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Ne pas perdre confiance dans les capacités révolutionnaires du prolétariat

mardi 15 mai 2018, par Robert Paris

édito

Ne pas désespérer (de) Billancourt

On se souvient que le slogan « Ne pas désespérer Billancourt » provient de l’affirmation selon laquelle le mouvement ouvrier ne devait pas trop analyser ses fautes sous prétexte de ne pas décourager les travailleurs. L’usine automobile Renault de Billancourt était alors prise comme thermomètre de la fièvre ouvrière, capable de se mobiliser comme elle l’avait montré notamment en 1936 et 1968, après avoir été durant de longues années un exemple de l’inverse, l’un des pires bagnes industriels où le syndicalisme et la grève n’avaient pas cours. Jean-Paul Sartre, l’un des spécialistes français du mensonge officiel dans le mouvement ouvrier, stalinien ou social-démocrate, avait suggéré par cette phrase la nécessité, selon lui, des mensonges des organisations « ouvrières » à l’égard de ces pauvres ouvriers, incapables bien entendu de faire face à la vérité crue !

Aujourd’hui, on remarquera que les dirigeants du mouvement ouvrier ne veulent toujours pas désespérer Billancourt, traduisez dire la vérité aux travailleurs et les en laisser juges, même si l’usine Renault n’y existe plus et que l’Ile Seguin ne produit plus d’automobiles ! Ces réformistes ne veulent pas dire que le capitalisme a atteint une crise historique. Ils ne veulent pas reconnaître que l’ère de prospérité, du moins des pays riches, est terminée et qu’il faut désormais d’autres luttes que simplement économiques, réformistes, purement corporatistes, car celles-ci ne donneront plus rien. Ils ne peuvent pas reconnaître que leurs regrets de l’époque de mai 68 provient du fait qu’en France c’était la pleine période de grande prospérité, ce qui a permis à la bourgeoisie de négocier quelques reculs avec le soutien des appareils syndicaux. Alors que le grand mouvement de mai-juin 1936, arrivé en pleine crise du capitalisme, loin d’amener des avancées réelles, a amené le fascisme et la guerre. Que le capitalisme soit fini, qu’il ait atteint ses limites, ils estiment que les travailleurs ne sont pas mûrs pour entendre de telles vérités. C’est mauvais pour le moral, même si Billancourt maintenant s’en moque !!!

Ils ne peuvent surtout pas souligner tous les liens entre la crise mondiale de 2007-2008, dont le monde ne s’est pas du tout relevé malgré des aides financières massives des banques centrales et nationales, avec les différentes évolutions violentes du monde : printemps arabes, chute de dictateurs, grands mouvements de masse, révoltes des pays de l’Est, grandes vagues de grèves, mais aussi montées des dictatures, des guerres, des fascismes, des racismes, de l’hostilité aux migrants, aux étrangers, recul des démocraties au nom de l’antiterrorisme, recrudescences des interventions armées impérialistes, ruptures des alliances dans le monde, protectionnismes, montée de la course aux armements et des guerres, menaces nouvelles de guerre mondiale… Le lien est pourtant évident.

En même temps, depuis cette crise historique de la domination capitaliste, tous les mouvements de la classe ouvrière ne mènent plus à des reculs des classes possédantes, et sont même exploités pour écraser les travailleurs, les démoraliser, les casser. Le syndicalisme a ainsi lui aussi atteint une limite qu’il est incapable de franchir, étant intégré au sein du système et se voyant seulement comme un tampon utile entre travailleurs et patrons, en collaboration et négociation permanente avec les gouvernants et l’Etat, position qui lui vaut tout son poids, ses financement, sa reconnaissance par la société bourgeoise, mais aussi par la travailleurs qui ne voient plus le syndicat comme une organisation de classe mais comme un organisme paritaire de service social.

Ceux qui ont peur de dire la vérité aux travailleurs, ce ne sont pas seulement les dirigeants syndicaux, de toutes les officines syndicales, mais aussi tous ceux qui tiennent absolument à ne jamais se fâcher trop sérieusement avec les boutiques syndicales, les gauches, les gauches de la gauche, les extrêmes gauches officielles. Leur opportunisme les empêche de diffuser leurs propres analyses économiques et politiques, du moment que celles-ci relèveraient que le capitalisme a atteint ses limites et ne peut faire chuter désormais toute la société. Ils craignent trop d’être accusés d’être des oiseaux de mauvais augure ! Quel intérêt de prédire la chute d’autant que l’on ne peut pas en dire la date, il suffit de l’attendre. Pourquoi annoncer des malheurs, mieux vaut annoncer que des gentilles petites luttes acceptées par les appareils syndicaux pourront améliorer la situation : on est mieux reçus de tout le monde et même si ce n’est pas vrai, personne ne vous le reproche. Il suffit de dire que c’est la faute du gouvernement et des patrons !

Pourtant, on remarque qu’aucune lutte sérieuse ne débouche, ne fait reculer nos adversaires, que cela n’était pas vrai avant 2007, mais qui l’a vu et qui va vous reprocher de ne pas prédire la fin du capitalisme, personne ! L’opportunisme apporte tellement de petits avantages immédiats qu’il est difficile à tous ceux qui tiennent à des succès immédiats de leurs petits appareils de s’en priver…

L’attitude inverse consiste à penser qu’il n’y a d’avenir que si les prolétaires prennent conscience de la situation et s’organisent eux-mêmes pour y faire face, mais comme très peu de chose apporte de l’eau au moulin d’un tel scénario, on ne se bouscule pas au portillon d’une telle politique !

Faute de « désespérer Billancourt », les réformistes et opportunistes de tous poils sont amenés à une dérive bien plus grave qui consiste à « désespérer de Billancourt », c’est-à-dire renoncer à la perspective d’un prolétariat révolutionnaire qui pourrait, un jour inattendu, dans une situation inattendue, pour une raison inattendue, rompre les amarres et voguer par lui-même, avec ses propres moyens, en fondant lui-même ses propres organisations de masse, en étonnant tout le monde, y compris ses prétendus chefs syndicaux et politiques, ainsi que ses ennemis de classe, y compris en s’étonnant lui-même. Cela n’arrive que très rarement mais cela arrive, et c’est à ce moment-là que l’existence du prolétariat a une importance historique, pour lui-même, pour les milieux populaires mais aussi pour toute l’humanité, pour l’Histoire avec un grand « H ». Si on ne parvient plus à amener la société à de petits progrès, si la société ne fait plus que régresser au point de remettre en cause tout ce qu’elle offrait précédemment, eh bien la classe exploitée sort un jour de ses gongs et renverse l’ordre, établit un nouvel ordre, e renversant non seulement le gouvernement mais aussi la domination de classe, le capitalisme ! Les divers « radicaux » syndicaux et politiques ont depuis belle lurette renoncé à cette perspective dans leur activité quotidienne, quand ils n’y ont pas renoncé ouvertement dans leurs discours et leurs écrits, et certains ne se souviennent même pas qu’il y a eu une époque où le syndicalisme était révolutionnaire et où le socialisme et le communisme signifiait la mise en place de l’Etat-Commune et la fin de la propriété privée des moyens de production. Ils en restent à une gentille démocratisation invraisemblable, au rêve d’un retour à un capitalisme prospère, démocratique, progressif, donnant des espoirs trompeurs aux prolétaires. Mais ces espoirs non seulement sont creux mais ils sont mensongers depuis que le capitalisme ne se prépare plus qu’à en découdre violemment avec les prolétaires, et tient, pour cela, à casser tout espoir de lutte, toute confiance des travailleurs dans la force de leur propre classe.

Non seulement les méthodes de lutte de tous ces appareils réformistes ne peuvent plus rien réformer, en positif de toute la société capitaliste, mais ils ne peuvent même pas empêcher ni même retarder les évolutions négatives violentes qu’imposent gouvernants et classes possédantes. Les luttes que mènent ces appareils soi-disant à la tête des travailleurs ne mènent que dans le mur, ne remontent nullement le moral des travailleurs puisqu’elles ne font que démontrer leur incapacité et ne mènent qu’à des échecs, y compris quand ces appareils font croire qu’ils ont imposé des réductions dans les attaques programmées par les ennemis. En conséquence, non seulement ils ont renoncé à la perspective révolutionnaire, celle d’un changement social radical d’avenir, mais ils ont renoncé à la possibilité d’expliquer aux travailleurs pourquoi toutes les luttes mènent à des échecs, se condamnant ainsi à perdre progressivement leur crédit et de devoir s’incliner quand les classes possédantes voudront se séparer d’eux pour casser plus violemment les exploités. La modération des dirigeants qui se réclament de la classe ouvrière ne permet ni à la lutte d’être moins dure, moins couteuse, moins violente. Et elle ne permet pas aux travailleurs de mesurer la réalité des rapports de forces entre classes sociales.

La manière de ces réformistes et de leurs suiveurs opportunistes et populistes est de tout expliquer par la personnalité du chef de l’Etat qui est au « service des riches », mais est-ce cela qui a changé, est-ce cela qui explique que toutes les luttes échouent, que toutes les politiques deviennent des destructions sociales ? Car les précédents l’étaient aussi. Trump est l’homme des trusts mais Obama était l’homme de la finance ! Trump menace de la guerre contre l’Iran mais le parti d’Obama menaçait de la guerre contre la Russie !!! Loin d’en déduire qu’il faut en finir avec l’Etat capitaliste, ces dirigeants « de gauche » ne veulent que remplacer le chef de l’Etat et pas changer d’Etat, renverser l’Etat capitaliste. Ils ne veulent pas d’un gouvernement des travailleurs !

La méthode de ces dirigeants réformistes ôte aux travailleurs tout contrôle sur leurs propres luttes, tout moyen d’en tirer des leçons, toute possibilité de gagner dans ces luttes des traditions d’organisation de classe, d’organisation de masse, de prise en charge par eux-mêmes de leurs propres revendications, de leurs propres programmes sociaux et politiques, de leurs propres méthodes d’action. En somme, toutes les avancées que pourrait tirer les prolétaires de leurs combats leur sont volés par ces appareils réformistes et opportunistes, au point que les classes possédantes n’ont rien à perdre, sont capables du coup de provoquer elles-mêmes les prolétaires, de les pousser à bout, de les attaquer sans cesse, sachant qu’ils disposeront de tout un appareil se revendiquant des salariés et empêchant tout risque de débordement.

Au lieu de préparer un avenir hors du capitalisme, hors de l’Etat capitaliste, hors de l’ordre capitaliste, hors du mode de production capitaliste, les appareils réformistes pleurnichent sur le passé, regrettent l’époque des négociations, des accords, des ententes avec la classe possédantes, des petites avancées qu’ils prétendaient obtenir, et ne font que supplier de revenir à un passé révolu ! Ils se plaignent qu’on les a trompés mille fois et recommencent aussi mille fois les démarches qui ont mené à ces tromperies, se chargeant eux-mêmes de vendre aux travailleurs ces méthodes menant à ces tromperies, celles-ci étant entrecoupées d’épisodes où soi-disant les travailleurs pourraient « exprimer leur colère », « faire connaître leur avis », « dénoncer les attaques », en somme exprimer leurs aspirations.

Mais le fait de s’exprimer ne va pas jusqu’à s’organiser eux-mêmes de manière indépendante pour les développer, pour échanger des avis, pour concevoir ensemble sur un terrain de classe ces avis, ces projets, ces programmes, ces méthodes de lutte. Jamais, au grand jamais, les appareils réformistes n’admettent que les travailleurs s’organisent par eux-mêmes, car ce serait renoncer à leur monopole d’organisation dans l’entreprise, et du coup aux avantages que leur rétrocède la société capitaliste en échange du fait qu’ils imposent l’absence d’organisation des prolétaires par eux-mêmes.

Historiquement, il en a été de même : ce n’est que dans les explosions sociales de grande ampleur et les révolutions que les opprimés se sont auto-organisés en masse et c’est même là que se trouve le principal thermomètre de l’ampleur du tremblement de terre social et politique. Toutes les grandes révolutions ont été marquées en premier par des vagues d’auto-organisation. Elles sont d’autant plus importantes qu’elles permettent non seulement à la lutte de se développer, de s’étendre, de se radicaliser, mais qu’elles permettent aussi aux opprimés, systématiquement écartés des prises de décision dans la société précédente, de devenir un nouveau type de pouvoir. C’est pour cela que le critère essentiel pour déterminer quel courant, quelle organisation et même quel groupe est vraiment radical, socialement et politiquement, c’est de voir s’il lutte, réellement et pas seulement en paroles, pour l’auto-organisation des prolétaires. Tous ceux qui s’accommodent des institutions que sont devenus les syndicats, qui préconisent de s’adapter aux seules élections bourgeoises, en refusant aux prolétaires en lutte d’élire leurs propres directions, ne sont que faussement radicaux, de simples populistes le plus souvent. Il est clair que la plupart des groupes, aussi insoumis se prétendent-ils, aussi anarchistes, trotskistes, maoïstes, anarcho-syndicalistes, gauche de la gauche, socialistes ou communistes se disent-ils, sont d’accord pour laisser la direction des luttes aux appareils bureaucratiques et cela les juge, par rapport à l’objectif essentiel de luttes dans des périodes de révolutions et de contre-révolutions. Cet objectif ne peut pas être de « se faire entendre », d’ « exprimer notre refus » de telle ou telle attaque. Ce doit être de préparer, au travers des luttes, un autre avenir que le capitalisme à l’agonie, de préparer le pouvoir aux travailleurs !

Dans les temps qui viennent comptons sur les classes possédantes, et sur tous ceux qui s’inclinent devant eux, de nous donner mille raisons de perdre confiance dans la capacité révolutionnaire des travailleurs et ne comptons que sur nous-mêmes pour garder en nous cette confiance...

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