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La grève du Havre (1922)

mardi 26 octobre 2010

1922

Léon Trotsky

Les leçons de la grève du Havre

La grève du Havre, malgré son caractère local, est un témoignage indubitable de la combativité croissante du prolétariat français. Le gouvernement capitaliste a répondu à la grève par l’assassinat de quatre ouvriers, comme s’il se hâtait de rappeler aux ouvriers français qu’ils ne pourront conquérir le pouvoir et détruire l’esclavage capitaliste qu’au prix de la plus grande lutte, du maximum de dévouement et d’abnégation et de nombreux sacrifices.

Si la réponse du prolétariat français aux assassinats du Havre a été complètement insuffisante, la responsabilité en incombe non seulement à la trahison devenue depuis longtemps de règle parmi les dissidents et les syndicalistes réformistes, mais aussi à la manière d’agir complètement erronée des organes dirigeants de la C.G.T.U., et du Parti Communiste. Le Congrès estime nécessaire de s’arrêter sur cette question parce qu’elle nous offre un exemple éclatant de la manière radicalement fausse d’aborder les problèmes d’action révolutionnaire.

En divisant d’une façon incorrecte en principe la lutte de classe du prolétariat en deux domaines soi-disant indépendants, l’économique et le politique, le Parti, cette fois encore, ne fit preuve d’aucune initiative indépendante, se bornant à appuyer la C.G.T.U., comme si en réalité l’assassinat de quatre prolétaires par le gouvernement du capital était un acte économique et non un événement politique de première importance. Quant à la C.G.T.U., sous la pression du Syndicat parisien du Bâtiment, elle proclama le lendemain des assassinats du Havre, un dimanche, une grève générale de protestation pour le mardi. Les ouvriers de France n’eurent pas le temps, dans beaucoup d’endroits, d’apprendre non seulement l’appel à la grève générale, mais même le fait de l’assassinat.

Dans ces conditions, la grève générale était d’avance vouée à l’échec. Il n’y a pas de doute que, cette fois encore, la C.G.T.U., n’ait adapté sa politique aux éléments anarchistes, organiquement étrangers à la compréhension de l’action révolutionnaire et à sa préparation, et qui suppléent à la lutte révolutionnaire par des appels révolutionnaires de leurs coteries, sans se soucier de la réalisation de ces appels. Le Parti, de son côté, capitula en silence devant la démarche évidemment erronée de la C.G.T.U., au lieu d’essayer sous une forme amicale mais instante, d’obtenir de cette dernière l’ajournement de la manifestation gréviste dans le but de développer une vaste agitation de masse.

La première obligation, tant du Parti que de la C.G.T.U., devant le crime ignoble de la bourgeoisie française, était de mobiliser immédiatement un millier des meilleurs agitateurs du Parti et des syndicats à Paris et en province, pour expliquer aux éléments les plus arriérés de la classe ouvrière le sens des événements du Havre, et pour préparer les masses ouvrières à la protestation et à la défense. Le Parti était tenu, en pareil cas, de lancer à plusieurs milliers d’exemplaires un appel à la classe ouvrière et aux paysans, à l’occasion du crime du Havre.

L’organe central du Parti devait quotidiennement poser aux réformistes — socialistes et syndicalistes — la question : quelle est la forme de lutte que vous proposez en réponse aux assassinats du Havre ? De son côté le Parti devait, de concert avec la C.G.T.U., lancer l’idée d’une grève générale, sans en fixer d’avance la date et la durée, en se laissant guider par le développement de l’agitation et du mouvement dans le pays. Il était indispensable de tenter de constituer dans chaque usine, ou dans chaque quartier, ville et région, des Comités provisoires de protestation dans la composition desquels les communistes et syndicalistes révolutionnaires comme initiateurs auraient fait entrer des membres ou des représentants des organisations réformistes.

Seule, une campagne de ce genre, systématique, concentrée, universelle par ses moyens, tendue et infatigable, pouvait, menée pendant toute une semaine et plus, être couronnée par un mouvement puissant et imposant, sous la forme d’une grande grève de protestation, de manifestation dans la rue, etc., etc. Le résultat sûr d’une telle campagne aurait été d’augmenter dans les masses les liaisons, l’autorité et l’influence du Parti et de la C.G.T.U., de les rapprocher mutuellement dans le travail révolutionnaire et de rapprocher d’eux la partie de la classe ouvrière qui suit encore les réformistes.

La prétendue grève générale du 1er mai 1921, que les éléments révolutionnaires ne surent pas préparer et que les réformistes firent criminellement échouer, constitua un tournant dans la vie intérieure de la France en affaiblissant le prolétariat et en renforçant la bourgeoisie. La " grève générale " de protestation du mois d’octobre 1922 fut, au fond, une trahison réitérée de la droite et une nouvelle erreur de la gauche. L’Internationale invite, de la manière la plus énergique les camarades français, dans quelque branche du mouvement prolétarien qu’ils travaillent, à accorder une attention extrême aux problèmes de l’action des masses, à en étudier minutieusement les conditions et les méthodes, à soumettre les erreurs de leurs organisations dans chaque cas concret à une analyse critique attentive, à préparer non moins minutieusement les éventualités mêmes d’action des masses au moyen d’une agitation vaste et tendue, à proportionner les mots d’ordre à la disposition et à l’aptitude des masses à l’action.

Les chefs réformistes s’appuient dans leurs actes de trahison sur les conseils, suggestions et indications de toute l’opinion publique bourgeoise, à laquelle ils sont indissolublement liés. Les syndicalistes révolutionnaires, qui ne peuvent pas ne pas être en minorité dans les organisations syndicales, commettront d’autant moins d’erreurs que la Parti comme tel, consacrera plus d’attention à toutes les questions du mouvement ouvrier, étudiant minutieusement les conditions et le milieu et présentant aux syndicats, par l’intermédiaire de ses membres, telles ou telles propositions, en conformité avec toute la situation.

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