrêter : il doit se cacher, et cesse la publication de son journal. L’Ami du peuple reparaît le 5 novembre, mais Marat, toujours dans la clandestinité, supprime du titre les mots « libre » et « la société de patriotes ».
Il dénonce alors de nouveau Bailly et surtout Necker, qu’il accuse d’être vendu à la cour, à travers des pamphlets comme Dénonciation contre Necker et Criminelle Neckerologie, ou manoeuvres infames du ministre Necker, où il écrit : « Necker, tremble à la vue de tes forfaits ! Le peuple est enfin éclairé sur tes odieuses manœuvres ; il est prêt à t’arracher avec ignominie les mêmes lauriers dont il t’avait décoré dans son aveugle enthousiasme. Tremble, infâme, ton règne est passé, et ta fin est peut-être prochaine. »
Le 22 janvier, alors que Marat est à nouveau menacé d’arrestation, Danton, avec ses amis des Cordeliers, fait obstruction à la garde nationale envoyée par La Fayette ; malgré le déploiement de forces, Marat reste introuvable, et les poursuites sont abandonnées, mais il n’a plus de presses et tous ses papiers ont été saisis. Sur le point de se réfugier en Angleterre, il écrit encore un Appel à la nation, où il fait le bilan des événements, et préconise une censure publique, la création d’un tribunal d’Etat et, dans les cas extrêmes, la nomination d’un « dictateur momentané » (au sens romain du terme).
De Londres, il publie une Nouvelle dénonciation contre M. Necker (avril 1790), où il attaque la politique financière qui conduit la France au bord du gouffre. Il rentre à Paris au mois de mai, et s’apprête à reprendre son journal, mais il est atterré par les menées des falsificateurs qui ont dévoyé ses idées : pour reconquérir son identité et sa place, il reprend L’Ami du Peuple et lance un second journal : Le Junius français, dont le premier numéro paraît le 2 juin. De mai à juillet, avec toute la presse patriote, Marat est très présent sur la scène parisienne, avec Camille Desmoulins et ses Révolutions de France et de Brabant, et Stanislas Fréron qui vient de lancer L’Orateur du Peuple.
Le 24 juin, Marat publie sa fameuse Supplique aux pères conscrits, ou très sérieuses réclamations de ceux qui n’ont rien à ceux qui ont tout, et quatre jours plus tard une Dénonciation de M. de La Fayette. Il publie encore son Plan de législation criminelle, espérant infléchir la marche de l’Assemblée. Souhaitant donner un nouvel élan à la Révolution, il prône l’insurrection du peuple parisien, et dans la clandestinité publie en août-septembre ses Feuilles extraordinaires : « C’en est fait de nous ! », « On nous endort, prenons-y garde ! », « C’est un beau rêve, gare au réveil ! »
Dans la première, il écrit : « Je le sais, ma tête est à prix, par les coquins qui sont au timon des affaires de l’Etat ; cinq cents espions me cherchent jour et nuit : hé bien ! S’ils me découvrent, et s’ils me tiennent, ils m’égorgeront, et je mourrai martyr de la liberté ; il ne sera pas dit que la patrie périra, et que l’Ami du peuple aura gardé un lâche silence. »
Le 18 décembre, il prône l’insurrection, et écrit dans son journal : « Il y a six mois, cinq à six cents têtes eussent suffi pour vous retirer de l’abîme. Aujourd’hui que vous avez laissé stupidement vos ennemis implacables se mettre en force, peut-être faudra-t-il en abattre cinq à six mille. » Quelques jours plus tard, alors que se répand le bruit que le roi va s’enfuir pendant les fêtes de Noël, il sonne le tocsin : « Prenez vos haches et vos piques ! Arrêtez toutes les voitures qui voudraient sortir de Paris ! »
En janvier 1791, Marat a de nouveaux démêlés avec la justice, mais il reçoit l’appui du club des Cordeliers et peut reprendre ses publications le mois suivant. En mai et juin, L’Ami du peuple redouble ses attaques contre La Fayette et contre la cour, et met à nouveau en garde contre un départ du roi que Marat pressent, et qui intervient le 21 juin. Le journal fait état de l’incurie de l’Assemblée, de la trahison royale, des violences faites aux citoyens. Mais après la fusillade du Champ-de-Mars, le 17 juillet, il est à nouveau réduit au silence, et, désespéré, songe à un nouvel exil.
C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Simone Evrard, qui deviendra sa compagne. Il reprend le combat dès l’automne, et sous forme de douze lettres à Camille Desmoulins, il critique les méthodes de ceux qu’il voit comme les nouveaux hommes de pouvoir (Brissot, Condorcet), et dénonce, dans sa brochure Les Charlatans modernes, leurs ambitions et surtout leur adhésion au projet de guerre extérieure. Puis, de décembre 1791 à avril 1792, il garde le silence. Il met pourtant cette période à profit en entreprenant deux ouvrages qui dressent un bilan de la Révolution : Les Chaînes de l’Esclavage (version plus étendue et écrite en français) et L’École du Citoyen, dont le manuscrit a disparu. La parution de ces deux volumes est annoncée dès le mois de mars 1792.
Au mois d’avril, encouragé par le club des Cordeliers, Marat reprend ses parutions, et L’Ami du Peuple continue à suivre les événements. Mais il multiplie aussi les pamphlets, aux titres significatifs : La Révolution toute en pantalonnade, La patrie prête à périr et le peuple chantant victoire, Le plan de la Révolution absolument manqué par le peuple, La dernière ressource des citoyens, Obstacles invincibles qui s’opposent parmi nous à l’établissement de la liberté, Les Français, de tous les peuples du monde le moins fait pour la liberté. La parution de son journal est discontinue, en raison de nouveaux décrets d’arrestation, mais Marat la compense par d’autres formes de publications.
Quelques semaines avant le 10 août, il écrit une Lettre aux fédérés des 83 départements, taxant Louis XVI d’ « éternel ennemi du peuple et des lois nouvelles », de « chef des conjurés contre la patrie et patron des traîtres ».
Dès le 14 août, la diffusion de L’Ami du peuple reprend. Dans le numéro du 19, il estime que devant la carence de l’Assemblée le peuple doit punir lui-même les traîtres. À partir du 26 fleurissent sur les murs de Paris des placards qu’il destine « aux braves Parisiens », « à ses concitoyens », « aux amis de la patrie », « aux bons Français », et « à ses concitoyens les électeurs ».
Le 2 septembre, Marat est nommé par Danton adjoint au comité de surveillance de la Commune de Paris, créé le 12 août, au moment où commencent les massacres de septembre, dans lesquels il a une part de responsabilité, car il avait auparavant prôné l’élimination physique des contre-révolutionnaires.
Le 9, il est élu député de Paris à la Convention, le septième sur vingt-quatre, par 420 voix sur 758 votants. Le 21 septembre paraît le dernier numéro de L’Ami du peuple, et le 25, le premier numéro du Journal de la République française, par Marat, l’Ami du peuple, député à la Convention nationale. Dans le climat de luttes acharnées qui règne à la Convention, où sa présence est jugée par beaucoup comme indésirable, il est régulièrement menacé de proscription par les Girondins, qui le haïssent et qui savent que la plupart des députés le détestent (Marat n’a aucun ami à la Convention).
Il est vrai que Marat fait peur, et que sa présence sur les bancs de la Montagne inspire à la fois répugnance et effroi : « Ce fanatique énergumène, écrit Levasseur dans ses Mémoires, nous inspirait à nous-mêmes une sorte de répugnance et de stupeur… Je le considérai avec cette curiosité inquiète qu’on éprouve en contemplant certains insectes hideux. Ses vêtements en désordre, sa figure livide, ses yeux hagards, avaient je ne sais quoi de rebutant et d’épouvantble qui contristait l’âme. »
Les dix mois vécus par Marat à la Convention sont une succession d’attaques et de dénonciations de sa part à l’encontre des « traîtres », et de ses ennemis contre lui-même. La première attaque contre Marat a lieu dès le 25 septembre, lorsque la Gironde dénonce le « triumvirat » Danton-Marat-Robespierre : avec courage, et face aux vociférations, il reconnaît avoir été « le premier écrivain politique et peut-être le seul en France depuis la Révolution, qui ait proposé un tribun militaire, un dictateur, des triumvirats, comme le seul moyen d’écraser les traîtres et les conspirateurs. » Au cours de la même séance, Boileau, député de l’Yonne, demande le décret d’accusation contre « ce monstre » qui dans son journal appelle à l’insurrection.
Lui répondant, Marat tire de sa poche un pistolet qu’il s’applique sur le front : « Si le décret d’accusation eût été lancé contre moi, je me brûlais la cervelle au pied de cette tribune… Voilà donc le fruit de trois années de cachots et de tourments essuyés pour sauver ma patrie ! Voilà le fruit de mes veilles, de mes travaux, de ma misère, de mes souffrances, des dangers que j’ai courus ! » Quelques instants plus tard, Couthon fait voter l’unité et l’indivisibilité de la République : Marat est momentanément sauvé.
Le 21 octobre, une pétition d’un bataillon de la garde nationale de la Corrèze demande la mise en jugement du « sanguinaire Marat (qui) ne cesse de prêcher le meurtre et le carnage… Le corps électoral de Paris s’est déshonoré en nommant cet homme avant qu’il fût jugé ».
Le 29, Louvet l’accuse d’avoir demandé la dictature en faveur de Robespierre et propose lui aussi sa mise en accusation ; le 23 décembre, c’est au tour de Chabot ; le 26 février, le député de la Meurthe Salle l’accuse d’avoir appelé au pillage, et propose le décret d’accusation.
Le 21 mars, Lecointe-Puyraveau va même jusqu’à demander que Marat soit déclaré en état de démence : « S’il y avait dans la France dix hommes comme Marat, la République serait perdue. » Attaqué régulièrement, Marat n’en prend pas moins part aux débats de la Convention, et se fait l’un des champions du procès du roi, dont il réclame activement un châtiment rapide et sans appel.
Le 3 décembre, il déclare que l’instruction de ce procès « est le plus sûr moyen de délivrer enfin la nation de ses plus redoutables ennemis, d’épouvanter les traîtres, de couper dans la racine tous les complots… Pardonner ne serait pas simplement faiblesse, mais trahison, scélératesse et perfidie. »
Le 7 janvier, il s’oppose à l’appel au peuple : « Vous sauverez la patrie en repoussant l’atroce projet, et vous assurerez le salut du peuple en faisant tomber la tête du tyran. Je demande que sa condamnation soit irrévocablement prononcée par appel nominal, et qu’il expie enfin, sous le glaive de la justice nationale, ses nombreux, ses atroces forfaits. » Lors du vote sur la peine, il déclare : « Dans l’intime conviction où je suis que Louis est le principal auteur des forfaits qui ont fait couler tant de sang le 10 août, et de tous les massacres qui ont souillé la France depuis la Révolution, je vote pour la mort du tyran dans les vingt-quatre heures. »
Au lendemain de la mort du roi, Marat prend l’offensive contre la faction dite des « hommes d’État » (les Girondins, notamment Vergniaud, Guadet et Gensonné) et contre ceux qui en sont les agents volontaires ou inconscients. Le 12 mars, alors que l’avant-veille a eu lieu une tentative d’insurrection des Enragés à Paris, il dénonce les menées de Fournier l’Américain, qui aurait projeté d’assassiner Pétion, le maire de Paris, et accuse les Girondins de vouloir de préparer un coup de force contre la Convention. Le 1er avril, il s’en prend au comité de défense générale, coupable à ses yeux de protéger Dumouriez, et propose de différer l’examen de la constitution : «
Lorsque le feu de la sédition est allumé dans plusieurs parties de la République, lorsque les ennemis extérieurs vous pressent, lorsqu’il s’agit d’étouffer la guerre civile et d’arrêter l’ennemi, nous n’avons besoin que de lois révolutionnaires. » Le lendemain, il appuie la proposition d’Albitte de supprimer la commission des Six, qui paralyse selon lui le Tribunal révolutionnaire. Au cours des premiers jours d’avril, les Girondins semblent décidés à éliminer Marat de la Convention, et les séances sont de plus en plus marquées par une lutte au couteau, acharnée, féroce, implacable.
Le 3, Marat s’écrie : « Il n’y a que des traîtres qui puissent étouffer ma voix… S’il est un homme qui ait des droits pour être entendu, c’est moi, qui depuis huit mois vous ai prédit tout ce qui arrive. Je vous déclare que la conduite que vous avez tenue depuis la Révolution est celle d’échappés des Petites Maisons », propos qui déclenchent la réprobation. Deux jours plus tard, il lance une nouvelle provocation en affirmant que la Convention est composée « d’hommes irréfléchis (et) d’hommes inconsidérés », ce qui lui vaut un rappel à l’ordre avec censure. Il appuie en même temps la création du Comité de salut public, comme « autorité provisoire destinée uniquement à mettre en mouvement les forces nationales, à les précipiter sur les ennemis du dedans et du dehors et à les écraser tous à la fois ».
Le 11, il demande la mise à prix de la tête du duc de Chartres, fils de Philippe-Égalité, et des « Capet fugitifs ». Le surlendemain, prétextant un placard attribué à Marat et appelant le peuple à châtier les traîtres, et sûrs du soutien de la Plaine qui supporte de moins en moins ses invectives, les Girondins portent l’estocade, par l’intermédiaire de Boyer-Fonfrède, qui demande le décret d’accusation contre lui : « Renoncez à faire des lois, déclare celui-ci, si vous tolérez vous-mêmes leur inexécution. N’avez-vous pas porté des lois contre les provocateurs au pillage ! Eh bien ! Marat l’a provoqué. N’avez-vous pas porté des lois contre les provocateurs au meurtre ! Eh bien ! Marat les provoque sans cesse… N’avez-vous pas porté la peine de mort contre quiconque demanderait la rétablissement du pouvoir arbitraire ! Eh bien ! Marat a formellement demandé la dictature… C’est la France entière qui accuse Marat, nous ne sommes que ses juges. » Danton prend la défense de Marat, estimant qu’une mise en accusation sans rapport préalable serait une erreur, et qu’il convient d’abord d’examiner le complot de Dumouriez et d’Egalité pour rétablir la royauté. Marat, qu’a défendu également Thuriot, tente de se justifier : « Je défie mon plus mortel ennemi de dire que mon nom ait été jamais compromis avec ceux des ennemis de la patrie, que je me sois jamais trouvé avec les conspirateurs et dans leur conciliabule nocturne. » Peine perdue : par appel nominal, les députés de la Plaine et les Girondins votent le décret d’accusation, que seuls rejettent quatre-vingt Montagnards, la plupart d’entre eux (dont Danton) étant absents lors du vote, d’autres étant en mission.
Le 24 avril, Marat est acquitté par le Tribunal révolutionnaire, devant lequel il s’est présenté comme « l’apôtre et le martyr de la liberté », et ramené en triomphe par la foule, couvert de lauriers, dans la salle du Manège où les Montagnards lui font une ovation.
Dès son retour, il reprend part aux débats, dénonçant des généraux (Berruyer et Ligonier), demandant qu’on décrète que les Parisiens ont bien mérité de la patrie, exigeant des mesures de salut public contre les Vendéens rebelles, et proposant que la Convention décrète la liberté illimitée d’opinion.
Le 27 mai, il demande la suppression de la commission « liberticide » des Douze, et prend une part active à l’élimination des Girondins (de la proscription desquels il sauve tout de même Lanthenas, « pauvre d’esprit », Dusaulx, « vieillard radoteur » et Ducos, mais y faisant ajouter Louvet, Valazé et les ministres Lebrun et Clavière) ; le 2 juin, il déclare : « Je crois qu’on doit poursuivre les chefs qui avaient voué à l’exécration publique la députation de Paris ainsi que la commune, qui étaient les complices de Dumouriez, qui voulaient écraser la Montagne, boulevard de la liberté… C’est contre eux que je demande le décret d’accusation… Il faut que demain nous nous occupions de purger la Convention, et que le peuple ne quitte les armes qu’après l’acte épuratoire. » Le lendemain, il demande à la Convention de le suspendre provisoirement de ses activités de député, jusqu’au jugement des accusés, fonctions qu’il reprend cependant le 17 juin. En réalité, Marat est malade ; il a contracté quelques années auparavant une maladie de peau, vraisemblablement un eczéma généralisé, qui évolue alors sans doute vers une issue fatale et l’oblige à prendre des bains fréquents d’eau mêlée d’amandes et de kaolin, ce qui l’empêche de paraître en public.
Le 12 juillet, il reçoit la visite de ses collègues Maure et David, qui sont les derniers à le voir vivant ; le 15, à la Convention, David rapportera son dernier souvenir : « Je le trouvai dans une attitude qui me frappa. Il avait auprès de lui un billot de bois, sur lequel étaient placés de l’encre et du papier, et sa main, sortie de la baignoire, écrivait ses dernières pensées pour le salut du peuple… Il avait une lèpre, et son sang était brûlé. »
Le lendemain en fin de matinée, arrivée de Caen deux jours plus tôt, Charlotte Corday se présente une première fois à son domicile, mais Simone Évrard sa compagne refuse de la laisser entrer ; elle essaye une deuxième fois d’entrer en contact, sans succès, mais elle fait communiquer une lettre qu’elle a écrite donnant des informations sur un prétendu complot. À la troisième tentative, c’est Marat lui-même qui demande qu’on la laisse entrer. Après un entretien qui selon Simone Évrard dure environ un quart d’heure, Charlotte Corday sort un couteau et frappe Marat à la poitrine : le trajet de la lame, qui traverse le poumon droit, l’aorte et le cœur, entraîne sa mort. Charlotte Corday est arrêtée sur les lieux du meurtre et, après son jugement par le Tribunal révolutionnaire, sera exécutée le 17 juillet. Avec la mort de Marat, la Montagne perd le seul des siens qui avait l’oreille du peuple de Paris.