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L’innovation technologique est-elle le moteur du changement historique ?

jeudi 6 mai 2021, par Robert Paris, Tiekoura Levi Hamed

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Identifier révolution technologique et révolution sociale, une erreur classique dans l’histoire des sociétés humaines

Les avancées technologiques n’ont parfois rien eu à voir avec les avancées de la société.

Même si le capitalisme d’aujourd’hui va sur la Lune ou vers Mars, développe des matériaux nano comme le graphène et autres prétendues révolutions technologiques comme celles de l’informatique, il est en chute vertigineuse parce qu’il a atteint ses limites sur le terrain économique et social et d’abord sur celui de l’accumulation du capital. La pandémie n’est qu’une image de cette chute inéluctable.

Ceux qui ne l’ont pas compris ont cru que le but du capitalisme était de produire des biens fabriqués, alors que son but est de produire de la plus-value, c’est-à-dire un capital supplémentaire capable de se réinvestir dans la production. Nous allons voir que le machinisme lui-même ne peut être compris qu’en liaison avec le capitalisme, c’est-à-dire la recherche du profit et pas seulement avec la production rendue plus efficace par des techniques.

S’il est parfois exact que les changements sociaux fondamentaux se sont parfois appuyés sur des révolutions technologiques, l’inverse n’est pas vrai : la révolution technologique n’a pas attendu le changement de société pour éclore dans les esprits. Par contre, la découverte technique est parfois tellement éloignée de son utilisation qu’elle a été perdue longtemps avant d’être massivement utilisée.

Quand Archimède invente la grue, il la propose comme arme de guerre contre les vaisseaux d’attaque, car, comme moyen de soulever, la société esclavagiste n’en voit pas de meilleurs que les esclaves !!!

Quand Léonard de Vinci invente de nombreuses machines, il ne dispose pas du moteur qui donnera énergie et mouvement à toutes ces inventions mais il aura l’intuition de très nombreux fonctionnements mécaniques, terrestres, hydrauliques ou aériens.

Il y a une énorme distance de temps et de conception entre la découverte de l’électricité dans l’antiquité et son utilisation, la découverte du vide bien plus récente et son utilisation, pour ne prendre que ces deux exemples.

Bien des gens confondent le fait que des sociétés nouvelles socialement et économiquement aient pris appui sur des techniques qui n’étaient pas employées précédemment et l’invention de techniques nouvelles, qui, elles, ne nécessitent que des esprits inventifs et novateurs et pas forcément un grand soutien de la société. Les inventeurs n’ont pas eu besoin d’une demande sociale pour inventer, pas plus que les autres penseurs, poètes, écrivains, peintres ou musiciens. La conception utilitariste de la pensée n’est pas juste. La société peut favoriser un certain type de pensées, artistiques, scientifiques ou techniques mais cela ne signifie pas que ces pensées aient besoin de ce soutien social, celui en général de la classe dominante, pour apparaître.

Quand Marx affirme que les pensées dominantes sont celles de la classe dominante, il ne veut pas dire que n’apparaissent que des pensées voulues par la classe dominante. L’apparition d’idées n’est dictée que par la curiosité permanente de l’être humain et donc par une locomotive personnelle des auteurs, penseurs, concepteurs, qui n’ont souvent reçu aucun soutien, et souvent aussi n’ont eu, de leur vivant, que très peu de bénéfice attaché à leur découverte, pour laquelle ils ont souvent sacrifié tous leurs moyens et toute leur vie.

On s’étonne de découvertes très très anciennes comme celle de la serpe dans l’agriculture et du grand nombre d’années qu’il a fallu pour que cette utilisation se généralise, mais cet étonnement est en fait comparable à celui des découvreurs de la grotte Chauveau qui remarquent que les progrès artistiques comme les autres progrès du génie humain ne suivent pas une courbe linéaire et continue, allant du petit vers le grand, du faible vers le fort, du pire vers le meilleur.

On a souvent utilisé à tort la technique comme repère du degré de développement social, alors que le niveau des techniques ne signifie pas réellement un niveau en termes de degré de développement social.

Dans bien des études, on a caractérisé des techniques comme significatives d’un type de société et le nom même de ces étapes du développement social est resté attaché à ces techniques : Paléolithique, Néolithique, par exemple, pour les techniques de taille de la pierre… Culture du Rubané (au début du néolithique) ou Culture Campaniforme (à partir du 3ème millénaire avant notre ère), par exemple, pour la technique de la céramique…

Le point de vue technologique sur le progrès humain confond souvent évolution sociale et évolution technique, économie et culture, au point de parler des « cultures » diverses au lieu des sociétés. L’extension de ces cultures techniques ne recouvre pas en fait des sociétés identiques, mais seulement des extensions d’influences culturelles.

Le concept d’un progrès technique maître de l’évolution des sociétés humaines a de nombreux défauts : non seulement il gomme les révolutions sociales, il efface la lutte des classes, il présente l’histoire comme un continuum, il est fondamentalement idéaliste, il ne permet pas de comprendre que la dialectique des rapports de classes dans la production et des forces productives.

Des pseudo-marxistes, comme Kostas Axelos, ont souvent mis en avant la technique en prétendant que c’était le point de vue de Karl Marx et Friedrich Engels mais c’est complètement faux ! Les staliniens eux-mêmes ont souvent diffusé ce type de mensonges.

Pour Marx et Engels, le moteur de l’Histoire est clairement et nettement la lutte des classes, pas le progrès technologique. La figure révolutionnaire n’est pas l’inventeur mais l’action révolutionnaire des masses !

Le progrès est tout le contraire d’une catégorie dialectique. La révolution est négation alors que la technique agit soi-disant positivement.

En fait, c’est sous-estimer toute la difficulté pour faire passer la société d’une technique à une autre, tout le conservatisme social qui empêche de mettre en œuvre ces « progrès ». Essayez seulement de « conseiller » à une société traditionnelle d’agir contrairement à la tradition et de produire autrement et vous comprendrez qu’il faut souvent une révolution sociale pour « simplement » changer de technique !

Ce contresens causé par le point de vue technologique est très largement diffusé, au point que certains ont affirmé que le capitalisme lui-même était le produit du seul progrès technologique !

Et cela se fonde sur une autre erreur, prendre la production pour un rapport entre l’homme et la matière à transformer sans envisager l’autre rapport, celui des hommes entre eux, et même davantage encore un rapport des classes sociales entre elles. Le mode de production n’est pas qu’un fonctionnement technologique mais un mode de relations sociales. Ainsi, dans le mode de production capitalistes, ces relations sociales ne sont pas issues que du progrès technologique dans les outils mais du fait qu’une classe d’hommes est dépourvue de toute propriété privée de ces moyens de production. Le fait que les prolétaires aient été formés par la dépossession des moyens de production est un combat de classe qui a été réalisé violemment et à un moment donné de la lutte des classes.

Un certain type de production nécessite un certain type de producteurs et leur apparition provient de la lutte des classes, pas des seuls inventeurs de la machine à tisser, à filer, de la locomotive ou de la machine à vapeur.

Le machinisme transforme la division du travail et transforme aussi la composition organique du capital, voilà encore deux points qui sont oubliés par les partisans de la thèse technologique.

Kostas Axelos a fait de l’analyse du capital par Marx une branche de l’étude de la technologie !!!

Source :
https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/03/03/marx-et-la-technique_2344714_1819218.html

Marx, lui, ne néglige ni les techniques ni les transformations sociales et il lie les deux :

« L’industrie moderne, cet ensemble de combinaisons sociales et de procédés techniques que nous avons nommé le mode spécifique de la production capitaliste ou la production capitaliste proprement dite. »

Source : Karl Marx, « Le Capital », livre premier

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-25-2.htm

Marx n’isole pas les machines (moyens de travail) des travailleurs (force de travail) qui s’y emploient :

« La force de travail dans la manufacture et le moyen de travail dans la production mécanique sont les points de départ de la révolution industrielle. »

Source :

Karl Marx, « Machinisme et grande industrie »

Mais d’emblée, Marx ne voit pas le progrès technique qu’en positif mais de manière dialectique. Par exemple :

« La production capitaliste ne développe donc la technique et la combinaison du procès de production sociale qu’en épuisant en même temps les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur. »

Source : Karl Marx, « Le Capital », livre premier

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-10.htm

« De nos jours, chaque chose paraît grosse de son contraire. Nous voyons que les machines douées du merveilleux pouvoir de réduire le travail humain et de le rendre fécond le font dépérir et s´exténuer. Les sources de richesse nouvellement découvertes se changent, par un étrange sortilège, en sources de détresse. Il semble que les triomphes de la technique s´achètent au prix de la déchéance morale. A mesure que l´humanité maîtrise la nature, l´homme semble devenir l´esclave de ses pareils ou de sa propre infamie. Même la pure lumière de la science semble ne pouvoir luire autrement que sur le fond obscur de l´ignorance. Toutes nos découvertes et tous nos progrès semblent avoir pour résultat de doter de vie intellectuelle les forces matérielles et de dégrader la vie humaine à une force matérielle. Cet antagonisme entre l´industrie et la science modernes d´autre part, et la misère et la décomposition morale d´autre part, cet antagonisme entre les forces productives et les rapports sociaux de notre époque est un fait tangible, écrasant et impossible à nier. Tels partis le déplorent, d´autres souhaitent se débarrasser de la technique moderne, pour peu qu´ils se délivrent des conflits modernes ; ou bien s´imaginent qu´un progrès aussi important dans l´industrie doit nécessairement s´accompagner d´une régression non moins considérable en politique. Pour notre part, nous ne nous abusons pas quant à la nature de l´esprit retors qui ne cesse d´imprégner toutes ces contradictions. Nous savons que pour faire oeuvre utile les forces nouvelles de la société ont besoin d´une chose, à savoir d´hommes nouveaux qui maîtrisent ces forces ; et ces hommes nouveaux, ce sont les travailleurs. Ils sont tout autant une invention des temps modernes que les machines elles-mêmes. Dans les symptômes qui déconcertent la bourgeoisie, l´aristocratie et les piètres prophètes de la régression, nous retrouvons notre brave ami, Robin Goodfellow, la vieille taupe capable de travailler si vite sous terre, l´excellent mineur - la révolution. Les travailleurs anglais sont les pionniers de l´industrie moderne. Ils ne seront certainement pas les derniers à venir à l´aide de la révolution sociale engendrée par cette industrie, une révolution qui signifie l´émancipation de leur propre classe et de l´esclavage salarié. Je sais les luttes héroïques que les ouvriers anglais ont menées depuis le milieu du siècle dernier, luttes moins glorifiées parce que oubliées et mises sous le boisseau par les historiens bourgeois. »

Source :
Karl Marx, « Les révolutions de 1848 et le prolétariat »

Comme on le voit dans l’extrait précédent, Marx ne sépare jamais les techniques modernes de production de ceux qui les mettent en œuvre, les producteurs, les prolétaires et de leurs combats de classe…

Tout en reconnaissant le rôle des machines dans le développement de l’industrie, Marx lui redonne sa véritable place :

« Avec la manufacture se développa aussi çà et là l’usage des machines, surtout pour certains travaux préliminaires simples qui ne peuvent être exécutés qu’en grand et avec une dépense de force considérable. Ainsi, par exemple, dans la manufacture de papier, la trituration des chiffons se fit bientôt au moyen de moulins ad hoc, de même que dans les établissements métallurgiques l’écrasement du minerai au moyen de moulins dits brocards. L’empire romain avait transmis avec le moulin à eau la forme élémentaire de toute espèce de machine productive. La période des métiers avait légué les grandes inventions de la boussole, de la poudre à canon, de l’imprimerie et de l’horloge automatique. En général, cependant, les machines ne jouèrent dans la période manufacturière que ce rôle secondaire qu’Adam Smith leur assigne à côté de la division du travail. Leur emploi sporadique devint très important au XVII° siècle, parce qu’il fournit aux grands mathématiciens de cette époque un point d’appui et un stimulant pour la création de la mécanique moderne. »

Source :
Karl Marx, « Les révolutions de 1848 et le prolétariat »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-14-3.htm

Marx comprend que la machine est, aux mains des capitalistes, d’abord un moyen d’augmenter l’exploitation des travailleurs :

« C’est ainsi que la machine, en augmentant la matière humaine exploitable, élève en même temps le degré d’exploitation… Le machinisme bouleversa tellement le rapport juridique entre l’acheteur et le vendeur de la force de travail, que la transaction entière perdit même l’apparence d’un contrat entre personnes libres…

Si la machine est le moyen le plus puissant d’accroître la productivité du travail, c’est-à-dire de raccourcir le temps nécessaire à la production des marchandises, elle devient comme support du capital, dans les branches d’industrie dont elle s’empare d’abord, le moyen le plus puissant de prolonger la journée de travail au-delà de toute limite naturelle. Elle crée et des conditions nouvelles qui permettent au capital de lâcher bride à cette tendance constante qui le caractérise, et des motifs nouveaux qui intensifient sa soif du travail d’autrui. »

Source :
Karl Marx, « Les révolutions de 1848 et le prolétariat »

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-3.htm

Marx expose comment la machine augmente l’exploitation de la force de travail :

« Le développement de la force productive du travail, au sein de la production capitaliste, vise à raccourcir la partie de la journée de travail où le travailleur doit travailler pour lui-même, mais c’est précisément pour allonger l’autre partie de la journée de travail, celle où il peut travailler gratuitement pour le capitaliste. »

Source : Karl Marx, « Le Capital », livre premier

https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-15-1.htm

En somme, l’élément déterminant dans la compréhension de l’intérêt pour le capitaliste du machinisme est dans le fonctionnement non de la machine mais dans celui… du capital lui-même, à savoir comment le capital s’accroit du travail gratuit excroqué au travailleur.

Engels explique clairement que l’un des éléments historiques les plus importants dans les apports du grand machinisme consiste en la transformation, non de la matière, mais de la… lutte des classes :

« C’est précisément cette révolution industrielle qui, la première, a partout fait la lumière dans les rapports de classes, supprimé une foule d’existences intermédiaires provenant de la période manufacturière et en Europe orientale issues même des corps de métier, engendrant une véritable bourgeoisie et un véritable prolétariat de grande industrie et les poussant l’un et l’autre au premier plan du développement social. »

Source :

Engels, Introduction aux « Luttes de classes en France » de Karl Marx

https://www.marxists.org/francais/engels/works/1895/03/fe18950306.htm

Lire encore :

La technologie et la domination du capitalisme
http://spartacus1918.canalblog.com/archives/1998/07/10/38422334.html

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