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Art et révolution

jeudi 13 septembre 2007, par Robert Paris

« A la fin, tu es las de ce monde vieilli. »

Guillaume Apollinaire

Victor Hugo écrit en 1834 :
"Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices, un peu échevelées quelques fois."

"Le surréalisme est le carrefour des enchantements… mais il est aussi le briseur de chaîne […] Le Réalisme, c’est émonder les arbres, le surréalisme, c’est émonder la vie."

Le Manifeste de la Révolution surréaliste

André Breton : « Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le communicable et l’incommunicable, le haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement. Or, c’est en vain qu’on chercherait à l’activité surréaliste un autre mobile que l’espoir de détermination de ce point. »

Messages

  • Victor Hugo écrit en 1834 : "Les révolutions sont de magnifiques improvisatrices, un peu échevelées quelques fois."

  • Vladimir Maïakovski :

    « Cette planète
    n’est guère outillée
    pour la joie.
    La joie,
    il faut
    l’arracher aux temps futurs !
    Il n’est pas difficile de mourir de cette vie.
    Faire la vie est vraiment plus difficile !

  • « La joie,
    il faut
    l’arracher aux temps futurs ! »

  • Il ne faut pas chercher la poésie de la Révolution dans le bruit des mitrailleuses ou dans le combat des barricades, dans l’héroïsme du vaincu ou dans le triomphe du vainqueur, car tous ces moments existent aussi dans les guerres. Le sang y coule également, même avec plus d’abondance, les mitrailleuses crépitent de la même façon et on y trouve aussi des vainqueurs et des vaincus. Le pathétique et la poésie de la Révolution résident dans le fait qu’une nouvelle classe révolutionnaire devient maîtresse de tous ces instruments de lutte et qu’au nom d’un nouvel idéal pour élever l’homme et créer un homme nouveau, elle mène le combat contre le vieux monde, tour à tour défaite et triomphante, jusqu’au moment décisif de la victoire. La poésie de la Révolution est globale. Elle ne peut être transformée en menue monnaie à l’usage lyrique temporaire des faiseurs de sonnets. La poésie de la Révolution n’est pas portative. Elle est dans la lutte difficile de la classe ouvrière, dans sa croissance, dans sa persévérance, dans ses défauts, dans ses efforts réitérés, dans la cruelle dépense d’énergie que coûte la plus petite conquête, dans la volonté et l’intensité croissante de la lutte, dans le triomphe autant que dans les replis calculés, dans sa vigilance et ses assauts, dans le flot de la rébellion de masse autant que dans la soigneuse estimation des forces et une stratégie qui fait penser au jeu d’échecs. La Révolution monte avec la première brouette d’usine dans laquelle les esclaves ulcérés expulsent leur contremaître, avec la première grève par laquelle ils refusent leurs bras à leur maître, avec le premier cercle clandestin où le fanatisme utopique et l’idéalisme révolutionnaire s’alimentent de la réalité des plaies sociales. Elle monte et descend, oscillant au rythme de la situation économique, de ses hauts et de ses bas. Avec des corps saignants pour bélier, elle s’ouvre l’arène de la légalité conçue par les exploiteurs, installe ses antennes et, si besoin est, les camoufle. Elle bâtit syndicats, caisses d’assurances, coopératives et cercles d’éducation. Elle pénètre dans les parlements hostiles, fonde des journaux, fait de l’agitation et, en même temps, opère sans repos une sélection des meilleurs éléments, des plus courageux et des plus dévoués de la classe ouvrière et construit son propre parti. Les grèves s’achèvent le plus souvent en défaites ou demi-victoires ; les manifestations se signalent par de nouvelles victimes et par du sang à nouveau répandu, mais toutes laissent des traces dans la mémoire de la classe, renforcent et trempent l’union des meilleurs, le parti de la Révolution.

    Elle n’agit pas sur une scène de l’histoire qui serait vide et, par conséquent, n’est pas libre de choisir ses voies et ses délais. Dans le cours des événements, elle se trouve forcée de commencer une action décisive avant d’avoir pu rassembler les forces nécessaires ; tel fut le cas en 1905. De la cime où elle est portée par l’abnégation et la clarté des buts, elle est condamnée à choir faute d’un soutien de masse organisé. Les fruits de nombreuses années d’efforts sont arrachés de ses mains. L’organisation qui semblait omnipotente est brisée, fracassée. Les meilleurs sont anéantis, emprisonnés, dispersés. Il semble que sa fin soit venue. Et les petits poètes qui vibraient pathétiquement pour elle au moment de sa victoire temporaire, commencent à faire sonner leur lyre sur le mode du pessimisme, du mysticisme et de l’érotisme. Le prolétariat lui-même semble découragé et démoralisé. Mais à la fin se trouve gravé dans sa mémoire une nouvelle trace ineffaçable. Et la défaite se révèle être un pas vers la victoire. De nouveaux efforts obligent à serrer les dents et à consentir de nouveaux sacrifices. Peu à peu l’avant-garde rassemble ses forces, et les meilleurs éléments de la nouvelle génération, éveillés par la défaite des précédentes, les rejoignent. La Révolution, saignante mais non vaincue, continue de vivre dans la haine sourde qui monte des quartiers ouvriers et des villages, décimés mais non abattus. Elle vit dans la conscience claire de la vieille garde, faible en nombre mais trempée par l’épreuve et qui, sans s’effrayer de la défaite, en dresse immédiatement le bilan, l’analyse, l’apprécie, la soupèse, définit de nouveaux points de départ, discerne la ligne générale de l’évolution et montre la voie. Cinq ans après la défaite, le mouvement jaillit à nouveau avec les eaux printanières de 1912.

    Du sein de la Révolution est née la méthode matérialiste qui permet à chacun de peser les forces, de prévoir les changements et de diriger les événements. C’est le plus grand accomplissement de la Révolution et en lui réside sa poésie la plus haute. La vague des grèves s’élève selon un dessein irrésistible, et on sent d’emblée par-dessous une base de masse et une expérience plus profonde qu’en 1905. Mais la guerre, issue logique que comportait cette évolution et qui avait également été prévue, coupe la ligne de la Révolution montante. Le nationalisme submerge tout. Le militarisme tonitruant parle pour la nation. Le socialisme semble enterré à jamais. Et c’est précisément au moment où elle semble en ruine que la Révolution formule son vœu le plus audacieux la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile et la conquête du pouvoir par la classe ouvrière. Sous le grondement des chars d’assaut le long des routes et sous les vociférations, identiques dans toutes les langues, du chauvinisme, la Révolution regroupe ses forces, au fond des tranchées, dans les usines et dans les villages. Les masses saisissent pour la première fois, avec une sagacité admirable, les liens cachés des événements historiques. Février 1917 est une grande victoire pour la révolution en Russie. Pourtant cette victoire condamne en apparence les revendications révolutionnaires du prolétariat. Elle les juge funestes et sans espoir. Elle mène à l’ère de Kerensky, de Tséretelli, des colonels et lieutenants révolutionnaires et patriotes, aux Tchernov prolixes et le regard en coin, étouffants, stupides, canailles. Oh, les saintes faces des jeunes instituteurs et des scribouillards de village charmées par les notes du ténor Avksentiev ! Oh, le rire profondément révolutionnaire des démocrates, qu’ils font suivre d’un fol hurlement de rage aux discours de la « petite poignée » de bolcheviks ! Pourtant la chute de la « démocratie révolutionnaire » au pouvoir était préparée par la conjonction en profondeur des forces sociales, par les sentiments des masses, par la prévoyance et l’action de l’avant-garde révolutionnaire. La poésie de la Révolution ne se trouvait pas seulement dans la montée élémentaire du flux d’octobre mais dans la conscience lucide et la volonté tendue du parti dirigeant. En juillet 1917, quand nous fûmes battus et pourchassés, emprisonnés, traités d’espions des Hohenzollern, quand nous fûmes privés d’eau et de feu, quand la presse démocratique nous enterra sous des monceaux de calomnies, nous nous sentions, quoique clandestins ou prisonniers, vainqueurs et maîtres de la situation. Dans cette dynamique prédéterminée de la Révolution, dans sa géométrie politique, réside sa poésie la plus grande.

    Octobre ne fut qu’un couronnement et entraîna aussitôt de nouvelles tâches immenses, des difficultés sans nombre. La lutte qui s’ensuivit exigea les méthodes et les moyens les plus variés, depuis les folles attaques de la Garde Rouge jusqu’à la formule « ni guerre ni paix » ou à la capitulation temporaire devant l’ultimatum de l’ennemi. Mais même à Brest-Litovsk, quand nous refusâmes d’abord la paix du Hohenzollern, et, plus tard, quand nous la signâmes sans la lire, le parti révolutionnaire ne se sentait pas vaincu, mais plutôt le maître de demain. Sa diplomatie fut une pédagogie qui aida la logique révolutionnaire des événements. La réponse fut : novembre 1918. La prévision historique ne peut certes prétendre à la précision mathématique. Tantôt elle exagère, tantôt elle sous-estime. Mais la volonté consciente de l’avant-garde devient un facteur de plus en plus décisif dans les événements qui préparent l’avenir. La responsabilité du parti révolutionnaire s’approfondit et devient plus complexe. Les organisations du parti pénètrent dans les profondeurs du peuple, tâtent, évaluent, prévoient, préparent et dirigent les développements. Il est vrai que le parti, dans cette période, a battu en retraite plus souvent qu’il n’a attaqué. Mais ses reculs ne changent pas la ligne générale de son action historique. Ce sont des épisodes, les courbes de la grande route. La Nep est-elle « prosaïque » ? Bien sûr ! La participation à la Douma de Rodzianko, la soumission à la sonnette de Tchkeidzé et de Dan dans le premier Soviet, les négociations avec Von Kühlmann à Brest-Litovsk n’avaient également rien d’attrayant. Mais Rodzianko et sa Douma ne sont plus. Tchkeidzé et Dan ont été renversés, tout comme Kühlmann et son maître. La Nep est venue. Elle est venue et elle partira. L’artiste pour qui la révolution perd son arôme parce qu’elle ne fait pas disparaître les odeurs du marché Soutcharevka a la tête vide ; il est mesquin. Compte tenu de toutes les autres qualités nécessaires, seul deviendra poète de la Révolution celui qui apprendra à la comprendre dans sa totalité, à regarder ses défaites comme des pas vers la victoire, à pénétrer dans la nécessité de ses reculs, et qui sera capable de voir, dans l’intense préparation des forces pendant le reflux, le pathétique éternel de la révolution et sa poésie.

    La Révolution d’Octobre est nationale en ses profondeurs. Mais elle n’est pas seulement, du point de vue national, une force. Elle est une école. L’art de la révolution doit passer par cette école. Et c’est une école très difficile.

    Par ses bases paysannes, ses vastes espaces et ses ravaudages de culture, la Révolution russe est la plus chaotique et la plus informe des révolutions. Mais par sa direction, la méthode qui l’oriente, son organisation, ses buts et ses tâches, elle est la plus « exacte », la plus planifiée et la plus achevée de toutes les révolutions. Dans la combinaison de ces deux extrêmes se trouve contenus l’âme, le caractère intime de notre révolution.

    Dans sa brochure sur les futuristes, Tchoukovsky, qui a sur la langue ce que les plus prudents ont dans l’esprit, a appelé par son nom la tare fondamentale de la Révolution d’Octobre : « Superficiellement elle est violente et explosive, mais en son essence elle est calculatrice, intelligente et rusée. » Tchoukovsky et ses semblables auraient en fin de compte salué une révolution qui eût été seulement violente, uniquement catastrophique. Eux, ou leurs descendants directs, auraient sans doute fait descendre d’elle leur arbre généalogique, car une révolution qui n’eût été ni calculatrice, ni intelligente, n’aurait jamais fait son travail jusqu’au bout, elle n’aurait jamais assuré la victoire des exploités sur les exploiteurs, elle n’aurait jamais détruit la base matérielle sous-jacente à l’art et à la critique conformistes. Dans toutes les révolutions antérieures, les masses étaient violentes et explosives, mais c’est la bourgeoisie qui était calculatrice et rusée, et par là, qui récoltait les fruits de la victoire. Messieurs les esthètes, romantiques, champions de l’élémentaire, mystiques et critiques agiles auraient accepté sans difficulté une révolution dans laquelle les masses eussent fait preuve d’enthousiasme et de sacrifice, non de calcul politique. Ils auraient canonisé une telle révolution suivant un rituel romantique bien établi. Une révolution ouvrière vaincue aurait eu droit au magnanime coup de chapeau de cet art qui serait venu dans les fourgons du vainqueur. Perspective très réconfortante, en vérité ! Nous préférons une révolution victorieuse, même si elle n’est pas artistiquement reconnue par cet art qui est maintenant dans le camp des vaincus.

    Herzen a dit de la doctrine de Hegel qu’elle était l’algèbre de la Révolution. Cette définition peut s’appliquer plus justement encore au marxisme. La dialectique matérialiste de la lutte des classes est la véritable algèbre de la Révolution. Sous nos yeux, en apparence, règnent le chaos, le déluge, l’informe et l’illimité. Mais c’est un chaos calculé et mesuré. Ses étapes sont prévues. La régularité de leur succession est prévue et enfermée dans des formules d’airain. Le chaos élémentaire c’est l’abîme ténébreux. Mais la clairvoyance et la vigilance existent dans la politique dirigeante. La stratégie révolutionnaire n’est pas informe à la façon d’une force de la nature, elle est aussi achevée qu’une formule mathématique. Pour la première fois dans l’histoire, nous voyons l’algèbre de la Révolution en action.

    Mais ces traits fort importants — clarté, réalisme, puissance physique de la pensée, logique impitoyable, lucidité et fermeté de ligne — qui viennent non du village mais de l’industrie, de la ville, comme le dernier terme de son développement spirituel — s’ils constituent les traits fondamentaux de la Révolution d’Octobre, sont pourtant complètement étrangers aux compagnons de route. C’est pourquoi ils ne sont que des compagnons de route. Et il est de notre devoir de le leur dire, dans l’intérêt de cette même clarté de ligne et de cette lucidité qui caractérise la révolution.

    Trotsky

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