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La discontinuité psychologique, la peur humaine dans chacune des phases de l’individu

lundi 27 mai 2013, par Robert Paris

La confiance est l’une des bases psychologiques indispensables de l’être humain mais elle n’est pas aussi positive que nous le croyons souvent. Elle est inhibition des peurs... C’est une négation dialectique.

La discontinuité psychologique, la peur humaine dans chacune des phases de l’individu

La peur de mourir, peur de souffrir, peur que les proches disparaissent, peur d’être abandonné sont des souffrances successives de la petite enfance. La peur de ne pas se reconnaître dans un miroir, la peur de ne pas se reconnaître dans ses proches, la peur de ne pas être reconnu par ses proches, la peur de la rupture sentimentale, la peur d’être rejeté qui peut amener à anticiper soi-même le rejet des autres, la peur de changer brutalement, dans les apparences et dans le fond, la peur de ne pas être l’enfant de ses parents lui succèdent vers l’adolescence. Puis l’adulte connaît la peur de ne pas être reconnu à sa valeur, la peur de s’assembler avec un compagnon qui ne lui ressemblerait pas, la peur de reproduire un enfant qui ne lui ressemblerait pas, la peur de ne plus ressentir les mêmes attirances physiques morales, mentales. Puis, l’âge avançant, il y a la peur de ne plus être capable physiquement, mentalement, sexuellement, socialement, moralement de ce qu’on pouvait faire autrefois, la peur de vieillir et de changer encore une fois. Lui succède la peur de dérailler, la peur de ne plus mémoriser, de ne plus bien entendre, bien voir, bien comprendre les autres. Et on finit pas le début : la peur de souffrir, de mourir, que les proches disparaissent. La boucle est bouclée…

Peur de la discontinuité ?

Peur d’être seul, peur d’avoir mal, peur de ne pas savoir quoi faire, peur de ne pas comprendre ou de ne pas être compris, peur du noir, du vide, de la discontinuité du temps et de l’espace, peur du Mal diamétralement opposé au Bien. Plus on est stressé, plus on a peur de la discontinuité, celle où on ne comprend plus ce que l’on fait, où on est, qui va nous retrouver, comment on va s’en sortir.

De nombreux gestes quotidiens n’ont d’autre objectif que de fabriquer de la continuité, de créer des liens de mémoires pour stabiliser, pour rendre continu une histoire faite de discontinuités. Tous les changements brutaux sont évalués comme dangereux, rupture de rythme, rupture continuité d’emploi, de relations, de famille, de logement, d’état d’esprit, etc…

Dans ces conditions, de grands efforts sont réalisés par l’homme et la société pour rendre insensibles, invisibles, indolores les diverses discontinuité inévitables de la vie individuelle comme sociale. Les fonctions de direction, de régularisation, de monotonie, d’illusion, de rétention d’information, de dénégation, de refus d’accès à la conscience de tout ce qui pourrait rompre l’impression imaginaire de continuité. L’être humain adulte fait cela de manière automatique alors que l’enfant et le vieillard s’aperçoivent des ruptures et en souffrent.

Quant à la conscience humaine, elle qui produit justement l’illusion du continu, elle-même est discrète. « Le flux de notre conscience n’est donc pas à envisager comme un changement continu permanent mais plutôt comme une succession d’états stables. (…) De nombreuses données de la psychologie expérimentale et de la neurophysiologie humaine sont en faveur de cet aspect « quantique » de nos états conscients : Donchin et Coles, 1998 ; Raymond et al, 1992 ; VanRullen et Koch, 2003 et 2005. » écrit Lionel Naccache dans "Le nouvel inconscient".
La a discontinuité naturelle la plus reconnue est celle de la mort, mais la naissance en est une autre aussi importante. La vie et la mort sont couplées en permanence. Notre vie commence par la naissance et se termine par la mort, deux discontinuités fondamentales, deux transitions de phase, déterminantes de notre existence. Ce ne sont pas des phénomènes individuels mais le résultat de l’action collective de quantité de molécules et d’organes, même si c’est l’individu qui meurt comme un tout. Naissance et vie sont fondés sur des couplages de contraires. La naissance est un phénomène aussi brutal que la mort, même s’il ne se déroule pas en un instant. Les physiologistes parlent du « cataclysme physiologique qui provoque la naissance ». Et pourtant, comme le remarquait Jean-Claude Ameisen dans « Qu’est-ce que mourir », par les rites de la mort, par notre mémoire de leur présence, nous cherchons « à construire jour après jour, une continuité toujours nouvelle, qui les intègre (...) ». Ce besoin de continuité de la psychologie humaine est une constante de notre comportement. Nous ne cessons pas de transformer intellectuellement du discontinu, naturel, en continu, pensé. Notre cerveau nous présente des images apparemment continues, un temps et un espace qui semblent aussi l’être, et nos représentations sont entachées par cet a priori. En réalité, cette croyance dans le continu est le produit de notre éducation et de notre vie sociale.

Notre mode de pensée sur le monde n’est pas aussi rationnel que nous voudrions bien le croire. Il correspond à une réalité qui n’est pas celle de la matière mais celle de nos besoins psychologiques… Il est fondé sur des croyances comme la continuité du monde qui sont imposées à nos observations et non découlant d’elles…

La psychologie humaine, et son fondement, la conscience, basé sur l’auto-organisation des flashs du cerveau, est déjà une transformation du discontinu brutal en illusion de continuité puisque nous croyons rester continûment conscients. La vision, l’audition, le toucher contribuent à ces illusions et le cerveau, au travers de ces sensations, transforme encore le discontinu en apparent continu. La mémoire est elle-même un phénomène discontinu et dynamique et non une conservation de faits à l’identique, contrairement à ce que l’on croit trop souvent. Notre mémoire est « à trous » comme notre vision, notre audition ou notre toucher, notre conscience…

La psychologie humaine n’est pas aussi éloignée que l’on veut bien se le dire du fonctionnement général de l’univers. Elle obéit fondamentalement aux mêmes nécessités. Elle n’est pas stable, se transforme sans cesse, même si notre conscience est à la recherche de certitudes, de rationalités plus ordonnées. Comme la matière et la société, elle obéit à un mélange contradictoire d’ordre et de désordre. Le goût d’ordre et de rationalité est plus ou moins prononcé chez les individus. Mais la recherche d’un ordre absolu est aussi folle que la poursuite du désordre absolu. Le fonctionnement naturel est une intermittence, une rétroaction, un mixage d’ordre et de désordre. Il en résulte la possibilité de changements brutaux. Les accidents de la psychologie humaine en témoignent autant que les accidents brutaux de la météorologie ou que ceux de la société. Notre attitude apeurée vis-à-vis de la discontinuité nous amène à voir partout de la continuité alors que nos observations réfléchies devraient nous dire le contraire : dans les surfaces, dans les écoulements matériels, dans la lumière, dans le mouvement, dans les formes, dans l’écoulement du temps, dans la transmission d’énergie, etc…En se heurtant aux préjugés contre la discontinuité, le philosophe grec Zénon avait enfoncé un coin dans les apriori de la philosophie indiscutée des hommes et ses idées ont encore du mal à être admises.

Pour le commun des mortels, le monde ne change pas ou peu, car, tous les matins, la terre semble la même et le même soleil se lève dans un ciel identique, mais le soleil change à de nombreuses échelles. A chaque seconde pour ce qui concerne les fusions radioactives, à l’échelle de dizaines d’années pour les mouvements de la couche externe, à plus grande échelle encore en ce qui concerne les mouvements d’interaction entre les couches concentriques de l’astre. En tant qu’individu, nous sommes aussi sujets de transformations à plusieurs échelles successives : changements moléculaires en dessous du millième de seconde, changements biologiques chaque seconde, changements métaboliques chaque jour, etc… Cependant, nous tâchons de nous convaincre de la continuité de notre conscience et de nous persuader que tous ces chocs ne font pas de nous, à chaque fois, un autre homme. Tous les jours, nous nous réveillons en nous assurant que nous sommes le même homme et que nous allons rencontrer les mêmes proches, dans un environnement inchangé. Cette construction psychologique n’est pas une évidence. Il nous a fallu les longs mois de notre petite enfance pour mettre en place cette confiance dans le lendemain et en nous-mêmes. Le sentiment de la permanence de notre « moi » a été le produit de tout un travail de notre cerveau et n’est pas acquis dès la naissance. Ce n’est pas un gain définitif. Il peut facilement être remis en cause du fait d’expériences individuelles douloureuses. Par exemple, les attaques hormonales de l’adolescence, de la sexualité et de la croissance produisent une déstabilisation de la confiance en soi, due notamment à une discontinuité dans les réactions personnelles et, parfois, dans l’apparence physique. L’équilibre, la sûreté de soi, la confiance, la stabilité, la maîtrise du stress sont des conquêtes de tous les jours, jamais définitivement acquises, comme le montrent les maladies dites psychologiques – en fait la psychologie est inséparable du reste du fonctionnement. Tant qu’il n’y a pas de choc, nous nous contentons de la croyance en la fixité de notre moi, comme un fait indiscutable et qui ne nécessite pas d’explication. Nous le vérifions cependant régulièrement dans notre miroir physique et aussi dans notre miroir mental. C’est ce que nous appelons la conscience. En ce sens, la continuité est un besoin de notre moi, mais la discontinuité, réelle, est la plus forte. Il en va de même de la stabilité de la société.

« Le fonctionnement cérébral comme celui d’autres organes est discontinu dans le temps. » Le biochimiste Ladislas Robert dans « Les temps de la vie ».

« La vie psychique dans son ensemble est frappée de discontinuité. » écrivent les Pragier dans « Repenser la psychanalyse avec les sciences » qui notent que Didier Anzieu parle de « quantités pulsionnelles discontinues ». Ils relèvent que « Freud affirmait dans le commentaire d’un très court fragment du rêve « Irma » que la conscience des représentations oniriques est avant tout discontinue. » C’est au point que la comparaison avec la physique quantique a été réalisée par Simon-Daniel Kipman dans « La rigueur de l’intuition ».
Sylvie et Georges Pragier écrivent dans l’ouvrage déjà cité : « La possibilité d’apparition de changements, liés aux processus auto-organisateurs, représente donc une coupure radicale avec la conception d’une évolution déterministe continue. Le développement de l’organisme s’effectue au contraire sur un mode discontinu, avec des paliers. (…) L’organisation apparaît finalement comme un processus discontinu de désorganisation-réorganisation. » Les discontinuités des états psychiques sont des transitions de phase.
Les neurosciences avaient déjà montré que la vision fonctionne par coupage et recollage, en partageant les éléments d’une scène en éléments traités diversement et séparément avant de les recomposer. Récemment, les travaux du neuroscientifique Stanislas Dehaene ont montré que la lecture des écrits est tout aussi discontinue. Elle découpe en morceaux le mot et les analyse séparément avant d’en recomposer l’interprétation. Dans « Les neurones et la lecture », ce chercheur montre que le mot est décomposé en milliers de fragments envoyés à des neurones différents. Une fois encore, c’est l’IRM a qui a permis ce pas en avant dans la compréhension du fonctionnement du cerveau. Et cela ne signifie pas que la lecture décompose le compliqué en simple et attribue le simple à zone spécifique. Bien au contraire, les zones attribuées effectuent bien d’autres fonctions. Les circuits de la reconnaissance des lettres sont capables aussi de reconnaître des objets ou des visages. La fonction lecture de texte a réutilisé des circuits déjà existants chez l’homme qui ne savait pas lire et les a réarrangés. C’est encore une fois le bricolage créatif que nous appelons aussi auto-organisation ou pilotage du chaos.

La discontinuité est un produit du mode d’organisation de la vie (et même de la matière) qui est de nature quantique : par sauts quantiques. Les « éléments » sont organisés un par un et non par quantités décimales ou « réelles » (des nombres réels). Les éléments réels, par exemple des images psychiques, sont produites par l’émergence, phénomène brutal qui arrive à un seuil. Les éléments ne sont pas fixes ni figés mais produits du désordre virtuel. Ils sont quantiques parce qu’ils sont déterminés par un seuil. Leur apparente fixité provient de la constance de ce seuil. Mais ils ne sont pas décrits par cette constance. Ils ne peuvent être compris que comme éphémèr es produits de la dynamique et non objets fixes marqués par la constance.

Le caractère du psychisme est fondamentalement discontinu parce que les pensées, les images mentales, ont pour propriété de s’autodétruire rapidement sans donner naissance généralement à des images plus durables. C’est seulement l’inhibition de ce processus d’autodestruction qui entraîne l’existence d’une mémoire qui singe la continuité mais n’est elle-même qu’un processus pouvant être inhibé. La discontinuité n’est pas nécessairement la mort puisque l’inhibition est capable de déstructurer la pensée. Mais cette discontinuité a un caractère dialectique puisqu’il peut lui-même être contredit.

Dans « Le sentiment même de soi », le neuroscientifique Antonio R. Damasio montre que son étude de la conscience est celle d’une transition : « J’écris sur le sentiment de soi et sur la transition qui va de l’innocence et de l’ignorance à l’état de connaissance : mon but spécifique est d’examiner les circonstances biologiques qui permettent cette transition cruciale. (…) Il y a trente-deux ans de cela, un homme se trouvait là assis en face de moi (…) Brusquement, l’homme s’est arrêté au beau milieu d’une phrase, son visage a cessé de s’animer, sa bouche s’est figée, encore ouverte, et son visage s’est mis à fixer, dans le vide, un poit du mur derrière moi. Pendant quelques secondes, il est resté sans bouger. J’ai prononcé son nom, mais aucune réponse n’est venue. (…) Pendant un court instant, qui m’a paru des siècles, cet homme a souffert d’une détérioration de la conscience. Neurologiquement parlant, il a été pris d’un accès d’absence suivi d’un automatisme d’absence, deux des manifestations de l’épilepsie, affection causée par un dysfonctionnement cérébral. (…) Le souvenir de cet épisode ne m’a pas quitté, et ce fut un jour faste que celui où j’ai senti que je pouvais en interpréter le sens. J’ignorais alors, chose que je sais à présent, que j’avais été témoin de la transition, tranchante comme le rasoir, entre un esprit pleinement conscient et un esprit privé du sentiment de soi. (…) L’éveil et la conscience ont tendance à aller de pair, même si cette association peut s’interrompre en deux circonstances exceptionnelles. L’une de ces exceptions est celle où nous sommes dans l’état de sommeil onirique. A l’évidence, nous ne sommes pas éveillés durant le sommeil onirique, et pourtant nous avons quelque conscience des événements qui se déroulent dans l’esprit. (…) Un autre renversement spectaculaire de l’association habituelle peut aussi se produire : nous pouvons être éveillés tout en étant privés de conscience. (…) L’absence d’attention manifeste vers un objet extérieur n’est pas nécessairement une dénégation de la présence de la conscience et peut plutôt indiquer que l’attention est dirigée vers un objet interne. (…) Il s’agit d’un état extrêmement transitoire. (…) Les crises d’absence sont l’une des principales variétés d’épilepsie, dans laquelle la conscience est momentanément suspendue ainsi que l’émotion, l’attention et le comportement adéquat. Le trouble s’accompagne d’une anomalie électrique qui apparaît de manière caractéristique dans l’électroencéphalogramme. Les crises d’absence sont très instructives pour qui étudie la conscience, et la crise d’absence type est en fait l’un des plus purs exemples de perte de conscience (…) Brusquement, (…) le patient s’interrompt au beau milieu d’une phrase, se fige dans tel ou tel mouvement qu’il était en train d’accomplir et se met à regarder fixement dans le vide. (…) En sortant de son état figé, le patient regarde autour de lui (…) La conscience s’en est revenue aussi brusquement qu’elle s’en était allée (…) Dans l’intervalle, le patient n’a aucune espèce de souvenir. (…) La suspension de l’émotion est un signe important dans les crises d’absence et dans les automatismes d’absence. (…) La découverte de détériorations parallèles dans la conscience et dans l’émotion paraîtra d’autant plus remarquable que (…) les émotions peuvent être déclenchées de façon non conscientes, à partir de pensées auxquelles on ne prête pas attention, aussi bien qu’à partir d’aspects de nos états corporels qui sont impossibles à percevoir. »

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