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Le Parti communiste en Martinique en 1951
mardi 3 avril 2018, par
La Martinique coloniale et le Parti communiste (stalinien) en 1951
Récit de Gaston Donnat, qui est un dirigeant stalinien visite en 1951 la Martinique qui est entièrement gouvernée par le parti communiste, de la mairie de Fort-de-France aux plus petites mairies, aux mouvements politiques et syndicaux locaux. Le PC de Martinique gouverne tout ce qui ne concerne pas les « békés » depuis qu’il a accepté de maintenir l’ordre colonial à la Libération quand la révolution sociale menaçait d’exploser… N’oublions pas que le PC martiniquais appartient au PCF qui est alors au gouvernement et maintient l’ordre social et politique ! Inutile de dire qu’il est pour l’ordre colonial aux Antilles, au nom de l’indépendance des Antilles à l’égard des… USA !!!
« Je débarquai à l’aéroport de Fort-de-France, où j’eus la surprise (pour moi pas tellement agréable !) de me voir accueilli par le Maire de la ville accompagné de la fanfare municipale ! Après la petite démonstration musicale, il m’emmena dans sa voiture jusqu’à sa demeure et me présenta son épouse ; puis je fus invité à prendre, chez eux, mon premier repas martiniquais. Le maire de Fort-de-France était communiste, il profita de ce premier contact pour m’exposer son point de vue sur la situation du Parti à la Martinique. (Notons que Donnat ne dit pas un mot de plus sur « son point de vue » qui semble donc bel et bien être tout à fait contre-révolutionnaire, ce qui explique que le colonialisme l’accepte ou le tolère très bien, et que Donnat se garde bien de discuter et de critiquer !!! – Note de Robert Paris)
Un responsable fédéral vint me prendre en charge. Il m’installa chez un vieux docteur… Pour mes ablutions je disposai d’une sorte de bassin en ciment situé dans la cour de la maison. Je remarquai immédiatement la couleur suspecte de l’eau et l’odeur écoeurante qui s’en dégageait. Ce fut l’aspect le plus désagrable de mon séjour à Fort-de-France. Me laver, me raser constituaient pour moi des corvées peu ragoûtantes. Mais lui-même, un certain jour, me fit connaître qu’il n’utilisait jamais l’eau pour sa toilette. Il se lavait entièrement à l’alcool…
Les camarades que j’interrogeai sur le problème de l’eau, m’expliquèrent que les vieilles canalisations en plomb circulaient à fleur de terre et quelquefois même dans les rigoles bordant les rues. Le plomb était devenu poreux. On m’affirma que les analyses avaient décelé un gramme d’excrément humain par litre d’eau fournie aux habitants…
Avec les situations que j’avais connues en Algérie et en Afrique Noire, il y avait un point commun fondamental : la scandaleuse misère que connaissait la grande masse de la population.
J’appris rapidement que l’on pouvait distinguer plusieurs classes sociales dans la société martiniquaise, entre lesquelles existaient des différences de niveau absolument inadmissibles. Les privilégiés occupaient les hautes fonctions administratives, le grand commerce, et surtout, une petite minorité d’entre eux possédaient pratiquement toutes les terres cultivables de l’île. C’étaient les « békés », descendants blancs des colonisateurs des siècles passés.
Une couche intermédiaire de petits fonctionnaires, employés, ouvriers qualifiés, etc. jouissaient d’un niveau de vie précaire et à observer leur habitat, comme j’en eux l’occasion, on pouvait apprécier leurs conditions de vie comme misérables relativement à celle que connaissaient leurs semblables en France.
C’est que les prix en Martinique étaient très élevés. Il faut considérer que la farine destinée à la fabrication du pain venait de France, la viande était importée des Etats-Unis via Porto Rico. L’île ne produisait pratiquement rien pour l’alimentation des habitants et pour leurs besoins essentiels, si l’on excepte la pêche, et le petit élevage bien insuffisant. Sur le plan agricole les gros propriétaires terriens se contentaient de la monoculture de la canne à sucre à laquelle ils ajoutaient quelques plantations de bananiers, le tout destiné à l’exportation.
La grande masse des Martiniquais ne connaissait que la misère, son niveau culturel était très bas. La plupart de ces malheureux ne trouvaient du travail que quelques mois par an. Les soins culturaux nécessités par la canne à sucre sont très réduits. La grande époque du travail est celle de la récolte et du transport des cannes vers « les usines ». Cela concernait les ouvriers agricoles qui restaient donc de nombreux mois sans ressources. Il en était de même pour les ouvriers des « usines » dont seuls quelques-uns étaient permanents. Les autres n’étaient embauchés que pour la campagne de fabrication du sucre et du rhum. « L’usine », ce mot en Martinique prend un sens très particulier. « L’usine », c’est le fief du gros propriétaire, c’est le symbole d’une exploitation honteuse, c’est le rappel permanent de l’esclavage.
Les périodes de travail rapportaient aux ouvriers agricoles et à ceux des « usines » à peine de quoi faire vivre leurs familles pendant quelques mois. Le reste du temps, il fallait trouver des expédients : se nourrir de fruit de l’arbre à pain, composer avec la faim… et malheureusement oublier sa misère en buvant les déchets du rhum vendus très bon marché.
J’ai appris que les enfants tout jeunes en absorbaient déjà des quantités considérables. Si l’on ajoute à cette malnutrition les mauvaises conditions d’hygiène et d’habitat, on devine facilement quel pouvait être l’état général de cette population. Une enquête officielle en a apporté une preuve navrante : lorsqu’il fallut recenser les Martiniquais en âge de bénéficier de la retraite des vieux dont l’attribution venait d’être étendue aux Antilles, on s’aperçut que presque aucun intéressé ayant atteint l’âge requis par la loi n’était encore vivant !
L’île comptait environ deux cent cinquante mille habitants ; c’est presque deux cent mille d’entre eux qui vivaient dans cette situation. Ils étaient les descendants des esclaves arrachés à l’Afrique, la plupart étaient des Noirs ou des Métis. Bien entendu, ils supportaient très mal leur misère. Les révoltes avaient été nombreuses dans le passé. Et à l’époque de mon voyage encore les manifestations violentes n’étaient pas rares, surtout dans les périodes creuses, quand la faim devenait intenable. Les pauvres gens attaquaient même parfois les responsables de leurs malheurs ; de temps à autre, il y eu des « békés » tués. La répression était féroce : les gendarmes, l’armée étaient opposés à la foule, faisait des morts, des blessés, multipliant les arrestations, semant la terreur…
Tout de suite après la guerre, des victoires avaient été remportées et les salariés avaient obtenus certaines garanties. Le prestige des dirigeants syndicaux devint alors très grand. Les masses commençaient alors à prendre confiance en elles-mêmes. Notre camarade Lamon, secrétaire général de l’Union avait été élu maire de sa commune où existait une très importante usine.
Il s’était créé une importante organisation communiste structurée dans la fédération adhérente au P.C.F. Son influence était très grande. De nombreuses communes s’étaient données des maires communistes…
Il y avait un problème grave car il touchait aux fondements même de la raison d’être communiste en Martinique. Il se posait dans l’esprit de certains dirigeants syndicaux, membres du Parti communiste. Ils étaient entraînés par le secrétaire général de l’Union des syndicats, Lamon, qui était aussi maire du Lamentin, commune assez importante. Il avait conduit des mouvements revendicatifs victorieux et il était très populaire parmi les ouvriers.
Or, depuis quelques temps, le patronat colonial s’était durci. Il avait le soutien du gouvernement français… Ce durcissement patronal fut marqué tout de suite par le ton qu’il employa vis-à-vis des dirigeants syndicaux. C’était le refus brutal de toute concertation. Le seul argument était la menace… Les « békés » brandissaient un argument nouveau. Ils allaient mécaniser à outrance leurs exploitations et leurs usines : puisque les ouvriers devenaient « revendicateurs », on allait se passer d’eux ! Les maîtres n’emploieraient plus que quelques spécialistes conducteurs de machines…
Et déjà, quelques propriétaires commençaient à passer aux actes.
Lamon et ses camarades, désorientés, n’entrevoyant pas d’issue, se décourageaient. Ils étaient prêts à céder à la pression patronale et à accepter des compromis qui auraient coûté cher aux travailleurs et cela pour de longues années. Lamon était membre du bureau fédéral du Parti. Il participait à tous ses travaux… »
Donnat se garde de tirer des conclusions générales sur ce que sont devenus ces dirigeants « communistes » qui sont maires et dirigeants syndicaux, qui organisent tout un clientélisme pour assurer leur petit pouvoir et rester un peu au dessus du lot… Combien ce ne sont plus du tout des communistes et pas du tout des révolutionnaires, ce que, staliniens qu’ils sont, ils n’ont jamais été…
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