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Les IWW et le syndicalisme révolutionnaire aux USA

Saturday 7 March 2015, by Robert Paris

Texte en anglais et en français - Text in french and in english

Qui étaient les IWW ?

Industrial Workers of the World (in english)

« Nous sommes des adversaires de l’ordre existant ; nous sommes ses ennemis d’un bout à l’autre. Nous ne respectons pas le drapeau des Etats-Unis. Il est le symbole de l’oppression… Il flotte sur les pires endroits et ne porte aucun message pour nous. Nous ne croyons nullement en la hiérarchie des salaires. Nous proposons de virer tout le système du salariat et de donner sa chance à chaque homme. Nous ne croyons pas en dieu. Le prêche de l’évangile de Jésus-Christ est le plus gros plasphème du monde car il prêche la soumission à l’ordre actuel, en promettant une vie meilleure… dans le futur. »

IWW, Réunion syndicale de San Diego, 25 avril 1912

“We are opposed to the existing order; we are against it from bottom up. We do not respect the laws or flag of the United States. It is a symbol of oppression; . . . It floats over the vilest places and has no message for us. We do not believe in the system of wages. We propose to overthrow the whole system and give every man a chance. We do not believe in a God. The preaching of the gospel of Jesus Christ has been the greatest curse in the world because it preaches submission to the present order, promising something better in a future life.”

IWW, San Diego Union, April 25, 1912

Dans la période de fort développement et de forte concentration de l’industrie, le mouvement ouvrier américain connut lui aussi dans les années 1870 et 1880 un développement très important, avec des formes originales. Ainsi, les Knights of labor, une confrérie des producteurs – secrète à l’origine pour des raisons de sécurité – rassembla jusqu’à 700 000 membres au milieu des années 1880. Ouverte aux femmes et aux noirs, elle revendiquait la journée de huit heures, la nationalisation des chemins de fer, l’abolition des monopoles et la formation d’entreprises coopératives. Elle rassemblait ouvriers qualifiés et non qualifiés, syndiqués ou non, mais également des artisans et des petits patrons. De ce fait, sa direction refusait l’affrontement des classes et, après une série de conflits meurtriers, son influence déclina, concurrencée qu’elle était par l’American Federation of Labor (A. F. L.). Celle-ci, dirigée par Samuel Gompers, regroupait des syndicats de métiers, sans chercher à en unifier l’action ni à s’ouvrir aux ouvriers non qualifiés et aux chômeurs, et prônait ouvertement la négociation, le compromis et la réforme.

Dans divers secteurs de l’économie américaine, notamment dans les chemins de fer et dans les mines de l’ouest des États-Unis, les travailleurs rejetèrent les méthodes de l’A. F. L. et s’organisèrent sur la base de leur branche d’activité – industry en anglais. C’est de leur regroupement que naquirent en 1905 les Industrial Workers of the World, une fédération syndicale fondée sur le regroupement par branche. Les I. W. W. – surnommés plus tard wobblies – adoptèrent des principes syndicalistes-révolutionnaires, comparables à ceux de la Charte d’Amiens, et des méthodes d’action directe – grève ou sabotage si nécessaire – plutôt que négociation entre responsables syndicaux et patrons. Pendant plus de dix ans, ils animèrent de très nombreuses luttes à travers les États-Unis.

Internationalistes convaincus, ils s’opposèrent à la participation des États-Unis à la Première guerre mondiale et se heurtèrent alors à une répression meurtrière. Même s’ils existent encore, les I. W. W. n’ont depuis lors plus pu mobiliser un nombre significatif de travailleurs, mais leurs principes – un seul syndicat pour tous les salariés – et les formes qu’ils ont données à leurs actions ont continué à influencer les luttes sociales aux États-Unis.

La première guerre mondiale servit aussi à écraser le mouvement ouvrier révolutionnaire des USA !

En 1912, l’organisation IWW, syndicaliste révolutionnaire prônant la lutte des classes, comptait quelque 50 000 adhérents, principalement concentrés dans le Nord-Ouest, parmi les dockers, les ouvriers agricoles dans les États du Centre, et les régions d’industries textile et minière. Les IWW furent impliqués dans plus de 150 grèves, dont la grève du textile de Lawrence (1912), la grève de la soie de Paterson (1913) et the Mesabi range (1916). Ils furent aussi engagés dans ce qui est connu comme l’Émeute de Wheatland Hop, le 3 août 1913.

Entre 1915 et 1917, l’Organisation des ouvriers agricoles (AWO) de l’IWW regroupa des centaines de milliers d’ouvriers agricoles saisonniers dans tout le Midwest et l’Ouest des États-Unis, les inscrivant et les syndiquant souvent dans les champs, les chemins de fer et les jungles hobo10. Durant cette période, les IWW furent pratiquement confondus avec les hobos. Les travailleurs itinérants ne pouvant guère s’offrir d’autres moyens de transport pour rejoindre leur prochain lieu de travail, les wagons de marchandises couverts, appelés par les hobos « side door coaches » (voitures à porte latérale) étaient fréquemment recouverts d’affiches de l’IWW. La carte de membre de l’IWW était considérée comme suffisante pour voyager par le train. Les travailleurs obtinrent souvent de meilleures conditions de travail en utilisant l’action directe sur le lieu de production, et faisant grève "sur le tas", ralentissant consciemment et collectivement leur travail. Les conditions de travail des ouvriers agricoles saisonniers connurent une énorme amélioration grâce au syndicalisme Wobbly.

Tirant parti du succès de l’AWO, le Syndicat des Travailleurs Forestiers Industriels de l’IWW (Lumber Workers Industrial Union) (LWIU) utilisa des procédés similaires pour organiser les bûcherons et autres travailleurs forestiers, tant dans le Sud profond que sur la côte pacifique du Nord-Ouest des États-Unis et du Canada, entre 1917 et 1924. La grève des forestiers de l’IWW en 1917 mena à la journée de travail de 8 heures et améliora grandement les conditions de travail dans le Nord-Ouest, sur la côte pacifique. Même si les historiens du milieu du siècle en attribuent le mérite au gouvernement américain et aux « magnats forestiers visionnaires », c’est une grève de l’IWW qui avait imposé ces concessions.

A partir de 1913, le Syndicat des travailleurs du transport maritime de l’IWW (Marine Transport Workers Industrial Union) montra qu’il constituait une force avec laquelle il fallait compter. Il rivalisa avec les syndicats de l’American Federation of Labor pour prendre l’ascendant dans l’industrie. Étant donné son engagement en matière de solidarité internationale, ses efforts et ses succès dans le domaine ne furent pas surprenants. Local 8, une section du syndicat était dirigée par Ben Fletcher ; il avait recruté principalement des dockers afro-américains sur les quais de Philadelphie et de Baltimore. Il y avait encore d’autres dirigeants, comme l’immigrant suisse Waler Nef, Jack Walsh, E.F. Doree, et le marin espagnol Manuel Rey. L’IWW était également présente sur les quais de Boston, New York, La Nouvelle-Orléans, Houston, San Diego, Los Angeles, San Francisco, Eureka, Portland, Tacoma, Seattle, Vancouver, ainsi que dans des ports des Antilles, du Mexique, d’Amérique du Sud, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Allemagne et d’autres nations.

Les IWW eurent souvent des difficultés à conserver leurs avantages, là où, comme à Lawrence, ils avaient gagné leurs grèves. En 1912, les IWW dédaignèrent les accords de convention collective, et prônèrent la lutte permanente à l’atelier contre le patron. Il s’avéra cependant difficile de maintenir cette sorte d’élan révolutionnaire contre les employeurs. À Lawrence, les IWW perdirent presque tous leurs membres dans les années qui suivirent la grève, car les employeurs sapèrent petit à petit la résistance de leurs employés, et éliminèrent la plupart des plus farouches supporters du syndicat.

Clarice Stasz, biographe de Jack London note que celui-ci « voyait les Wobblies comme un apport bénéfique à la cause socialiste, bien qu’il ne fût pas aussi radical pour appeler par exemple au sabotage ». Elle mentionne une rencontre personnelle entre London et Big Bill Haywood en 1912.

L’efficacité des tactiques non-violentes des IWW provoqua une réaction violente du gouvernement, des milieux patronaux, et de groupes de « citoyens ». En 1914, Joe Hill (Joel Hägglund) fut accusé de meurtre et, malgré uniquement des preuves indirectes, il fut exécuté par l’État de l’Utah en 1915. Le 5 novembre 1916 à Everett, un groupe d’hommes d’affaires, nommés shérifs-adjoints et menés par le shérif Donald McRae, attaqua des membres du syndicat sur le paquebot Verona, en tuant au moins 5 (6 autres ne furent jamais retrouvés et disparurent probablement dans le Puget Sound). Deux membres de la bande furent tués, et bien que les circonstances exactes demeurent inconnues, on pense que les deux adjoints ont été touchés par des « tirs amis ».

De nombreux membres de l’IWW s’opposèrent à la participation des États-Unis au premier conflit mondial. L’organisation vota une résolution contre la guerre à son congrès de novembre 1916. Ceci rappelle l’opinion exprimée au congrès fondateur de l’IWW, que la guerre constitue une lutte des capitalistes entre eux, dans laquelle le riche s’enrichit, et où bien souvent le pauvre meurt des mains d’autres travailleurs.

Le quotidien des IWW, l’Industrial Worker, écrivait, juste avant l’entrée en guerre des États-Unis : « Capitalistes d’Amérique, nous nous battrons contre vous, pas pour vous ! Il n’existe aucune force au monde qui puisse forcer la classe ouvrière à se battre si elle ne le veut pas. » Pourtant, quand la déclaration de guerre fut votée par le Congrès américain en avril 1917, Bill Haywood, secrétaire général et trésorier des IWW, devint fermement persuadé que l’organisation devait adopter un profil bas, afin d’éviter les menaces perceptibles contre son existence. Elle cessa toute activité anti-guerre, comme l’impression d’affichettes et de documents opposés à la guerre. La propagande contre la guerre ne fit plus partie de la politique officielle du syndicat. Après bien des débats au Directoire Général des IWW, Haywood prônant le profil bas, tandis que Frank Little soutenait la poursuite de l’agitation, Ralph Chaplin trouva un compromis. La déclaration qui en résulta dénonçait la guerre, mais les membres des IWW étaient invités à exprimer leur opposition en utilisant les procédures légales de la conscription. On les conseillait de se faire enregistrer, en indiquant leur demande d’exemption par « IWW, opposé à la guerre ».

Bien que les IWW ait modéré son opposition verbale, la presse traditionnelle et le gouvernement américain réussirent à dresser l’opinion publique contre elle. Frank Little, l’opposant de l’IWW le plus virulent à la guerre, fut lynché à Butte dans le Montana en août 1917, juste quatre mois après la déclaration de guerre.

Le gouvernement saisit l’occasion de la Première Guerre mondiale pour briser l’IWW. En septembre 1917, des agents du département de la justice menèrent des opérations simultanées contre quarante-huit locaux de réunion de l’IWW à travers tout le pays. En 1917, cent soixante-cinq dirigeants du syndicat furent arrêtés pour conspiration visant à entraver la conscription, à encourager la désertion, et intimider les autres dans les cas de conflits du travail, conformément à l’Espionage Act ; cent un passèrent en jugement devant le juge Kenesaw Mountain Landis en 1918. Ils furent tous reconnus coupables-—même ceux qui n’appartenaient plus au syndicat depuis des années—-et reçurent des peines de prison allant jusqu’à vingt ans. Condamné à de la prison, mais laissé en liberté provisoire sous caution, Haywood s’enfuit en Union soviétique, où il séjourna jusqu’à sa mort.

Dans son livre "The Land That Time Forgot" (traduction du titre : La terre que le temps oublia), publié en 1918, Edgar Rice Burroughs présentait un membre des IWW comme un traître et un vaurien particulièrement méprisable. Cette vague de dénigrement poussa, en de nombreux endroits, des groupes d’auto-défense à attaquer les IWW. À Centralia le 11 novembre 1919, Wesley Everest, membre du syndicat et ancien combattant, fut remis à la foule par les gardiens de la prison. Il eut, tout d’abord, les dents cassées avec une crosse de fusil, puis fut castré et lynché trois fois en trois endroits différents, et enfin son corps fut criblé de balles, avant d’être enterré dans une tombe anonyme16. Le rapport officiel du médecin légiste attribua le décès à un « suicide ».

Après la guerre, la répression continua. Des membres des IWW furent poursuivis pour infraction à différentes lois fédérales et gouvernementales, et les Palmer Raids de 1920 sélectionnaient les membres de l’organisation qui étaient nés à l’étranger. Au milieu des années 1920, le nombre d’adhésions avait déjà décliné en raison de la répression gouvernementale, déclin qui s’accrut encore de façon substantielle lors du schisme de 1924, causé par des querelles au sein de l’organisation, lorsque le syndicat se divisa entre les "Occidentaux" et les "Orientaux" à propos d’un certain nombre de questions, comme le rôle de l’administration générale (souvent présenté de façon simplificatrice comme une lutte entre les "centralisateurs" et "décentralisateurs") et les tentatives du Parti communiste de contrôler l’organisation par le noyautage.

Joe Hill et l’IWW

L’histoire des IWW

Wobblies et hobos

To read upon IWW – Pour lire sur les IWW

Les fondateurs - The leaders

Eugene Debs (en français)

Eugene Debs (in english)

Bill Haywood (en français)

Bill Haywood (in english)

Daniel De Leon (en français)

Daniel De Leon (in english)

Mary Harris Jones dite Maman Jones (en français)

Mary Harris Jones, called « mother Jones » (in english)

Lucy Ella Parsons (en français)

[Lucy Ella Parsons (in english)

Ralph Chaplin (en français)

Ralph Chaplin (in english)

Carlo Tresca (en français)

Carlo Tresca (in english)

Joe Hill (en français)

Joe Hill (in english)

(au milieu)

Joseph Ettor (in english)

Elisabeth Gurley Flynn (en français)

Elisabeth Gurley Flynn (in english)

Le mouvement syndicaliste révolutionnaire des IWW, rapporté par Daniel Guérin dans "Le mouvement ouvrier aux Etats-Unis (1867-1967)

Le 27 juin 1905, deux cents militants se réunirent à Chicago pour constituer ce qu’ils décidérent d’appeler « The Industrial Workers of the World » (les travailleurs d’industrie du monde)

Ils prétendaient créer, face à la vieille A.F.L. – qu’ils appelaient, d’un calembour, « Separation of Labor » (au lieu de Federation of Labor) -, une nouvelle centrale syndicale. Ils dénonçaient avec véhémence le syndicalisme de métier, d’affaires, de collaboration de classes, lui opposaient la conception d’un syndicalisme d’industrie, de solidarité ouvrière, de lutte de classes. Ils prétendaient procéder à l’organisation de ceux que l’AFL avaient négligés, les non-qualifiés, dont le nombre était sans cesse accru par le développement du machinisme et dans lesquels ils voyaient, à juste titre, la « fondation de granit de la classe ouvrière ».

Les fondateurs des IWW dominaient Gompers de cent coudées. Le manifeste lancé par les militants qui avaient pris l’initative de convoquer le congrès constitutif, les interventions de Haywood à cette assemblée, les discours prononcés par Debs dans une série de meetings de propagande en faveur de la nouvelle organisation, la brochure par laquelle Daniel De Leon commenta le programme des IWW, tous ces textes brillent aujourd’hui encore d’un éclat que le temps n’a pas terni.

Le gompérisme, cependant, a survécu matériellement au réquisitoir porté contre lui. Il y a survécu, pour un temps, et seulement en faisant, bon gré mal gré, des concessions aux idées de l’adversaire. Mais sa condamnation historique date de 1905.

« Les division de métiers, déclarait le Manifeste de 1905, préviennent le développement de la conscience de classe des travailleurs, engendrent l’idée d’une harmonie d’intérêts entre exploiteur patronal et esclave salarié (…). Les maux économiques universels qui affligent la classe ouvrière peuvent être extirpés seulement par un mouvement ouvrier universel. Un tel mouvement de la classe ouvrière est impossible tant que des accords séparés de métier et de salaires favorisent l’employeur contre d’autres métiers de la même industrie, et tant que les énergies sont gaspillées en des luttes de juridiction stériles qui servent seulement à accroître le pouvoir personnel des dirigeants des syndicats. Un mouvement remplissant ces conditions doit consister en une seule grande union industrielle embrassant toute l’industrie (…). Il doit être fondé sur la lutte de classes, et son administration générale doit être conduite en harmonie avec la reconnaissance du conflit irrépressible qui oppose la classe capitaliste à la classe ouvrière. »

Mais, si les fondateurs des IWW étaient armés d’une idée-force, les moyens qu’ils avaient à leur disposition pour la mettre en pratique étaient inadéquats. Le congrès constitutif fut composé surtout de personnalités ne représentant qu’elles-mêmes ou qu’une faible portion des organisations auxquelles elles appartenaient et qui ne les avaient pas délégués.

La seule organisation de masses qui adhéra aux IWW fut la Western Federation of Miners, avec ses 27.000 membres, et son satellite, l’American Labor Union avec 16.500 membres. Mais très vite, dès 1906, les mineurs de l’Ouest décidèrent de reprendre leur liberté. Ils furent indisposés par les querelles de fractions qui avaient éclaté de bonne heure au sein des IWW. L’organisation, au lieu de devenir la centrale syndicale nouvelle à laquelle ils aspiraient devenait un champ clos où des sectes rivales et des individus s’affrontaient. Dans ce milieu où ils constituaient la seule organisation de masses, ils se sentaient dépaysés et ils partirent.

Par ailleurs, la Western Federation commençait à subir une transformation qui devait finalement la ramener à l’AFL et émousser son militantisme… Ce départ fut pour les IWW un coup sévère. La Western Federation était leur colonne vertébrale, en même temps que leur principal bailleur de fonds.

La faiblesse initiale des IWW fut qu’au départ ils ne réussirent pas à entraîner avec eux d’autre syndicat de masses que la Western Federation of Miners. L’absence, notamment, de la fédération des Mineurs de charbon était un handicap irréparable. Les fondateurs du nouveau syndicalisme voyaient juste en estimant que l’AFL n’était pas susceptible de se réformer d’elle-même et que l’initative devait venir du dehors et que l’initative devait venir du dehors. Mais peut-être les IWW sous-estimaient-ils les possibilités de réforme de l’intérieur. Ainsi, la création, en 1898, d’une fédération de Teamsters (camionneurs), au sein de l’AFL, avait fait pénétrer dans la vieille organisation un esprit nouveau. Les Teamsters avaient un sens de la solidarité ouvrière dont ne faisaient guère preuve les vieux syndicats de métier.

Après le départ de la Western Federation of Miners, qui fut consommé définitivement en 1907, on eût pu croire que ce qui restait des IWW allait rapidement se désagréger dans des querelles de sectes. En 1908, une scission coupa les IWW en deux : Daniel De Leon et ses partisans créèrent une variété autoritaire d’IWW, dont le siège fut fixé à Detroit (Michigan), tandis que William Haywood (qui, entre-temps, avait abandonné ses fonctions de dirigeant de la Western Federation of Miners) prenait la tête d’un groupe dit de Chicago. D’un côté, les « politiques », les « doctrinaires » ; de l’autres, les « anarcho-syndicalistes », les « wobblies », partisans de la seule « action directe ». (Wobbly signifie, au sens propre : qui roule ou balance irrégulièrement de droite et de gauche. Il semble que le sobriquet a été inventé par la presse bourgeoise pour tourner en dérision les IWW qui, au contraire, en ont tiré fierté.)

Et pourtant, ce ne fut qu’après ces scissions successives que les IWW, sous la direction de Haywood, firent leur entrée effective dans les luttes sociales aux Etats-Unis. On n’avait plus affaire, comme dans le schéma primitif, à une vaste centrale syndicale destinée à mettre en échec l’AFL, mais à une minorité agissante, à une sorte d’équipe volante prête à se porter immédiatement sur n’importe quel point du champ de bataille et y prendre la tête des luttes engagées par les travailleurs. Ainsi les IWW, s’ils n’accomplirent pas la grande mission qu’ils avaient voulu originellement assumer, rendirent, malgré tout, un important service à la classe ouvrière américaine. Face à la carence du gompérisme, ils furent les seuls à intervenir dans les luttes ouvrières des non-qualifiés.

A l’origine, les IWW avaient été au plus facile : ils n’avaient prêté que peu d’attention aux inorganisés et s’étaient tournés vers les syndiqués mécontents : ils avaient essayé de détacher de l’AFL un certain nombre de sections syndicales de métier. Dans les centres les plus avancés de l’Est, tels que New York et Chicago, ils avaient obtenu quelques résultats. A Shenectady (Etat de New York), fortereresse de la General Electric et fief de l’AFL, ils avaient réussi à déclencher, à la fin de 1906, une grève sur le tas, une des premières du genre aux Etats-Unis. Mais ces tentatives ne les menèrent pas loin. Aussi décidèrent-ils de laisser en paix les fédérations de métier et de consacrer leurs efforts à l’organisation des travailleurs non-qualifiés. Ils se tournèrent, notamment, vers les ouvriers agricoles migrateurs et les bûcherons de l’Ouest, prédisposés par leur isolement et leur instabilité à une révolte libertaire : recours à l’action économique directe, mépris pour toute activité politique, inaptitude à toute forme d’organisation permanente. Ces errants qu’en Amérique on nomme hoboes rejoignirent en masse les IWW et contribuèrent à y assurer la victoire de la tendance anarcho-syndicaliste de Haywood sur la tendance autoritaire représentée par Daniel De Leon. Au congrès de 1908, la « brigade de l’Ouest » constituait à elle seule la moitié des délégués.

Pour satisfaire aux besoins des ouvriers migrateurs et tenir compte de leurs conditions particulières, les IWW imaginèrent une nouvelle tactique de lutte : les free speech fights (combats pour la liberté de parole). L’utilisation de la place publique était le seul moyen de faire de la propagande et du recrutement parmi des travailleurs dispersés et isolés, mais qui se réunissaient périodiquement dans les villes autour des bureaux d’embauche, à la recherche d’un nouvel emploi. Les orateurs de rue étaient jetés en prison ; aussitôt d’autres les remplaçaient. Des équipes volantes d’IWW accouraient du dehors et venaient se faire arrêter à leur tour. Ces free speech fights agitèrent tout l’Ouest entre 1909 et 1911.

En 1910, les IWW s’attaquèrent à l’organisation des bûcherons de Louisiane, Arkansas et Texas. Ceux-ci n’étaient ni des immigrants, ni des migrateurs, mais des Américains de vieille souche, primitifs et violents. Brusquement transformés en salariés et durement exploités, ils furent réceptifs aux arguments des IWW. La grève qu’ils déclenchèrent fut une des plus violentes dans les annales du mouvement ouvrier américain. Mais elle échoua et le syndicat que les IWW avaient aidé à organiser fut écrasé.

En 1912, les IWW se tournèrent vers l’Est et entreprirent la conquête des travailleurs du textile. Les 25.000 travailleurs inorganisés de l’American Woolen Company (lainages), à Lawrence (Massachussets), cessèrent le travail pour protester contre des salaires de famine. Ils étaient, pour la plupart, des immigrants de fraîche date, appartenant à vingt-huit nationalités différentes. Les Italiens prédominaient. Un des dirigeants des IWW, Joseph Ettor, prit la direction de la grève. Il la mena de main de maître.

La petite ville fut mise en état de siège et Ettor arrêté. Haywood vint le remplacer. Un cortège de 10 à 15 mille grévistes lui fit un accueil triomphal. Il procéda à des innovations hardies. Secondé par une militante de valeur, Elisabeth Gurley Flynn, il organisa la solidarité à l’européenne, dirigeant les enfants des grévistes vers les foyers d’amis et de sympathisants dans d’autres villes. Il fit participer les femmes à la lutte et elles se battirent comme des lions. Il installa autour des usines des piquets intinterrompus, composés de milliers de travailleurs. Il sut attirer l’attention de l’opinion publique en faveur des grévistes. Il s’assura des concours dans la presse. Un comité d’enquête fut constitué à Washington et une délégation de seize enfants, garçons et filles, âgés de moins de seize ans, se rendit dans la capitale fédérale pour décrirer les terribles conditions d’existence à Lawrence. Un de ces enfants traita de menteur Samuel Gompers, venu témoigner contre la grève.

Les employeurs finirent par céder. A l’annonce de leur victoire, les travailleurs (fait très rare aux Etats-Unis) chantèrent l’Internationale, en toutes langues. L’effet de cet événement fut immense et dépassa le cadre de Lawrence. 25.000 ouvriers obtinrent, par contrecoup, une augmentation de salaire.

Une autre grève éclata, au début de 1913, dans l’industrie de la soie, à Paterson (New-Jersey). Elle s’élargit en une grève générale de solidarité. Haywood prit la tête du mouvement. Un cortège de 35.000 travailleurs de toutes nationalités se rendit à un meeting pour l’entendre. Il fut arrêté ; lorsque l’AFL organisa à son tour un meeting, les travailleurs le désertèrent, pour protester contre le refus d’accorder la parole aux leaders de l’IWW.

Haywood, qui avait le génie de la publicité, amena 1200 grévistes à New York, où ils défilèrent dans les rues. Un grand meeting fut tenu à Madison Square Garden, éclairé par un gigantesque transparent lumineux, portant, en rouge, les trois lettres « IWW ». Les grévistes exposèrent eux-mêmes leurs conditions d’existence à Paterson, chantèrent des chants qu’ils avaient composés et jouèrent un spectacle retraçant les péripéties de leur lutte. La presse fit de longs compte-rendus. Haywood, toujours innovant, organisa des meetings d’enfants de grévistes, leur fit constituer un comité de grève, développa leur conscience de classe en leur racontant la fascinante histoire d’une cité d’enfants, sans adultes, sans police, sans prisons, sans banques et sans patrons. Malgré tous ces efforts, la bataille se termina par un échec.

Le soulèvement du textile frappa fortement l’imagination des travailleurs des industries de production de masse, dont l’organisation avait été totalement négligée par l’AFL. En 1913, à Akron (Ohio), la cité du caoutchouc, les travailleurs inorganisés des grandes usines de pneus se soulevèrent spontanément. Les IWW prirent la direction du mouvement. Bientôt 20.000 ouvriers du caoutchouc furent en grève. L’infatiguable Haywood accourut. Aidé de James P. Cannon, le future leader trotskyste, il organisa, comme à Lawrence, des piquets de masses. Ici, l’union des syndicats AFL soutint le mouvement et envisagea de déclencher une grève générale. Mais le mouvement, finalement, échoua. Une des causes de cette défaite fut l’attitude hostile de William Green, de la fédération des Mineurs, futur successeur de Gompers, à la direction de l’AFL. Alors sénateur de l’Ohio et président d’une commission d’enquête législative, il dénonça les leaders IWW, les traitant d’ « agitateurs du dehors ».

De même, à Detroit (Michigan), autre forteresse de la nouvelle grande industrie, les wobblies déclenchèrent une grève, au cours de l’été 1913, dans l’usine Studebaker. 8000 travailleurs, tous inorganisés, débrayèrent durant une semaine. Ils firent preuve d’une remarquable cohésion, mais le mouvement manqua son but. Presque en même temps, les organisateurs IWW concentrèrent leurs efforts sur les usines Ford, qu’ils inondèrent de journaux et de tracts, tandis que des orateurs haranguaient les travailleurs aux portes de l’entreprise. Le bruit courut que les wobblies préparaient une grève chez Ford pour l’été 1914. C’est alors que Ford, se sentant menacé, inaugura sa politique des « hauts salaires ».

Trois ans plus tard, en 1916, les mineurs des gisements de fer de Minnesota, le Mesaba Iron Range, qui extrayaient la matière première nécessaire aux acieries de Pittsburgh et de Chicago, se révoltèrent à leur tour. Ces immigrants de fraîche date, pour la plupart d’origine finlandaise, se cherchèrent une direction. Les IWW répondirent à leur appel. Joseph Ettor et Elisabeth Gurley Flynn se rendirent sur place. La grève devint générale et engloba 16.000 mineurs. Finalement l’US Steel accorda une augmentation de salaire de 10%, la journée de huit heures et de meilleures conditions de travail.

Cependant, après 1914, les IWW dirigèrent à nouveau l’essentiel de leurs efforts vers l’Ouest. Malgré les succès qu’ils avaient remporté dans l’Est, ils n’avaient pas réussi à y constituer une organisation permanente et la crise économique qui sévissait alors réduisit la combativité des ouvriers non qualifiés des régions industrielles de la côte Atlantique. En 1915-1916, ils entreprirent d’organiser les travailleurs agricoles, notamment en Kansas, Okhlahoma, Minnesota. Ils réussirent à syndiquer 18.000 ouvriers migrateurs. Puis ils se tournèrent vers les bûcherons du Nord-Ouest et les mineurs de cuivre de l’Arizona.

En 1917, les IWW atteignirent leur apogée, au moins quant au nombre des adhérents. En un an, ils étaient passés de 40.000 à 100.000. Mais l’entrée en guerre des Etats-Unis déchaîna contre eux une féroce répression. Toutes les forces conjointes du capitalisme, des pouvoirs poublics, des anciens combattants employés à les écraser. Samuel Gompers, heureux d’être enfin débarrassé d’un rival gênant, donna carte blanche au président Wilson. Des milliers de wobblies furent arrêtés, condamnés à de longues années de prison. Le mouvement fut purement et simplement décapité. Il ne s’en releva jamais.

THE CHICAGO CONVENTION

by

Daniel DeLeon

The Daily People

June 27, 1905

(Note: This article refers to the 1905 industrial unionists’ convention which established the Industrial Workers of the World. — Also, the phrase “the Krag-Jorgensen policy of settling the Labor question” refers to the use of military force to suppress the workers. The Krag-Jorgensen was a rifle that was used by the U.S. Army and National Guard. ”M.L.)

F rederick Engels, next to Karl Marx the greatest Socialist philosopher, reiterates in his great work, “Socialism, Utopian and Scientific,” the old Greek philosophy first clearly enunciated by Heraclitus, who said, “Everything is and yet is not, for everything flows, is in constant motion, is in constant process of formation and dissolution.” In other words, life is not a fixed but an ever changing and growing phenomenon. In no phase of life is this philosophy so applicable in its general features as in the economic and social spheres of man. There integration and disintegration are constant and incessant.
Today, a great portion of the working class of this country is turning its gaze in the direction of Chicago. In the Great Lakes city of the West there opens today a convention of workingmen, which, judging from the manifesto calling it, is destined to mark an important change in the history of labor in this country. This convention promises to launch an economic organization of the working class on the lines of the conflicting interests of capital and labor, in direct contradistinction to the prevailing organization, that is based on the principle of the mutual interests of capital and labor. Such an organization necessarily demands integration and disintegration. It necessarily ignores those who regard the present form of trade unionism as fixed and stable, and proceeds to build up in conformity with sound principles, philosophical as well as economic.

That such promises as those of the Chicago manifesto have been held out before and have ended in comparative failure—that the Socialist Trade and Labor Alliance and the American Labor Union, for instance, have attempted the same thing with a measure of success less than that confidently expected—is no valid reason for discrediting such promises, or not aiding in the work that would fulfill them - integration and disintegration are processes that must often be accompanied by failure and experimentation in order to be finally successful. The fact that the efforts to launch a classconscious organization of labor are attaining a certain cumulative force, despite their comparative failures, argues well for their final triumph.

Another fact, worthy of consideration, is the more favorable condition of affairs in which the new organization will be launched.

First, it is backed by a large number of weekly and monthly papers, free from the throttling influences of capitalist trade unionism that ever supported such a movement before. Headed by the DAILY and WEEKLY PEOPLE, and the Swedish, Jewish, German, Hungarian and Italian organs of the Socialist Labor Party, it has a press that wields a wide influence and can do much constructive as well as destructive, much defensive as well as offensive, work in its behalf. Again, the growth of Socialist sentiment and revolutionary Socialism are factors that cannot be ignored. They possess a power for good in combating the fallacious and treacherous workings of capitalist unionism, that was not so conspicuously present in the past attempts of the kind promised by the Chicago manifesto. With them present, capitalist reasoning and calumny no longer possess the field undisturbed, but are confronted by opponents whose increasing strength threatens them with overwhelming disaster.

Finally, the new movement has the existing disgust against the treachery and futility of Gompersism, combined with its disintegrating tendencies, to aid it. The working class look from Frisco to Fall River. They note mutual scabbery, bribery and defeat everywhere. They note the National Civic Federation and its malignant influence in their affairs, as exemplified in the subway strike. They are, accordingly, alive to Gompersism’s impotency and treachery. Moreover, and above all, they note the organic changes in the system of capitalism itself, and the corresponding fallacy of the Gompers unionism. Hence, they are leaving the latter and are turning toward classconscious unionism, with all that implies. When were the promises of such unionism ever more favorable and worthy of support? Never before in the history of the American labor movement.

It is to be hoped that the Chicago convention is alive to these facts, and will improve upon them. A step backward from the manifesto would be deplorable, while conditions justify many steps forward. The mere declaration of Industrial Unionism will not suffice without the determination to make classconsciousness the essence of the new movement.

Some sapient “Socialists” proclaim the International Typographical Union an Industrial Union, because it includes in its ranks many branches of the printing industry. The fact that these are the better paid branches, who use the inferior branches to raise their own salaries exclusively, a was done in the Brooklyn Eagle strike, doesn’t affect the thinking apparatus of these wiseacres any. Nor does the International Typographical Union’s endorsement of the Krag-Jorgensen policy of settling the Labor question, have the slightest impression upon their “wisdom.” They, now as always, are pleased with the form, for the essence is beyond them. Save us from such “industrial unionism.” It is the old poisonous adulteration with a new label!

If the Chicago convention measures up to its duty and answers labor’s prayer for relief, it will progress as it deserves. Otherwise retrogression will be its lot, while integration and disintegration will continue in the world of labor as of yore.

Max Eastman 1921

Bill Haywood, Communist

The title of this article will be interesting news to those who have always loved the I.W.W., and felt that it is the only real contribution America has made to political history since 1789. We have been a little saddened of late years to see the rigidity and lethargy of age creeping over the I.W.W. It seems as though all organizations which do not achieve within ten or fifteen years the purpose for which they are formed begin to be more interested in themselves than they are in their purpose. That instinctive gregarious loyalty which made them possible in the beginning makes them stiff and complacent and useless in the end. Have a split and start a new organization every ten years, might almost be a universal rule — a 22nd point — for the guidance of revolutionary movements. And it seemed as though even the I.W.W. were not going to escape the application of this rule.
But something is happening. The long arm of the Moscow engineers is active in Chicago. Tired, discouraged, jail-worn and work-worn editors and organizers are talking about a new subject with a new enthusiasm — an enthusiasm that Bill Haywood describes as “quiet and warm.” The subject they are talking about is an endorsement of the International Council of Trade and Industrial Unions, affiliation with it, and the resolute fulfillment of its purposes in this country.
“I would like to see a unanimous vote for affiliation on the part of the I.W.W.,” Bill Haywood said to me. “I only want to live to see the dream of the Red Labor International come true. That’s all I want. That’s the I.W.W.”

He had in his pocket a leaflet written by an English delegate to the Council, J.T. Murphy. In that he showed me a footnote stating that the delegates had voted to draft an appeal to the I.W.W., and to other organizations of syndicalist tendency which had not yet declared for affiliation.

“That got me,” he said. “To think of the workers of several nations, including one nation of a hundred and eighty million, causing the draft of an appeal to the I.W.W.! That shows what has happened to the world. I don’t have to wait for their appeal. I’ve read their plans and their instructions, and I know this is something at last that we can work with. They are carrying out the original aims and purposes of the I.W.W., and you can say for me that I think every genuine labor union in the United States ought to affiliate with the International Council of Trade and Industrial Unions with its central bureau at Moscow.”
I asked him whether he though the IWW would affiliate with it at their convention in May, and he said, “I have not heard a word in opposition.”

Bill Haywood is not the IWW, of course, and he is not at present in a position to speak for its executive policies. But he represents, more than any other one man could, the memory and momentum of it. He was the chairman of the first conference that considered its formation, and the chairman of the first convention when it was called. He has never been absent from its counsels except when he was in jail. And even when the executive work was in other hands, he has always stood out in the public storm as the head of the IWW. He has stood out in the storm with something of the impassive grandeur of a monument. Slow-moving, but powerfully self-possessed and intelligent, Bill Haywood occupies a position of real influence in America among those who are not foolish enough to believe the newspapers. And I imagine that this present change, or development, of his judgement about the tactics of the revolution, is an indication, not only that the IWW is going to swing again into its place in advance of the front line, but that American industrial unionists in general are going to accept the larger political philosophy of Communism.

Bill Haywood is no more friendly to the idea of political campaigning, or what is called “parliamentary action,’ than he ever was — not a bit. But he fully accepts the necessity of a genuinely revolutionary party forming the vanguard of the movement of the revolution.

“I feel as if I’d always been there,” he said to me. “You remember that I used to say that all we needed was fifty thousand real IWWs, and then about a million members to back them up? Well, isn’t that a similar idea? At least I always realized that the essential thing was to have an organization of those who know. Don’t call them leaders. I call them engineers.”

I did remember Bill Haywood’s remark about the fifty thousand IWWs. I remember what a wild idea it seemed to me at the time. But I also remembered that in those days his fifty thousand engineers were to be pure industrial unionists, and he seemed to conceive the whole movement then as essentially a fight for the shops. I asked him what had produced the change.

“It is simply because they have done wonderful things over there that we have been dreaming about doing over here,” he said. “It is the fact, the example, that has caused any change in me that may seem contradictory. And even now I would hesitate to confirm such a movement if everything that emanated from Moscow did not show that they want to put the workers in control, and eventually eliminate the state.”

Here Bill Haywood delivered a short eulogy of the Bolshevik revolution, and what he said would astonish a great many people who know him only as the terrible bad Man of America with one eye and a great big Black hat.

“Max,” he said, clenching one of his exceedingly small hands in a gesture firm but not very ferocious, “to say nothing of the expropriation of industry, the thing of greatest importance, they’ve already accomplished three other things over there, any one of which would justify such a revolution there, or here, or anywhere else. Shall I tell you what they are?

“The first is the education of the children. I Russia every child gets food and clothing and books and amusement and a real education. And, by God, for that one thing alone I’d favor a revolution in this country!

“And the second is the relief that has been given to women in motherhood. In this country we do it for thoroughbred horses and pedigreed cattle. In Russia every woman is supported for eight weeks after confinement. That is the work of Alexandra Kollontay — a good friend of mine — and that again is enough all by itself to justify a revolution.

“The third thing is the transfer of land to the peasants. The peasants have control of the land, and of course that is a more fundamental thing.”

I asked him for the reason why American labor is so much behind the labor movements of Europe in following the lead of the Russians, and he said, “The principal reason is the A.F. of L.”

“Do you think it is possible for the revolutionists to capture the A.F. of L.?” I asked.

“Some parts of it,” he answered. “Only I would not say capture them, I would say educate them.”

I asked him what parts he referred to, and he said after a moment of hesitation:

“The United Mine workers. That is already an industrial union, and it is the body of the A.F. of L. the craft unions are its arms and tentacles. The craft unions are what enable the A.F. of L. to strangle any germs of life or inspiration that may come to American labor.

“To the general way of thinking it is the official bureaucracy that is responsible for this. It isn’t. It is the craft unions with their high initiation fees, and their policies of excluding the unskilled workers, and even excluding skilled workers who have not served a long conventional apprenticeship. A further thing that outsiders do not understand about these unions is that they are absolutely controlled by the Lodges — Masons, Moose. Knights of Columbus and so forth — working through organized groups within them. It is these Lodges that elect their officials and direct their policies, and it is from these groups within them rather than from the unions themselves that the workers receive what benefits they do receive.

“But if you say that the United Mine Workers are the body of the A.F. of L.,” I said, “and that it is possible to bring the United Mine Workers to a revolutionary attitude, isn’t that practically saying that it is possible for the revolutionists to capture the A.F. of L.”

Bill Haywood’s answer to this question was immediate and brief. “if the United Mine Workers do anything,” he said, “then the A.F. of L. is no more.”

“Do you mean,” I asked, “that the organization would transform itself into something entirely new, or that the United Mine Workers would withdraw and leave nothing?”

He smiled at my word, transformation. “I don’t know what kind of a bug it would germinate into. It certainly wouldn’t be a butterfly that would come out of that chrysalis.”

“No,” he continued, “you don’t realize what the A.F. of L. is. The A.F. of L. is nothing but an executive Board, receiving a small per capita tax from a large membership — a tax sufficient to maintain their office, and pay their salaries, and keep up a lobby at Washington — an executive Board that in thirty-nine years of its existence has never done a single thing fro the American working-class.

“That is what the A.F. of L. is. And if the unions that form the body of that membership acquire a revolutionary understanding the A.F. of L. will cease to exist. That is the only answer there is to this question.”
“Do you believe,” I asked, “that in such a case the United Mine Workers would associate themselves with the I.W.W.?”

“Perhaps not,” he said. “If the United Mine Workers become revolutionary and don’t want to become part of the IWW, the IWW can become a part of them, or whatever they form.”

It was that statement — which like practically all the statements in the interview, is quoted verbatim — that made me feel most vividly the magnanimous practicalness of mature communism in Bill Haywood’s attitude.

“The IWW reached out and grabbed an armful,” he said. “It tried to grab the whole world, and a part of the world has jumped ahead of it.”

Read in english upon the IWW

1917

L’Internationale Communiste aux I. W. W. (Travailleurs Industriels du Monde)

Janvier 1920

Camarades et Frères ouvriers,

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste réuni à Moscou, au cœur de la Révolution russe, salue en les Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) le prolétariat révolutionnaire d’Amérique.
Le Capitalisme, ruiné par la guerre mondiale, incapable de contenir plus longtemps les forces immenses qu’il a créées, est à son déclin.
L’heure de la classe ouvrière sonne. La révolution sociale est commencée et son premier combat d’avant-garde s’est livré en Russie.
L’histoire ne nous a pas demandé si nous le voulions ou non, si nous étions prêts ou non. L’occasion s’offre à nous. Saisissons-la et le monde appartiendra aux travailleurs ; laissons-la passer et des générations entières s’éteindront avant qu’elle se représente.
Il n’est plus temps de parler « d’édifier la société nouvelle dans les cadres de l’ancienne ». La vieille société brise son enveloppe. Il appartient aux travailleurs d’établir la dictature du prolétariat qui, seule, peut édifier la société nouvelle.

Un article publié par votre organe officiel One Big Union Monthly demandait : « Pourquoi devons-nous suivre les bolcheviks ? » L’auteur estimait que la révolution bolchevik n’avait « donné au peuple russe qu’un droit de vote ».

Ceci est naturellement faux. La révolution bolchevik a dépossédé les capitalistes des manufactures, des minoteries, des mines, des terres, des institutions financières et a tout transmis à la classe ouvrière.
Nous comprenons et nous partageons votre dégoût des principes et de la tactique des politiciens « jaunes » qui ont discrédité dans le monde entier le terme même de « socialisme ». Notre but est le même que le vôtre : une communauté sans État, sans gouvernement, sans classes dans laquelle les travailleurs administreront la production et la répartition dans l’intérêt de tous.

Nous vous adressons ce message, camarades ouvriers de l’Association Internationale des Travailleurs du Monde (I. W. W.) comme un témoignage de reconnaissance pour la part héroïque que vous prenez depuis si longtemps à la lutte des classes que vous avez fait naître dans votre pays, et afin de bien vous faire connaître nos principes communistes et notre programme.

Nous vous invitons, vous, révolutionnaires, à vous rallier à l’Internationale Communiste, née à l’aurore de la révolution sociale universelle.

Nous vous invitons à prendre la place à laquelle votre courage et votre expérience révolutionnaire vous donnent droit, au premier rang de l’Armée rouge prolétarienne combattant sous la bannière du communisme.

Le Communisme et les I. W. W.

La classe capitaliste américaine se révèle sous ses véritables couleurs.
La cherté croissante de la vie, le chômage de plus en plus grave, la répression impitoyable de tous les efforts faits par les ouvriers pour améliorer leur condition, la déportation et l’emprisonnement des « bolcheviks », les lois contre les grèves, contre le « syndicalisme criminel », contre le « drapeau rouge », contre toute propagande en faveur du « renversement par la violence du gouvernement et les atteintes à la propriété », — toutes ces lois et ces mesures ne peuvent avoir aux yeux du travailleur conscient qu’une signification.
L’esclavage industriel est aussi vieux que le capitalisme ; et les travailleurs ont connu avant lui d’autres formes d’esclavage.
Mais à présent les capitalistes du monde, — Américains aussi bien que Français, Italiens, Anglais, Allemands, etc. — nourrissent le dessein de réduire définitivement les travailleurs à une servitude absolue et sans issue.

Il n’y a pas d’autre alternative : ou cette servitude, ou la dictature de la classe ouvrière. Et les travailleurs doivent choisir maintenant.
Le capitalisme fait des efforts désespérés pour reconstruire son édifice ébranlé. Les travailleurs doivent, par un coup de force, s’emparer de l’Etat et reconstruire la société selon leurs intérêts.

Le nouvel esclavage

Avant la Guerre de Sécession, les esclaves nègres étaient, dans les États du Sud, attachés au sol. Les capitalistes industriels du Nord auxquels il fallait, pour fournir de main-d’œuvre leurs manufactures, une population flottante, proclamèrent l’esclavage, une offense à l’humanité, et l’abolirent par force. Or, les capitalistes industriels tentent aujourd’hui d’attacher les travailleurs à leurs manufactures.
Pendant la guerre, et dans tous les pays, les ouvriers perdirent pratiquement leur droit de grève et même relui d’interrompre le travail. Rappelez-vous les lois qui sévirent dans votre propre pays : travaille ou combats !

Et depuis que la guerre s’est terminée, que voyons-nous ? Le coût de la vie s’est accru de plus en plus, tandis que les capitalistes s’efforçaient de diminuer les salaires. Et, quand les ouvriers sont acculés par la faim à la grève, toutes les forces de l’État sont mobilisées contre eux pour les contraindre à reprendre le travail. Quand les cheminots cessèrent le travail en Californie, on les menaça de faire intervenir contre eux les troupes fédérales. Quand la Fraternelle des mécaniciens cheminots exigea une augmentation de salaires ou la nationalisation des chemins de fer, le président des États-Unis la menaça de toutes les rigueurs de la répression par les armes. Quand les mineurs américains quittèrent leurs puits, des milliers de soldats occupèrent les mines et la cour Fédérale adopta contre la grève les mesures les plus cyniques, défendant aux leaders d’ordonner la cessation du travail et interdisant le versement de secours aux grévistes. L’Attorney-Général des États-Unis finit par déclarer officiellement que le gouvernement ne tolérerait pas de grèves dans les industries « nécessaires à la communauté ».
Le juge Garry, qui se trouve à la tête du trust de l’acier, peut répondre par un refus au Président de la République qui lui demande de bien vouloir négocier avec un comité d’ouvriers. Mais quand les travailleurs de l’acier se mettent en grève, revendiquant un salaire qui leur permette de vivre et le droit élémentaire de se syndiquer, ils sont traités de bolcheviks et fusillés dans les ruée par les cosaques pennsylvaniens.

Et vous, camarades I. W. W., vous qui gardez les souvenirs amers d’Everett, de Tulsa, de Wheatland, de Centralia, où vos camarades furent massacrés ; vous dont des milliers de frères sont dans des geôles, vous qui accomplissez néanmoins le plus dur labeur dans les champs, dans les docks, dans les forêts, vous devez distinguer nettement le procédé grâce auquel les capitalistes tentent en se servant de leur arme éprouvée, l’Etat, d’instituer une société d’esclaves.

Le cri des capitalistes : « Produire plus ! Produire encore ! » retentit de toutes parts. En d’autres termes, les travailleurs ont à fournir plus de travail pour un moindre salaire, afin que leur sueur et leur sang monnayés servent à payer les dettes de guerre du monde capitaliste dévasté.

Pour qu’il en soit ainsi, les travailleurs doivent être privés du droit de quitter le travail ; ils doivent être empêchés de s’organiser afin d’arracher des concessions aux patrons ou de profiter de la concurrence entre ceux-ci. Le mouvement ouvrier doit être arrêté et brisé à tout prix.

Pour sauver le vieux système d’exploitation, les capitalistes doivent s’unir et enchaîner le travailleur à la machine.

La révolution sociale

Les capitalistes y réussiront-ils ?

Ils y réussiront à moins que les travailleurs ne déclarent la guerre au système capitaliste tout entier, ne renversent les gouvernements capitalistes et ne les remplacent par le gouvernement de la classe ouvrière qui doit détruire la propriété privée capitaliste et instituer la propriété commune de toutes les richesses.

C’est ce que les travailleurs russes ont fait et c’est la seule façon pour les ouvriers des autres pays de se libérer du servage industriel et d’organiser le monde, en sorte que le travailleur bénéficie du produit intégral de son travail et que nul ne puisse monnayer le travail d’autrui.
Mais si les travailleurs des autres pays ne s’insurgent pas contre leurs propres capitalistes, la révolution russe ne pourra tenir. Les capitalistes du monde entier, comprenant le danger que leur fait courir l’exemple de la Russie des Soviets, se sont coalisés pour la tuer. Les Alliés, oubliant à l’instant leur haine de l’Allemagne, ont invité les capitalistes allemands à se joindre à eux dans l’intérêt commun.
Et les travailleurs des autres pays commencent à comprendre. En Italie, en Allemagne, en France, en Angleterre, le flot de la révolution monte. En Amérique même les membres si conservateurs de l’American Federation of Labor se rendent compte que les grèves pour des augmentations de salaire et pour de meilleures conditions d’existence sont en réalité dépourvues de signification, le coût de la vie subissant une hausse constante. Ils ont proposé toutes sortes de remèdes à cette situation, réformes du « Plan Plumb », nationalisation des mines, etc. Ils ont fondé un soi-disant Parti du Travail (Labor Party) qui se donne pour but de réaliser la propriété municipale ou gouvernementale de l’industrie, un mécanisme électoral plus démocratique, etc.

Mais ces réformes, si même elles étaient accomplies, ne pourraient résoudre le problème. Tant que subsistera le système capitaliste, des hommes monnayeront le travail d’autrui. Toutes les réformes du système actuel ne font que leurrer le travailleur en lui faisant croire qu’il est un peu moins volé qu’auparavant.

La révolution sociale a commencé et sa première bataille se poursuit en Russie. Elle ne laisse pas aux travailleurs le temps d’expérimenter des réformes. Les capitalistes ont déjà détruit la république hongroise des Soviets. S’ils réussissent à juguler et briser le mouvement ouvrier dans les autres pays l’esclavage industriel sera fondé.

Avant qu’il soit trop tard, les travailleurs conscients doivent se préparer à repousser l’assaut du capitalisme, et à prendre à leur tour l’offensive pour le vaincre et l’extirper du monde.

L’État Capitaliste

La guerre et ses conséquences ont révélé avec une netteté saisissante les fonctions réelles de l’Etat capitaliste — de ses législations, de ses tribunaux, de ses polices, de ses armées, de sa bureaucratie.

L’État sert à défendre et affermir le pouvoir capitaliste et à brimer les travailleurs. Tout ceci est particulièrement vrai aux États-Unis, dont la constitution fut conçue par des négociants, des spéculateurs et des propriétaires fonciers dans le dessein de protéger leurs intérêts de classe contre la majorité du peuple.

Quant à présent, le gouvernement des États-Unis n’est évidemment qu’une arme des capitalistes contre les travailleurs.

Les I. W. W. doivent le comprendre mieux que quiconque, pour avoir été rageusement persécutés par le gouvernement, pour avoir vu leurs leaders emprisonnés, leurs journaux supprimés, leurs membres déportés ou emprisonnés sous des inculpations forgées de toutes pièces, leurs cautions refusées, leurs prisonniers torturés, mis au secret, leurs locaux fermés, leur propagande réduite dans certains États à devenir clandestine.

Les travailleurs voient cela. Le peuple élit les gouverneurs, les maires, les juges, les sheriffs ; mais en temps de grève, le gouverneur convoque la milice pour défendre les renards ; le maire ordonne à la police d’assommer et d’arrêter les militants dans les rues ; le juge les inculpe « d’avoir troublé l’ordre », les qualifie « émeutiers » et les emprisonne, et le sheriff salarie des malandrins qu’il délègue en qualité de briseurs de grève...

La société capitaliste tout entière présente aux travailleurs un front unique.

Le prêtre lui dit de se résigner ; la presse le maudit et le traite de « bolchevik » ; la police l’arrête ; le tribunal le condamne ; le sheriff le fait saisir pour dettes, et l’asile des pauvres accueille sa femme et ses enfants.

Pour détruire le capitalisme, les prolétaires doivent tout d’abord arracher aux capitalistes le pouvoir politique. Ils ne doivent pas se borner à s’en emparer ; ils doivent abolir entièrement le vieil état capitaliste.

Car l’expérience des révolutions a montré que les travailleurs ne peuvent pas s’emparer de l’État et s’en servir — comme les socialistes jaunes le soutiennent. L’État capitaliste est édifié pour servir le capitalisme ; il ne peut rien faire d’autre.

En lieu et place de l’État capitaliste, les travailleurs doivent édifier leur propre état, la dictature du prolétariat.

La dictature du prolétariat

De nombreux membres de l’I. W. W. refusent d’en convenir. Ils sont adversaires de « tout État, de façon générale ». Ils se proposent de renverser l’État capitaliste et d’instituer immédiatement le Communisme industriel (Industrial Cornmonwealth).
Les Communistes sont aussi les ennemis de l’État. Ils veulent aussi l’abolir et substituer au gouvernement des hommes l’administration des choses.

Malheureusement la chose ne peut être faite sur-le-champ. La destruction de l’État capitaliste ne signifie pas que le capitalisme disparaît automatiquement et immédiatement. Les capitalistes ont d’autres armes qu’il faut leur arracher ; ils sont encore défendus par des légions de bons employés, d’administrateurs, de directeurs, d’habiles hommes d’affaires qui saboteront l’industrie — et qu’il faut persuader ou contraindre à servir la classe ouvrière ; ils ont des officiers qui peuvent trahir la révolution, des prêtres qui peuvent dresser contre elle les vieilles superstitions, des professeurs et des orateurs qui peuvent la déformer aux yeux des ignorants, des gredins que l’on peut stipendier pour la discréditer, des journaux qui peuvent tromper le peuple par de continuels mensonges, des socialistes jaunes et de soi-disant travaillistes qui préfèrent la démocratie capitaliste à la révolution. Leurs efforts doivent être sévèrement réprimés.

Jeter bas l’édifice de l’État capitaliste, briser la résistance de la classe capitaliste et la désarmer, confisquer ses propriétés et les transmettre à la communauté des travailleurs — ces tâches nécessitent un gouvernement, un Etat, la dictature du prolétariat au moyen de laquelle les prolétaires peuvent d’une main de fer, briser la classe ennemie.

C’est ce qui se passe actuellement en Russie.

Mais la dictature du prolétariat n’est que temporaire. Communistes nous voulons aussi l’abolition de l’Etat. L’Etat ne peut durer qu’autant que se prolonge la guerre des classes. La fonction de la dictature du prolétariat est d’abolir la classe capitaliste en tant que classe ; en fait de supprimer toutes distinctions de classes. Ce but atteint, la dictature du prolétariat, l’État disparaîtra automatiquement — cédant la place à une administration industrielle, vraisemblablement analogue au Bureau Exécutif Général de l’I. W. W.

Dans un récent article, Mary Marcy écrit que sans reconnaître théoriquement la nécessité de la dictature du prolétariat, les I. W. W. seront contraints de l’admettre en fait en temps de révolution, afin de vaincre la contre-révolution.

Voilà qui est vrai. Mais si l’I. W. W. se refuse à reconnaître par avance la nécessité de l’Etat ouvrier, la confusion et la faiblesse risquent de sévir dans ses rangs aux heures où la fermeté et la rapidité d’action lui seront impérieusement nécessaires.

L’État Ouvrier

Quelle sera la forme de l’État Ouvrier ?

Nous avons sous les yeux l’exemple de la République des Soviets russes dont il est peut-être utile d’indiquer ici la structure trop souvent déformée à l’étranger par des informations contradictoires.

L’unité de gouvernement est le Soviet local ou Conseil des députés ouvriers, soldats rouges et paysans.

Dans les villes, le Soviet est élu comme suit : chaque fabrique élit un délégué pour tant d’ouvriers et chaque syndicat local en élit un certain nombre d’autres. Ces délégués sont élus sur des listes de partis politiques ou à titre individuel, au gré des ouvriers.

Les députés de l’armée rouge sont élus par leurs unités.

Dans les campagnes, chaque village a son Soviet qui envoie des délégués aux Soviets des villes qui élit à son tour le Soviet du District. Ceux-ci forment de la même manière le Soviet de la province.
Quiconque exploite le travail d’autrui ne peut voter.

Tous les six mois, les Soviets des villes et des provinces élisent des délégués qu’ils mandatent au Congrès Panrusse des Soviets qui est, dans le pays, l’autorité suprême. Le Congrès décide pour six mois des principales mesures politiques et choisit les deux cents membres du Comité Exécutif Central, chargés d’appliquer les mesures édictées par le Congrès. Le Congrès élit aussi un Cabinet — celui des Commissaires du Peuple.

Les mandats de ces derniers sont révocables à tout moment par le Comité Exécutif Central. Les membres des Soviets peuvent de même être rappelés par leurs commettants.

Ces Soviets ne sont pas seulement des organes législatifs mais aussi des organes exécutifs. Contrairement au Congrès américain ils ne se bornent pas à confectionner des lois que le Président est ensuite chargé de promulguer et d’appliquer ; et il n’y a pas de cour suprême chargée de décider si la mesure adoptée est ou non « constitutionnelle ».

Dans l’intervalle entre les réunions du Congrès Panrusse des Soviets le pouvoir suprême appartient en Russie au Comité Exécutif Central. Ce comité se réunit au moins tous les deux mois et dans l’intervalle la direction des affaires est remise au Conseil des Commissaires du Peuple, tandis que les membres du Comité Exécutif Central travaillent dans leurs régions respectives.

Organisation de la production et de la répartition des produits

Les travailleurs sont en Russie organisés en syndicats, tous les ouvriers d’une industrie appartenant à leur syndicat. Ainsi, les charpentiers et les peintres travaillant dans une usine métallurgique font partie du Syndicat des Ouvriers Métallurgistes. Chaque usine constitue un syndicat local et son Comité de fabrique (Shop Committee) élu par les travailleurs a le rôle d’un Comité Exécutif.
Le Comité Exécutif Central Panrusse des Syndicats Fédérés est élu par le Congrès annuel des Syndicats. Un Comité spécial élu par ce même congrès établit le barème des salaires.

A peu d’exceptions près la plupart des grandes usines russes ont été nationalisées et sont en ce moment propriété de la communauté ouvrière. La tâche des syndicats n’est donc plus de combattre le capitalisme mais bien de diriger l’industrie.

Le Commissariat du Travail du gouvernement des Soviets travaille en plein accord avec les Syndicats. Il n’est d’ailleurs élu par le Congrès des Soviets qu’avec l’approbation des Syndicats.

Un Conseil Supérieur de l’Économie populaire élu a la charge de diriger la vie économique du pays. Il est divisé en sections, telles que celles des métaux, de l’industrie chimique, etc., chacune ayant à sa tête des techniciens et des ouvriers désignés par le Conseil Supérieur avec l’approbation des Syndicats.

La production est, dans chaque usine, dirigée par un Comité de trois membres : un représentant du Comité de Fabrique, un représentant du Comité Exécutif Central des Syndicats et un représentant du Conseil Supérieur de l’Économie populaire.

Centralisation démocratique

Les Syndicats forment ainsi une branche du gouvernement et ce gouvernement est le plus hautement centralisé qu’il y ait.
C’est aussi le gouvernement le plus démocratique que l’histoire connaisse. Car tous les organes du gouvernement sont en contact permanent avec les masses ouvrières et sous leur influence directe. Les soviets locaux jouissent, en outre, dans la Russie entière, d’une complète autonomie qui leur permet de diriger comme ils l’entendent les affaires locales à la condition de se conformer à la politique nationale du Congrès des Soviets. D’ailleurs, le gouvernement des Soviets, ne représentant que les ouvriers, ne peut pas ne pas agir dans leur intérêt.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont adversaires de la centralisation parce qu’ils n’admettent pas qu’elle puisse être démocratique. Mais où il est question de grandes masses, enregistrer les volontés individuelles n’est plus possible ; la volonté des majorités peut seule être notée et la Russie des Soviets est administrée dans l’intérêt commun de la classe ouvrière.

La propriété privée de la classe capitaliste, pour devenir propriété sociale des travailleurs, ne peut pas être remise à des individus ou à des groupes d’individus ; elle doit devenir la propriété de la communauté entière et une autorité centralisée est nécessaire pour accomplir cette transformation.

Les industries qui fournissent aux besoins de la population entière ne concernent pas seulement les ouvriers qu’elles occupent mais intéressent la communauté entière et doivent être administrées au bénéfice de tous. L’industrie moderne est, au reste, si complexe, ses branches sont tellement interdépendantes qu’il faut, pour obtenir avec le maximum d’économie le rendement le plus fort, qu’elle soit soumise, selon un plan d’ensemble, à une direction unique.

La révolution doit être défendue contre les assauts formidables des forces coalisées du capitalisme mondial. De grandes armées doivent être levées, entraînées, équipées, dirigées. Ceci veut dire : centralisation. La Russie des Soviets a pendant deux ans soutenu seule les attaques répétées du monde capitaliste. Eût-il été possible e former une armée rouge forte de plus de deux millions d’hommes sans une autorité centrale directrice ?

La classe capitaliste a une organisation fortement centralisée qui lui permet de jeter toutes ses forces contre les groupements divisés et dispersés de la classe ouvrière. La lutte des classes est une guerre. Pour renverser le capitalisme les travailleurs doivent constituer une armée pourvue d’un état-major, — mais d’un état-major élu et contrôlé par les ouvriers.

En temps de grève tout travailleur sait qu’il faut un comité de grève — un organe centralisé chargé de diriger l’action et dont les ordres doivent être obéis — élu et contrôlé par la masse ouvrière. La Russie des Soviets est en grève, face à face avec le monde capitaliste tout entier. La révolution est une grève générale contre le système capitaliste. La dictature du prolétariat est le comité de grève de la révolution sociale.

Les révolutions prolétariennes qui approchent en ce moment en Amérique et dans d’autres pays susciteront probablement de nouvelles formes d’organisation. Les bolcheviks ne prétendent pas avoir dit le dernier mot de la révolution sociale. Mais l’expérience de deux années de gouvernement ouvrier en Russie est naturellement de la plus haute importance et doit être étudiée de près par les travailleurs des autres pays.

Politique

Le mot politique agit sur nombre de membres de l’I. W. W. comme la vue d’un drapeau rouge agit sur le taureau — ou sur le capitaliste. Politique signifie pour eux « politicien » et, d’habitude, évoque à leurs yeux l’image du socialiste jaune qui brigue leurs suffrages dans l’espoir d’obtenir un confortable fauteuil où il lui sera possible d’oublier confortablement l’existence même des travailleurs.

Nos camarades ouvriers « anti-politiciens » sont opposés aux communistes qui, à leur avis, constituent un parti politique et qui, en effet, prennent part dans certains cas aux luttes politiques.
C’est user du mot politique dans un sens bien trop étroit. L’un des principes sur lesquels s’est fondée l’association des I. W. W. est exprimé dans ces mots de Karl Marx : « Toute lutte des classes est une lutte politique ». C’est dire que toute lutte des travailleurs contre les capitalistes est une lutte pour le pouvoir politique — pour celui de l’Etat.

Et c’est dans ce sens que les communistes se servent du mot « politique ».

Les socialistes jaunes s’imaginent pouvoir conquérir progressivement le pouvoir politique en se servant du mécanisme même de l’État capitaliste pour obtenir des réformes, et quand ils auront obtenu la majorité au Congrès, dans les assemblées législatives, quand ils auront élu le président, le maire et le sheriff, ils croient pouvoir se servir de l’appareil législatif de l’État bourgeois pour abolir pacifiquement le capitalisme et instituer de même la communauté du travail.

Ceci les induit à prêcher diverses réformes du système capitaliste, à ouvrir leurs rangs aux petits capitalistes, aux aventuriers politiques de toutes espèces et finalement à conclure des marchés et à faire des concessions variées.

Les I. W. W. ne l’admettent pas plus que les communistes.

Communistes, nous ne croyons pas qu’on puisse s’emparer du pouvoir gouvernemental au moyen du mécanisme de l’État capitaliste. L’État étant l’arme particulière de la classe capitaliste, son mécanisme est naturellement conçu de manière à défendre et affermir le pouvoir du capitalisme. Le contrôle capitaliste de toutes les institutions qui font l’opinion publique — presse, écoles, églises, tribunes — le contrôle capitaliste de l’attitude politique des ouvriers par le contrôle de leurs moyens d’existence, rendant extrêmement improbable la possibilité pour les travailleurs d’élire jamais « légalement » sous le régime capitaliste démocratique, un gouvernement dévoué à leurs intérêts.
Et, à l’heure actuelle, tandis que la classe capitaliste du monde entier poursuit avec l’acharnement du désespoir sa campagne de répression contre les organisations du prolétariat conscient dans le monde entier, celle hypothèse est tout bonnement inadmissible.

Mais si même il était possible aux travailleurs de conquérir par le moyen du mécanisme politique l’État capitaliste, ce dernier ne pourrait pas servir à fonder la communauté industrielle. La source réelle du pouvoir capitaliste est dans la propriété et le contrôle capitaliste des moyens de production. L’État capitaliste n’existe que pour étendre et défendre cette propriété, ce contrôle. Il ne peut donc pas servir à les abolir.

Jusqu’ici les I. W. W. et les communistes sont d’accord. L’État capitaliste doit être attaqué par l’action directe. Cette action, dans la signification correcte des termes est aussi politique, car elle a un but politique — la conquête du pouvoir gouvernemental.

Les I. W. W. se proposent d’atteindre ce but par la grève générale. Les communistes vont plus loin. L’histoire indique assez que la grève générale n’est pas suffisante. Les capitalistes ont des armes et l’expérience des gardes blanches en Russie, en Finlande, en Allemagne prouve qu’ils ont suffisamment d’expérience et d’entraînement pour se servir de leurs armes contre les travailleurs. Ils ont en outre des stocks d’aliments qui leur permettent de tenir plus longtemps que les travailleurs toujours talonnés par le besoin.
Les communistes, eux aussi, comptent sur la grève générale, mais ils pensent qu’elle doit se transformer en insurrection armée. La grève générale et l’insurrection sont des formes de l’action politique.

Parlementarisme révolutionnaire

S’il en est ainsi, si les communistes ne pensent pas pouvoir s’emparer de l’État par le bulletin de vote, pourquoi les partis communistes participent-ils aux élections et présentent-ils leurs candidats ?
La question de savoir si les communistes participeront ou non aux élections est secondaire. Certaines organisations communistes y participent ; d’autres non. Mais les premières ne le font que dans un but de propagande. Les campagnes politiques donnent aux révolutionnaires l’opportunité de parler à la classe ouvrière, de leur montrer le caractère de classe de l’État et quel est l’intérêt véritable des travailleurs. Elles leur permettent de souligner la futilité des réformes, de démontrer les intérêts réels qui dominent les partis politiques capitalistes et socialistes jaunes et de souligner pourquoi il faut renverser le système capitaliste tout entier.

Les communistes élus au Congrès ou dans les assemblées législatives ont pour tâche de faire de la propagande ; de montrer sans cesse la nature réelle de l’État capitaliste, de s’opposer aux actes du gouvernement capitaliste et de révéler leur caractère de classe ; de montrer la futilité des réformes et des mesures capitalistes. Au sein des assemblées législatives, du haut des tribunes de la nation, les communistes peuvent stigmatiser les brutalités capitalistes et appeler les travailleurs à la révolte.

Karl Liebknecht a montré ce qu’un communiste peut faire au Parlement. Ses discours au Reichstag retentirent dans le monde entier.
D’autres, en Russie, en Suède (Höglund) et dans d’autres pays, ont fait la même chose.

L’objection la plus commune à l’envoi de militants dans les assemblées législatives capitalistes, c’est que quelle que soit leur valeur révolutionnaire, ils seront invariablement corrompus par leur entourage et amenés à trahir les travailleurs.
Cette croyance est le produit d’une longue expérience, faite surtout avec les politiciens et les beaux parleurs socialistes. Mais, communistes, nous affirmons qu’un parti vraiment révolutionnaire n’élira que de vrais révolutionnaires et saura les garder sous son contrôle.

De nombreux membres de l’I. W. W. sont les adversaires acharnés de l’emploi des assemblées législatives ou de toutes autres institutions gouvernementales dans un but de propagande. Mais l’organisation des I. W. W., souventes fois, n’a pas dédaigné ces moyens. Lors de la grève de Lawrence en 1912, les I. W. W. se servirent même du sénateur socialiste Victor Berger qui porta à la tribune de la Chambre des Représentants les revendications des grévistes et des I. W. W. William D. Haywood, Vincent St John et bien d’autres leaders des I. W. W. témoignèrent volontiers devant la Commission Industrielle du gouvernement des Etats-Unis, profitant de cette occasion pour diffuser les idées de leur organisation. Mais l’exemple le plus frappant de l’usage du mécanisme politique de l’Etat dans un but de propagande nous fut donné en 1918 quand la Cour Fédérale de Chicago où l’on jugeait cent leaders de l’I. W. W. devint pour trois mois un véritable meeting de propagande ouvrière.

Tels sont les cas d’usage du mécanisme politique de l’État capitaliste dans un but de propagande parmi les masses. Ces méthodes doivent être employées selon les circonstances — de même que l’action parlementaire. L’usage de nulle arme ne doit être absolument condamné.

La tache particulière des I. W. W. est de préparer les travailleurs à s’emparer de l’industrie et à la diriger. La fonction spéciale du parti politique communiste est de préparer les travailleurs à la conquête du pouvoir politique et à, l’exercice de la dictature du prolétariat. Tout travailleur doit être à la fois membre du syndicat révolutionnaire de son industrie et du parti politique qui combat pour le communisme.

La révolution sociale et la société future

Le but des I. W. W. est de « bâtir une société nouvelle au sein de l’ancienne ». Ce qui veut dire : organiser si complètement les travailleurs que le système capitaliste finisse, à un moment donné, par être brisé et par faire place à la Communauté Industrielle déjà pleinement développée.

Un acte semblable exige l’organisation et la discipline de la majorité des travailleurs. On pouvait, avant la guerre, croire possible l’accomplissement de cette tâche, bien que malgré leur activité de quatorze ans les I. W. W. n’aient pu organiser qu’une minime fraction des travailleurs américains.

A présent ce dessein n’est qu’utopique. Le capitalisme est à son déclin, la révolution est à nos portes et l’histoire n’attendra pas que la majorité des travailleurs soit organisée — 100 % — d’après le plan des I. W. W. ou de toute autre organisation. Nous n’avons plus la perspective d’un long développement industriel normal qui, seul, eût permis la réalisation d’un semblable dessein. La guerre a jeté les peuples du monde dans un immense cataclysme et ils doivent songer à l’action immédiate et non à l’élaboration de savants projets dont l’accomplissement exigerait des années.

La nouvelle société ne sera pas bâtie, comme nous le pensions naguère, au sein de l’ancienne. Nous ne pouvons l’attendre. La révolution sociale est là. Quand les travailleurs auront renversé le capitalisme, quand ils auront écrasé toutes les tentatives faites pour le rétablir, ils pourront à loisir, au sein de leur état soviétiste, bâtir librement la nouvelle société.

En présence de la révolution sociale, quelle est la grande tâche immédiate des Travailleurs Industriels du Monde (I. W. W.) ?
Constituant en Amérique la plus importante organisation syndicaliste révolutionnaire, il leur appartient de prendre l’initiative de fournir une base unique à l’unification de tous les syndicats d’un caractère nettement révolutionnaire, de tous les travailleurs qui acceptent le principe de la lutte des classes. Tels sont la Grande Union Unique (One Big Union), la W. I. I. U. et certains syndicats dissidents de l’American Federation of Labor.

Le moment n’est pas aux petites querelles de noms ou de menues questions d’organisation. La tâche essentielle c’est de grouper tous les travailleurs capables d’une action révolutionnaire de masses en temps de crise.

Révolutionnaires, ils ne peuvent repousser les invitations des communistes américains désireux de conclure un accord avec eux en vue d’une action révolutionnaire commune. Le parti politique et l’organisation économique doivent marcher d’un même pas vers le tout commun — vers l’abolition du capitalisme par la dictature du prolétariat et par les Soviets, vers la disparition des classes et de l’État.
L’Internationale Communiste tend aux I. W. W. une main fraternelle.

Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste,

G. ZINOVIEV.

Janvier 1920.

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