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La répression anti-ouvrière et coloniale sanglante de 1967 en Guadeloupe

mercredi 24 novembre 2021, par Robert Paris

La répression anti-ouvrière et coloniale sanglante de 1967 en Guadeloupe

26 et 27 mai 1967 à Pointe à Pitre : Répression sanglante d’une grève d’ouvriers du bâtiment guadeloupéens

En mai 1967, 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pitre. Souvenirs, souvenirs.

Une tuerie de Guadeloupéens dans la rue, dans les locaux de la gendarmerie et de la sous-préfecture

De 80 à 200 morts dans les rues de Pointe-à-Pitre.

La Guadeloupe n’a pas oublié les événements de mai 1967. L’une des revendications actuelles des grévistes de Guadeloupe est de demander une commission d’enquête indépendante sur les événements des 26 et 27 mai 1967 au cours desquels, en plein pouvoir gaulliste, de 80 à 200 manifestants furent tués par la police française dans les rues de Pointe-à-Pître. « Les gens ont encore peur quarante ans après. Ils voudraient être sûr qu’ils ne risquent rien à témoigner » explique le Dr Michel Numa, 76 ans, ancien militant indépendantiste qui était en prison à Paris au moment du massacre.

Tout avait débuté deux mois plus tôt.

Le 20 mars 1967, à Basse-Terre, préfecture de l’île, un riche marchand « blanc pays », lance son chien sur un artisan noir. Révolté par cet acte digne de l’apartheid, le peuple de Basse-Terre laisse libre cour à la colère accumulée depuis longtemps. Durant trois jours, les 20, 21 et 22 mars 1967, Basse-Terre est en émeute. Dans un appel au calme, le préfet déclare comprendre la colère populaire et jure que cet acte raciste sera puni. Mais contrairement aux promesses, les émeutiers seront condamnés à de fortes peines de prison. Fin du 1er acte.

« Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail »

Deux mois plus tard, à Pointe à Pitre, le 26 mai 1967, jour de commémoration de l’abolition de l’esclavage, 5000 ouvriers du bâtiment sont en grève pour une augmentation de salaire de 2%. Le délégué patronal, un certain Brizard aurait lancé aux grévistes : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront leur travail ». Une manifestation s’organise. Face aux CRS rassemblés devant la chambre de commerce, les manifestants lancent des pierres et des bouteilles. La police tire immédiatement tuant Jacques Nestor, Militant du Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe (GONG). Selon Michel Numa, les ordres du préfet Bolotte, captés sur la fréquence de la préfecture disent aux officiers CRS : « Faites usage de toutes vos armes ».

Les deux jeunes ouvriers Taret et Tidas sont tués ainsi qu’un promeneur. La population et notamment les jeunes du lycée Baimbridge, révoltée, afflue le lendemain vers le centre de Pointe-à-Pitre. Des véhicules sont brûlés, les boutiques de la rue Frébault, principale rue commerçante de Pointe-à-pitre, sont incendiées et pillées. Plusieurs policiers sont blessés à coup de pierres et de sabre. Le bruit court qu’une armurerie a été dévalisée. Le préfet désarme les policiers noirs et fait appel à des gendarmes mobiles de Martinique et de France. Sous la direction du commissaire de police Canales et du capitaine CRS Rupin, policiers et « képis rouges » se livrent à la « chasse au nègre ». Arrêtés au hasard, des personnes sont exécutées dans les locaux de la gendarmerie de Morne Niquel. Des dizaines de personnes sont blessées, dont certaines mutilées à vie comme Solange Coudrieux. « On enjambait les cadavres dans la sous-préfecture », assure un témoin qui craint encore de donner son nom.

Le bilan de ces deux journées de répression n’est toujours pas connu car de nombreuses familles ont inhumé secrètement leurs défunts et caché leurs blessés de peur des représailles. La presse de métropole a parlé de « sept morts et certainement plus ». Le nombre exact s’approcherait vraisemblablement de 85 victimes. C’est le chiffre reconnu voici une vingtaine d’années par l’ancien ministre socialiste des DOM-TOM Georges Lemoine. Chez les Guadeloupéens on parle de 200 morts.

Vers une commission d’enquête ?

Le gouvernement français profita des événements pour liquider le mouvement nationaliste guadeloupéen incarné alors par le G.O.N.G. et l’Association générale des Etudiants guadeloupéens (A.G.E.G). De nombreux militants furent arrêtés. Certains, pris en flagrant délit, furent condamnés à de lourdes peines de prison ferme. Vingt-cinq autres, accusés d’avoir participé aux manifestations, furent incarcérés à Basse-Terre et seront jugés en avril 68. Enfin, Vingt-cinq militants Guadeloupéens, dont Michel Numa furent enfermés à la prison de la Santé, accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire.

Pour les Guadeloupéens, le travail de mémoire n’a pas été fait. Chaque année, les 26 et 27 mai, les militants qui se souviennent se rendent à la préfecture pour demander la création d’une commission d’enquête, pendant que les élus guadeloupéens observent un silence remarqué. Il est vrai qu’à l’époque, ils avaient signé un texte rendant les manifestants responsables du massacre.

Il a fallu trente ans pour que l’on reconnaisse le massacre des Algériens jetés à la Seine par la police de Maurice Papon le 17 octobre 1961. Le préfet Bolotte, comme par un fait du sort, est mort le 27 mai 2008. Combien de temps faudra-t-il encore pour que justice soit rendue, même symboliquement aux victimes noires des événements de mai 67 ?

Source : http://www.bakchich.info/

Mai 1967, grève et manifestation sanglante en Guadeloupe

Le 20 mars 1967, Vladimir Snarsky, propriétaire d’un grand magasin de chaussures à Basse-Terre, lâche son berger allemand pour chasser Raphaël Balzinc, vieux cordonnier noir et handicapé qui installait son étal en face du commerce. Le propriétaire blanc, par ailleurs responsable local du parti gaulliste UNR, demande ironiquement à son molosse « Dis bonjour au nègre ! ». Cet incident raciste est à l’origine d’émeutes et de grèves à Basse-Terre et Pointe-à-Pitre les jours suivants, si bien que le préfet de l’île, Pierre Bolotte, fait déployer deux escadrons de gendarmerie.

Le 24 mai 1967, les ouvriers du bâtiment de Guadeloupe se mettent en grève pour obtenir une augmentation de salaire de 2,5% et la parité en matière de droits sociaux.

Le 26 mai vers midi, une foule est rassemblée devant la Chambre de commerce de Pointe-à-Pitre et attend pendant que se déroulent des négociations entre organisations syndicales et représentants du patronat. Vers 12h45, ils apprennent d’un représentant syndical que les négociations sont rompues et un bruit court : le représentant du patronat, Georges Brizzard, aurait dit : « Quand les nègres auront faim, ils reprendront le travail ! ». Des manifestants scandent « Djibouti, Djibouti » pour rappeler les violences qui avaient eu lieu dans cet autre territoire français d’outre-mer, où l’armée française avait tiré à vue sur des manifestants indépendantistes.

Les affrontements commencent à coup de grenades lacrymogènes des gendarmes contre des manifestants qui jettent des conques de Lambi, des pierres ou des bouteilles en verre. Déjà dans la matinée du 26 mai, des gendarmes mobiles auraient tiré lors de manifestations violentes de grévistes, faisant plusieurs blessés. Lorsqu’un gendarme essoufflé, enlève son casque afin de s’essuyer le front et reçoit un coup violent sur la tête, les gendarmes ouvrent le feu provoquant notamment la mort de Jacques Nestor, militant du Groupe d’organisation nationale de la Guadeloupe (GONG). Selon les autorités, « les gendarmes mobiles (non, les CRS), après que quelques coups de feu aient été tirés sur eux, devaient riposter pour se dégager ». Un certain nombre d’autres Guadeloupéens seront tués durant les 3 jours d’émeutes et/ou de répression qui s’ensuivent. La députée Christiane Taubira évoque « 100 morts »

Les autorités françaises ont cru initialement que l’insurrection avait été fomentée par le GONG mais il est apparu après enquête que les émeutes étaient spontanées.

L’historien Benjamin Stora estime que le massacre a été « ordonné sciemment sur le terrain et approuvé par le gouvernement sous la présidence du général de Gaulle ».

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89meutes_de_mai_1967_en_Guadeloupe

Les 25 et 26 mai 1967, dans les rues de Pointe-à-Pitre, à l’occasion d’une grève des ouvriers du bâtiment, qui réclamaient 2,5 % d’augmentation de salaire, les quartiers de la ville sont jetés dans l’effroi, les larmes et le sang.

Nous sommes en mai 2017, et cela fait 50 ans que dans les rues de Pointe à Pitre, en Guadeloupe, à l’occasion d’une grève des ouvriers du bâtiment (ils réclamaient 2,5% d’augmentation de salaire), les rues de la ville furent enveloppées d’effroi, de larmes et de sang.

Il y a peu une « commission », composée d’historiens dirigée par Benjamin STORA, a été chargée de remettre un rapport concernant trois événements (1959, 1962 et 1967) qui ont causé la mort de « citoyens Français ». Le dit rapport a été remis en décembre 2016, et conclut à propos des journées évoquées dans le titre, qu’il y eut « assassinat » dans les rues de Pointe à Pitre. C’est à cette grève ouvrière en Guadeloupe et à ses conséquences que nous consacrons ces quelques lignes de votre journal.

Encore aujourd’hui peu de gens savent ce qui s’est passé durant ces deux journées à Pointe à Pitre. Nous n’entendons pas que cette ignorance est spécifique à la France hexagonale, mais elle concerne jusque et y compris la Guadeloupe en particulier. Le silence qui, encore aujourd’hui, étrangle les mots et les paroles arrachées à des victimes ou témoins de ces journées en dit long sur la violence à laquelle ils ont été confrontés.

Que s’est-il passé ? Quelle explication donnons-nous de ces événements ? Comment les travailleurs et le peuple de la Guadeloupe ont-ils surmonté cet épisode tragique de la lutte anti-colonialist

Que s’est-il passé les 26 et 27 mai 1967 à Pointe à Pitre ?

Le 23 mars 1967, des ouvriers des chantiers Ghizoni-Zanella, dans les faubourgs de Pointe à Pitre, arrêtent le travail, c’est la grève : ils réclament un meilleur salaire, le paiement des heures supplémentaires, de meilleures conditions de travail… Nous sommes face à une exaspération des jeunes hommes fraichement débarqués des campagnes environnantes qui n’ont plus de travail sur les champs de canne à sucre. Depuis la fin des années 1940, l’ancien système de plantation dominé par la culture de la canne produit du chômage. Aussi, c’est vers la ville que se tourne la majorité les pères de famille, ainsi que leur progéniture en âge de travailler. Suite à ce mouvement, quasiment spontané, les syndicats (CGTG, Fraternité Ouvrière, CFDT…) prennent le relais par l’intermédiaire de la commission paritaire qui se réunit en avril afin d’examiner les revendications des ouvriers. Plusieurs réunions ont alors lieu jusqu’au début de mai et un rendez-vous est pris pour le 26 du même mois.

Le mercredi 24 quelques dizaines d’ouvriers défilent dans les rues de la ville en criant des slogans relatifs à la satisfaction de leurs revendications et manifestement ils se préparent à soutenir activement la délégation syndicale qui doit rencontrer la direction du patronat le vendredi 26 à la chambre de commerce. Cette mobilisation de masse se poursuit sous la forme de débrayage de chantiers tout autour de la ville le 25 et surtout le 26 au matin. En l’occurrence, la zone de Jarry (Ière tranche des chantiers EDF…) fait l’objet d’une attention particulière de ces activistes ; précisément dans la matinée du 26 mai ils y interviennent et sont l’objet d’une répression violente de la CRS. Il y a de nombreux blessés et certains d’entre eux rejoignent les manifestants assemblés devant la chambre de commerce bien avant le début des négociations qui débutent vers 9 heures. « Ils nous ont tiré dessus ! », disent certains témoins.

« Qui est ce M. BRIZARD ? »

Toutefois, la commission poursuit ses travaux. Vers 13 heures, un responsable syndical sort de l’immeuble et explique à la foule des ouvriers grossit de passants (étudiants, jeunes chômeurs et aussi badauds…) que le chef des patrons M. BRIZARD ne veut rien lâcher. Il a dit d’ailleurs que « … lorsque les Nègres auront faim ils reprendront le travail ! » Ces mots sont d’une violence symbolique extrême et résonnent sur les parois des maisons de la rue Léonard comme sur les hommes assemblés, telle une provocation plus qu’insultante, voire tout simplement méprisante.

A la chaleur ambiante de cette fin de matinée s’ajoute alors l’énervement des plus jeunes parmi les nombreux manifestants qui veulent voir, « Qui est ce M. BRIZARD ? »

Le préfet BOLOTTE…
Vers 14 h 30, un peloton de la CRS dirigé par le capitaine RUPIN, s’approche de la chambre de commerce alors qu’un autre peloton est resté posté sur la Place de la Victoire, en protection de la sous-préfecture. Le chef fait le va et vient entre les deux groupes. Il coordonne la mission de ses troupes qui pour l’heure doivent, non seulement protéger un bâtiment public, mais en plus assurer la sorite d’une personnalité patronale honnie par les manifestants. C’est à ce moment que débutent les heurts entre CRS et manifestants. Après environ une heure de combat entre les premiers protagonistes, le préfet installé non loin, à la sous-préfecture donne l’ordre de « Faire usage de toutes les armes ! … ». Les blessés de part et d’autre sont déjà nombreux, car face au gaz lacrymogène et coups de crosse des premières réactions de la CRS, ont succédé déjà des tirs à balle réelle, avant même que le préfet ait donné son ordre. A postériori donc, le préfet couvre l’action de terrain des forces qui oeuvrent depuis une bonne heure dans l’espace compris entre la rue Léonard, la Darse, la Place de la Victoire et la rue Bébian... En face, les manifestants opposent des conques de lambis (très acérées), des bouteilles et de rares pierres.

NESTOR, ZADIGUE et PINCEMAILLE sont tombés…

C’est alors que vers 15 h 30 – 15 h 35, une nouvelle détonation sourde fend l’air et une balle atteint Jacques NESTOR, un jeune de 24 ans, militant du GONG, bien connu dans les quartiers populaires de la ville. Il est abattu. C’est le premier mort de cette journée de grève. Soudainement, la nouvelle de cette mort contracte l’émotion chez les manifestants, mais aussi chez les jeunes de la ville en général, et une explosion de colère s’en suivit, enflammant d’autres quartiers de la ville. Ceci s’explique d’autant que sur la Place de la Victoire elle–même et abords immédiats, entre 16 h 35 et 17 h 30, deux autres jeunes vies vont être fauchées : d’abord, Georges ZADIGUE-GOUGOUGNAN, à peine âgé de 15 à 16 ans tombé le crâne ouvert, au devant du salon de coiffure du sieur SINÉBERT ; ensuite, Harry PINCEMAILLE, âgé d’environ 19 ans, que des passants ramassèrent encore en vie avant qu’il n’expire à l’hôpital après avoir demandé des nouvelles de ZADIGUE.

Dans les faubourgs…

Les affrontements se répandent par les artères principales de la ville, dans les faubourgs, particulièrement Légitimus et Vieux-Bourg-Abymes…A partir de 18 h, les habitants de la barre 45 emmurés dans leur appartement du quartier qui borde au nord-est le cimetière de la ville, assistent médusés à des scènes inqualifiables.

JD nous a téléphoné à la suite d’un de nos passages sur une chaine télévisée. Il a accepté de nous rencontrer et nous a raconté une part de son histoire personnelle : « De nombreux camions de militaires se dirigeaient vers le centre-ville en passant par le giratoire de Miquel. Nous pouvions tout voir, mon père et moi, du 4e étage où nous habitions à ce moment là… Vers 21 heures nous vîmes passer une mobylette conduite par un homme derrière laquelle se tenait une femme assise de travers… Au même moment apparut un camion avec des militaires assis à l’arrière sur des banquettes, qui au moment où le conducteur de la mobylette empruntait la voie qui menait vers l’actuel centre sportif, mitraillèrent les deux infortunés. Ils furent balayés par la rafale. Des cris comme sortis d’une seule bouche résonnèrent dans l’immeuble : « ASSASSINS ! » Le camion hors de vue, des gens sortirent du bâtiment et ramassèrent les deux personnes, les transportant dans le hall de l’escalier 26. Un homme dénommé MÉRY hurlait sans discontinuer « A l’assassin ! A l’assassin ! »… Sur ce le camion revint sur place et se dirigea vers l’escalier 26. M. MÉRY poursuivait son harangue… Je l’ai entendu dire une fois : « Tirez ! tirez ! tirez ! Je suis chez moi ! ». Je suivis mon père lorsqu’il changea de point de vue se portant vers la façade ouest de notre appartement. Là, nous pouvions entendre plus distinctement ce qui se disait du côté de l’escalier 26. Nous rentrions par le 28. Mon père tentait vainement de pencher sa tête par les carreaux qui laissaient voir la rue lorsque une voix lui cria : « Eh là ! Tu rentres ta tête toi ! », et par le tir qui suivit ces mots une balle ricocha sur la maçonnerie avant de se perdre dans la nuit… Les pompiers sont intervenus peu de temps après, constatant la mort du conducteur avant d’emmener le corps et la femme gravement blessés vers l’hôpital… Dans le cours de cette soirée, on frappa à notre porte : « Toc ! toc ! toc ! » Mon père hésita. La peur me tenaillait. Mais lorsque la voix d’un homme se fit entendre, demandant distinctement de l’aide, mon père ouvrit. Cet homme allait vers le quartier de Lauricisque. Il resta environ deux heures chez nous et repris son chemin…Nous, par le regard commun d’un père et d’un fils, nous consultions la nuit rempli d’effroi… J‘avais 16 ans et j’eus peur de l’avenir… »

C’est non loin de là, à la Cour Montbruno, qu’ont été tués, d’abord TARET, puis son ami LANDRE lors de la veillée mitraillée.

La cour de la sous-préfecture… à la gendarmerie…

Ceux des Guadeloupéens qui ne mouraient pas sur place étaient emmenés, par camion à la cour de la sous-préfecture ou dans les locaux de la gendarmerie (Miquel ou centre-ville) ou encore ils étaient parqués sur un terrain vague, au nord-est de la ville. Ce sont de véritables centres de torture selon les Guadeloupéens qui en sont sortis vivants et qui ont accepté de témoigner. Le témoignage du Dr SAINTON, arrêté et enfermé à Miquel, mais aussi celui du notable libraire JASOR, arrêté deux fois, emmené à la gendarmerie du centre-ville, relâché, puis de nouveau arrêté et emmené à la sous-préfecture, le traitement réservé particulièrement aux récalcitrants relevait de la torture. Dans la cour de la sous-préfecture, le père JASOR qui fit le mort fut lâché, sur un groupe de corps empilés. « Le corps d’un jeune homme revêche, semble-t-il, refroidit sur le mien, alors que je souffrais de plusieurs côtes cassées et d’un visage émacié », dira-t-il.

A l’aide d’une petite lampe électrique, les militaires entrouvraient des paupières afin de vérifier s’il restait un brin de vie, avant d’achever les malheureux. « On va les foutre à la Darse ! », tel vociféraient quelques uns des bourreaux énervés.

Pour les plus chanceux, La nuit fut longue ce vendredi 26 mai.

Jeunesse… courage et oraison funèbre

Le samedi matin, sans une connaissance exacte de ce qui s’était passé le soir précédent quelques militants du Groupe La Vérité et du CCEG entreprirent d’empêcher l’ouverture du lycée de Baimbridge. Ce ne fut pas chose facile car le proviseur ARRON était décidé à faire fonctionner l’établissement. Ils obtinrent des élèves qu’ils écoutent ce que devait dire le leader à l’époque de la jeunesse, Jean-Claude COURBAIN. L’application qui caractérisait ses prises de parole, ses choix de mots percutants gagnèrent l’adhésion d’une large majorité des élèves. Alors une foule de près de 400 jeunes : lycéens munis de leur cartable, jeunes chômeurs, étudiants… défilèrent du lycée de Baimbridge à la Place de la Victoire, en silence. Cette foule parcourut les rues jonchées de gravas, de véhicules calcinés, de toute sorte de débris qui témoignaient de la violence des échanges de la veille. Après être passé par le quartier du Vieux-Bourg Abymes, le carrefour de Miquel, le faubourg Légitimus, la rue Frébault, par la rue Léonard la masse silencieuse parvint sur les terrains de foot et de basket qui faisaient face à la Darse et à la sous-préfecture. Les jeunes prirent position devant la sous-préfecture qu’un cordon de gendarmes, fusil en main, protégeait avec manifestement une pleine détermination. Le discours de COURBAIN fut percutent, incisif et il termina par deux slogans : « CRS… SS ! », « BILLOTE ASSASSIN ! ». De toute évidence, le chef du peloton en arme n’apprécia pas et donna un ordre à ses hommes. Ceux-ci avancèrent de quelques pas en tournoyant leur fusil, ainsi ils se retrouvèrent avec la crosse en avant et alors ils chargèrent sur l’ensemble d’un front d’environ cent mètres que présentaient les jeunes assemblés. Les blessés, surtout à la tête, furent nombreux. Parmi les blessés les plus graves on peut signaler cette jeune fille qui en voulant récupérer son sac tombé lors de la bousculade qui suivit la première vague d’attaque des gendarmes, se fit piétiner le bras en un tel état que la seule solution fut l’amputation jusqu’à l’aisselle.

Les échauffourées reprirent dans le centre-ville et dans les faubourgs, causant de nouveau des morts par balles, parmi lesquels le sieur TIDACE. Le samedi 27, dans l’après-midi, un calme lourd pesait sur la ville et le cortège funèbre qui s’engagea dans le quartier du faubourg Henri IV vers 17 heures conduisit Jacques NESTOR à sa dernière demeure.

Quel bilan ?

La commission STORA précise : « Nous n’avons trouvé dans tous les dossiers consultés(…) aucun élément nouveau concernant le nombre de morts des 26-27 mai 1967, compris dans une fourchette qui varie entre les morts connus nominativement – huit, attestés par le commissaire Gévaudan dans son rapport du 20 juin 1967 – Jacques NESTOR, Ary PINCEMAILLE, Olivier TIDACE, Georges ZADIGUE-GOUGOUGNAN et Emmanuel CRAVERIE à Pointe-à-Pitre ; Jules KANCEL, Aimé LANDRES, Camille TARET aux Abymes – et les 87 morts annoncés en mars 1985 par le secrétaire d’État à l’Outre-mer, Georges LEMOINE . » Les rapports de gendarmerie signalent également une soixantaine de blessés. Parmi les blessés on compte environ 26 CRS et gendarmes sérieusement touchés. Divers rapports indiquent par ailleurs que 38 armes à feu auraient été saisies aux mains de manifestants du côté de l’armurerie Boyer qui a été pillée. Tous les morts sont de « type antillais » notent les rapports de gendarmerie.

Quelles explications donnons-nous à ces massacres ?

Evidemment, il n’y a pas qu’une seule raison à cette tuerie de masse. Elles sont multiples. Peut-on oser une hiérarchisation de celles-ci ? C’est la tentation qu’a tout observateur, historien ou autres. Sans chercher à les classer dans un ordre de valeur énumérons en quelques unes, et le lecteur saura en faire sa propre grille de valeur.

1 - Tout d’abord, l’année 1967 présente quelques particularités sociales et économiques… : au niveau social, nous sommes au lendemain du cyclone Inès qui ravagea les flancs sud et est de l’archipel. A la suite des catastrophes naturelles, dans les îles la situation sociale des masses est toujours préoccupante. Mais, en l’occurrence jusqu’au milieu de l’année 1967, les dégâts causés par des vents violets étaient encore visibles, signe que les moyens dont disposaient les gens des quartiers pauvres étaient loin d’être suffisants. La précarité s’incruste avec acuité dans les faubourgs. La misère est palpable, visible. Les gens sont excédés par le malheur qui leur est tombé du ciel, celui-ci se combinant avec le chômage, phénomène social nouveau et qui depuis le début des années 1960 touche particulièrement les campagnes. En effet, les anciennes habitations esclavagistes fournissaient du travail à une populace contrainte de rester sur place au lendemain de l’abolition de 1848, mais la départementalisation (1946) crée une crise de confiance chez les propriétaires fonciers et usiniers. Ils redoutent une future évolution progressiste du statut politique et social des nouveaux « français d’outre-mer ». De plus, la reconstruction de la France hexagonale et singulièrement la reprise des activités agricoles fragilisent les usiniers de l’archipel. Les fermetures d’usines se succèdent à une cadence accélérée entre 1955 et 1966… :

La demande d’emploi dépasse largement l’offre que proposent le bâtiment et les services de l’import-export. Il y a une crise sociale. Ce qui rend cette crise palpable c’est la tendance accélérée au niveau économique d’un basculement de la balance commerciale au profit des importations. Ce fait nouveau accentue la crise sociale puisque qu’il faut plus de monnaie sonnante et trébuchante pour acquérir les biens de consommation courante de plus en plus importés. Or, les salaires restent bas. Résultat : les ouvriers réclament une augmentation de leurs rémunérations salariales. D’où le déclenchement de la grève le 23 mars 1967 sur les chantiers Ghizoni-Zanella, dans les faubourgs de Pointe à Pitre.

2 – Sur le plan politique, les élections législatives qui ont lieu les 5 et 12 mars 1967 donnent des résultats plus que discutables. En effet, dans les trois circonscriptions il y a des motifs d’insatisfaction. Dans la première, l’élection de Paul VALENTINO, socialiste soutenu par l’UNR-UDT au dépend d’Hégésippe IBÉNÉ, communiste, crée un choc, mais le PCG n’a plus les moyens d’une mobilisation des masses contre les « suppôts de la réaction ». Dans la troisième, l’élection de la dame BACLET (UNR-UDT) est une surprise totale, car le division des forces de ce parti laissait espérer aux communistes un triomphe de leur candidate, Gerty ARCHIMÈDE. Il n’en a rien été car la fraude manifeste orchestrée par les autorités préfectorales aura eu raison de la volonté des petites gens qui comptaient profiter de la division des forces de droite, afin de faire élire leur la vaillante femme. Paul LACAVÉ (PCG), dans la seconde circonscription bénéficie de la mansuétude des pouvoirs publics car il est communiste, mais « blanc » selon les mots d’un responsable préfectoral. C’est donc dans la troisième circonscription que se nouent les conflits électoraux. Le mécontentement populaire est de notoriété publique. Un fervent partisan de la droite triomphante à Basse-Terre, le dénommé SRNSKY, immigrant d’origine tchèque est à l’origine d’un incident raciste qui marque le départ d’une révolte populaire qui durera trois jours dans la capitale administrative de la Guadeloupe. Seule une ultime intervention de Gerty ARCHIMÈDE, à la demande du préfet, mettra fin au soulèvement populaire. Entre temps, sont arrivées par avion des troupes de la gendarmerie mobile. C’est précisément elles que l’on retrouvera à l’aéroport du Raizet (Abymes)le vendredi 26 mai 1967, prêtes à un départ vers les 18 h30 pour Paris-Orly, avant que l’ordre soit donné de les dérouter autour de 17 h vers Pointe à Pitre, afin de rétablir l’ordre. On sait ce qu’il advint.

3 – En ce qui concerne la sécurité du territoire français, les autorités préfectorales mettront l’accent sur la responsabilité du GONG, déclarant que cette organisation, par ses écrits (tracs, journal, affiches, inscriptions sur les murs …et surtout par l’affirmation de son mot d’ « indépendance nationale de la Guadeloupe ») portait atteinte à « l’intégrité du territoire national ». Cette affirmation de la responsabilité du GONG dans les événements des 26 et 27 mai 1967 à Pointe à Pitre, c’est un agent de la DST qui la démentira, il s’agit du commissaire Honoré GÉVANDAN. Ce dernier est envoyé en mission au mois de juin 1967 en Guadeloupe et il conclut dans un rapport daté du 20 juin : « …que le Groupe d’Organisation Nationale de la Guadeloupe est une organisation révolutionnaire, clandestine et subversive qui lutte pour obtenir l’indépendance de la Guadeloupe et la soustraire à l’autorité de la France. Les investigations qui ont été menées à Pointe à Pitre n’ont pu apporter la preuve de la responsabilité directe du GONG dans la préparation, l’organisation et l’exécution des manifestations de rues des 26 et 27 mai 1967… »

4 - En somme, vingt ans après le vote de la loi de départementalisation (mars 1946) des « vieilles colonies », le pouvoir colonial avait gardé intact ses capacités de répression. Nous n’allons pas ranger dans l’ordre des « bavures » la réaction des CRS et autres gendarmes mobiles aux ordres de BOLOTTE qui se référait à BILLOTTE qui lui-même avait comme interlocuteur privilégié le sieur FOCCART, secrétaire à l’Elysée pour les affaires africaines et pour tout dire coloniales. Nous sommes devant un massacre de masse. Les 8 morts annoncés officiellement sont loin de représenter la réalité.

Il s’agissait pour les autorités françaises de faire taire « chirurgicalement » la revendication d’ « indépendance nationale » au sein du Peuple de la Guadeloupe.

Il sera difficile de reconstituer la liste véritable des victimes (morts, disparus et blessés…) de ces deux journées sanglantes. Il a été immédiatement ordonné de nettoyer les cliniques et hôpitaux des traces (sang et archives), car l’expérience « algérienne » d’un BOLOTTE devait bien servir dans ce sens là à rendre douteuse toute reconstitution des faits.

Faire face à la tragédie coloniale…

Aujourd’hui, 50 ans après ces événements les Guadeloupéens n’oublient pas. Près de 17 groupes (Gwoup a po =Mouvement culturel revendiquant l’authenticité identitaire) se sont retrouvés au début de la période du carnaval (janvier 2017) afin de prendre comme thème de leur défilé les événements de mai 1967 à Pointe à Pitre. A l’invitation du Mouvman Kiltirèl AKIYO, ils ont ensuite décidé de se joindre aux manifestations du mois de mai 2017 arrêtées par les 10 centrales syndicales de la Guadeloupe. C’est donc largement unis que les masses travailleuses, les jeunes, les étudiants, les chômeurs, les retraités… se retrouveront au cours de ce mois de mai 2017, afin d’honorer les victimes connues et inconnues du massacre de mai 67.

Source : https://www.humanite.fr/mai-1967-greve-et-manifestation-sanglante-en-guadeloupe-636569

Lettre à Rama Yade

Objet : Vérité – Justice - Réparation – Réhabilitation pour les victimes des massacres des 26 et 27 Mai 1967 à Pointe à Pitre (Guadeloupe).

Madame la Secrétaire d’Etat,

Les 26 et 27 Mai 1967, à Pointe à Pitre, à l’occasion d’une grève d’ouvriers du bâtiment, les CRS, Gendarmes mobiles (Képis Rouges) français perpétrèrent un véritable massacre contre le Peuple Guadeloupéen.

« Le massacre commença le 26 mai 1967 au début de la matinée et dura jusqu’au lendemain soir. Pointe-à-Pitre martyrisé. Ces morts ne furent pas les victimes accidentelles d’un combat sans merci. Ces êtres furent assassinés de sang froid avec méthodes. Ce crime fut décidé, organisé, planifié dans le cadre d’une politique de terreur. »

Le Préfet Pierre BOLOTTE, inhumé le 27 Mai 2008 (41 ans jour pour jour après le massacre des Guadeloupéens), commandeur de la légion d’honneur, demanda de faire usage de toutes les armes contre tous ceux qui bougeaient, qui étaient noirs ou tiraient leur origine de cette couleur. Plusieurs centaines de Guadeloupéens furent traqués, blessés ou tués par balles. L’armée Française tirait sur les ambulances et même dans la veillée mortuaire d’une des premières victimes. L’hôpital était débordé. Des exécutions sommaires ont été perpétrées aussi bien à la gendarmerie du Morne Miquel qu’à la Sous-préfecture de Pointe-à-Pitre où des dizaines de corps jonchaient le sol.

Depuis 2005, nous avons entrepris des démarches auprès de l’Etat Français pour qu’une enquête soit diligentée sur les tueries de Mai 1967. Jusqu’ici, aucune réponse.

Toutes les archives des hôpitaux et mairies relatives à cette période ont mystérieusement disparu et les archives Françaises de Fontainebleau nous sont interdites.

Face à ce mépris, les investigations se sont poursuivis directement sur le terrain même, en Guadeloupe, et ont permis de rencontrer des témoins visuels, des parents et amis de victimes, des blessés, des emprisonnés, ….. Aux dires d’un ancien ministre des DOM, M. Lemoine, il y eut 87 morts et des centaines de blessés. Mais le nombre réel de morts va bien au-delà et dépassera 200 Guadeloupéens tués soient près de 7% de la population de l’époque.

Aujourd’hui, 41 ans après, nous poursuivons notre combat pour la vérité, la reconnaissance de ce massacre, la justice, le jugement et la condamnation des coupables, la réhabilitation des victimes, la réparation des préjudices, l’accès aux archives et dossiers de l’époque et à l’écriture de cette page de notre histoire. Depuis plusieurs mois maintenant, nous suivons avec intérêt vos prises de position sur tous les dossiers relatifs à la défense des droits de l’homme à travers le monde...

Pour le KOMITÉ MÉ 67,

(AKIYO – UGTG – Mouvman NONM – TRAVAYE & PÉYIZAN)

Elie DOMOTA

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