Accueil > 0 - PREFACE > L’Amérique qui a faim

L’Amérique qui a faim

jeudi 17 décembre 2009

Pire pour les enfants de pauvres que durant les années trente....

Un article, paru dans l’édition de dimanche du New York Times, décrit l’explosion du recours aux coupons alimentaires et trace un portrait bien différent des Etats-Unis à la fin de l’année 2009 que celui que présentent les promesses complaisantes de « reprise » économique de Wall Street et de l’administration Obama.

Le Times a mené une enquête statistique sur l’utilisation de coupons alimentaires par comté dans le but d’établir un portrait social plus détaillé des 36 millions de personnes qui bénéficient actuellement des coupons alimentaires. « On retrouve parmi ces gens des mères monoparentales et des couples mariés, des nouveaux chômeurs et des pauvres, des bénéficiaires de longue date de l’aide sociale et des ouvriers dont le garde-manger a été vidé par une réduction du nombre d’heures de travail ou du salaire », souligne l’article.

Parmi les statistiques les plus significatives :

* Dans 239 comtés, plus d’un quart de la population reçoit des coupons alimentaires.
* Dans plus de 750 comtés, au moins un Afro-américain sur trois reçoit des coupons alimentaires.
* Dans plus de 800 comtés, plus du tiers de tous les enfants dépendent des coupons alimentaires.
* Dans 62 comtés, le nombre de gens ayant recours aux coupons alimentaires a doublé au cours des deux dernières années.
* Dans 205 comtés, le nombre de personnes dépendant des coupons alimentaires a augmenté de deux tiers.

La dispersion géographique du besoin grandissant de nourriture est stupéfiante. Des régions traditionnellement pauvres, comme les Appalaches rurales ou les ghettos des quartiers urbains déshérités, jusqu’aux banlieues, ce manque s’est répandu dans les Etats du sud et de l’ouest dans les deux dernières décennies. La carte affichant les comtés où le recours aux coupons alimentaires croît le plus rapidement comprend les riches banlieues d’Atlanta, la majeure partie de la Floride, la majorité du Wisconsin, de l’ouest et du nord de l’Ohio, ainsi que la plus grande partie de l’ouest montagneux, dont de larges bandes du Nevada, de l’Utah, de l’Arizona, du Wyoming, du Colorado et de l’Idaho.

Bien que le chômage soit la principale raison de l’augmentation de l’utilisation des coupons alimentaires, la cause économique immédiate varie énormément, que ce soit l’effondrement de la bulle immobilière dans les Etats du sud-ouest et en Floride, l’effondrement de l’industrie automobile dans la région des Grands Lacs ou la vague de licenciements dans la fonction publique américaine alors que s’aggrave la récession.

Le Times a noté l’impact sur les banlieues riches, longtemps dominées par le Parti républicain, où l’utilisation des coupons alimentaires a plus que doublé depuis le début officiel de la récession en décembre 2007, comme Orange County en Californie et Forsyth County en Géorgie. L’utilisation des coupons alimentaires a crû plus lentement, en termes de pourcentage, dans des villes comme Détroit, Saint-Louis et la Nouvelle-Orléans, mais seulement parce qu’une bonne partie de leur population vivait déjà dans la pauvreté et recevait de l’aide alimentaire lorsque la récession a commencé.

Tous ces chiffres sous-estiment considérablement le niveau de destitution sociale. Environ 18 millions de personnes éligibles aux coupons alimentaires ne les reçoivent pas, en partie en raison de barrières institutionnelles comme des services de proximité inadéquats, particulièrement pour les communautés immigrantes — l’Etat de la Californie rejoint environ la moitié de ceux qui sont éligibles — et en partie en raison de la stigmatisation sociale reliée au fait de recevoir de l’aide de l’Etat, spécialement dans des zones banlieusardes où la pauvreté a été un évènement soudain et récent.

Selon une étude réalisée par Thomas A. Hirschl de l’université Cornell et Mark R. Rank de l’université Washington à Saint-Louis, la moitié des enfants aux Etats-Unis vont dépendre des coupons alimentaires à un certain moment durant leur enfance. Le chiffre grimpe à 90 pour cent pour les enfants noirs. L’étude a été publiée ce mois-ci dans Archives of Pediatrics and Adolescent Medicine.

Vu qu’elle est basée sur une analyse de 29 années de données, cette dernière étude donne un portrait des niveaux de besoins sociaux pendant une période où le taux de chômage gravitait bien en dessous de la marque de 10,2 pour cent atteinte le mois dernier. Une période prolongée de chômage à plus de 10 pour cent — maintenant largement anticipée par la grande entreprise et les économistes du gouvernement — rendra de plus en plus d’enfants dépendant de l’aide fédérale pour satisfaire leurs besoins nutritionnels élémentaires.

Les résultats de ces deux études viennent confirmer les conclusions de l’enquête du département américain de l’Agriculture rendue publique le 16 novembre et qui a déterminé que 49 millions d’Américains, incluant 17 millions d’enfants, manquaient parfois de nourriture en 2008. La vaste majorité des 17 millions de familles qui luttent pour se nourrir suffisamment avaient au moins une personne en emploi dans le ménage, mais avec un salaire trop faible pour assurer les besoins de base. Le niveau d’insécurité alimentaire était à son plus haut depuis que le département a commencé à cumuler les données en 1995.

Ces données montrent que la réalité sociale que connaissent les travailleurs américains est la plus sombre depuis la Grande Dépression. Quelque 30 millions de personnes sont sans emploi ou n’ont qu’un emploi partiel. Près de 50 millions n’ont pas d’assurance-maladie. Près de 50 millions ont de la difficulté à nourrir leur famille ou se nourrir eux-mêmes. Quelque 40 millions vivent sous le seuil de pauvreté officiel et ce nombre atteindrait 80 millions si un budget familial réaliste servait d’étalon de mesure.

Ce sont les jeunes qui connaissent les plus grandes difficultés. Selon un rapport du Pew Research Center de la semaine dernière, 10 pour cent des adultes de moins de 35 ans sont retournés habiter chez leurs parents à cause de la récession. Plus de la moitié des hommes entre 18 et 24 ans vivent toujours chez leurs parents. La proportion est de 48 pour cent pour les jeunes femmes.

Ces chiffres sont une condamnation du capitalisme américain et de son sabotage criminel des forces productives de la société. Comment est-il possible qu’il soit si difficile pour des dizaines de millions de personnes de se nourrir ou nourrir leur famille dans un pays où l’agriculture est tellement productive qu’elle peut littéralement nourrir la Terre entière ? S’il en est ainsi, c’est parce que la production et la distribution sont organisés pour maximiser le profit individuel et que nourrir les enfants qui ont faim rapporte beaucoup moins aux élites dirigeantes que la spéculation sur les marchés financiers.

Ces chiffres sont aussi une condamnation des représentants de la grande entreprise de l’administration Obama, du Parti démocrate et du Parti républicain. Il semble que la faim, tout comme le chômage d’ailleurs, ne soit considérée par Obama que comme un « indicateur retardataire », un phénomène que l’Américain ordinaire doit supporter et subir, mais pas une crise, même pas un motif pour lever le petit doigt.

Après avoir détourné des milliers de milliards de dollars vers le système financier, dans le but de permettre le retour à la profitabilité et aux bonus dans les dizaines de millions pour Wall Street et après avoir décidé d’intensifier la guerre en Afghanistan au coût non divulgué de dizaines de milliards, Obama déclare aujourd’hui que sa principale priorité au pays est la réduction du déficit. Après que Wall Street et la guerre aient obtenu tout l’argent dont ils avaient besoin, il ne reste que peu, et même rien, pour satisfaire aux besoins des enfants qui ont faim, ou de leurs parents.

(Article original anglais de WSWS paru le 30 novembre 2009)

Messages

  • Il semble qu’en France, l’économie de guerre et de sauvetage des profits, ne nécessitent pas autant d’argent.

    Sinon comment expliquer une telle situation aux USA qui donne le sentiment qu’en France "une proportion importante des travailleurs " seraient encore épargnés de cette bombe à retardement du système économique capitaliste.

    L’article laisse penser que les livres Jack London sont à nouveau d’une terrible actualité.

    "On achève bien les chevaux", voilà la société américaine ramenée 80 ans en arrière et avec elle c’est toute la planète qui sombre.

    • En France, aussi, la faim est imminente !1500 euros par mois pour tous ceux qui sont privés d’un travail ! Ce n’est ni aux travailleurs ni aux chômeurs de payer la crise du capitalisme.

      D’après Pôle Emploi, un million de personnes vont se retrouver en fin de droits en 2010. Parmi ces personnes Seul 40% en fin de droit pourraient toucher une indemnisation : soit l’Allocation spécifique de solidarité (ASS), pour ceux qui ont cotisé suffisamment longtemps les années précédentes ; soit le revenu de solidarité active (RSA), pour les familles ne disposant d’aucun autre revenu.
      Mais toutes verront leurs revenus baisser de façon très importante, qu’elles en soient réduites à toucher le RSA ou l’ASS, ou qu’elles ne puissent même pas y prétendre.
      Le président du régime d’assurance chômage, l’Unedic, a déclaré que « c’est à l’Etat et non à l’Unedic de gérer les problèmes de chômeurs en fin de droits ». Ce monsieur, en digne représentant des patrons, considère que l’État doit payer pour les ravages que produit la vague de licenciement des capitalistes !
      Quant à l’État, il cherche à se défausser de ses responsabilités tout en continuant à verser largement aux capitalistes des subventions directes ou indirectes.
      Il n’y a rien à attendre de cette partie de ping pong entre l’Etat et les patrons. Comme il n’y a rien à attendre des directions syndicales qui se font toutes discrètes alors que plus d’un demi million d’hommes sont menacés par la paupérisation.
      Il n’y a pas d’autres solutions pour que la misère ne continue pas à se répandre que d’organiser la lutte pour que toute personne privée d’un travail dispose d’un revenu d’au moins 1500 euros par mois pour subvenir à ses besoins ou à ceux de sa famille.

    • Les nouveaux sans-domicile américains

      Elizabeth Schulte *

      Toutes les grandes villes des Etats-Unis – même celles qui sont très connues pour leur richesse et pour leur opulence – sont en train de devenir des lieux où l’on peut avoir faim et être sans domicile.

      Au cours de l’année 2009, on a assisté aux Etats-Unis à une augmentation moyenne vertigineuse de 26% des demandes d’aide d’urgence de nourriture, selon les résultats récents de l’Enquête sur la faim et le phénomène des sans-domicile conduite par la Conférence des Maires des Etats-Unis. Cela représente la plus forte augmentation moyenne de la demande au cours des 18 dernières années.

      L’enquête, basée sur les données des 27 plus grandes villes des Etats-Unis, a constaté que les trois-quarts de ces villes connaissaient une forte augmentation du nombre de familles vivant sans domicile. Le nombre de ces familles vivant dans la rue y apparaît en effet stupéfiant, même si plusieurs villes ont prétendu que le nombre de personnes vivant sans domicile était resté le même ou qu’il avait même diminué.

      La moitié des villes concernées par l’enquête ont déclaré que la demande d’assistance alimentaire avait augmenté de 30% et plus. Dans le comté de Hennepin, qui comprend la ville de Minneapolis (Etat du Minnesota), il y a eu une augmentation de 49% des demandes d’assistance alimentaire, demandes qui se concentrent dans l’aire urbaine de Minneapolis. Le Programme de Coupons Alimentaires est poussé jusqu’à ses limites, puisque, comme l’a déclaré au Minneapolis Star Tribune Bill Brumfield, le directeur régional des services humains et de la santé publique du comté de Hennepin, « ce genre d’événement - une perte d’emplois par la classe moyenne - n’était initialement pas prévu ».

      Quant à Denise Jourdain, récemment licenciée par une organisation à but non-lucratif, elle a raconté comment elle s’était rendue dans un centre de distribution alimentaire du Catholic Charities à Minneapolis pour demander des coupons de nourriture, après avoir remis sa démarche au lendemain durant trois mois. Mais « la crainte de ne pas avoir assez de nourriture » l’a finalement poussée là-bas, comme elle l’a dit à un journaliste en ajoutant : « Que se passera-t-il si je n’ai pas de travail à la fin du mois ? Il faut que je fasse cela. »

      Le rapport de la Conférence des Maires des Etats-Unis a établi que 22 villes sur 23 faisaient état d’une augmentation du nombre de personnes recourant à l’assistance alimentaire pour la première fois. Nashville a connu une augmentation de 74% de ces premières demandes, Seattle une augmentation de 30% et Los Angeles et Detroit des augmentations de 10 à 15%.

      Selon le rapport des maires, des gens qui, il y a une année encore, distribuaient eux-mêmes des repas, se trouvent aujourd’hui à les demander :

      « Six villes ont déclaré que des familles de la classe moyenne qui avaient l’habitude de distribuer des paniers de nourriture étaient maintenant obligées de demander elles-mêmes de l’assistance. La demande croissante provenant de familles de la classe moyenne a créé de nouveaux défis pour la distribution de ces paniers-repas. San Francisco a ouvert cinq nouveaux centres au cours de l’année dernière afin de pouvoir servir toutes les nouvelles personnes obligées de demander de l’aide en raison de la récession. La ville a même lancé une campagne médiatique agressive pour promouvoir ces distributions de paniers-repas, parce que beaucoup de gens ne savaient même pas qu’il existait des possibilités d’assistance.

      La ville de Dallas rapporte que les familles de la classe moyenne ayant besoin d’assistance ne sont pas familiarisées avec la manière d’accéder aux services sociaux, qu’elles attendent trop longtemps avant d’essayer, et qu’elles n’hésitent pas à faire connaître leur point de vue sur les conditions d’accès aux services sociaux. »

      De plus, les gens qui ont faim visitent plus souvent qu’auparavant les centres de distribution. La ville de Providence, dans l’Etat de Rhode Island, a rapporté le fait « qu’autrefois les gens s’organisaient pour venir chercher en même temps leur panier-repas et leurs coupons alimentaires, mais que maintenant elles devaient revenir plus tôt parce qu’en raison de l’augmentation du coût de la nourriture, leurs coupons ne permettaient pas de tenir jusqu’à la distribution prochaine. »

      Lorsqu’on a demandé aux responsables municipaux quelles étaient. selon eux, les raisons de l’augmentation de la faim parmi leurs citoyens, 92% des villes interrogées ont dit que le chômage était la première cause, devant les loyers élevés (60%) et les bas salaires (48 %). Trente-deux% des villes ont cité les coûts médicaux élevés comme étant une des raisons principales de la faim – ce qui représente une forte augmentation par rapport à 2008 où seulement 8% des villes avaient désigné les factures médicales comme étant un élément responsable de la faim.

      Les familles plus que les personnes seules sont en train de devenir le nouveau visage des sans-domicile aux Etats-Unis. San Francisco, Sacramento, Nashville, Dallas, Boston, Kansas City et Charleston, toutes ces villes ont évoqué des augmentations à deux chiffres du nombre de familles n’ayant plus de domicile.

      A Norfolk, dans l’Etat de Virginie, où le nombre de personnes vivant sans domicile a augmenté de 15% au cours des douze derniers mois, la population de ces sans-domicile a changé, selon Linda Jones de l’Union Mission Ministries (structure chrétienne qui distribue de la nourriture, des habits, des hébergements) locale. Il y a plus de femmes et de jeunes qui perdent leur domicile, comme celle-ci l’a expliqué au journal Virginian-Pilot.

      A la mission, des hommes dorment sur le sol du hall d’entrée et les femmes dorment dans des bureaux ou des chambres d’hôtel – presque 300 personnes chaque nuit. Ce nombre représente une augmentation de 10% par rapport à l’année précédente.

      Norfolk avait déjà été durement touchée en 2007, lorsqu’un site d’assemblage de camions de Ford avait été fermé. Maintenant, les temps sont encore plus durs. Selon Linda Jones, les dons de privés en faveur de la mission auraient diminué de 23% en 2009. En 2008, l’organisation fournissait 2500 cartons de nourriture à des familles pendant les vacances [1], alors que l’année suivante, seuls 1’000 cartons étaient disponibles pour répondre à des besoins en si forte augmentation.

      La crise de Norfolk représente un cas tout à fait ordinaire. Les exécutifs municipaux ont été obligés d’être « créatifs » pour répondre à la demande d’hébergement où passer la nuit. Sept villes, toujours selon la même enquête des maires américains, ont expliqué comment elles convertissent des immeubles commerciaux en des gîtes temporaires pour essayer de répondre aux besoins.

      De nombreuses villes, incluant Detroit, Los Angeles et Nashville ont dit que de nouvelles villes de tentes pour les sans-domicile avaient fait leur apparition et d’autres villes, telles que Sacramento et Des Moines, ont déclaré quant à elles que les cités de tentes déjà existantes étaient en train de s’agrandir. (Traduction A l’Encontre)

      * Elizabeth Schulte a écrit cet article pour l’hebdomadaire Socialist Worker (USA)

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.