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Quand Magdeleine Paz parvenait à tirer Victor Serge des griffes staliniennes des prisons russes

mardi 21 novembre 2023, par Robert Paris

Contrairement à ce qui est bien souvent dit, ce n’est pas Romain Rolland mais Magdeleine Paz qui a sauvé Victor Serge. Il fallait le rappeler.

Qu’avait réellement dit Romain Rolland ?

« Vous avez eu raison de réprimer énergiquement les complicités de la conjuration dont Kirov a été victime. Mais en frappant les conjurés, faites connaître au public d’Europe et du monde les charges écrasantes des condamnés. − Vous avez relégué à Orenbourg, pour trois ans, Victor Serge ; et c’était là une affaire bien moins importante ; mais pourquoi l’a-t-on laissée grossir ainsi, depuis deux ans, dans l’opinion d’Europe ?
Serge est un écrivain de langue française, dont la valeur est établie ; je ne le connais pas personnellement, mais je suis l’ami de plusieurs de ses amis. Ils me pressent de questions sur son exil à Orenbourg et sur le traitement qui lui est fait. Je suis convaincu que vous n’avez pas agi sans de sérieux motifs.
Mais pourquoi ne pas les avoir établis dès le début, aux yeux d’un public français qui proteste de son innocence ; il est toujours très dangereux, au pays des affaires Calas et Dreyfus, (de laisser un individu condamné devenir le centre d’un mouvement de revendications générales. »

https://vivelemaoisme.org/texte-officiel-de-l-entretien-de-staline-avec-romain-rolland-%E2%88%92-1935/

On mesure la différence avec ce que déclarait Magdeleine Paz et qu’on peut lire ensuite !

Quand Magdeleine Paz parvenait à tirer Victor Serge des griffes staliniennes des prisons russes

Qui est Magdeleine Paz :

Préface de Magdeleine Paz à « Le tournant obscur » de Victor Serge » :

« Il y a des voix qu’on ne tue pas. Il y a des élans qu’on ne brise pas. Cette phrase, prononcée lors d’une intervention que je fis un juin 1935, au Congrès International des Ecrivains, s’appliquait à Victor Serge. Elle était non pas un hommage rendu, mais une constatation vérifiée par tous les actes d’un homme qui servit la cause de la révolution sans se sentir obligé de se mettre à genoux, ni d’aliéner son jugement. Condamné en 1913 par la justice française, alors qu’il atteignait à peine sa vingtième année, a quatre ans de prison parce qu’il comptait parmi les amis de son journal « L’Anarchie » des membres de la Bande à Bonnot, Victor Kibaltchiche devait faire, deux décennies plus tard, connaissance avec les geôles staliniennes. Il sortit de ces épreuves sans peur et sans haine, débarrassé de quelques illusions peut-être, mais toujours riche d’une foi révolutionnaire que rien ne put jamais ébranler.

Que de déceptions pourtant ! Respectueux défenseur de la vérité et de la liberté de pensée, persuadé que le socialisme ne pouvait grandir que par l’émulation et la lutte des idées, il assista à l’établissement d’une terreur organisée, à l’évènement d’un régime bureaucratique tuant la tradition révolutionnaire vivante, au baillonnement généralisé sous couvert de la raison d’Etat…

La révolution se fossilise lentement autour de la momie du grand leader disparu. …

Malgré leur courage, ceux qui furent les vrais artisans de la Révolution d’octobre ne pourront rien contre l’accomplissement du Thermidor soviétique… »

Intervention de Magdeleine Paz au Congrès International des Ecrivains (juin 1935) :

« Dès que j’ai lu le petit opuscule qui sert, en quelque sorte, de préface à vos travaux, j’ai décidé que je parlerais dans ce Congrès. Affronter les « périls qui menancent la culture », « envisager et discuter les moyens de la défendre », vous en êtes : j’ai donc quelque chose à vous dire.

Je ne viens pas ici – je tiens bien à le préciser – dans le but d’entamer la moindre polémique, de semer la discorde, ni d’attaquer tels ou tels hommes relevant de telle ou telle observance. Je sens pour cela trop tragiquement que nous vivons, je ne dis pas une époque, mais une journée du temps, où la pensée doit se résoudre en actes positifs, et où l’accord sur certains points essentiels est une question de vie ou de mort.

Conviction absolue de défendre la pensée avec tout le courage et toute la clairvoyance qu’une semblable défense impose ; confiance en ceux qui se seront proposé une tâche aussi difficile ; ce sera ma seule présentation, ce seront mes seuls préliminaires.

J’entrerai donc d’emblée dans le vif du sujet.

Pour illustrer le cinquième point du plan que vous avez tracé : « La Dignité de la pensée Liberté d’expression, Formes directes et indirectes de la censure, L’écrivain et l’exil »,
j’apporte un nom, des faits, une situation : je mets de la chair, une âme, un esprit et une plume sur chacun de vos paragraphes et je vous place dans une alternative que rien au monde, désormais, ne pourra vous faire éluder : celle que vous allez créer vous-mêmes devant l’affaire Victor Serge.

André Malraux a dit ici (je le cite en substance) : « Parlant sur les individus, je parlerai sur les idées. » Je reprends à mon compte cette déclaration : moi non plus, je ne quitterai pas le terrain des idées.

Tout d’abord, qui est Victor Serge ?

S’il y en a parmi vous beaucoup qui ne le connaissent pas, il y en a peut-être davantage qui le connaissent mal, car ils ne savent que sa légende. Nous ne sommes pas ici pour broder des légendes, nous sommes ici pour nous occuper de vérité. La vérité, je vais vous la dire :

La formation de Victor Serge a pris sa source dans l’anarchie. Sous son nom d’écrivain, se trouve un autre nom : celui de Victor Kibaltchine. De 17 à 20 ans, le jeune Kilbatchine, typographe de son métier, se comporte en libertaire ardent et convaincu. Certains de ses camarades ont été les protagonistes de l’affaire Bonnot. Arrêté avec eux, totalement étranger aux actes qui leur étaient reprochés, il se refuse à les livrer. Il a 20 ans, il fait alors son premier pas sur la voie du courage : il lui en coûte cinq ans de prison.

Aussitôt libéré, il part pour Barcelone, où il participe à une insurrection. C’est là que les échos de la Révolution d’octobre viennent le faire tressaillir. Il tend le cœur, il tend l’oreille, son être tout entier répond au plus irrésistible des appels. Arrêtons-nous une seconde pour saluer : tous les amis de la Révolution ne font pas remonter leur amitié à sa naissance…

Il regagne Paris dans le but de partir là-bas : il lui faut se joindre à ceux qui démolissent le vieux monde pour bâtir un monde nouveau ; l’attente lui devient intolérable. Il obtient finalement d’être mêlé à un convoi de Russes échangés contre des Français : c’est ainsi qu’il débarque à Léningrad en février 1919. C’est en mars de la même année que l’Internationale communiste est fondée à Moscou. Victor Serge entre en mai dans le Parti communiste russe qui ne compte alors, que des militants éprouvés. Ce n’est pas le moment où l’on confie au premier venu les travaux qui doivent coordonner l’effort du prolétariat mondial : on le charge de collaborer au Bureau d’éditions de Pétrograd. Il y travaille activement, il publie de nombreuses brochures (sur la guerre civile, sur la terrible mort de trois héros : Raymond Lefebvre, Vergeat et Lepetit, sur la Commune de Paris, et bien d’autres). On lui confie la charge de l’édition française de la revue « L’Internationale Communiste », on utilise ses connaissances techniques de typo pour monter l’imprimerie de l’Internationale communiste, il s’y adonne de toutes ses forces. En octobre 1919, alos que Youdenitch menace Pétrograd, il s’enrôle pour la défendre, et c’est encore un don de sa personne.

La Révolution sauvée, on le voit acharné à combattre sur le front idéologique, sur le front de la propagande, sur le front littéraire. Il est un des fondateurs du Musée de la Révolution, que tous les voyageurs ont visité à Léningrad. Il publie « La Ville en Danger », où il exalte le miracle d’énergie qui donna la victoire à la Révolution : ceux qui ont lu ces pages ne manquent pas d’être emportés par l’adhésion profonde de l’ancien anarchiste aux principes bolcheviks. Il publie ensuite des études sur l’Okhrana, un ouvrage sur Lénine. Pas de militant plus zélé à propager le bolchevisme auprès des anarchistes et des syndicalistes qui se rendent aux Congrès soviétiques, pas de meilleur propagandiste parmi les écrivains qui viennent de l’étranger. Sur tous les témoignages qui nous en sont venus, je citerai celui de Georges Duhamel :

« Victor Serge avait étudié sans réserve le communisme marxiste. Il en parlait avec une ferveur clairvoyante, non point austère, mais vraiment loyale et humaine, qui forçait l’estime… Pendant ces quelques jours de Léningrad, Victor Serge a rendu à la Russie soviétique un service non médiocre : il lui a prêté – du moins à mon regard – un visage vraiment sage, humain, respectable. »

Je cite encore le témoignage de Luc Durtain, qui m’a déclaré à moi-même :

« Si je suis devenu un ami de l’Union Soviétique, c’est en grande partie à Victor Serge que je le dois. Pendant trois jours à Léningrad, il s’est montré pour moi le guide le mieux fait pour me faire comprendre et aimer la nouvelle Russie. »

En produisant ces citations qui se réfèrent à l’année 1927, j’ai devancé la chronologie, je vous prie néanmoins de retenir cette date avant de retourner en arrière.

Nous sommes à l’époque où Victor Serge collabore à la revue Clarté, fondée par Henri Barbusse, Raymond Lefebvre, Vaillant-Couturier, moi-même ; où il collabore également à la Vie ouvrière, au Bulletin communiste, à L’Humanité, où il commence sa traduction des œuvres de Lénine.

En mars 1921, la secousse de Cronstadt passe sans l’ébranler. Il continue de collaborer aux publications de l’Internationale communiste, ainsi qu’à celles des Editions d’Etat de Léningrad. En septembre de la même année, alors que s’annonce en Allemagne la crise qui devait éclater en 1922-1923, il est envoyé à Berlin. On lui donne pour mission d’assurer l’édition française de la Correspondance Internationale qui fut, tous les militants le savent, une source inépuisable d’informations sur la Russie (au temps où il fallait lutter vraiment pour la faire connaître et aimer) et un excellent résumé de la pensée et de la tactique révolutionnaire sur le plan mondial.

Les travaux même de Victor Serge le conduisent à compléter sa riche formation théorique, il est devenu le marxiste le plus instruit, le communiste le plus orthodoxe ; la pensée des grands maîtres circule dans son sang : on la voit briller sous sa plume. L’accord le plus total s’est établi entre les communistes allemands et lui ; la pleine confiance des dirigeants de l’Internationale l’investit. Après l’échec du mouvement allemand, on l’envoie à Vienne, avec charge de continuer la Correspondance Internationale : les missions de confiance qui lui sont dévolues ne se comptent plus.

Il retourne en Russie où il reprend sa collaboration au Bureau d’Editions de l’Internationale communiste.

1924. Lénine est mort. C’est le moment où un malaise se fait sentir au sein des partis communistes – gardons-nous de l’analyser, constatons-le – où les exclusions se multiplient ; le moment où Trotsky entre en conflit avec le Comité Central.

Victor Serge a eu l’occasion de voir de près Trotsky à l’œuvre lors de l’offensive Youdenitch ; il sait, comme le sait toute la Russie de l’usine et des champs, ce que la Révolution doit au créateur de l’Armée Rouge, il pense que Trotsky a raison, et, disons-le, ne tournons pas autour du crime : au fond de son cœur, il est trotskyste. Mais spécifions, pourtant, non point pour atténuer ni excuser son crime, mais parce que c’est un fait : il ne prononce aucun discours, n’écrit aucun article, ne fait aucune agitation : tout se borne pour lui à des convrsations privées, à des discussions entre amis et à des lettres aux amis étrangers.

A la suite de quelques brèves interventions dans les réunions de sa cellule, (interventions portant exclusivement sur des questions de tactique), Victor Serge est exclu du Parti communiste russe. Nous sommes en 1927, dans l’année même où, pilotant des écrivains, il leur faisait aimer la Révolution russe sans les faire participer à son débat intérieur. A peu de temps de là, et sans autre raison que le fait de son exclusion, il est arrêté par le G.P.U. ; sans jugement, il est gardé 40 jours en prison, où un grave trouble organique, causé par le régime de la prison met ses jours en danger.

Son activité politique est désormais terminée en Russie, pas une ligne de lui ne pourrait y être imprimée ; son activité d’écrivain étant paralysée, il demande à revenir en France ; à son ultime adresse au Comité Central excécutif des Soviets, datée du 16 octobre 1932, il reçoit, le 16 janvier 1933, un refus non motivé.

Il fait paraître en France ses romans magnifiques : « Les hommes dans la prison », « Naissance de notre force », « Mer blanche », Œuvre dense, accent âpre, pensée puissante, absession de la vérité, âme jeune, son nouveau, et foi inébranlable en la Révolution.

C’est le moment de la publication de ses admirables poèmes, de ses ouvrages historiques (on ne peut étudier la Révolution russe sans avoir lu son livre magistral « L’an I de la Révolution russe ») et c’est aussi, j’ai gardé cet apport pour la fin parce qu’il vous intéresse au premier chef, vous écrivains tournés vers la création d’une culture nouvelle : c’est sa précieuse contribution à l’ébauche d’une culture prolétarienne. Avec Henri Poulaille et Marcel Martinet, Victor Serge est l’écrivain de langue française qui a pensé le mieux et le plus loin sur ce sujet, le plus honnêtement et le plus fortement.

Le 8 mars 1933, il est de nouveau arrêté, condamné à la déportation et envoyé à Orenbourg. Pas de jugement, pas de défenseur, aucun témoin, aucune comparution de l’accusé : la mesure administrative est prise par le G.P.U., qui l’envoie méditer – ne disons même pas sur la liberté d’expression : il ne s’est exprimé que dans le privé – mais sur le sort promis à l’écrivain lorsqu’il possède cette vertu que Guéhenno louait chez l’écrivain, sans cependant l’exiger de lui, le courage.

Car il aurait pu, comme tant d’autres, signer une déclaration de reniement, il aurait pu écrire en toutes lettres : « Je ne pense pas ce que je pense : vous voulez ma lâcheté et mon abdication : les voici couler à pleins bords. » Il ne l’a pas voulu. Il a choisi. Il s’est prononcé lui-même cette sorte de serment que Karin Michaelis lançait ici si éloquemment l’autre soir : « Ne pas céder. Jamais. Et, s’il le faut, payer le prix. Et, s’il le faut, risquer sa vie. »

Il paie, en ce moment. Pendant que nous sommes ici, Congrès des Ecrivains réunis pour défendre, là-bas, du côté de l’Oural, la pensée fait un grand effort, sous les tempes d’un homme, pour demeurer sereine et garder son espoir intact en la Révolution.

Je pourrais vous brosser ici, avec ses noirs, le tableau de la vie de Victor Serge depuis au moins trois ans, vous montrer l’homme tendant ses mains, levant ses yeux vers le travail et voyant écrit : « défendu ». Je pourrais donner maints détails sur l’existence d’une famille dénuée de toute ressource, ne subsistant que grâce à la solidarité de ses amis français ; je pourrais montrer l’intellectuel coupé de son milieu de culture, dépourvu de pâture, sans livres, sans revues, sans journaux, quasiment sans nouvelles ; je pourrais décrire ses transes, car sa jeune femme est devenue folle après tant de persécutions et d’années privées de soins, car lui-même est malade : atteint d’anémie pernicieuse, il a dû passer des semaines à l’hôpital, et leur enfant, pendant ce temps, était un orphelin qui faisait tôt l’apprentissage de ce qu’il en coûte de penser lorsqu’on veut penser « dignement ».

Ce tableau, je ne le brosserai pas, car ce n’est pas ici, le lieu de verser dans le sentiment, ni de faire appel à la pitié : c’est l’endroit où il faut rappeler que la pensée garde la pensée gardedes droits imprescriptibles, et que s’il est un pays au monde où l’esprit révolutionnaire, la liberté de l’écrivain, doivent être préservés, c’est au pays où Octobre s’est fait.

(…)

A aucun moment je ne vous dis : vous avez à sauver un homme – vous n’êtes pas réunis pour cela – mais, en tant qu’écrivain dont le seul orgueil consiste à n’avoir pas écrit une ligne qui ne soit inspirée du modeste et brûlant désir de servir la Révolution, je vous désigne l’impératif mêlé à votre raison d’être.

(...)

Pour que Victor Serge soit rendu à sa fonction et à nos tâches, pour que ce révolutionnaire authentique devant qui, je ne crains pas de le dire, tous ceux qui sont ici, les plus connus, les plus illustres, ne peuvent que s’incliner bien bas, pour que cet écrivain puisse attester qu’on peut servir partout la cause que nous servons sans se mettre à genoux, vous n’avez qu’un seul mot à dire.

Et ce mot-là, vous le direz, vous ne pouvez plus ne pas le dire.

(…)

Il y a des voix qu’on ne tue pas !

Il y a des élans qu’on ne brise pas ! »

Lire dans « Le tournant obscur » de Victor Serge

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