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Lénine 1922, droit des peuples

samedi 2 janvier 2010

Lénine

LA QUESTION DES NATIONALITÉS OU DE L’« AUTONOMIE » [1]

Je suis fort coupable, je crois, devant les ouvriers de Russie, de n’être pas intervenu avec assez d’énergie et de rudesse dans la fameuse question de l’autonomie, appelée officiellement, si je ne me trompe, question de l’union des républiques socialistes soviétiques.

En été, au moment où cette question s’est posée, j’étais malade, et en automne j’ai trop compté sur ma guérison et aussi sur l’espoir que les sessions plénières d’octobre et de décembre [2] me permettraient d’intervenir dans cette question. Or, je n’ai pu assister ni à la session d’octobre (consacrée à ce problème), ni à celle de décembre ; et c’est ainsi que la question a été discutée presque complètement en dehors de moi.

J’ai pu seulement m’entretenir avec le camarade Dzerjinski qui, à son retour du Caucase, m’a fait savoir où en était cette question en Géorgie. J’ai pu de même échanger deux mots avec le camarade Zinoviev et lui dire mes craintes à ce sujet. De la communication que m’a faite le camarade Dzerjinski, qui était à la tête de la commission envoyée par le Comité central pour « enquêter » sur l’incident géorgien, je n’ai pu tirer que les craintes les plus sérieuses. Si les choses en sont venues au point qu’Ordjonikidzé s’est laissé aller à user de violence, comme me l’a dit le camarade Dzerjinski, vous pouvez bien vous imaginer dans quel bourbier nous avons glissé. Visiblement, toute cette entreprise d’« autonomie » a été foncièrement erronée et inopportune.

On prétend qu’il fallait absolument unifier l’appareil. D’où émanaient ces affirmations ? N’est-ce pas de ce même appareil de Russie, que, comme je l’ai déjà dit dans un numéro précédent de mon journal, nous avons emprunté au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d’un vernis soviétique ?

Sans aucun doute, il aurait fallu renvoyer cette mesure jusqu’au jour où nous aurions pu dire que nous nous portions garants de notre appareil, parce que nous l’avions bien en mains. Et maintenant nous devons en toute conscience dire l’inverse ; nous appelons nôtre un appareil qui, de fait, nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes, qu’il nous était absolument impossible de transformer en cinq ans faute d’avoir l’aide des autres pays et alors que prédominaient les préoccupations militaires et la lutte contre la famine.

Dans ces conditions, il est tout à fait naturel que « la liberté de sortir de l’union » qui nous sert de justification, apparaisse comme une formule bureaucratique incapable de défendre les allogènes de Russie contre l’invasion du Russe authentique, du Grand-Russe, du chauvin, de ce gredin et de cet oppresseur qu’est au fond le bureaucrate russe typique. Il n’est pas douteux que les ouvriers soviétiques et soviétisés, qui sont en proportion infime, se noieraient dans cet océan de la racaille grand-russe chauvine, comme une mouche dans du lait.

Pour appuyer cette mesure, on dit que nous avons créé les commissariats du peuple s’occupant spécialement de la psychologie nationale, de l’éducation nationale. Mais alors une question se pose : est-il possible de détacher ces commissariats du peuple intégralement ? Seconde question : Avons- nous pris avec assez de soin des mesures pour défendre réellement les allogènes contre le typique argousin russe ? Je pense que nous n’avons pas pris ces mesures, encore que nous eussions pu et dû le faire.

Je pense qu’un rôle fatal a été joué ici par la hâte de Staline et son goût pour l’administration, ainsi que par son irritation contre le fameux « social-nationalisme ». L’irritation joue généralement en politique un rôle des plus désastreux.

Je crains aussi que le camarade Dzerjinski, qui s’est rendu au Caucase pour enquêter sur les « crimes » de ces « social- nationaux », se soit de même essentiellement distingué ici par son état d’esprit cent pour cent russe (on sait que les allogènes russifiés forcent constamment la note en l’occurrence), et que l’impartialité de toute sa commission se caractérise assez par les « voies de fait » d’Ordjonikidzé. Je pense que l’on ne saurait justifier ces voies de fait russes par aucune provocation, ni même par aucun outrage, et que le camarade Dzerjinski a commis une faute irréparable en considérant ces voies de fait avec trop de légèreté.

Ordjonikidzé représentait le pouvoir pour tous les autres citoyens du Caucase. Il n’avait pas le droit de s’emporter, droit que lui et Dzerjinski ont invoqué. Ordjonikidzé aurait dû, au contraire, montrer un sang-froid auquel aucun citoyen ordinaire n’est tenu, à plus forte raison s’il est inculpé d’un crime « politique ». Car, au fond, les social-nationaux étaient des citoyens inculpés d’un crime politique, et toute l’ambiance de cette accusation ne pouvait le qualifier autrement.

Ici se pose une importante question de principe : Comment concevoir l’internationalisme ?[3]

Lénine

30.XII.22.

Suite des notes.

31 décembre 1922.

La question des nationalités ou de l’« autonomie »

(suite)

J’ai déjà écrit dans mes ouvrages sur la question nationale qu’il est tout à fait vain de poser dans l’abstrait la question du nationalisme en général. Il faut distinguer entre le nationalisme de la nation qui opprime et celui de la nation opprimée, entre le nationalisme d’une grande nation et celui d’une petite nation.

Par rapport au second nationalisme, nous, les nationaux d’une grande nation, nous nous rendons presque toujours coupables, à travers l’histoire, d’une infinité de violences, et même plus, nous commettons une infinité d’injustices et d’exactions sans nous en apercevoir. Il n’est que d’évoquer mes souvenirs de la Volga sur la façon dont on traite chez nous les allogènes : le Polonais, le Tatar, l’Ukrainien, le Géorgien et les autres allogènes du Caucase ne s’entendent appeler respectivement que par des sobriquets péjoratifs, tels « Poliatchichka », « Kniaz », « Khokhol », « Kapkazski tchélovek ».

Aussi l’internationalisme du côté de la nation qui opprime ou de la nation dite « grande » (encore qu’elle ne soit grande que par ses violences, grande simplement comme l’est, par exemple, l’argousin) doit-il consister non seulement dans le respect de l’égalité formelle des nations, mais encore dans une inégalité compensant de la part de la nation qui opprime, de la grande nation, l’inégalité qui se manifeste pratiquement dans la vie. Quiconque n’a pas compris cela n’a pas compris non plus ce qu’est l’attitude vraiment prolétarienne à l’égard de la question nationale : celui-là s’en tient, au fond, au point de vue petit-bourgeois et, par suite, ne peut que glisser à chaque instant vers les positions de la bourgeoisie.

Qu’est-ce qui est important pour le prolétaire ? Il est important, mais aussi essentiel et indispensable, qu’on lui assure dans la lutte de classe prolétarienne le maximum de confiance de la part des allogènes. Que faut-il pour cela ? Pour cela il ne faut pas seulement l’égalité formelle, il faut aussi compenser d’une façon ou d’une autre, par son comportement ou les concessions à l’allogène, la défiance, le soupçon, les griefs qui, au fil de l’histoire, ont été engendrés chez lui par le gouvernement de la nation « impérialiste ».

Je pense que pour les bolchéviks, pour les communistes, il n’est guère nécessaire d’expliquer cela plus longuement. Et je crois qu’ici nous avons, en ce qui concerne la nation géorgienne, l’exemple typique du fait qu’une attitude vraiment prolétarienne exige que nous redoublions de prudence, de prévenance et d’accommodement. Le Géorgien qui considère avec dédain ce côté de l’affaire, qui lance dédaigneusement des accusations de « social-nationalisme », (alors qu’il est lui-même non seulement un vrai, un authentique « social-national », mais encore un brutal argousin grand-russe), ce Géorgien-là porte en réalité atteinte à la solidarité prolétarienne de classe, car il n’est rien qui en retarde le développement et la consolidation comme l’injustice nationale ; il n’est rien qui soit plus sensible aux nationaux « offensés », que le sentiment d’égalité et la violation de cette égalité, fût-ce par négligence ou plaisanterie, par leurs camarades prolétaires. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, il vaut mieux forcer la note dans le sens de l’esprit d’accommodement et de la douceur à l’égard des minorités nationales que faire l’inverse. Voilà pourquoi, dans le cas considéré, l’intérêt fondamental de la solidarité prolétarienne, et donc de la lutte de classe prolétarienne, exige que nous n’observions jamais une attitude purement formelle envers la question nationale, mais que nous tenions toujours compte de la différence obligatoire dans le comportement du prolétaire d’une nation opprimée (ou petite) envers la nation qui opprime (ou grande).

Lénine

Consigné par M.V.

31.XII.22.

Suite des notes.

31 décembre 1922.

Quelles sont donc les mesures pratiques à prendre dans la situation ainsi créée ?

Premièrement, il faut maintenir et consolider l’union des républiques socialistes ; il ne peut exister aucun doute sur ce point. Cette mesure nous est nécessaire comme elle l’est au prolétariat communiste mondial pour combattre la bourgeoisie mondiale et pour se défendre contre ses intrigues.

Deuxièmement, il faut maintenir l’union des républiques socialistes en ce qui concerne l’appareil diplomatique. C’est d’ailleurs une exception dans notre appareil d’Etat. Nous n’y avons pas admis une seule personne quelque peu influente de l’ancien appareil tsariste. Dans son personnel les cadres moyens comme les cadres supérieurs sont communistes. Aussi a-t-il déjà conquis (on peut le dire hardiment) le nom d’appareil communiste éprouvé, infiniment mieux épuré des éléments de l’ancien appareil tsariste, bourgeois et petit-bourgeois que celui dont nous sommes obligés de nous contenter dans les autres commissariats du peuple.

Troisièmement, il faut infliger une punition exemplaire au camarade Ordjonikidzé (je dis cela avec d’autant plus de regret que je compte personnellement parmi ses amis et que j’ai milité avec lui à l’étranger, dans l’émigration), et aussi achever l’enquête ou procéder à une enquête nouvelle sur tous les documents de la commission Dzerjinski, afin de redresser l’énorme quantité d’irrégularités et de jugements partiaux qui s’y trouvent indubitablement. Il va de soi que c’est Staline et Dzerjinski qui doivent être rendus politiquement responsables de cette campagne foncièrement nationaliste grand-russe.

Quatrièmement, il faut introduire les règles les plus rigoureuses quant à l’emploi de la langue nationale dans les républiques allogènes faisant partie de notre Union, et vérifier ces règles avec le plus grand soin. I1 n’est pas douteux que, sous prétexte d’unité des services ferroviaires, sous prétexte d’unité fiscale, etc., une infinité d’abus de nature authentiquement russe, se feront jour chez nous avec notre appareil actuel. Pour lutter contre ces abus, il faut un esprit d’initiative tout particulier, sans parler de l’extrême loyauté de ceux qui mèneront cette lutte. Un code minutieux sera nécessaire, et seuls les nationaux habitant la république donnée sont capables de l’élaborer avec quelque succès. Et il ne faut jamais jurer d’avance qu’à la suite de tout ce travail on ne revienne en arrière au prochain congrès des Soviets en ne maintenant l’union des républiques socialistes soviétiques que sur le plan militaire et diplomatique, et en rétablissant sous tous les autres rapports la complète autonomie des différents commissariats du peuple.

Il ne faut pas oublier que le morcellement des commissariats du peuple et le défaut de coordination de leur fonctionnement par rapport à Moscou et autres centres peuvent être suffisamment compensés par l’autorité du Parti, si celle-ci s’exerce avec assez de circonspection et en toute impartialité ; le préjudice que peut causer à notre Etat l’absence d’appareils nationaux unifiés avec l’appareil russe est infiniment, incommensurablement moindre que celui qui en résulte pour nous, pour toute l’Internationale, pour les centaines de millions d’hommes des peuples d’Asie, qui apparaîtra après nous sur l’avant-scène historique dans un proche avenir. Ce serait un opportunisme impardonnable si, à la veille de cette intervention de l’Orient et au début de son réveil, nous ruinions à ses yeux notre autorité par la moindre brutalité ou injustice à l’égard de nos propres allogènes. Une chose est la nécessité de faire front tous ensemble contre les impérialistes d’Occident, défenseurs du monde capitaliste. Là il ne saurait y avoir de doute, et il est superflu d’ajouter que j’approuve absolument ces mesures. Autre chose est de nous engager nous-mêmes, fût-ce pour les questions de détail, dans des rapports impérialistes à l’égard des nationalités opprimées, en éveillant ainsi la suspicion sur la sincérité de nos principes, sur notre justification de principe de la lutte contre l’impérialisme. Or, la journée de demain, dans l’histoire mondiale, sera justement celle du réveil définitif des peuples opprimés par l’impérialisme et du commencement d’une longue et âpre bataille pour leur affranchissement.

Lénine

31.XII.22.

Consigné par M.V.

Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1] Autonomie, projet d’organiser toutes les républiques formant la R.S.F.S.R. sur les bases d’autonomie. Le projet d’"autonomie" fut déposé par Staline. Lénine le critiqua sévèrement et proposa une solution foncièrement différente à cette question : formation de l’Union des républiques socialistes soviétiques englobant des républiques égales en droit. En décembre 1922 le 1er Congrès des Soviets de l’U.R.S.S. prit la décision de former l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques. [N.E.]

[2] Il s’agit des sessions plénières du C.C. du P.C.(b)R. qui eurent lieu en octobre et décembre 1922 et qui délibérèrent du problème de la formation de l’U.S.S.R. [N.E.]

[3] Plus loin, dans les notes sténographiées, la phrase Je pense que nos camarades n’ont pas suffisamment compris cette importante question de principe » est barrée. [N.E.]

BILLET À L. B. KAMÉNEV SUR LA LUTTE CONTRE LE CHAUVINISME DE GRANDE PUISSANCE

Camarade Kaménev, je déclare une guerre à mort au chauvinisme de grande puissance. Aussitôt que je serai délivré de ma maudite dent, je dévorerai avec toutes mes dents saines.

Il faut absolument insister pour que le C.E.C. fédéral soit présidé à tour de rôle par

un Russe

un Ukrainien

un Géorgien, etc.

Absolument !

Le 5 juin 1920

N. Lénine

1. La façon abstraite ou formelle de poser la question de l’égalité en général, y compris l’égalité nationale, est inhérente à la démocratie bourgeoise de par sa nature. Sous le couvert de l’égalité de la personne humaine en général, la démocratie bourgeoise proclame l’égalité formelle ou juridique du propriétaire et du prolétaire, de l’exploiteur et de l’exploité, induisant ainsi les classes opprimées dans la plus grave erreur. L’idée d’égalité, qui n’est en elle-même que le reflet des rapports de la production marchande, devient entre les mains de la bourgeoisie une arme de lutte contre l’abolition des classes, sous le prétexte d’une égalité absolue des personnes humaines. Le sens réel de la revendication de l’égalité se réduit à la revendication de l’abolition des classes.

2. Conformément à son objectif essentiel de lutte contre la démocratie bourgeoise et de dénonciation de ses mensonges et de son hypocrisie, le Parti communiste, interprète conscient du prolétariat luttant pour secouer le joug de la bourgeoisie, doit - dans la question nationale également – mettre au premier plan, non pas des principes abstraits ou formels, mais 1° une appréciation exacte de la situation historique concrète et avant tout économique ; 2° une discrimination très nette entre les intérêts des classes opprimées, des travailleurs, des exploités et l’idée générale des intérêts populaires en général, qui n’est que l’expression des intérêts de la classe dominante ; 3° une distinction tout aussi nette entre les nations opprimées, dépendantes, ne bénéficiant pas de l’égalité des droits, et les nations qui oppriment, qui exploitent, qui bénéficient de l’intégralité des droits, par opposition au mensonge démocratique bourgeois qui dissimule l’asservissement colonial et financier - propre à l’époque du capital financier et de l’impérialisme - de l’immense majorité de la population du globe par une infinie minorité de pays capitalistes avancés et ultra-riches.

3. La guerre impérialiste de 1914-1918 a révélé, de toute évidence, devant toutes les nations et les classes opprimées de l’univers, le caractère mensonger des belles phrases démocratiques bourgeoises, en montrant pratiquement que le traité de Versailles des fameuses démocraties occidentales est une violence encore plus féroce et lâche exercée sur les nations faibles que le traité de Brest-Litovsk imposé par les junkers allemands et le kaiser. La Société des Nations et toute la politique d’après-guerre de l’Entente révèlent cette vérité d’une manière encore plus claire et plus nette, renforçant partout la lutte révolutionnaire, aussi bien du prolétariat des pays avancés que de toutes les masses laborieuses des pays coloniaux et dépendants, hâtant la faillite des illusions nationales petites-bourgeoises sur la possibilité de la coexistence pacifique et de l’égalité des nations en régime capitaliste.

4. Il résulte de ces thèses essentielles qu’à la base de toute la politique de l’Internationale Communiste dans les questions nationale et coloniale doit être placé le rapprochement des prolétaires et des masses laborieuses de toutes les nations et de tous les pays pour la lutte révolutionnaire commune en vue de renverser les propriétaires fonciers et la bourgeoisie. Car seul ce rapprochement garantit la victoire sur le capitalisme, sans laquelle la suppression du joug national et de l’inégalité des droits est impossible.

5. La situation politique mondiale inscrit maintenant à l’ordre du jour la dictature du prolétariat, et tous les événements de la politique mondiale convergent inéluctablement vers le même point central, à savoir : la lutte de la bourgeoisie mondiale contre la République des Soviets de Russie, qui groupe inévitablement autour d’elle, d’une part, les mouvements soviétiques des ouvriers avancés de tous les pays, d’autre part, tous les mouvements de libération nationale des colonies et des nationalités opprimées qu’une expérience douloureuse convainc qu’il n’y a pas pour elles de salut en dehors de la victoire du pouvoir des Soviets sur l’impérialisme mondial.

6. Par conséquent, on ne peut se borner, à l’heure actuelle, à reconnaître ou à proclamer simplement le rapprochement des travailleurs des différentes nations, mais il est indispensable de faire une politique tendant à réaliser l’union la plus étroite de tous les mouvements de libération nationale et coloniale avec la Russie des Soviets, en déterminant les formes de cette union selon le degré de développement du mouvement communiste au sein du prolétariat de chaque pays ou du mouvement de libération démocratique bourgeois des ouvriers et des paysans des pays arriérés, ou des nationalités arriérées.

7. La fédération est la forme transitoire vers l’unité totale des travailleurs des différentes nations. La fédération a déjà démontré son utilité tant dans les rapports de la R.S.F.S.R. avec les autres Républiques soviétiques (de Hongrie, de Finlande, de Lettonie dans le passé ; d’Azerbaïdjan et d’Ukraine actuellement), qu’à l’intérieur même de la R.S.F.S.R. à l’égard des nationalités qui n’avaient auparavant ni existence particulière en tant qu’Etat, ni autonomie (par exemple, les républiques autonomes de Bachkirie et de Tatarie au sein de la R.S.F.S.R., créées en 1919 et 1920) .

8. La tâche de I’Internationale Communiste consiste, sous ce rapport, aussi bien à développer qu’à étudier et vérifier à la lumière de l’expérience ces nouvelles fédérations, créées sur la base du régime et du mouvement des Soviets. Considérant la fédération comme une forme transitoire vers l’unité totale, nous devons nécessairement nous orienter vers une union fédérative de plus en plus étroite, en ayant toujours présent à l’esprit que, premièrement, il est impossible de préserver l’existence des républiques soviétiques, entourées des puissances impérialistes de tout l’univers, infiniment supérieures sur le plan militaire, sans l’union la plus étroite de ces républiques soviétiques ; que deuxièmement, il est indispensable de réaliser une étroite union économique des républiques soviétiques, sans laquelle il serait impossible de restaurer les forces de production détruites par l’impérialisme et d’assurer le bien-être des travailleurs ; que troisièmement, on tend à créer une économie mondiale unique, considérée comme un tout et dirigée selon un plan d’ensemble par le prolétariat de toutes les nations, tendance qui s’est déjà manifestée de toute évidence en régime capitaliste et qui est appelée assurément à se développer et à triompher en régime socialiste.

9. Dans le domaine des rapports à l’intérieur de l’Etat, la politique nationale de l’Internationale Communiste ne peut se borner à une simple reconnaissance, toute formelle, purement déclarative et n’engageant à rien, de l’égalité des nations, dont se contentent les démocrates bourgeois, qu’ils s’avouent franchement tels ou qu’ils se couvrent de l’étiquette de socialistes, comme le font ceux de la IIe Internationale. Non seulement dans toute la propagande et toute l’agitation des partis communistes - à la tribune des parlements comme en dehors d’elle - doivent être inlassablement dénoncées les violations constantes du principe de l’égalité des nations et des garanties des droits des minorités nationales dans tous les Etats capitalistes, en dépit de leurs constitutions « démocratiques », mais il est également indispensable, premièrement, de démontrer sans cesse que seul le régime des Soviets est en mesure d’assurer réellement l’égalité des nations, en réalisant d’abord l’union de tous les prolétaires, puis celle de toute la masse des travailleurs dans la lutte contre la bourgeoisie, et deuxièmement, tous les partis communistes doivent aider directement les mouvements révolutionnaires des nations dépendantes ou ne bénéficiant pas de l’égalité des droits (par exemple, l’Irlande, les Nègres d’Amérique, etc.) et des colonies.

Sans cette dernière condition, particulièrement importante, la lutte contre l’oppression des nations dépendantes et des colonies, de même que la reconnaissance de leur droit à la sécession, ne sont que des enseignes trompeuses, comme c’est le cas dans les partis de la IIe Internationale.

10. La reconnaissance verbale du principe de l’internationalisme, auquel on substitue en fait, dans toute la propagande, l’agitation et le travail pratique, le nationalisme et le pacifisme petits-bourgeois, n’est pas seulement le fait constant des partis de la IIe Internationale ; c’est aussi celui de ceux qui l’ont quittée, et même assez souvent de ceux qui s’intitulent maintenant communistes. La lutte contre ce mal, contre les préjugés nationalistes petits-bourgeois les plus enracinés acquiert d’autant plus d’importance que devient plus actuel chaque jour le problème de la transformation de la dictature du prolétariat de nationale (c’est-à-dire existant dans un seul pays et incapable de déterminer une politique mondiale) en internationale (c’est-à-dire la dictature du prolétariat d’au moins plusieurs pays avancés et susceptible d’avoir une influence décisive sur toute la politique mondiale). Le nationalisme petit-bourgeois appelle internationalisme la seule reconnaissance de l’égalité des nations, et laisse intact (sans parler même du caractère purement verbal de cette reconnaissance) l’égoïsme national, alors que l’internationalisme prolétarien exige : 1° que les intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays soient subordonnés aux intérêts de cette lutte à l’échelle mondiale ; 2° que les nations en train de vaincre la bourgeoisie soient aptes et prêtes à accepter les plus grands sacrifices sur le plan national en vue du renversement du capital international,

Ainsi, dans les Etats déjà complètement capitalistes, où existent des partis ouvriers qui forment réellement l’avant- garde du prolétariat, la lutte contre les déviations opportunistes, petites-bourgeoises et pacifistes de la notion et de la politique de l’internationalisme est-elle la première et la plus importante des tâches.

11. Quant aux Etats et nations plus arriérés, où prédominent des rapports de caractère féodal, patriarcal ou patriarcal-paysan, il faut tout particulièrement avoir présent à l’esprit :

1° La nécessité pour tous les partis communistes d’aider le mouvement de libération démocratique bourgeois de ces pays ; et, au premier chef, l’obligation d’apporter l’aide la plus active incombe aux ouvriers du pays dont la nation arriérée dépend sous le rapport colonial et financier ;

2° La nécessité de lutter contre le clergé et les autres éléments réactionnaires et moyenâgeux qui ont de l’influence dans les pays arriérés ;

3° La nécessité de lutter contre le panislamisme et autres courants analogues, qui tentent de conjuguer le mouvement de libération contre l’impérialisme européen et américain avec le renforcement des positions des khans, des propriétaires fonciers, des mollahs, etc. ;

4° La nécessité de soutenir spécialement le mouvement paysan des pays arriérés contre les hobéreaux, contre la grosse propriété foncière, contre toutes les manifestations ou survivances du féodalisme, et de s’attacher à conférer au mouvement paysan le caractère le plus révolutionnaire en réalisant l’union la plus étroite possible du prolétariat communiste d’Europe occidentale avec le mouvement révolutionnaire paysan des pays d’Orient, des colonies et en général des pays arriérés ; il est indispensable, en particulier, de faire tous ses efforts pour appliquer les principes essentiels du régime des Soviets aux pays où dominent des rapports précapitalistes, par la création de « Soviets de travailleurs », etc. ;

5° La nécessité de lutter résolument contre la tendance à parer des couleurs du communisme les courants de libération démocratique bourgeois des pays arriérés ; l’Internationale Communiste ne doit appuyer les mouvements nationaux démocratiques bourgeois des colonies et des pays arriérés qu’à la condition que les éléments des futurs partis prolétariens, communistes autrement que par le nom, soient dans tous les pays arriérés groupés et éduqués dans l’esprit de leurs tâches particulières, tâches de lutte contre les mouvements démocratiques bourgeois de leur propre nation ; l’Internationale Communiste doit conclure une alliance temporaire avec les démocrates bourgeois des colonies et des pays arriérés, mais pas fusionner avec eux, et maintenir fermement l’indépendance du mouvement prolétarien, même sous sa forme la plus embryonnaire ;

6° La nécessité d’expliquer et de dénoncer inlassablement aux larges masses laborieuses de tous les pays, et plus particulièrement des pays arriérés, la duperie pratiquée systématiquement par les puissances impérialistes qui, sous le couvert de la création d’Etats politiquement indépendants, créent en fait des Etats entièrement sous leur dépendance dans les domaines économique, financier et militaire ; dans la situation internationale actuelle, en dehors de l’union des républiques soviétiques, il n’y a pas de salut pour les nations dépendantes et faibles.

12. L’oppression séculaire des peuples coloniaux et faibles par les puissances impérialistes a laissé dans les masses laborieuses des pays opprimés non seulement de la haine, mais également de la méfiance à l’égard des nations oppressives en général, y compris à l’égard du prolétariat de ces nations. L’infâme trahison du socialisme par la majorité des chefs officiels de ce prolétariat en 1914-1919, quand par « défense de la patrie », les social-chauvins camouflaient la défense du « droit » de « leur » bourgeoisie à opprimer les colonies et à piller les pays financièrement dépendants, ne pouvait qu’aggraver cette méfiance parfaitement légitime. D’un autre côté, plus un pays est arriéré, et plus y sont puissants la petite production agricole, le mode de vie patriarcal et l’indigence d’esprit, ce qui confère immanquablement une grande force de résistance aux plus enracinés des préjugés petits-bourgeois, à savoir ceux de l’égoïsme national, de l’étroitesse nationale. Etant donné que ces préjugés ne pourront disparaître qu’après la disparition de l’impérialisme et du capitalisme dans les pays avancés, et après la transformation radicale de toute la base économique des pays arriérés, l’extinction de ces préjugés ne pourra être que très lente. D’où l’obligation, pour le prolétariat communiste conscient de tous les pays, de faire preuve d’une prudence et d’une attention particulières à l’égard des survivances du sentiment national des pays et des peuples opprimés depuis très longtemps, et le devoir, aussi, de faire certaines concessions dans le but de hâter la disparition de cette méfiance et de ces préjugés. Sans un libre effort vers l’union et l’unité du prolétariat, puis, de toutes les masses laborieuses de tous les pays et de toutes les nations du monde, la victoire sur le capitalisme ne peut être parachevée.

Notes

Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]

[1] La Première ébauche des thèses sur les questions nationale et coloniale fut mise à la base du travail de la commission chargée de ces questions au III Congrès de l’Internationale Communiste. La commission fut présidée par Lénine. Ses thèses furent discutées à la quatrième et à la cinquième séance du congrès et furent adoptées le 28 juillet 1920. [N.E.]

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  • On prétend qu’il fallait absolument unifier l’appareil. D’où émanaient ces affirmations ? N’est-ce pas de ce même appareil de Russie, que, comme je l’ai déjà dit dans un numéro précédent de mon journal, nous avons emprunté au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d’un vernis soviétique ?

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