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Qui était Anatole France ?

mercredi 4 novembre 2015, par Robert Paris

« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour la industriels ! »

Qui était Anatole France ?

Anatole France, écrivain militant

Œuvre d’Anatole France

Allocution prononcée à la fête en l’honneur de Diderot, ami du peuple

Citoyens,

Des maîtres, qui sont nos amis, viennent ici nous parler de Diderot philosophe, et de Diderot savant. Ce n’est pas à moi, c’est à Duclaux de vous montrer en Diderot le précurseur de Lamarck et de Darwin, c’est à Ferdinand Buisson, c’est à Gabriel Séailles de vous parler du philosophe qui préféra l’examen utile des faits à la vaine recherche des causes, et enseigna qu’il faut demander à la nature non pas « Pourquoi cela ? » comme font les enfants, mais « Comment cela ? » à la manière du chimiste et du physicien.

Pour moi, je n’ai qu’un mot à dire. Je voudrais vous montrer Diderot, ami du peuple.

C’était un homme excellent que le fils du coutelier de Langres. Contemporain de Voltaire et de Rousseau, il fut le meilleur des hommes dans le meilleur des siècles. Il eut la passion des sciences mathématiques, physiques, des arts et métiers. Connaître pour aimer fut l’effort de sa vie entière. Il aimait les hommes, et les œuvres pacifiques des hommes. Il forma le grand dessein de mettre en honneur les métiers manuels, abaissés par les aristocraties militaires, civiles et religieuses. L’Encyclopédie dont il conçut le plan avec génie et dont il poursuivit l’exécution si courageusement, l’Encyclopédie est le premier grand inventaire du travail fourni par le prolétariat à la société. Et cet inventaire, avec quel zèle, quelle ardeur, quelle conscience Diderot et ses collaborateurs prirent soin de le dresser, c’est ce que le prospectus de l’Encyclopédie nous fait connaître.

« On s’est adressé, y est-il dit, aux plus habiles ouvriers de Paris et du royaume. On s’est donné la peine d’aller dans leurs ateliers, de les interroger, d’écrire sous leur dictée, de développer leurs pensées, d’en tirer les termes propres à leurs professions, d’en dresser des tables, de les définir, de converser avec ceux dont on avait obtenu des mémoires, et (précaution presque indispensable) de rectifier, dans de longs et fréquents entretiens avec les uns, ce que d’autres avaient imparfaitement, obscurément et quelquefois infidèlement exprimé. »

Et Diderot ajoute :

« On enverra des dessinateurs dans les ateliers ; on prendra l’esquisse des machines et des outils ; on n’omettra rien de ce qui peut les montrer distinctement aux yeux. »

Citoyens,

À l’heure où les ennemis coalisés de la science, de la paix, de la liberté s’arment contre la République et menacent d’étouffer la démocratie sous le poids de tout ce qui ne pense pas ou ne pense que contre la pensée, vous avez été bien inspirés en rappelant, pour l’honorer, la mémoire de ce philosophe qui enseigna aux hommes le bonheur par le travail, la science et l’amour et qui, tourné tout entier vers l’avenir, annonça l’ère nouvelle, l’avènement du prolétariat dans le monde pacifié et consolé.

Son regard pénétrant a discerné nos luttes actuelles et nos succès futurs. Ainsi Diderot enthousiaste et méthodique recueillait les titres des artisans pour les mettre au-dessus des titres des nobles ou des grands. Et il n’est pas possible de se méprendre sur ses intentions, si extraordinaires pour le temps. « Il convient, a-t-il dit, que les arts libéraux, qui se sont assez chantés eux-mêmes, emploient désormais leur voix à célébrer les arts mécaniques et à les tirer de l’avilissement où le préjugé les a tenus si longtemps. »

Voilà donc, au milieu du dix-huitième siècle, les métiers honorés, chose étrange, nouvelle, merveilleuse. Les artisans demeuraient humblement courbés sous les dédains traditionnels. Et Diderot leur crie : « Relevez-vous. Vous ne vous croyez méprisables que parce qu’on vous a méprisés. Mais de votre sort dépend le sort de l’humanité tout entière. » Diderot a inséré dans l’Encyclopédie la définition que voici de l’ouvrier manuel, du journalier :

« Journalier, ouvrier qui travaille de ses mains et qu’on paye au jour la journée. Cette espèce d’hommes forme la plus grande partie d’une nation ; c’est son sort qu’un bon gouvernement doit avoir principalement en vue. Si le journalier est misérable, la nation est misérable. »

Est-ce trop de dire après cela que Diderot dont nous célébrons aujourd’hui la mémoire, Diderot mort depuis cent seize ans, nous touche de très près, qu’il est des nôtres, un grand serviteur du peuple, un défenseur du prolétariat ?

La victoire du prolétariat est certaine. Ce sont moins les efforts désordonnés de nos adversaires que nos propres divisions et les indécisions de notre méthode qui pourraient la retarder. Elle est certaine parce que la nature même des choses et les conditions de la vie l’ordonnent et la préparent. Elle sera méthodique, raisonnée, harmonieuse. Elle se dessine déjà sur le monde avec l’inflexible rigueur d’une construction géométrique.

Salut aux soviets, article de L’Humanité, 8 novembre 1922

par Anatole France

Anatole France fête le cinquième anniversaire de la Révolution soviétique. Il adresse par les Isvestias et l’Humanité, son salut à la République prolétarienne, « née pauvre et invincible ». Notre plus grand écrivain apporte à la Russie misérable et glorieuse son hommage. Et, parce qu’il n’abdique pas, parce qu’il continue, dans sa soixante dix-huitième année, à garder la foi, à porter haut le flambeau, son hommage prend à nos yeux, aux yeux de tous les révolutionnaires, une valeur inestimable.

« La Révolution russe retournera le monde », proclamait Henri Barbusse. Et Trotsky : « Tôt ou tard la Révolution prolétarienne éclatera en Europe et en Amérique ». Anatole France les confirme, et il salue dans la République des Soviets l’espérance d’un monde libéré.

Il y a cinq ans, la République des Soviets naquit pauvre et invincible. Elle apportait un esprit nouveau, menaçant pour tous les gouvernements d’oppression et d’injustice qui se partagent la terre. Le vieux monde ne s’y trompa pas. Ses chefs reconnurent leur ennemie. Ils armèrent contre elle la calomnie, la richesse, la violence. Ils voulurent l’étouffer : ils envoyèrent contre elle des hordes de bandits. La République des Soviets leva ses armées rouges et écrasa les bandits.

S’il est encore en Europe des amis de la justice, qu’ils saluent avec respect le cinquième anniversaire de cette Révolution qui, après tant de siècles, apporta à l’univers le premier essai d’un pouvoir qui gouverne par le peuple, pour le peuple. Nés dans l’indigence, grandis dans la famine et la guerre, comment les soviets eussent-ils pu accomplir leur grand dessein et réaliser la justice intégrale ?

Du moins, ils ont posé le principe. Ils ont jeté les semences qui, si les destins le favorisent, se répandront sur la Russie et féconderont peut-être un jour l’Europe.

Histoire comique

Poésies

La vie en fleur

L’orme du mail

Balthasar

Abeille

Le livre de mon ami

The crime of Sylvestre Bonnard

Sobre la piedra blanca

Récits de vieux marins

Histoire comique

La religion chrétienne

Crainquebille

Le 9 avril 1916, Anatole France, à la Sorbonne, lors du meeting « Hommage à l’Arménie » :

« Il y a vingt ans, lorsque les massacres ordonnés par le sultan Abdul Hamid ensanglantèrent l’Arménie, quelques voix seulement en Europe, quelques voix indignées protestèrent contre l’égorgement d’un peuple. En France, un très petit nombre d’hommes appartenant aux partis les plus opposés s’unirent pour revendiquer les droits de l’humanité grandement offensée. Vous les connaissez : Jaurès, Denys Cochin, Gabriel Séailles, Ernest Lavisse, Jean Finot, Victor Bérard, Francis de Pressensé, le Père Charmetant, Pierre Quillard, Clemenceau, Albert Vandal, quelques autres encore que je m’excuse de ne pas nommer. Le reste demeura muet. Plusieurs se sentaient émus d’une grande pitié ; mais comme les malheureux inspirent de l’éloignement à la plupart des hommes, on chercha des torts aux victimes ; on leur reprocha leur faiblesse. Quelques-uns, prenant la défense des bourreaux, les montraient châtiant des séditieux ou vengeant les populations turques ruinées par des usuriers chrétiens. D’autres enfin voyaient dans ce carnage la main de l’Angleterre ou celle de la Russie.

Cependant, malgré les protestations des arménophiles et les représentations timides de quelques puissances, en dépit des promesses du gouvernement turc, la persécution, parfois assourdie et voilée, ne cessait pas. En vain une révolution de palais changea les chefs de l’Empire. Les Jeunes Turcs, parvenus au pouvoir, surpassèrent Abdul Hamid en férocité, dans l’organisation des massacres d’Adana. A la longue, les malheurs de ces chrétiens d’Orient lassèrent la pitié. Ils demeuraient incompréhensibles à l’Europe civilisée. Le peuple arménien ne nous était connu que par les coups qui le frappaient. On ignorait tout de lui : son passé, son génie, sa foi, ses espérances. Le sens de son extermination échappait. Il en allait encore ainsi il y a deux ans. La grande guerre éclata. La Turquie s’y comporta comme une vassale de l’Allemagne. Et la lumière se fit soudain en France sur l’esprit de l’Arménie et les causes de son martyre. On comprit que la longue lutte inégale du Turc oppresseur et de l’Arménien était, à la bien comprendre, la lutte du despotisme, la lutte de la barbarie contre l’esprit de justice et de liberté. Et quand nous vîmes la victime du Turc tourner vers nous des yeux éteints où passait une lueur d’espérance, nous comprîmes enfin que c’était notre sœur d’Orient qui mourait, et qui mourait parce qu’elle était notre sœur et pour le crime d’avoir partagé nos sentiments, d’avoir aimé ce que nous aimons, pensé ce que nous pensons, cru ce que nous croyons, goûté comme nous la sagesse, l’équité, la poésie, les arts. Tel fut son crime inexpiable.

Il convient donc, Mesdames et Messieurs, qu’une assemblée de Français rende à ce peuple, dans sa grande et noble infortune, un solennel hommage. Nous accomplissons ici un devoir sacré. Nous rendons à l’Arménie les honneurs dus moins encore à ses illustres infortunes qu’à la constance avec laquelle elle les a supportées. Nous la louons de cet invincible amour qui l’attache à la civilisation des peuples représentés dans cette salle, à notre civilisation. Car l’Arménie est unie à nous par les liens de famille et, comme l’a dit un patriote arménien, elle prolonge en Orient le génie latin. Son histoire, telle que M. Paul Deschanel vient de nous en donner un vigoureux raccourci, se résume dans un effort séculaire pour conserver l’héritage intellectuel et moral de la Grèce et de Rome. Puissante, l’Arménie le défendit par ses armes et ses lois ; vaincue, asservie, elle en garda le culte dans son cœur. L’on peut dire que, en ces heures récentes dont M. Painlevé nous a retracé éloquemment l’horreur sans exemple, plus de cinq cent mille Arméniens sont morts pour notre cause et notre nom sur les lèvres. « Ces chrétiens, disent les Turcs, organisaient une vaste insurrection et tendaient la main aux ennemis du Croissant ! » Les assassins ne sauraient légitimer leur crime par cette imputation. Mais il est vrai que les Arméniens appelaient de leurs vœux la victoire de la France et des Alliés.

Au reste, la destruction de ce peuple, qui nous aime, était résolue dans les conseils du gouvernement turc. Tout ce qu’il y avait, de Samsoun à Diarbékir, de jeunes hommes, de vieillards, de femmes, d’enfants, périt assassiné par ordre du sultan, avec la complicité de l’Allemagne.

L’Arménie expire. Mais elle renaîtra.

Le peu de sang qui lui reste est un sang précieux dont sortira une postérité héroïque. Un peuple qui ne veut pas mourir ne meurt pas.

Après la victoire de nos armées, qui combattent pour la justice et la liberté, les Alliés auront de grands devoirs à remplir. Et le plus sacré de ces devoirs sera de rendre la vie aux peuples martyrs, à la Belgique, à la Serbie. Alors, ils assureront la sûreté et l’indépendance de l’Arménie. Penchés sur elle, ils lui diront : « Ma sœur, lève-toi ! ne souffre plus. Tu es désormais libre de vivre selon ton génie et ta foi. »

L’introduction d’Anatole France au Talon de Fer de Jack London

Le Talon de fer est une œuvre désormais classique.
Le titre même du livre de Jack London est passé dans la langue courante comme synonyme de l’impitoyable dictature du Capital.
Le livre, dans son ensemble, représente la fresque la plus puissante qui ait jamais été brossée par un écrivain, d’une anticipation révolutionnaire.

« Je suis socialiste, disait Jack London, d’abord parce que, né prolétaire, de bonne heure j’ai découvert que pour le prolétariat le socialisme était la seule issue ; ensuite, parce qu’en cessant d’être un prolétaire pour devenir un parasite (un parasite artiste, s’il vous plaît) j’ai découvert également que le socialisme était la seule issue pour l’art et les artistes. »

Avec son immense talent de conteur, Jack London — écrivain prolétarien entraîné, dès ses premières publications, dans la ronde infernale du succès et de la publicité littéraire — a décrit, en campant le héros du Talon de fer, Ernest Everhard, l’homme qu’il aurait voulu être, le militant parfait, le combattant type du prolétariat révolutionnaire aux prises avec l’ennemi de classe.

Les discussions entre intellectuels, le trouble semé par la prédication socialiste dans la classe moyenne, le chômage, l’échec dc la grève générale, l’avènement du Talon de fer avec la complicité — assurée par la corruption — de l’aristocratie ouvrière et des syndicats réformistes, l’écrasement du soulèvement des farmers, l’horrible vie du « peuple de l’abîme », les provocateurs, les enlèvements à la manière des gangsters, la terreur, la bombe de Washington, l’emprisonnement des leaders parlementaires, leur délivrance, le cynisme intelligent des oligarques, la Commune de Chicago et sa répression, tout cela constitue un tableau parfois prophétique où l’on découvre déjà le fascisme européen et les méthodes d’assassinat en masse employées par les organisations patronales de la « démocratie » américaine moderne, dans leur lutte contre les ouvriers, comme en Pensylvanie, par exemple.

Peut-on faire grief à Jack London d’avoir poussé le tableau au noir, d’avoir envisagé trois cents ans de domination sanglante du Talon de fer, depuis la défaite révolutionnaire ? Outre que nous sommes ici dans le domaine de la fantaisie, le pessimisme de Jack London s’explique historiquement. Jack London écrivait dans l’état d’esprit de l’écrasante majorité des intellectuels social-démocrates de son époque. Le Talon de fer date de 1907. Il a été composé dans l’atmosphère créée par l’émigration russe rouge de 1905. Et il apparaît clairement que Jack London, qui va puiser son inspiration révolutionnaire aux sources russes — il avait parmi ses relations les plus intimes des participants actifs à la première révolution — subit le contre-coup de leur dépression consécutive à la défaite. En outre, Jack London, ancien ouvrier, en contact par sa situation littéraire avec les capitalistes, connaissait par expérience, et des deux bouts, la puissance, alors encore en pleine ascension, du capitalisme américain et, le comparant à l’autocratie dégénérée et au capitalisme embryonnaire de la Russie, ne pouvait qu’imaginer une répression beaucoup plus durable, plus standardisée, plus rationalisée quand il envisageait la victoire du Talon de fer dans son propre pays.

C’est ce qui fait que, si le livre de Jack London reste une grande œuvre comme ouvrage d’imagination, tels de ses détails nous semblent aujourd’hui tout à fait périmés et même dangereux au point de vue des enseignements révolutionnaires.

Entre 1907 et aujourd’hui, l’expérience d’une révolution prolétarienne victorieuse a été faite. Depuis il y a eu Lénine. « Depuis » c’est une façon de parler car, lorsque Jack London écrivait son livre, Lénine, qui longtemps auparavant avait tracé les grandes lignes de l’organisation et de l’activité d’un parti révolutionnaire dans « Que faire ? », luttait pied à pied précisément contre le pessimisme dans les rangs de l’intelligentsia révolutionnaire, se refusait à donner un caractère de déroute à la défaite de 1905, préconisait, en réaliste, une politique de participation aux élections de la Douma pour utiliser toutes les parcelles de légalité qui subsistaient, engageait la bataille contre les déviations idéalistes, opportunistes et gauchistes du groupe Bogdanov-Lounatcharski et prévoyait déjà le réveil révolutionnaire qui devait être marqué en 1912 par les grèves de la Léna.

Le génie de Lénine, en 1907, traçait, lui aussi, les grandes lignes d’une anticipation révolutionnaire. Et celle-là devait se réaliser.
Mais Jack London ne connaissait pas Lénine ou le perdait dans la masse des révolutionnaires russes. Frappé, comme beaucoup d’intellectuels d’alors, par l’héroïsme individuel qu’exigeaient les méthodes terroristes héritées des narodniks, Jack London voyait l’action révolutionnaire comme l’œuvre d’une poignée d’individualités agissantes s’imposant par une chaîne de coups réussis. Aussi décrit-il la lutte contre le Talon de fer, beaucoup plus en mystique et en romantique qu’en matérialiste, comme une succession d’attentats et de provocations compliquées, organisées par des agents doubles, emportés par le fanatisme d’une religion nouvelle, et finit-il par faire de ses héros — les dirigeants mêmes de la Révolution — des gens qui poussent le sacrifice révolutionnaire jusqu’à devenir des policiers dans le service secret des oligarques pour mieux surprendre leurs secrets !
Sans doute entrevoit-on à travers le livre de Jack London le résultat final, le triomphe du prolétariat et le règne de la « Fraternité », mais la masse qui doit en être historiquement l’artisan et le bénéficiaire n’apparaît au cours du livre que comme un troupeau d’esclaves, pitoyable et aveuglé, incapable d’être organisée et qui ne prouve son existence que par des soubresauts sanguinaires...

Mais il faut rendre cette justice à Jack London que jamais il ne crut aux ronronnements endormeurs du pacifisme ni aux promesses de duperie d’une révolution sans violence.

Le 7 mars 1916, neuf ans après avoir écrit le Talon de fer, Jack London, alors au sommet de la célébrité, envoyait au Parti socialiste des États-Unis sa démission dans ces termes :

« Chers camarades,

« Je donne ma démission du Parti socialiste parce qu’il manque de feu et de combativité, et parce qu’il a cessé d’appuyer de toutes ses forces les luttes de classes.

« À l’origine, j’ai été membre du vieux Socialist Labour Party, qui, lui, était révolutionnaire, combatif, et se tenait debout sur ses pattes de derrière. Depuis lors, et jusqu’au temps actuel, j’ai été un membre combattant du Parti socialiste. Malgré tant de jours écoulés, mon record de combat pour la Cause n’est pas entièrement oublié. Dressé à la révolte de classe, telle que l’enseignait et la pratiquait le Socialist Labour Party, et soutenu par mes meilleures convictions personnelles, j’avais cette foi que la classe ouvrière, en combattant, en ne fusionnant jamais, en ne faisant jamais d’accords avec l’ennemi, pourrait parvenir à s’émanciper. Mais puisque, en ces dernières années, la tendance du socialisme aux États-Unis a été toute de compromis, je sens que mon esprit se refuse à sanctionner davantage ces paisibles dispositions et que je ne puis rester membre du Parti. Voilà les motifs de ma démission. »

Si l’ignorance du léninisme et l’atmosphère de 1907 aggravant encore les déformations inhérentes aux intellectuels individualistes expliquent ce qu’il y a de dépassé aujourd’hui dans le livre de Jack London, on comprend moins le pessimisme d’Anatole France écrivant en 1923 pour le Talon de fer une préface dans laquelle il explique le « recul du socialisme » par la « guerre qui tue les esprits comme les corps » et négligeant, lorsqu’il passe en revue les raisons d’espérer, de parler de l’U.R.S.S., alors en pleine bataille pour la reconstruction de son économie, en train de panser les blessures de la guerre civile et de montrer aux cinq autres sixièmes du monde l’exemple d’un peuple révolutionnaire que rien ne peut abattre parce qu’il est armé d’une doctrine juste appliquée de façon réaliste par un parti discipliné avec la participation éclairée et enthousiaste des masses.

Tel quel, dans une époque où la Révolution a fait irruption dans le monde par une porte que Jack London croyait fermée pour longtemps, au moment où la crise développe en Amérique même une situation prérévolutionnaire, le Talon de fer reste un livre de grande classe dans l’œuvre d’un écrivain que le prolétariat peut revendiquer hardiment comme l’un des siens.

Jack London, en effet, n’oublie jamais les cruelles, les impitoyables nécessités de la lutte des classes.

Évoquant ses succès, cet homme que la bourgeoisie comblait, revendiquant le titre de membre de la classe ouvrière « où j’étais né, disait-il, et à laquelle j’appartenais », jetait ce dur congé à la face du capitalisme :

« Je ne me soucie plus de grimper. L’imposant édifice de la société, au-dessus de ma tête, ne contient plus aucune attraction pour moi. Ce sont les fondations qui m’intéressent. Là, je suis heureux de peiner, levier en mains, épaule contre épaule, avec des intellectuels, des idéalistes, des ouvriers conscients, donnant un coup de temps à autre et ébranlant tout l’édifice. Quelque jour, quand nous serons un peu plus nombreux, et que nous aurons quelques leviers de plus pour travailler, nous renverserons l’édifice et, avec lui, toute sa vie de pourriture et ses cadavres ambulants, le monstrueux égoïsme dont il est imprégné. Alors nous nettoierons la cave et bâtirons une nouvelle habitation pour le genre humain où toutes les chambres seront gaies et claires et où l’air qu’on respirera sera propre, noble et vivant. »
Haute leçon donnée par un écrivain de race à tant de nos camarades de jeunesse de guerre et de révolte, passés, après la quarantaine, au camp du conformisme et qui, pour l’écuelle de soupe bourgeoise et l’espoir de la niche académique, ont choisi une fois pour toutes une prétendue « neutralité » qui leur fait porter le collier, garder le seuil et lécher la main des « oligarques » porteurs de fouet. »

Anatole France.

L’Humanité,

18 Juillet 1922

Anatole France

On croit mourir pour la patrie...

Cher citoyen Cachin,

Je vous prie de signaler à vos lecteurs le récent livre de Michel Corday, les Hauts Fourneaux[1], qu’il importe de connaître. On y trouvera sur les origines de la conduite de la guerre des idées que vous partagerez et qu’on connaît encore trop mal en France ; on y verra notamment (ce dont nous avions déjà tous deux quelque soupçon) que la guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d’argent, que ce sont les hauts industriels des différents États de l’Europe qui, tout d’abord, la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent. Ils en firent leur état, mirent en jeu leur fortune, en tirèrent d’immenses bénéfices et s’y livrèrent avec tant d’ardeur, qu’ils ruinèrent l’Europe, se ruinèrent eux-même et disloquèrent le monde. Écoutez Corday, sur le sujet qu’il traite avec toute la force de sa conviction et toute la puissance de son talent. " Ces hommes-là, ils ressemblent à leurs hauts fourneaux, à ces tours féodales dressées face à face le long des frontières, et dont il faut sans cesse, le jour, la nuit, emplir les entrailles dévorantes de minerai, de charbon, afin que ruisselle au bas la coulée du métal. Eux aussi, leur insatiable appétit exige qu’on jette au feu, sans relâche, dans la paix, dans la guerre, et toutes les richesses du sol, et tous les fruits du travail, et les hommes, oui, les hommes mêmes, par troupeaux, par armées, tous précipités pêle-mêle dans la fournaise béante, afin que s’amasse à leurs pieds les lingots, encore plus de lingots, toujours plus de lingots...Oui, voilà bien leur emblème, leurs armes parlantes, à leur image. Ce sont eux les vrais hauts fourneaux. Ainsi, ceux qui moururent dans cette guerre ne surent pas pourquoi ils mourraient. Ils en est de même dans toutes les guerres. Mais non pas au même degré. Ceux qui tombèrent à Jemmapes ne se trompaient pas à ce point sur la cause à laquelle ils se dévouaient. Cette fois, l’ignorance des victimes est tragique. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels. Ces maîtres de l’heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. Michel Corday nous montre comment ils usèrent de ces trois machines à broyer le monde. Il me donna, notamment, l’explication d’un phénomène qui m’avait surpris non par lui-même, mais par son excessive intensité, et dont l’histoire ne m’avait pas fourni un semblable exemple : c’est comment la haine d’un peuple, de tout un peuple, s’étendit en France avec une violence inouïe et hors de toute proportion avec les haines soulevées dans ce même pays par les guerre de la Révolution et de l’Empire. Je ne parle pas des guerres de l’ancien régime qui ne faisaient pas haïr aux français les peuples ennemis. Ce fut cette fois, chez nous, une haine qui ne s’éteignit pas avec la paix, nous fit oublier nos propres intérêts et perdre tout sens des réalités, sans même que nous sentions cette passion qui nous possédait, sinon parfois pour la trouver trop faible. Michel Corday montre très bien que cette haine a été forgée par les grands journaux, qui restent coupables, encore à cette heure, d’un état d’esprit qui conduit la France, avec l’Europe entière, à sa ruine totale."L’esprit de vengeance et de haine, dit Michel Corday, est entretenu par les journaux. Et cette orthodoxie farouche ne tolère pas la dissidence ni même la tiédeur. Hors d’elle, innocente en a souffert mort et passion. Haïr un peuple, mais c’est haïr les contraires, le bien et le mal, la beauté et la laideur". Quelle étrange manie ! Je ne sais pas trop si nous commençons à en guérir. Je l’espère. Il le faut. Le livre de Michel Corday vient à temps pour nous inspirer des idées salutaires.Puisse-t-il être entendu ! L’Europe n’est pas faite d’États isolés, indépendants les uns des autres. Elle forme un tout harmonieux. En détruire une partie, c’est offenser les autres. Notre salut c’est d’être bons Européens. Hors de là, toute est ruine et misère.

Salut et Fraternité
Anatole FRANCE

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