Accueil > 06- Livre Six : POLITIQUE REVOLUTIONNAIRE > 4- Ce qu’est le socialisme et ce qu’il n’est pas > Qui a assassiné Freund Hans, dirigeant trotskiste ?

Qui a assassiné Freund Hans, dirigeant trotskiste ?

jeudi 30 mars 2023, par Robert Paris

Les procès de Moscou se poursuivent contre la révolution prolétarienne en Espagne :

Qui a assassiné Freund Hans, dirigeant trotskiste ?

« Lettres écrites de Madrid », Hans David Freund

Ces lettres et l’article suivant sont l’œuvre de Hans David Freund (1912-1937). Les lettres, datées des 24 août et 27 septembre 1936, sont traduites du Service d’information et de presse du Mouvement pour la Quatrième Internationale, nos 7 et 12, 4 septembre et 21 octobre 1936, dans lesquelles elles ont paru sous le nom de ’Moulin’. L’article a été publié pour la première fois sous le titre « La Dualité de pouvoirs dans la Révolution espagnole : la Question des Comités », Quatrième Internationale, n ° 3, mars-avril 1937, pp.28-30.

Freund, « militant pur et dévoué », selon Katia Landau (Stalinism in Spain, Revolutionary History, Volume 1 no.2, Summer 1988, p54), est né de parents juifs en Allemagne, mais a passé l’essentiel de sa vie adulte à l’étranger en raison de la terreur d’Hitler. Il est devenu désillusionné par le stalinisme après une visite en Union soviétique, semble avoir étudié à Oxford pendant un certain temps, puis en Suisse, où il a organisé un groupe trotskyste parmi les étudiants à Genève. Il se rend en Espagne en septembre 1936 et, à Madrid, il assiste Paul et Clara Thalmann dans les émissions en langue allemande du groupe POUM, très influencé par le trotskisme. Il s’est ensuite rendu sur le front de Guadarrama, où le stalinien Galán a menacé de le faire fusiller pour avoir fait la promotion de la propagande trotskyste parmi les miliciens.

Début 1937, il se trouva à Barcelone, où il tenta de réunir les deux groupes trotskystes, les organisations El Soviet (Bartolomeo) et Voz Leninista (Munis), et fut le principal contact entre les bolchevik-léninistes et les amis de Durruti fin avril et début mai 1937. Il s’est retrouvé à la tête des bolcheviks-léninistes lorsque les journées insurrectionnelles de mai ont éclaté, car Munis était à Paris en consultation avec le Secrétariat international, et c’est lui qui a rédigé le tract distribué sur les barricades que George Orwell a remarqué (dans « Hommage à la Catalogne », Édition Penguin, p.148).

Mais le NKVD se rapprochait de lui, comme de tant d’autres, et il avait été photographié alors qu’il était sur les barricades. Il se réfugie auprès des anarchistes, qui étendent leur protection à d’autres révolutionnaires chassés par les staliniens. Les rapports diffèrent quant à la façon dont il a a été achevé. La première est qu’il s’est rendu dans un collectif anarchiste dans la campagne et a été tué lors d’un raid stalinien sur celui-ci. Un autre est qu’il a simplement été enlevé par le NKVD dans la rue à Barcelone au début du mois d’août et n’a jamais été revu. (Cf. les notes et introductions complètes et utiles dans l’édition de Pierre Broué de La Révolution espagnole de Trotsky, Minuit, 1975, et Freund, dit Moulin, Cahiers Léon Trotsky, n ° 3, juillet-septembre 1979, p.135.)

Lettre du 24 août 1936

Le POUM n’a pas cessé d’être un parti centriste. Même s’il a dénoncé son pacte électoral avec le Front populaire après l’événement, il n’a en fait jamais cessé d’être l’aile gauche du Front populaire, menant une politique d’union sacrée avec la bourgeoisie antifasciste. Même s’il a refusé d’entrer dans le gouvernement Casanovas [1], il faut noter que le PSUC (stalinien) lui-même a dû se retirer après quelques jours sous la pression des masses, et que le POUM a répondu favorablement à l’invitation du gouvernement de collaborer avec le Conseil économique de Catalogne, dont la seule fonction était l’élaboration de projets de loi destinés à freiner et détourner le mouvement de socialisation, restaurer la fortune de la bourgeoisie de gauche, créer de nouvelles illusions parlementaires parmi les masses et restaurer la classe collaboration devenue impossible pour le gouvernement. Le POUM est très fier d’être le seul parti à ne pas avoir soumis sa presse à la censure gouvernementale, mais il refuse de dénoncer ouvertement le gouvernement républicain ainsi que les partis du Front populaire et les dirigeants anarchistes, alliés du gouvernement en commun cause d’écraser la révolution prolétarienne et d’empêcher jusqu’à présent la victoire rapide et décisive des forces militaires antifascistes, étant donné que cette victoire, si elle aboutissait à une situation révolutionnaire, risquait d’être le prélude à la révolution prolétarienne. « Le fascisme est le seul ennemi », tel est toujours le message du POUM ...

Même à Madrid, où le POUM est majoritairement composé d’anciens opposants de gauche du Parti communiste, l’attitude du POUM est plus correcte qu’à Barcelone. Ainsi, contrairement au POUM de Barcelone, le POUM de Madrid ne semble pas se faire d’illusions sur Caballero, etc.

Le slogan principal du POUM à l’heure actuelle est celui du gouvernement ouvrier. Mais le POUM fait très peu pour mettre en pratique ce slogan correct. Il n’éduque pas ses cadres. Il n’envoie pas, ou à peine, les propagandistes au front. Il aurait dû dissoudre certaines de ses unités de combat et répartir les membres dans les unités anarchistes et autres. Il n’a pas de tactique correcte du Front uni. En plus de travailler à la base, ce qu’il n’a pas fait suffisamment, il aurait dû en même temps faire des ouvertures aux organisations réformistes, etc., pour des discussions sur la détermination d’une date et d’un programme pour un congrès soviétique, pour lequel il fait de la propagande dans un mode générale, pour pouvoir en même temps dénoncer les dirigeants réformistes, etc., dans le cas probable de leur refus. Au lieu d’alerter la classe ouvrière sur le danger bonapartiste Caballero-Prieto-Azaña, il s’est borné à dire que le gouvernement bourgeois était devenu « inutile » (sic), et que seul le socialisme pouvait reconstruire l’économie espagnole bouleversée par la guerre civile.

Le POUM reste fermement lié au niveau international au Bureau de Londres. Pivert, traduit par Gorkin, a salué les travailleurs « au nom de la SFIO et de la CGT » lors d’une réunion du POUM. Le POUM semble être en faveur d’un « Congrès international de réunification marxiste ». D’autre part, il est prêt à accepter l’unité d’action avec les bolcheviks-léninistes, en particulier les Français. Notre tâche est d’entrer systématiquement en relations avec le POUM, de transmettre notre intérêt et notre compréhension des problèmes qui se posent pour lui et pour toute l’avant-garde ouvrière, et de servir de liaison entre le prolétariat français et espagnol.

Les effectifs du POUM, ainsi que son influence massive, s’accroissent considérablement. Les milices du POUM, qui pendant la nuit cruciale à Barcelone ont joué un rôle important, comptent plus de 10 000 membres. La jeunesse (Juventud comunista ibérica) s’est multipliée par dix depuis l’insurrection. Les cadres du parti se renforcent et de nouvelles sections locales sont créées chaque jour. « La Batalla » (journal du POUM) est lue avec grand intérêt. Le POUM publie un quotidien à Lérida. Il vient de lancer un hebdomadaire pour ses milices (El Combatiente rojo). Chaque semaine, le POUM gagne plus d’influence dans les syndicats anarchistes, et les ouvriers anarchistes ne confondent plus le POUM avec les « politicos » réformistes, etc. L’influence du POUM est également forte dans l’UGT. Il contrôle les postes de direction des syndicats dans tout le pays. Les militants du POUM ont par ailleurs leurs propres syndicats (employés de bureau, textiles, mines de potasse) qu’ils préparent à entrer dans le syndicat unifié, la CNT, dont le POUM aura le contrôle majoritaire. Parmi les étrangers (surtout parmi les Italiens de Barcelone), le POUM peut compter sur une influence relativement forte. En intégrant comme il le fait actuellement quelques dizaines de milliers de membres, s’il continuait sa progression au même rythme dans les mois à venir, il pourrait gagner la majorité du prolétariat conscient pour procéder à la conquête du pouvoir.

Il n’existe pas de force révolutionnaire en Espagne en dehors du POUM. Nous devons œuvrer à la bolchevisation du POUM, même si nous ne pouvons pas prédire s’il y parviendra en changeant sa direction actuelle pour une autre, ou par l’évolution de ses dirigeants dans la direction du bolchevisme-léninisme.

Lettre du 27 septembre 1936

Il y a quelques semaines, une lettre du SIP (Service de presse international pour la Quatrième Internationale) déclarait que le POUM n’avait pas cessé d’être un parti centriste et l’aile gauche du Front populaire, prophétisant une politique d’union sacrée avec les antifascistes «bourgeoisie. Ce jugement paraissait alors trop sévère à certains camarades bolchevik-léninistes du POUM. En fait, ces lignes ont été écrites au cours d'une période relativement gauchiste du POUM, où l'on pouvait penser que la direction évoluait vers des positions léninistes. Eh bien, ce n'était rien de tout cela. Les faits d'aujourd'hui, malheureusement, confirment complètement l'appréciation qui a été faite il y a quelques semaines. En la personne d'Andrés Nin, le POUM est entré au gouvernement de la Generalitat de Catalogne en qualité de Ministre de la Justice. Est-ce pour administrer la justice bourgeoise ou prolétarienne ? Selon La Batalla du 17 septembre (un article sur la «nécessité de former un gouvernement ou un conseil conforme aux besoins révolutionnaires de l'époque actuelle»), le gouvernement actuel a pour but de résoudre la dualité du pouvoir en Catalogne. Au profit de quelle classe? Companys a-t-il décidé de diriger et de gouverner au nom du prolétariat ? Le pouvoir exécutif du gouvernement est concentré entre les mains d’un ministre de la gauche catalane. [2] Est-ce le pouvoir exécutif du prolétariat ? L’émancipation du prolétariat n’est-elle donc plus la tâche du prolétariat lui-même, mais de la bourgeoisie «antifasciste» ? Nin est devenu ministre, mais il ne le devient pas par décision d'un congrès des milices, ouvriers et paysans, pas plus que par suite d'une insurrection prolétarienne victorieuse. Il le devint à la suite de négociations dans l'antichambre de la Generalitat bourgeoise de Catalogne. Une résolution décidée à l'unanimité par le Comité Central du POUM est malheureusement le seul document publié sur cette importante réunion. Compte tenu de l'absence de toute préparation et de toute motivation politique sérieuse, c'est à lui seul l'expression la plus écrasante du centrisme qui s'est définitivement installé parmi la direction du parti. Au lieu de prendre position sur les différents problèmes que pose la révolution, la résolution se concentre sur un seul point: la justification de la participation au prochain gouvernement de Catalogne. Alors pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour assumer cette attitude de liquidation ?  Pourquoi a-t-il refusé catégoriquement de participer au gouvernement Casanovas ? Qu'est-ce qui y a changé ? Absolument rien, à moins que vous ne vouliez vous baser sur le changement de position des anarchistes, qui est également dans une direction réformiste. Les excuses invoquées pour cette reddition reposent sur plusieurs points. Tout d'abord est souligné «le caractère populaire des organisations de la petite bourgeoisie en Catalogne». Qui se moque de qui ? La «preuve» de cela ne sert qu'à rendre le POUM digne de son allié français, M. Pivert. (Ses différences actuelles avec Pivert reflètent simplement les différences réelles entre les intérêts du Front populaire français et du Front populaire espagnol.) Le parti des Companys n'est-il donc pas un parti réactionnaire ? Le même journal « La Batalla » qui a décrit le gouvernement Caballero comme un gouvernement contre-révolutionnaire (Madrid est loin et les gouvernements de Madrid n'ont jamais été très appréciés par le peuple ’’ catalan) a donné le titre de représentant `` populaire ’’ à Companys, qui a renoncé sans lutte sérieuse le 6 octobre 1934, au lieu de donner des armes aux ouvriers et aux paysans qui les réclamaient, et qui refusaient aussi les armes au prolétariat alerté quelques heures avant l’insurrection fasciste du 18 juillet, étant ainsi responsables de la plus grande partie de la fin sanglante des trois jours glorieux de Barcelone, l’homme qui a récemment proclamé qu’il n’y avait pas de problème foncier en Catalogne, l’homme qui ne représente pas vraiment la petite-bourgeoisie mais la grande bourgeoisie bel et bien, au nom de laquelle il s’est retenu le progrès de la révolution partout, sabotant le contrôle communautaire, protégeant les banques et entreprenant la reconstruction de l’armée et de la police.

Voici ce que l’on peut lire dans le Bulletin officiel de la Generalitat catalane :

« En faveur de Casanovas, le héros national de la Catalogne ... Il y a eu un défilé qui a duré quatre heures. Des orchestres régimentaires, des troupes républicaines et des sœurs et médecins de la Croix-Rouge défilaient dans la rue avec des drapeaux rouges et les couleurs nationales de la Catalogne. Les miliciens ont été vivement applaudis, de même que les troupes de choc et la garde civile, qui avaient abandonné le vieux chapeau à trois coins pour le bonnet rouge. »

C’était un parfait exemple de la victoire qui s’annonce ici, celle du Front populaire sur la révolution prolétarienne. En fait, voici une manifestation bourgeoise (une manifestation nationale) mais à laquelle participent toutes les organisations de la classe ouvrière, comme préalable à la collaboration au gouvernement de la Generalitat.

Notre petite bourgeoisie n’est pas à comparer avec les autres, disent nos révolutionnaires autonomes à la direction du POUM. Les centristes et les réformistes de tous les pays ont toujours souligné le caractère populaire exceptionnel des organisations bourgeoises de gauche de leurs pays respectifs. Le mouvement radical en France n’est-il pas social, progressiste et laïc ? Sa base n’est-elle pas la petite paysannerie, dirigée par les forces avancées des intellectuels du pays de France ? Quelle différence y a-t-il en fait entre la collaboration avec Herriot [3] et avec Companys ?

Les dirigeants du POUM utilisent encore un autre argument - celui de la radicalisation de la petite-bourgeoisie et de certains de leurs dirigeants au cours de ces dernières semaines. Cet argument prouve précisément le contraire de ce qu’il entend soutenir. Oui, la petite-bourgeoisie est radicalisée : une preuve, entre autres, est l’abandon du syndicat des rabassaires [4], la propre base syndicale de Companys, par des centaines de petits paysans catalans pour s’enrôler dans les syndicats ouvriers. Est-il donc temps d’entrer dans un gouvernement formé par un dirigeant réactionnaire de cette organisation ? Quant au langage de gauche des dirigeants de la petite bourgeoisie, c’est aussi un fait. Ce langage (en partie par peur et en partie par calcul) est d’un type généralement plus révolutionnaire que celui des staliniens et réformistes et des autres représentants « ouvriers ». Mais s’ensuit-il que nous devons nous allier aux premiers contre les seconds ? L’absurdité de ce critère du POUM va de soi.

Il est dit dans « La Batalla » que la révolution prend chaque jour un caractère plus prolétarien. Si la révolution va effectivement de l’avant, alors pourquoi acceptez-vous un programme qui recule manifestement par rapport à votre programme d’il y a six semaines ? Nous parlons du programme du Conseil économique, élaboré, semble-t-il, par Nin lui-même. Dans la déclaration gouvernementale, il prétend que le programme économique du gouvernement est identique à celui du Conseil économique. Une comparaison entre les deux révèle très rapidement la fausseté de cette affirmation. Le « monopole du commerce extérieur pour éviter les manipulations étrangères contre l’ordre économique nouveau-né » est remplacé par un « contrôle » pur et simple du commerce extérieur, qui existe dans tous les pays capitalistes. La « collectivisation obligatoire des produits agricoles cultivés par des propriétaires moyens et petits » est remplacée par un appel pur et simple au « respect de la petite propriété ». La « suppression rapide de tous les impôts pour parvenir à un impôt unique » est remplacée par la promesse « d’une suppression rapide des différents impôts indirects, dans le temps et dans la mesure des possibilités ». Ces exemples pourraient être multipliés.

Avant la formation du nouveau gouvernement, « La Batalla » disait que pour être digne de la participation du POUM, elle devrait affirmer son intention de « traduire en légalité révolutionnaire l’initiative des masses qui vont dans le sens de la révolution socialiste ».

Aujourd’hui, en revanche, le POUM entre dans un gouvernement qui propose de mettre fin à la guerre « rapidement et victorieusement », créant à cet effet des « milices obligatoires », et qui ne réclame que « la reconstruction économique [?] du pays », alors que pour autant le Conseil économique avait exigé la « collectivisation de l’économie ». Nous avons critiqué la participation du POUM au Conseil économique de l’époque en déclarant que sa constitution, malgré l’apparence révolutionnaire de son programme, ne servirait qu’à détourner et en d’autres termes à briser la vague révolutionnaire. La marche des événements a prouvé une fois de plus que nous avions raison. La première vague révolutionnaire avait à peine commencé à s’apaiser avant que les « dirigeants » ouvriers renoncent à des points essentiels du programme, preuve qu’ils ne l’avaient jamais pris au sérieux.

Dans le domaine de l’armée, le POUM a été de nouveau dénoncé comme fondamentalement centriste. Le POUM n’a-t-il pas envisagé à plusieurs reprises une armée rouge et des soviets et émis des réserves politiques sur sa soumission à l’autorité technique de Madrid ? Aujourd’hui, La Batalla envisage sa subordination inconditionnelle à l’état-major. N’est-ce pas déjà en train de désarmer virtuellement le prolétariat ? D’autant que les ordres de Madrid signifient la fin de toute intervention politique ou syndicale au front et la formation d’une nouvelle armée républicaine, au sein de laquelle les milices doivent se dissoudre ? La formation d’une armée de volontaires s’est avérée impossible, les ouvriers et les paysans refusant de s’y enrôler et préférant rejoindre les rangs des milices ouvrières.

Les miliciens ont arraché et brûlé leurs uniformes de l’armée bourgeoise, préférant leurs haillons au costume de la coercition capitaliste. Allons-nous assister à Nin, le ministre de la Justice « populaire » et « catalane », édicter un décret contre ces actes de désobéissance ? Nous reparlerons plus en détail de la question de l’armée, qui est une question centrale de la guerre civile espagnole.

Remarques

1. Juan Casanovas était membre de l’Esquerra, les nationalistes catalans, qui a été chargé par le président Companys de former un gouvernement en Catalogne le 2 août 1936. Bien que les staliniens (Comorera) se soient joints, il y avait une telle hostilité de la CNT et du POUM qu’ils ont dû se retirer, et son administration a été remplacée le 26 septembre. Il a par la suite été impliqué dans un coup d’État catalan raté et a dû se retirer en France.

2. Le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et le conseiller à la défense du gouvernement Taradellas étaient tous membres de l’Esquerra catalane.

3. Edouard Herriot (1872-1952) était le chef le plus connu du Parti radical en France.

4. Les rabassaires étaient un syndicat de fermiers à bail, conservant leurs terres pour la durée de vie des vignes qu’ils cultivaient, et comptant sur les nationalistes catalans pour rendre leurs baux permanents.

Letters From Madrid

These letters and the following article are the work of Hans David Freund (1912-1937). The letters, dated 24 August and 27 September 1936, are translated from the Information and Press Service of the Movement for the Fourth International, nos 7 and 12, 4 September and 21 October 1936, in which they appeared under the name of ‘Moulin’. The article first appeared as La Dualité de pouvoirs dans la Révolution espagnole : la Question des Comités, Quatrième Internationale, no.3, March-April 1937, pp.28-30.
Freund, a “pure and devoted militant”, according to Katia Landau (Stalinism in Spain, Revolutionary History, Volume 1 no.2, Summer 1988, p54), was born of Jewish parents in Germany, but spent most of his adult life abroad due to Hitler’s terror. He became disillusioned with Stalinism after a visit to the Soviet Union, appears to have studied at Oxford for a while, and then in Switzerland, where he organised a Trotskyist group amongst the students in Geneva. He went to Spain in September 1936, and whilst in Madrid he assisted Paul and Clara Thalmann in the German language broadcasts of the POUM group there, which was very much influenced by Trotskyism. He then went to the Guadarrama front, where the Stalinist Galán threatened to have him shot for promoting Trotskyist propaganda amongst the militiamen.
Early 1937 found him in Barcelona, where he tried to bring about a unification of the two Trotskyist groups, the El Soviet (Bartolomeo) and Voz Leninista (Munis) organisations, and was the main contact between the Bolshevik-Leninists and the Friends of Durruti at the end of April and the beginning of May. He found himself in charge of the Bolshevik-Leninists when the May Days broke, as Munis was in Paris consulting with the International Secretariat, and it was he who wrote the leaflet distributed on the barricades that was noticed by George Orwell (Homage to Catalonia, Penguin edition, p.148).
But the NKVD was closing in on him, as on so many others, and he had been photographed whilst on the barricades. He took refuge with the Anarchists, who extended their protection to other revolutionaries hunted by the Stalinists. Reports differ as to how he met his end. One is that he went to an Anarchist collective in the countryside, and was killed in a Stalinist raid on it. Another is that he was simply picked up by the NKVD in the street in Barcelona at the beginning of August and was never seen again. (Cf. the full and useful notes and introductions in Pierre Broué“s edition of Trotsky’s La Révolution espagnole, Minuit, 1975, and Freund, dit Moulin, Cahiers Léon Trotsky, no.3, July-September 1979, p.135.)

Letter of 24 August 1936
The POUM has not ceased to be a centrist party. Even though it denounced its electoral pact with the Popular Front after the event, in fact it has never ceased to be the left wing of the Popular Front, carrying out a policy of sacred union with the anti-Fascist bourgeoisie. Even if it did refuse to enter into the Casanovas government [1], we ought to note that the PSUC itself had to withdraw after a few days under the pressure of the masses, and that the POUM did respond favourably to the invitation of the government to collaborate with the Economic Council of Catalonia, whose only function was the elaboration of draft laws intended to hold back and divert the movement for socialisation, restore the fortunes of the left bourgeoisie, create new parliamentary illusions among the masses, and to restore the class collaboration that had now become impossible for the government. The POUM is very proud of being the only party that did not submit its press to governmental censorship, but it refuses to denounce the Republican government openly as well as the parties of the Popular Front and the Anarchist leaders, allies in the government in the common cause of smashing the proletarian revolution and of preventing up to now the rapid and decisive victory of the anti-Fascist military forces, given that this victory, if it resulted in a revolutionary situation, risked being the prelude to the proletarian revolution. “Fascism is the only enemy”, such is always the message of the POUM ...
Even in Madrid, where the POUM is for the greater part composed of old left oppositionists from the Communist Party, the attitude of the POUM is more correct than in Barcelona. Thus, in contrast to the POUM in Barcelona, the Madrid POUM does not seem to have illusions in Caballero, etc.
The main slogan of the POUM at present is that of the workers’ government. But the POUM does very little to put this correct slogan into practice. It does not educate its cadres. It doesn’t, or hardly does, send propagandists to the front. It should have dissolved some of its combat units, and distributed the members in the Anarchist and other units. It does not have a correct tactic of the United Front. As well as working at the base, which it did insufficiently, it should at the same time have made overtures to the reformist organisations, etc, for talks on determining a date and a programme for a soviet congress, for which it makes propaganda in a general fashion, to be able at the same time to denounce the reformist leaders, etc, in the probable event of their refusal. Instead of alerting the working class to the Caballero-Prieto-Azaña Bonapartist danger, it confined itself to saying that the bourgeois government had become “useless’ (sic), and that only Socialism could rebuild the Spanish economy disrupted by civil war.
The POUM remains firmly linked internationally with the London Bureau. Pivert, translated by Gorkin, greeted the workers “in the name of the SFIO and the CGT” at a meeting of the POUM. The POUM seems to be in favour of an “International Congress of Marxist Reunification”. On the other hand, it is ready to accept unity in action with the Bolshevik-Leninists, particularly the French. Our task is to enter systematically into relations with the POUM, convey our interest in and understanding of the problems that are posed for it and for the entire working class vanguard, and to serve as a liaison between the French and Spanish proletariat.
The POUM’s manpower, along with its mass influence, is growing considerably. The POUM militias, which during the crucial night in Barcelona played an important part, have more than 10,000 members. The youth (Juventud comunista ibérica) has multiplied tenfold since the insurrection. The party cadres are growing stronger, and fresh local sections are set up every day. La Batalla is read with great interest. The POUM publishes a daily in Lérida. It has just started a weekly for its militias (El Combatiente rojo). Every week the POUM gains more influence in the Anarchist trade unions, and the Anarchist workers no longer confuse the POUM with the reformist ‘politicos’, etc. The influence of the POUM is equally strong in the UGT. It controls union executive positions throughout the whole country. The POUM militants, moreover, have their own trade unions (office workers, textiles, potash mines) which they are preparing for entry into the united trade union, the CNT, in which the POUM will have the majority control. Among the foreigners (above all among the Italians in Barcelona) the POUM can count upon a relatively strong influence. Including as it does at present some tens of thousands of members, if it continued its progress at the same rate during the coming months, it could win the majority of the conscious proletariat in order to proceed to the conquest of power.
There does not exist a revolutionary force in Spain outside of the POUM. We must work towards the Bolshevisation of the POUM, although we cannot predict whether it will accomplish this by changing its present leadership for another one, or by the evolution of its leaders in the direction of Bolshevism-Leninism.

Letter of 27 September 1936
Some weeks ago a letter of the SIP (International Press Service for the Fourth International) stated that the POUM had not ceased to be a centrist party and the left wing of the Popular Front, prophesying a policy of sacred union with the ‘anti-Fascist’ bourgeoisie. This judgement seemed to be too severe at the time to some of the Bolshevik-Leninist comrades of the POUM. In fact, these lines were written in the course of a relatively leftist period of the POUM, when it could be thought that the leadership was evolving towards Leninist positions. Well, it was nothing of the sort. The facts today, unfortunately, confirm completely the appraisal that was stated a few weeks ago. In the person of Andrés Nin the POUM has entered the government of the Generalitat of Catalonia in the capacity of the Minister of Justice. Is this in order to administer bourgeois or proletarian justice ? According to La Batalla of 17 September (an article on the “necessity for forming a government or council conforming to the revolutionary needs of the present time”) the present government has the aim of resolving the duality of power in Catalonia. For the benefit of which class ?
Has Companys decided to govern and carry on government in the name of the proletariat ? The government’s executive power is concentrated in the hands of a minister of the Catalan Left. [2] Is this the executive power of the proletariat ? Is the emancipation of the proletariat, then, no longer the task of the proletariat itself, but of the ‘anti-Fascist’ bourgeoisie ? Nin has become a minister, but he did not become so by the decision of a congress of the militias, workers and peasants, any more than as a result of a victorious proletarian insurrection. He became this following upon negotiations in the antechamber of the bourgeois Generalitat of Catalonia.
A resolution unanimously decided by the Central Committee of the POUM is unfortunately the only document that has been published about this important meeting. Given the lack of any preparation and of any serious political motivation, it is on its own the most overwhelming expression of the centrism that has definitely taken hold among the leadership of the party. Instead of taking up a position with reference to the different problems that the revolution poses, the resolution concentrated upon one point alone : the justification of participating in the next government in Catalonia. So why, then, did it take so long to assume this liquidatory attitude ? Why did it refuse point blank to participate in the Casanovas government ? What has changed in it ? Absolutely nothing, unless you want to base yourself upon the change of position by the Anarchists, which is also in a reformist direction.
The excuses that are invoked for this surrender are based upon several points. First of all is emphasised “the popular character of the organisations of the petit-bourgeoisie in Catalonia”. Who is making fun of whom ? The ‘proof’ of this serves only to render the POUM worthy of its French ally, M. Pivert. (Its present differences with Pivert are simply a reflection of the real differences between the interests of the French Popular Front and the Spanish Popular Front.) Is not the party of Companys a reactionary party, then ? The same La Batalla which described the Caballero government as a counter-revolutionary government (Madrid is far away, and Madrid governments have never been highly rated by the Catalan ‘people’) gave the title of ‘popular’ representative to Companys, who gave up without a serious struggle on 6 October 1934, instead of giving arms to the workers and peasants who were clamouring for them, and who also refused arms to the alerted proletariat a few hours before the Fascist insurrection of 18 July, so being responsible for the greater part of the deaths of the three glorious Barcelona days, the man who recently proclaimed that there was no land problem in Catalonia, the man who does not really represent the petit-bourgeoisie but the big bourgeoisie well and truly, on whose account he held back the progress of the revolution everywhere, sabotaging community control, protecting the banks, and undertaking the reconstruction of the army and the police.
This is what can be read in the Official Bulletin of the Catalan Generalitat :
Casanovas, the national hero of Catalonia ... There was a march past that lasted for four hours. Regimental bands, Republican troops and sisters and doctors of the Red Cross were marching in the street with red flags and the national colours of Catalonia. The militiamen were roundly applauded, as also were the shock troops and the Civil Guard, who had discarded the old three-cornered hat for the red-rimmed bonnet.
It was a perfect example of victory that is being announced here, that of the Popular Front over the proletarian revolution. In fact here is a bourgeois demonstration (a national demonstration) but in which all the working class organisations are taking part, as a preliminary to collaboration in the government of the Generalitat.
Our petit-bourgeoisie are not to be compared with the others, say our autonomous revolutionaries in the leadership of the POUM. Centrists and reformists in every country have always emphasised the exceptional popular character of the left bourgeois organisations of their respective countries. Is not the Radical movement in France social, progressive and secularist ? Isn’t its basis the small peasantry, led by the advanced forces of the intellectuals of the land of France ? What difference is there in fact between collaborating with Herriot [3] and with Companys ?
The leaders of the POUM use yet another argument – that of the radicalisation of the petit-bourgeoisie and of some of their leaders during these last few weeks. This argument proves precisely the opposite of what it intends to support. Yes, the petit-bourgeoisie is radicalised : one proof of it, among others, is the abandonment of the union of rabassaires [4], Companys’ own trade union base, by hundreds of the Catalan small farmers in order to enlist in the workers’ trade unions. Is it, then, the time to enter a government formed by a reactionary leader of this organisation ? As for the leftist language of the leaders of the petit-bourgeoisie, that is also a fact. This language (partly out of fear, and partly from calculation) is of a generally more revolutionary type than that of the Stalinists and reformists and the other ‘workers’’ representatives. But does it follow that we should ally with the former against the latter ? The absurdity of this criterion of the POUM is self-evident.
It is stated in La Batalla that the revolution is assuming a more proletarian character every day. If the revolution is indeed going forward, then why are you accepting a programme that is manifestly going backwards compared with your programme six weeks ago ? We are talking about the programme of the Economic Council, elaborated, so it seems, by Nin himself. In the governmental declaration it pretends that the economic programme of the government is identical with that of the Economic Council. A comparison between the two very quickly reveals the falsity of this assertion. The “monopoly of foreign trade to avoid foreign manipulation against the newborn economic order” is replaced by pure and simple ‘control’ of foreign trade, which exists in every capitalist country. The “compulsory collectivisation of agricultural products farmed by middle and small ownership” is replaced by a pure and simple appeal for “respect for small property”. The “prompt suppression of all taxes in order to attain a single tax” is replaced by a promise of “a prompt suppression of the different indirect taxes, in time and to the extent of possibilities’. These examples could be multiplied.
Before the formation of the new government La Batalla said that if it was to be worthy of the participation of the POUM it should affirm its intention to “translate into revolutionary legality the initiative of the masses who are moving in the direction of the Socialist revolution”. Today, on the other hand, the POUM is entering a government that proposes to end the war “quickly and victoriously”, to this end creating “compulsory militias’, and which only demands “the economic reconstruction [?] of the country”, whereas for all that the Economic Council had demanded the “collectivisation of the economy”. We criticised the participation of the POUM in the Economic Council at the time by declaring that its constitution, in spite of the revolutionary appearance of its programme, would only serve to divert and in other words break up the revolutionary wave. The march of events has yet again proved that we were right. The first revolutionary wave had hardly started to abate before the workers’ ‘leaders’ renounced essential points of the programme, proof that they had never taken it seriously in the first place.
In the sphere of the army the POUM was exposed yet again as fundamentally centrist. Did not the POUM on several occasions envisage a red army and soviets, and make political reservations about its submission to the technical authority of Madrid ? Today La Batalla envisages its unconditional subordination to the General Staff. Isn’t this already virtually disarming the proletariat ? Especially since orders from Madrid mean an end to any political or trade union intervention at the front and the formation of a new Republican army, within which the militias must dissolve themselves ? The formation of an army of volunteers proved to be impossible, as the workers and peasants refused to enrol in it, and preferred to join the ranks of the workers’ militias. The militiamen tore off and burned their bourgeois army uniforms, preferring their rags to the costume of capitalist coercion. Are we going to witness Nin, the Minister of ‘Popular’ and ‘Catalan’ Justice, laying down a decree against these acts of disobedience ? We will speak again more fully about the question of the army, which is a central question of the Spanish Civil War.

Notes

1. Juan Casanovas was a member of the Esquerra, the Catalan nationalists, who was entrusted by President Companys with forming a government in Catalonia on 2 August 1936. Although the Stalinists (Comorera) joined, there was such hostility from the CNT and the POUM that they had to withdraw, and his administration was replaced on 26 September. He was later involved in a failed Catalan coup d’état, and had to withdraw to France.

2. The Prime Minister, Minister of the Interior, and Councillor for Defence in the Taradellas government were all members of the Catalan Esquerra.

3. Edouard Herriot (1872-1952) was the most well-known leader of the Radical Party in France.

4. The rabassaires was a union of leasehold tenant farmers, holding their land for the lifespan of the vines they cultivated, and looking to the Catalan nationalists to make their tenancies permanent.

FREUND Hans (1912 - 1937), dit MOULIN, militant du groupe Bolchevik-Léniniste

D’origine polonaise ou allemande des Sudètes. En Espagne au mois d’août, il collabore à la radio du POUM à Madrid.
Puis il rejoint Barcelone où il est l’un des dirigeants de la section des Bolcheviks-léninistes (SBLE).
En contact étroit au mois de mai 1937 avec les Amis de Durruti, il est bientôt arrêté à Barcelone et assassiné par des tueurs staliniens.

Bibliographie indicative :

— BROUE Pierre et TEMIME Emile, La révolution et la guerre d’Espagne, Les éditions de Minuit, 1961. [« Bientôt éclate un énorme scandale : Andrés Nín, arrêté en même temps que ses camarades, a disparu. Les staliniens insinuent qu’il s’est évadé et au questions posées sur les murs : « Ou est NIN ? » répondent par cette rime immonde : « A Salamanque ou à Berlin ». Le ministre de l’Intérieur avoue son impuissance, Negrin se déclare prêt à « tout couvrir », mais exige d’être informé. En fait Nin ne peut reparaître, car il a été assassiné. Livré par la police au chef de la NKVD en Espagne, Orlov, il a été enfermé dans une prison privée de Alcala de Henares, et torturé ai d’en obtenir des aveux sur le modèle de ceux des accusés des procès de Moscou. Mais il a résisté, et ses geôliers, impuissants devant cet homme torturé qui refuse de « collaborer », n’ont pu que s’en débarrasser. En fait, la résistance de Nín a jeté bas l’édifice préparé en Espagne sur le modèle de Moscou et probablement sauvé bien d’autres militants. Elle a en tout cas en grande partie détruit la façade « légale » de la répression stalinienne et l’a contrainte à revêtir la forme d’un pur et simple gangstérisme, en marge des formes judiciaires. Dans les semaines qui suivent se produisent, dans des conditions semblables, d’autres « disparitions » de militants révolutionnaires étrangers « enlevés » par les mêmes services et assassinés : Marc Rhein, le fils du dirigeant menchevique russe Rafael Abramovitch, les trotskistes Hans Freund, dit Moulin, et Erwin Wolf, ancien secrétaire de Trotsky, le militant autrichien Kurt Landau, qui avait rejoint le POUM. Dans l’armée, des militants du POUM sont fusillés après des parodies de jugement par des conseils de guerre. Parmi eux l’ancien commissaire de guerre de Lérida, Marcial Mena, l’un des organisateurs des syndicats enseignants de Catalogne, Juan Hervas, tous deux anciens du BOC. La restauration de l’État a certes supprimé les « tchékas » des partis, des syndicats, et la « dictature des comités » ; elle n’a pas supprimé les « tchékas » staliniennes et laisse agir librement, quoique officieusement, une toute-puissante Guépéou chargée de régler sur le sol espagnol les comptes politiques de Staline ... » Cf. page 275 à 278] ;

Source

Hans Freund (1912-1937) : Un météore au siècle des extrêmes

Hans Freund est né il y a 100 ans, le 12 mars 1912, d’une famille juive de Bunzlau, en Basse-Silésie allemande (aujourd’hui Bolesławiec en Pologne). Après avoir achevé ses études secondaires, il étudie le droit aux universités de Freiburg, Heidelberg, Paris et Berlin. Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il s’exile en Suisse, d’abord à Berne, puis à Genève, dès octobre 1933. Dès lors, son destin se précipite…
Au pays de Léon Nicole
Affilié à l’opposition de gauche au sein du PC allemand, il contacte ses membres en Suisse, qui viennent de fonder la Marxistische Aktion der Schweiz. A Genève, ils sont actifs dans la Jeunesse socialiste. Nous connaissons trois autres militants de ce groupe : Edmund Silberner, étudiant en économie, qui deviendra un spécialiste de la pensée socialiste et de la question juive, Ardachès Stakian, un jeune réfugié arménien espérantiste, employé par la droguerie Leclerc & Gorin, et Gaston Gremaud, un apprenti de commerce.
En 1933, les trotskystes sortent d’un long combat perdu pour l’unité des organisations ouvrières contre la bourgeoisie et le péril nazi. Au lendemain de la débâcle allemande de janvier 1933, suivie de la défaite de février 1934 en Autriche, le Komintern veut faire taire toute critique de son orientation suicidaire – la dénonciation des socialistes comme sociaux-fascistes –, en particulier en Suisse, dernier pays germanophone où les communistes ne sont pas (encore) interdits.
Freund arrive à Genève moins d’un an après la fusillade du 9 novembre 1932. Le tout petit PCG, soumis aux consignes de l’Internationale, y dénonce toujours le PSG de Léon Nicole comme… principal allié des fascistes. Une absurdité sans grande conséquence, puisqu’il ne compte qu’une soixantaine de membres, soit vingt à trente fois moins que le PS, et que la gauche syndicale combative est dirigée en bonne partie par les anarchistes de la FOBB.
Au ban du « front populaire » genevois
Pendant deux ans, de l’automne 1933 à l’automne 1935, autour de Freund, les trotskystes ont une certaine audience au sein de la JS. Mais les sommets du Komintern préparent un tournant à 180°, dont la France sert de laboratoire. Dès juillet 1934, PCF et SFIO signent un pacte d’unité d’action. En septembre, l’URSS est admise à la SDN. A la fin de l’année, Staline donne le feu vert à la ligne des front populaires : au-delà de l’unité des partis ouvriers, il s’agit de faire alliance avec les partis bourgeois modérés. Cette orientation est ratifiée par le 7e Congrès du Komintern, à l’été 1935.
En Suisse, le PC auquel sa politique sectaire des années 1928-1934 a fait perdre beaucoup de membres, tend dès lors la main au PS, alors que celui-ci s’apprête à encenser la « démocratie suisse » et à la défense nationale, et se cherche des alliés à droite, parmi les organisations d’employés et de paysans. Il n’est donc pas disposé à accepter les avances des communistes. Sauf à Genève, où le PSG de Nicole, majoritaire au Conseil d’Etat depuis novembre 1933, doit imposer des sacrifices croissants à sa base populaire et reçoit coup sur coup d’une droite déchaînée. Il n’entend donc négliger aucun appui.
Depuis le printemps 1935, PSG et PCG ont fait campagne ensemble contre l’initiative des milieux frontistes pour la révision totale de la Constitution fédérale. A Genève, contrairement au reste de la Suisse, cette initiative d’extrême droite est soutenue par la quasi-totalité de la droite, y compris par des dirigeants radicaux. Elle sera certes battue en septembre, mais avec un score nettement plus élevé que dans les autres cantons.
Cette expérience sert de base au lancement du « front populaire » genevois, même s’il ne rallie aucune force bourgeoise. JS et JC fusionnent leurs forces et vont exclure les trotskystes, en novembre 1935 : puisqu’ils refusent toute alliance avec la bourgeoisie modérée, ils seraient des alliés objectifs du fascisme… Julia Chamorel a laissé un récit de cette purge ahurissante dans La cellule des écoliers (1983).
Avec les ouvriers insurgés de Barcelone
Au printemps 1935, Freund a achevé sa licence en histoire économique et entame des recherches en Angleterre pour préparer son doctorat. Il n’est apparemment pas présent lorsque ses camarades sont exclus du front JS-JC. Au printemps 1936, Le Réveil anarchiste publie une série de quatre articles de lui sur la révolution genevoise du 18e siècle. En juillet, il participe à la première conférence pour la création de la IVe Internationale à Paris. C’est là, qu’il décide de partir pour l’Espagne, où la révolution vient d’éclater, afin d’y participer à la construction du mouvement trotskyste.
Il est à Madrid dès août, où il collabore aux émissions de radio du POUM en allemand et envoie des lettres d’information et d’analye à la future IVe Internationale, puis sur le front de Guadarrama, où il échappe une première fois à la répression stalinienne, enfin à Barcelone, dès la fin 1936, sous le nom de Moulin. Il y œuvre à la fusion des deux groupes Voz leninista et El Soviet. Critique du POUM et proche de la gauche anarchiste, il est le principal responsable trotskyste à participer au soulèvement ouvrier de mai 1937 dans la capitale catalane, porté par les « Amis de Durrutti ».
Dans leurs mémoires, les communistes bâlois Pavel et Clara Thalmann le décrivent comme un jeune homme de 24 ans « grand, maigre et presque chauve (…) bolchevik jusqu’à la moelle ». Katia Landau l’évoque comme un militant « pur et dévoué ». Georges Orwell immortalise son tract sur les barricades de Barcelone. Après les journées insurrectionnelles des 3 au 6 mai 1937, il est cependant arrêté, sans doute au début du mois d’août, par des hommes en uniformes de policier. Il ne réapparaîtra plus. Comme Andreu Nin et bien d’autres, il est tombé victime des tueurs de Moscou.
Epilogue : 55 ans après l’assassinat de Freund, en 1992, Julia Chamorel, qui avait participé à contre-cœur à l’éviction des camarades de Freund du front JC-JS en 1935, signait avec Gaston Gremaud notre appel à fonder le mouvement solidaritéS à Genève.
Jean Batou

* A paraître en Suisse dans le n° 205 du bimensuel suisse solidaritéS.

Source : Europe solidaire sans frontières : Hans Freund, Un météore au siècle des extrêmes

Bientôt éclate un énorme scandale : Andrés Nín, arrêté en même temps que ses camarades, a disparu. Les staliniens insinuent qu’il s’est évadé et au questions posées sur les murs : « Ou est NIN ? » répondent par cette rime immonde : « A Salamanque ou à Berlin ». Le ministre de l’Intérieur avoue son impuissance, Negrin se déclare prêt à « tout couvrir », mais exige d’être informé. En fait Nm ne peut reparaitre, car il a été assassiné. Livré par la police au chef de la NKVD en Espagne, Orlov, il a été enfermé dans une prison privée de Alcala de Henares, et torturé ai d’en obtenir des aveux sur le modèle de ceux des accusés des procès de Moscou. Mais il a résisté, et ses geôliers, impuissants devant cet homme torturé qui refuse de « collaborer », n’ont pu que s’en débarrasser. En fait, la résistance de Nín a jeté bas l’édifice préparé en Espagne sur le modèle de Moscou et probablement sauvé bien d’autres militants. Elle a en tout cas en grande partie détruit la façade « légale » de la répression stalinienne et l’a contrainte à revêtir la forme d’un pur et simple gangstérisme, en marge des formes judiciaires. Dans les semaines qui suivent se produisent, dans des conditions semblables, d’autres « disparitions » de militants révolutionnaires étrangers « enlevés » par les mêmes services et assassinés : Marc Rhein, le fils du dirigeant menchevique russe Rafael Abramovitch, les trotskistes Hans Freund, dit Moulin, et Erwin Wolf, ancien secrétaire de Trotsky, le militant autrichien Kurt Landau, qui avait rejoint le POUM. Dans l’armée, des militants du POUM sont fusillés après des parodies de jugement par des conseils de guerre. Parmi eux l’ancien commissaire de guerre de Lérida, Marcial Mena, l’un des organisateurs des syndicats enseignants de Catalogne, Juan Hervas, tous deux anciens du BOC. La restauration de l’État a certes supprimé les « tchékas » des partis, des syndicats, et la « dictature des comités » ; elle n’a pas supprimé les « tchékas » staliniennes et laisse agir librement, quoique officieusement, une toute-puissante Guépéou chargée de régler sur le sol espagnol les comptes politiques de Staline.

Source : Pierre Broué, La révolution espagnole

Freund dit Moulin (1912-1937)

Hans David Freund était né le 12 mars 1912 dans la petite ville allemande de Benzlau d’une famille de petite bourgeoisie juive qui devait émigrer en Israel dès 1933. Très Jeune, il fut attiré vers le communisme dans lequel il voyait l’unique alternative au nazisme. Militant des jeunesses communistes, il participa au début des années trente à un voyage organisé en U. R. S.S. et en revint profondément antistalinien. Nous ignorons à quel moment il rejoignit les rangs des trotskystes vraisemblablement à Berlin où sa famille s’était fixée en quittant Benzlau. Il émigra en 1933 et étudia au moins un an à l’université d’Oxford où il préparait un doctorat en sociologie. En 1934, il était à Genève et les rapports de la police suisse s’inquiètent de l’influence qu’il y a acquise dans le groupe local des étudiants sociahstes où il a construit une fraction trotskyste. II était alors organisé dans le M.A.S., organisation trotskyste suisse, mais semble avoir eu également des rapports étroits avec les J• S. R. de France. A Genève, il etait en relations avec les anarchistes italiens du groupe de Bertoni. II quitta Genève pour la France en mai 1936 et participa vraisemblablement à la conference dite de Genève, salle Pleyel, qui décida de fonder le « Mouvement pour la IVe Internationale ». Dès le début de septembre 1926, il est en Espagne où il travaille pendant plusieurs semaines aux émisions en langue allemande de l’émetteur du P. 0. U. M. de Madrid et apparait hé aux éléments sympathisants de la IVe Internationale du rayon de Madrid de cette organisation. II manque de se faire fusiller au front de Guadarrama, où il s’était rendu comme correspondant de presse, pour « propagande trotskyste », et envoie au S. I. P. et à la IVe Internationale des articles et correspondances documentées. En Janvier 1937, 11 est à Paris, au 2e congrès du P. 0. I., où il intervient sur la question de la révolution espagnole. Dans les mois suivants il milite à Barcelone où il s’emploie à unifier les groupes rivaux de « bolcheviks-léninistes », celui, « officiel », de Munis, reconnu par le S. I. qui publie La Voz Leninista, et celui de l’Italien Posco, lié au P. C. I. de Raymond Molinier, qui publie El Soviet. II prend contact avec les anarchistes dissidents du groupe Los Amigos de Durruti, qu’il semble avoir réussi à influencer au moment des journées de Mai pendant lesquelles il a quotidiennement collaboré avec leurs animateurs.

Repéré par le G. P. U. comme l’un des principaux dirigeants B. L. en Espagne - George Mink se flattait d’avoir bientôt « sa peau » - il réussit à leur échapper pendant plusieurs mois après les journées de mai mais est finalement arrêté par eux le 2 août, dans le déchaînement de Ia répression à Barcelone, et disparait sans laisser de traces, vraisemblablement assassiné dans une « prison privée » du G. P. U. si l’on en croit un témoignage parvenu à sa famille. II était connu dans le mouvement trotskyste international sous les pseudonymes de Winter, puis de Moulin.

Source

Lire encore

Hans David Freund, Letters From Madrid

Freud assassiné pour les mêmes raisons qu’Erwin Wolf

Et aussi que Rudolf Klement

Mais aussi Andres Nin

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.