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Physique quantique et philosophie

lundi 12 avril 2010, par Robert Paris

Max Planck dans « Initiations à la physique » :

« L’univers tel qu’il est aux yeux de la physique moderne

« La science physique, tout entière, est un édifice à la base duquel on trouve les mesures. Or tout mesure étant liée à une perception sensible, toute loi physique concerne, au fond, des événements ayant lieu dans le monde sensible ; c’est pourquoi un certain nombre de savants et de philosophes sont portés à penser, qu’en dernière analyse, les physiciens n’ont affaire qu’au monde sensible, et même qu’au monde tel qu’il est perçu par les sens humains. (…) Il n’existe pas de motif logique permettant de réfuter cette opinion ; car la logique seule ne peut faire sortir qui que ce soit du monde sensible ; elle est même incapable de nous contraindre à admettre l’existence d’autres hommes que nous-mêmes. Mais elle n’est pas seule à assurer l’existence de notre entendement, il y faut aussi la raison. Or, pour qu’une chose soit raisonnable, l’absence de contradiction logique n’est pas le fondement. La raison nous dit que si nous tournons le dos à un objet en nous éloignant de lui, il en reste encore quelque chose quand nous ne sommes plus là. (…) La raison nous dit que les lois de la nature ne surgissent pas d’un pauvre cerveau humain, qu’elles ont existé avant que la vie soit apparue sur la terre et qu’elles existeront encore quand le dernier physicien aura disparu.

Ces pensées, qui ne sont pas des conclusions logiques, nous obligent à admettre l’existence d’un monde réel derrière le monde de nos sensations, monde dont l’existence est indépendante de l’homme. Nous ne pouvons acquérir aucune connaissance directe de ce monde, nous pouvons seulement en prendre conscience par l’intermédiaire du monde de nos sensations. S’il y a des gens qui ne peuvent se résigner à adopter cette manière de voir et qui ne peuvent envisager l’existence d’un monde réel, inconnaissable par principe, nous leur ferons observer que, se trouver en présence d’une théorie physique tout achevée dont on peut analyser exactement le contenu et établir que des concepts pris dans le monde sensible suffisent parfaitement à la formuler est une chose et que, édifier une théorie physique en prenant son point de départ dans un ensemble de mesures particulières est une tout autre chose. (…) Jusqu’ici, on n’a pas pu réussir à la mener à bien sans admettre l’existence d’un monde réel indépendant de nos sens humains et, d’autre part, il n’y a pas de raison de penser qu’il en sera autrement à l’avenir.

(…) Bien qu’il y ait toujours des observations nouvelles à l’origine de tout perfectionnement et de toute simplification apportés au système de l’univers, ce système n’en présente pas moins (et ceci est tout à fait remarquable) une structure qui s’éloigne de plus en plus du monde sensible. Les sensations en sont éliminées de plus en plus et il perd, dans la même mesure, son caractère anthropomorphique primitif. »

Lénine dans "Matérialisme et empiriocriticisme" :

"La physique contemporaine s’achemine vers la seule bonne méthode, vers la seule philosophie juste des sciences de la nature, non en ligne droite, mais en zigzags, non consciemment mais spontanément, non point guidée par un "but final" nettement aperçu mais à tâtons, en hésitant et parfois même à reculons. La physique contemporaine est en couches. Elle enfante le matérialisme dialectique. Accouchement douloureux."

David Böhm dans « The Ghost in the atom » de Davies et Brown :

« La Physique n’est pas seulement une question d’expérimentation. Elle commence là où les gens se posent des questions. Je veux dire qu’il n’y aurait même pas d’expériences si les gens ne se posaient pas ces questions. Les gens ont été intéressés par la compréhension du monde d’un tout autre point de vue que l’expérimentation. (…) Popper a proposé son idée de falsifiabilité (des théories devraient entraîner des conséquences qui peuvent être contredites par des expériences) mais ce n’est pas une vérité absolue sur ce qu’est la science.

A l’origine, la science est une philosophie. Aujourd’hui, on croirait plutôt qu’elle ressort d’une espèce de technique. Notre monde moderne est tout entier en train de se ramener à des techniques et cela supprime la signification de toutes choses. Les gens sont progressivement tombés dans ce piège et ont expliqué que tout ce qui n’est pas technique serait sans importance. Vous pouvez vous rendre compte de cette évolution historique de l’idéologie dominante. Mais on ne peut pas en déduire que cette thèse soit une vérité absolue.

Je pense que toute expérience scientifique sort de questions philosophiques. Si on revient à l’Histoire, à l’époque de la Grèce antique, la science était essentiellement spéculative. Par la suite, on a corrigé cela en développant l’expérimentation. Aujourd’hui, nous sommes passé de l’autre côté et nous disons que seules les expériences ont droit à l’existence. C’est l’erreur inverse. La science nécessite plusieurs choses et non une seule. Elle implique des idées et la pensée précède l’expérience. Si vous excluez la philosophie, vous excluez aussi les pensées qui mènent à de nouvelles expériences. Le seul apport extérieur autorisé aujourd’hui est celui des mathématiques. C’est le seul domaine où les gens s’autorisent quelques libertés de pensée. En dehors des expériences, on a le droit de jouer autour des mathématiques autant qu’on veut. (…) On peut se permettre ce que l’on veut du moment que ce sont des calculs mathématiques. Les gens croient que les mathématiques disent la vérité, mais qu’aucune autre pensée ne peut en dire. Les mathématiciens parlent d’élégance en mathématiques. Chaque physicien a bien entendu sa propre philosophie, mais la philosophie actuellement acceptée est extrêmement pauvre et inélégante. »


Max Planck dans "Initiations à la physique" :

"L’hypothèse des quanta ne se contente pas de contredire les anciennes idées généralement reçues (...) ce qui serait une chose relativement supportable mais il apparaît de plus en plus qu’elle contredit les postulats les plus fondamentaux de la physique classique. (...) Ainsi donc, la physique, comme nous venons de le voir, considérée par la génération précédente comme une des plus vieilles et des plus solidement assisses parmi les connaissances humaines, est entrée dans une période d’agitation révolutionnaire qui promet d’être une des plus intéressantes de son histoire. (...) Pour cette raison, il serait souhaitable que les idées et les intuitions de nos grands philosophes fussent étudiées avec attention. Les temps où la philosophie et les sciences positives se considéraient comme étrangères l’une à l’autre et se regardaient mutuellement avec méfiance doivent être considérés comme révolus."

Werner Heisenberg (1955) :

"Ce qui est né à Copenhague en 1927, ce n’est pas seulement un ensemble de prescriptions non ambigües pour l’interprétation des expériences, c’est aussi un langage dans lequel on parle de la nature au niveau atomique, et dans cette mesure c’est une partie de la philosophie. La manière dont Bohr réfléchissait aux phénomènes atomiques depuis 1912 a toujours été quelque chose d’intermédiaire entre la physique et la philosophie."

Niels Bohr dans « Physique atomique et connaissance humaine » :

« Le point de départ fut ici ce qu’on appelle le postulat quantique, selon lequel tout changement dans l’énergie d’un atome est le résultat d’une transition complète entre deux états stationnaires. En admettant en outre que toute réaction radiative atomique fait intervenir l’émission ou l’absorption d’un seul quantum de lumière, les valeurs de l’énergie des états stationnaires purent être déterminés à partir du spectre. »

La réponse d’adversaires de Bohr et d’Heisenberg, comme Einstein et Schrödinger, a été elle aussi philosophique, comme le rappelle cette citation de Schrödinger :

"Du point de vue philosophique, un verdict définitif dans ce sens (l’abandon des images intuitives de la matière et de la lumière) équivaudrait pour moi à l’obligation de déposer les armes."

Il est courant d’entendre dire que la science ne doit obéir à aucune philosophie et, même, qu’elle n’a pas à se confronter aux diverses philosophies. C’est souvent une manière pour les auteurs de refuser de s’exposer à la confrontation avec les idéologies religieuses, et aussi à les accepter ainsi, afin qu’elles vous acceptent aussi...

Cependant, l’enjeu n’est pas seulement lié à celui des religions. Il est philosophique au plein sens du terme.

La philosophie est une conception d’ensemble du monde, qui ne peut accepter de séparer un domaine dans lequel on rangerait sa philosophie au porte-manteau en entrant.

Les éclectiques préfèrent accepter de ne pas pénétrer le domaine général des idées, afin de refuser de se battre avec des idéologies qui refusent les résultats de l’étude de la nature.

Qui dit débat philosophique entend que l’objet ne concerne pas seulement des spécialistes des sciences ni de la philosophie mais tout un chacun. Nous sommes concernés de savoir s’il y a une matière au sens objectif ou si nos sens produisent l’apparence de réalité qui n’aurait aucune valeur objective. nous avons tous besoin de savoir si le monde est continu ou discontinu. La place de l’homme et de sa conscience dans l’univers nous préoccupe tous, etc...

Mais, encore une fois, l’objet du débat n’est pas seulement lié à la religion. Il concerne toute vision du monde. Il s’agit ici d’affirmer que la physique quantique est le produit d’un travail philosophique tout autant que d’expériences et de théories physiques.

Cela n’aurait étonné personne à l’époque de la naissance de cette physique car ses fondateurs menaient d’abord et avant tout un débat philosophique et ne s’en cachaient pas, qu’il s’agisse de Planck et Einstein, de Bohr et d’Heisenberg et autres physiciens quantiques...

Quel était l’objet de leurs débats, puisqu’il ne s’agissait nullement de religion ?

Les questions principales qui ont été posées et débattues avec force sont

 la continuité ou la discontinuité (saut quantique entre niveaux d’énergie de l’atome, saut quantique à chaque photon émis ou capté par une particule, disparitions et apparitions de particules, suppression brutale de l’onde lors de la captation de la particule, discontinuité du domaine quantique au domaine classique de la réalité habituelle dite macroscopique)

 les contradictions dans la nature (énergie et temps sont complémentaires comme position et impulsion ; complémentarité voulant dire que deux expressions sont opposées mais inséparables et donc étant identique à la contradiction dialectique même si les auteurs se sont bien gardé d’employer un tel terme)

 l’adéquation entre les résultats de l’étude expérimentale et théorique et la connaissance d’une réalité objective et l’existence même de celle-ci. (impossibilité de suivre une particule comme un objet, à l’aide d’une trajectoire, comme en physique classique, impossibilité de retenir une description classique du type ou onde ou corpuscule)

 le caractère probabiliste de la physique quantique concernant des processus et des particules estimées comme fondamentaux et élémentaires a posé le problème de la réalité des objets observés. Se rajoutant au fait que les expériences modifient les résultats, la question du réalisme était posée.

Sur ces quatre questions scientifiques, les auteurs de la physique quantique ne se sont pas opposés sur les expériences ou sur des équations mais sur des problèmes philosophiques d’interprétation.

Einstein écrivait dans « Physique et réalité » :

« Généralités concernant la méthode scientifique

On a souvent dit, non sans raison, que les chercheurs en sciences de la nature étaient de piètres philosophes. S’il en était ainsi, le physicien ne ferait-il pas mieux de laisser au philosophe le soin de philosopher ? Cela est sans doute vrai dans les périodes pendant lesquelles les physiciens croient disposer d’un système solide et incontesté de concepts fondamentaux et de lois fondamentales ; mais il en va autrement à une époque où toute l’assise de la physique est remise en question, comme c’est le cas aujourd’hui. A une pareille époque, où l’expérience le contraint à chercher des bases nouvelles et inébranlables, le physicien ne peut tout simplement abandonner à la philosophie l’examen critique des fondements de sa science, car il est le mieux placé pour savoir et sentir où le bât blesse ; dans sa recherche d’une assise nouvelle, il doit s’efforcer, autant qu’il peut , de prendre conscience de la pertinence, voire de la nécessité, des concepts dont il fait usage. »

La question de la discontinuité, par exemple, ne s’est pas posée à eux seulement comme un problème de calcul ou de mesure, mais comme un problème de vision fondamentale du monde.

Planck explique dans "Initiations à la physique" :

Les principales manifestations de cette physique se trouvent actuellement groupées autour de la fonction ondulatoire, on cherche à donner à cette fonction une importance prépondérante. Or, la fonction d’onde ne concerne que la valeur d’une probabilité. (...) la notion de probabilité devient le fondement de toute physique. Je ne crois pas qu’à l’avenir, on se montrera aussi satisfait de cette manière d’envisager les choses."

Les problèmes qui taraudaient les physiciens quantiques étaient ceux de la réalité et de l’observation, de la possibilité d’apparition et de disparition de matière, de l’impossibilité de suivre une particule comme un objet individuel, etc...

« Les particules ne sont pas des objets identifiables. (...) elles pourraient être considérées comme des événements de nature explosive (...) On ne peut pas arriver – ni dans le cas de la lumière ni dans celui des rayons cathodiques - à comprendre ces phénomènes au moyen du concept de corpuscule isolé, individuel doué d’une existence permanente. » expose le physicien Erwin Schrödinger dans « Physique quantique et représentation du monde ».

Le débat n’a pas cessé même si celui qui a lieu de nos jours est moins connu. Ainsi, la discontinuité fondamentale de l’univers est toujours un objet de controverses car cette notion a un caractère profondément révolutionnaire.

Commençons par introduire les notions fondamentales de la physique quantique qui ne se sont pas démenties de ces origines à aujourd’hui.

« S’il fallait caractériser l’idée principale de la théorie des quanta, nous dirions : il est nécessaire de supposer que certaines quantités physiques, regardées jusqu’à présent comme continues, sont composées de quanta élémentaires » rapporte Einstein dans « L’évolution des idées en physique ».

« Le quantum d’action progresse dans le vide en franchissant des ’’pas’’. (...) Or cette règle a quelque chose de simple : seuls sont ’’permis’’ les sauts dans lesquels un électron de l’atome voit son nombre quantique changer d’une unité. (...) Lorsque l’atome émet (ou absorbe) un quantum d’action, le quantum emporte (ou apporte) avec lui, de par son spin, une unité d’action de rotation. » explique le physicien Jean-Claude Auffray dans « L’atome »

La formulation de la physique quantique en 1918 était la suivante :

"Un système atomique ne peut exister de façon permanente que dans une certaine série d’états correspondant à une série discontinue de valeurs de son énergie, et par conséquent toute modification de l’énergie du système, en particulier l’émission et l’absorption d’un rayonnement électromagnétique, doit se produire par une transition complète entre deux états de ce genre. Ces états sont appelés les "états stationnaires" du système.

Le rayonnement absorbé ou émis au cours d’une transition entre deux états stationnaires a une seule fréquence donnée par la relation fréquence égale saut d’énergie divisé par la constante de Planck h."

« Cette description des particules, entremêlant les propriétés des ondes et celles des corpuscules, est révolutionnaire. Elle met en relation des images que notre esprit isole dans des catégories distinctes, voire opposées. L’étrangeté de la chose vient de ce que toutes les particules, qu’elles soient de lumière ou de matière, nous appariassent soit comme des ondes (elles peuvent interférer – l’interférence est une addition qui est inhibitrice) soit comme des corpuscules (elles semblent ponctuelles quand on détecte leur position), mais elles ne sont ni des ondes ni des corpuscules. (…) Puisque les concepts d’onde et de corpuscule apparaissent mutuellement exclusifs en même temps qu’indissociables, il n’existe aucune possibilité de définir leur sens au moyen, d’une seule expérience. On ne peut pas les combiner en une seule image. Néanmoins, ils sont nécessaires l’un à l’autre pour épuiser tous les types d’information que nous pouvons obtenir sur un objet quantique à l’aide des divers appareils de mesure. (…) Dans la bouche de Niels Bohr, le mot complémentarité n’est pas à prendre dans son sens usuel. La complémentarité ne signifie nullement pour lui quelque chose comme « collaboration » ou « association ». La dualité n’est pas un duo, l’association de l’onde et du corpuscule n’est pas une synthèse. Elle incluse toujours au contraire l’exclusion mutuelle et la disjonction des éléments qu’elle met en vis-à-vis. Il faut la voir comme une sorte de paradoxe irréductible qui lie un concept à sa négation. (…) Comme nous dit John Bell, dans la bouche de Niels Bohr, (…) la complémentarité est proche du concept de contradiction (…) Contradiction est le mot fétiche de Bohr, comme l’ont fait remarquer Wootters et Zurek dans un article de 1979. » écrit Etienne Klein dans « Dictionnaire de l’ignorance ».

Bohr écrit en 1931 : « On a parfois dit que la théorie quantique laissait entièrement de côté l’idée de causalité. Je crois qu’il faudrait plutôt dire que nous essayons, dans le cadre de la théorie quantique, d’exprimer certaines lois qui se situent si profond qu’elles ne peuvent pas être visualisées, ou bien dont on ne peut pas rendre compte au moyen de la description ordinaire en termes de mouvement. Cet état de choses conduit au fait que nous devons utiliser dans une large mesure des méthodes statistiques et parler des choix que fait la nature entre les possibles. »

Si Einstein a initié les changements philosophiques radicaux de la physique quantique (dualité onde/corpuscule, caractère statistique de la description, discontinuité,…), il s’est également battu contre des conséquences philosophiques qu’il estimait nuire au réalisme selon lui indispensable en sciences et qui lui semblait remis en question par les thèses de Bohr et de l’ « école de Copenhague ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? Faut il renoncer au réalisme, au matérialisme, au déterminisme, à la causalité, à la connaissance d’une réalité objective existant indépendamment de l’observateur humain ?

La physique quantique actuelle a considérablement évolué par rapport à ses débuts mais sans remettre en question les découvertes scientifiques de l’époque. La Quantique avait bien raison que le monde matériel ne ressemble pas au monde que nous voyons sous nos yeux.

La particule durable (électron, proton, neutron – quark ou lepton) n’ont pas d’existence, de consistance au même sens où les objets qui nous entourent ont d’existence à nos yeux. Ces derniers n’apparaissent pas, ne disparaissent : ils semblent exister en continu, suivre tous les points de leurs trajectoires, et ne peuvent pas s’échanger de façon insensible. Ils ont une histoire qui n’est pas statistique mais individuelle. Ils existent dans des tailles diverses qui ne sont pas des multiples d’une quantité en nombre entier. En somme, les objets de tous les jours n’ont aucune apparence quantique. Et les quanta ne ressemblent pas à de tels objets. C’est ce qu’a démontré la physique quantique. On ne peut pas les suivre continûment dans l’espace-temps. Ils n’ont pas d’existence individuelle et, quand ils se rencontrent, il n’est pas possible de les distinguer car ils sont complètement interchangeables et identiques, alors qu’aucun objet à notre échelle n’est identique à un autre. Le nombre de particules n’est jamais un nombre fixe. Elles peuvent apparaître et disparaître. Il est impossible de suivre, par exemple, un électron sur sa trajectoire. On ne peut pas décrire l’évolution d’une particule dans l’espace comme un simple mouvement mécanique. En effet, à cette échelle, la matière, l’espace et le temps sont interactifs et le temps n’est plus d’apparence continue. A l’échelle juste inférieure, celle du vide, le temps est désordonné et peut même marcher vers l’arrière sur de courtes distances… de temps ! Le temps coordonné, régulier, avec une « flèche du temps », du passé vers le futur, n’existe que pour un très grand nombre de quanta, au niveau appelé macroscopique (celui où fonctionne la physique dite classique par opposition à la physique quantique). Le caractère du mouvement est tellement bouleversé que des particules ponctuelles connaissent des rotations sur elles-mêmes, impossibles en physique classique. Le caractère des états de la particule est tellement changé qu’une même particule connaît en même temps plusieurs états possibles, ce qui est appelé une « superposition d’états ». L’état actuel n’est rien d’autre que l’un des états « possibles », potentiels, virtuels. Il n’a même pas un rôle plus important que les autres. On ne peut même pas raisonner sur l’état actuel (dit réel) seul mais sur l’ensemble des états potentiels ! Ils sont, en fait, tout aussi réels, même si, à l’instant de la mesure, la réalité mesurée est seulement celle actuelle.

Comment comprendre un tel monde quantique, et comprendre en même temps qu’existe le monde des objets non quantiques ainsi que les relations inévitables entre eux ? C’est le vide quantique qui permet une telle interprétation.

C’est dans le vide quantique qu’existe l’espace-temps désordonné qui fonde l’ensemble de ces transformations. Il contient en effet des fluctuations d’énergie sur des temps très courts, des temps pendant lesquelles aucune mesure ne peut être faite par des instruments à notre échelle. On ne « voit » pas les fluctuations du vide mais elles sont cependant prouvées par les altérations des mesures et l’existence des phénomènes quantiques. Et ces fluctuations, comme tous les phénomènes ondulatoires, ont une apparition de type corpusculaire : des électrons, des positons, des photons, des quarks, des gluons, etc, corpuscules qui existent, eux aussi, sur des durées extrêmement brèves. La mise en évidence de l’existence des couples d’électrons et positons virtuels (appelée polarisation du vide) est réalisée par la présence de particules durables (dites particules « réelles », bien qu’elles n’aient pas plus de réalité que celles du virtuel, au contraire).

Ces particules virtuelles ont des électricités positives et négatives qui les amènent à se positionner autour de la particule durable en couches successives alternativement positives et négatives, en oignon. La particule n’est jamais nue. On dit qu’elle est habillée par le virtuel qui modifie ainsi la charge de la particule suivant les distances où on s’en approche. Et c’est loin d’être le seul effet de ces particules éphémères qui entourent d’un nuage (dit nuage de polarisation) la particule réelle !

La particule isolée dans le vide n’a donc rien d’une particule seule. Et d’autant moins que la propriété de réalité, de durabilité saute sans cesse d’une particule virtuelle à une autre du nuage…

La particule réelle ne doit donc sa durabilité qu’à des particules qui ne durent pas, et disparaissent sans cesse. La « réalité » est l’émergence d’une propriété stable au sein d’un vide très instable. Cela explique que des physiciens comme Einstein, qui souhaitaient ardemment fonder sur la seule matière durable la « réalité » du monde, aient échoué à le faire. Cela ne signifie pas un échec du monde matériel mais un échec du stable comme principe fondateur du monde. C’est le désordre qui est à la base et non l’ordre. Ce dernier émerge d’un grand nombre d’interactions déterministes sur des éléments désordonnés.

Erwin Schrödinger écrit dans « Physique quantique et représentation du monde » :

« En partant de nos expériences à grande échelle, en partant de notre conception de la géométrie et de notre conception de la mécanique – en particulier de la mécanique des corps célestes -, les physiciens en étaient arrivés à formuler très nettement l’exigence à laquelle doit répondre une description vraiment claire et complète de tout événement physique : elle doit nous informer de façon précise de ce qui se passe en chaque point de l’espace à chaque moment du temps – bien entendu à l’intérieur du domaine spatial et de la portion de temps couverts par les événements physiques que l’on désire décrire. Nous pouvons appeler cette exigence « le postulat de la continuité de la description ». C’est ce postulat de la continuité qui apparaît ne pas pouvoir être satisfait ! Il y a, pour ainsi dire, des lacunes dans notre représentation. (…) Si j’observe une particule ici et maintenant, et si j’observe une particule identique un instant plus tard et à un endroit qui est très proche de l’endroit précédent, non seulement je ne peux pas être assuré qu’il s’agit de « la même » particule, mais un énoncé de ce genre n’aurait aucune signification absolue. Ceci paraît être absurde. Car nous sommes habitués de penser que, à chaque instant, entre les deux observations, la première particule doit avoir été « quelque part », qu’elle doit avoir suivi une « trajectoire », que nous connaissions celle-ci ou non. Et de même nous sommes habitués de penser que la seconde particule doit être venue de quelque part, doit avoir « été » quelque part au moment de notre première observation. (…) En d’autres termes, nous supposons – en nous conformant à une habitude de pensée qui s’applique aux objets palpables (note de matière et révolution : c’est ce que croyait Schrödinger avant que l’on montre que nous ne voyons rien en continu, même à notre échelle) – que nous aurions pu maintenir notre particule sous une observation « continue » et affirmer ainsi son identité.

C’est cette habitude de pensée que nous devons rejeter. Nous ne devons pas admettre la possibilité d’une observation continue. Les observations doivent être considérées comme des événements discrets, disjoints les uns des autres. Entre elles il y a des lacunes que nous ne pouvons combler. Il y a des cas où nous bouleverserions tout si nous admettions la possibilité d’une observation continue. C’est pourquoi j’ai dit qu’il vaut mieux ne pas regarder une particule comme une entité permanente, mais plutôt comme un événement instantané. Parfois ces événements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’être des objets permanents, mais cela n’arrive que dans des circonstances particulières et pendant une période de temps extrêmement courte dans chaque cas particulier. (…)

L’idée d’un « domaine continu », si familière aux mathématiques d’aujourd’hui, est tout à fait exorbitante, elle représente une extrapolation considérable de ce qui est réellement accessible. Prétendre que l’on puisse « réellement » indiquer les valeurs exactes de n’importe quelle grandeur physique – température, densité, potentiel, valeur d’un champ, ou n’importe quelle autre – pour « tous » les points d’un domaine continu, c’est là une extrapolation hardie.

Nous ne faisons « jamais » rien d’autre que déterminer approximativement la valeur de la grandeur considérée pour un nombre très limité de points et ensuite « faire passer une courbe continue par ces points ».

Ce procédé nous suffit parfaitement dans la plupart des problèmes pratiques, mais du point de vue épistémologique, du point de vue de la théorie de la connaissance, il s’agit là de tout autre chose que d’une description continue soi disant exacte. (…)

Les faits observés ne peuvent donc pas être mis en accord avec une description continue dans l’espace et le temps. »

Un changement profond d’image : en passant d’un légo de particules à un univers des mondes hiérarchiques

On a donc longtemps eu une vision « additive » de la physique de la matière. Cela signifiait que les objets étaient des sommes de molécules, elles-mêmes considérées comme des sommes d’atomes, considérés comme la somme d’un noyau et d’électrons, le noyau étant une somme de protons et de neutrons et, enfin, proton et neutron étant des sommes de quarks.

L’ensemble a semblé dans un premier temps fonctionner comme un jeu de construction : on additionne les particules pour former des ensemble plus importants comme l’atome, les molécules et les macromolécules. On additionne les neutrons et les protons pour former le noyau des atomes et on rajoute les électrons pour former l’entourage atomique qui permet à l’atome d’être globalement neutre électriquement.

Cette logique additive n’est pas entièrement fausse mais elle a atteint ses limites d’explication et depuis longtemps maintenant elle est abandonnée par les physiciens pour expliquer le fonctionnement de la matière/lumière. La première raison provient du fait que cette image additive supposait que les particules soient des objets statiques, individuels, existant en permanence ou au moins sur de longues durées. A chaque particule individuelle était attribuée une masse qui était considérée comme attachée à la chose matérielle. La physique actuelle est très différente. L’individualité de la particule n’est plus admise. La masse est une propriété qui se déplace et saute d’un point à un autre, sans être fixée à un objet. L’objet lui-même n’est plus une image reconnue. En fait, la matière ne s’explique plus par la fixité mais, au contraire, par une dynamique extraordinairement agitée : celle du vide qui n’est plus synonyme d’absence. Le fondement du caractère apparemment conservatif de la structure globalement conservée qu’est la matière est l’agitation permanente du vide !

Cette vision a dû être profondément changée avec la physique quantique des champs selon laquelle le vide quantique est une apparition fugitive d’un nombre indéfini de particules qui n’existaient pas auparavant, le nombre total de particule n’étant pas un nombre fixe. L’énergie peut produire des particules. Les particules peuvent disparaître également. Enfin, la particule est « habillée », c’est-à-dire entourée d’un nuage de particules virtuelles d’interaction (photons, gluons, etc) pouvant se transformer en toutes les sortes de particules (et leurs antiparticules) ayant une durée de vie très courte, dites particules et antiparticules virtuelles. Le proton est entouré de gluons virtuels qui se polarisent en couples de quarks et antiquarks virtuels. L’électron est entouré d’un nuage de photons qui peuvent se matérialiser fugitivement en électrons et positons virtuels. Le nombre total de particules n’est donc pas une constante. Pas plus que le nombre de charges électriques.

La masse, elle aussi, est longtemps apparue comme additive. C’est ce que l’on constate à notre échelle. Par contre, à l’échelle de la matière atomique, il faut tenir compte des interactions qui ont, elles-mêmes, une masse. Dans l’atome, par exemple, il n’y a pas que le noyau et les électrons mais également l’énergie d’interaction qui les maintient ensemble. Il en va de même pour le noyau qui ne pourrait se maintenir stablement sans l’énergie qui maintient ensemble les nucléons. La masse ne s’avère d’ailleurs pas une propriété fixe d’une matière « solide », « compacte », « lourde ». C’est un phénomène. C’est une propriété et elle n’appartient pas en fixe à un objet individuel appelé la particule. La propriété peut migrer rapidement d’une particule virtuelle à une autre. Elle peut même disparaître dans un trou d’énergie négative ou par interaction avec l’antimatière.

Ce qui s’additionne, ce n’est ni la masse, ni l’énergie. On le voit en physique quantique au fait que des particules de masse qui s’entrechoquent peuvent disparaître en tant que telles pour donner de l’énergie et que l’énergie peut disparaître pour donner de la masse.

La relativité a, elle aussi, été contrainte, pour conserver provisoirement cette additivité, d’admettre que l’énergie faisait partie de la masse, le total masse au repos plus énergie se conservant. Cependant, ce point de vue lui-même ne convient que si on ne descend pas en dessous de certains seuils de temps. Sous ces seuils, il y a une incertitude sur l’énergie qui peut être considérable. Plus le temps considéré est court, plus il peut apparaître et disparaître d’énergie, moins l’énergie est simplement additive.

Le temps, lui-même, cesse du coup d’apparaître comme additif. On peut en effet croire que le temps long est une somme d’espaces de temps courts. Cela convient pour des dynamiques régulières, sans grandes discontinuités, ne tenant pas compte d’intervalles courts de temps, comme le mouvement des corps macroscopiques. Cela ne convient plus du tout en physique quantique. En passant à des temps courts, les lois changent, les objets ne sont plus les mêmes. Là où il n’y avait rien (le vide vu du point de vue macroscopique), apparaissent des myriades de plus en plus importantes de particules virtuelles. Le monde entier peut apparaître dans un temps suffisamment court, autrement appelé le temps du Big Bang, qu’il ne faut pas voir comme la création de l’univers mais comme le temps minimum et comme l’énergie maximum. Le temps du Big Bang n’est que le dernier seuil connu au-delà duquel parler de matière, même virtuelle, n’aie plus de sens.

En tout cas, la notion d’intervalles de temps longs constitués par une somme d’intervalles courts devient obsolète. Dans des temps courts, des grandes énergies peuvent apparaître et disparaître, ce qui n’est pas le cas dans des temps longs. Le temps change complètement d’image par rapport aux deux représentations que nous lui connaissons : le cycle et la ligne droite orientée. Le vide a montré que le temps fondamental est désordonné. Il est fondé sur des oscillations non linéaires de couples de particules polaires (par exemple électron et positon) qui est chaotique. Le temps ordonné est une émergence au sein d’ensemble d’un très grand nombre de particules durables et il est sans cesse en train de se créer et de s’autodétruire au sein du vide quantique.

La physique macroscopique a dû elle-même renoncer à la vision régulière, linéaire et additive. La mécanique des fluides a dû introduire la dynamique non-linéaire dans son étude de la turbulence, comme l’ont montré Ruelle et Takens, car elle n’est pas une somme d’un très grand nombre de fluctuations linéaires. Le domaine du chaos déterministe, plus généralement, a montré que la physique pouvant se passer du non-linéaire comme approximation n’est pas très vaste et ne concerne que des phénomènes n’agissant à plusieurs niveaux hiérarchiques de la matière, sur des systèmes pouvant apparaître pour isolés énergétiquement et subissant des évolutions lentes et sans passage de seuils. Autant dire que, fondamentalement, toute la physique est non-linéaire. Le « simple » pendule l’est !

Le chaos déterministe avec sa « sensibilité aux conditions initiales » a montré qu’un très grand nombre de situations permettent qu’une somme donne bien autre chose que le total des résultats bien plus ou … bien moins. C’est le fameux « effet papillon ».

Le dernier domaine clef de l’additivité restait celui des ondes. L’électromagnétisme, incluant la lumière, semblait lui avoir donné ses lettres de noblesse. Et pourtant ! La dualité quantique a mis fin à cette illusion. Toute onde est également et en même temps corpusculaire. Et si la physique quantique continue à parler d’ondes, il ne s’agit plus du tout de la même « chose » puisqu’il s’agit seulement d’une onde mathématique qui se propage non dans l’espace réel mais dans celui des phases et concerne une probabilité de présence. Et même là, l’additivité ne concerne pas des « objets ».

La réalité restera donc non additive. Elle n’est pas décrite par des « simples » opérations mathématiques, même si ces dernières gardent leur efficacité. Celle-ci n’est pas d’ordre descriptif. Elles se contentent de calculer des probabilités, ce qui est bien différent d’une description, au grand dam de physiciens comme Einstein. Cela ne veut pas dire que le monde réel n’existe pas et que n’existent que des probabilités. Cela signifie que la « description » mathématique en reste au calcul des probabilités. Ce n’est pas parce qu’on a seulement comme outil u marteau que le monde autour de nous n’est formé que de clous !!

Le quantitatif ne suffit pas parce que la matière (ou plutôt le vide structuré) existe à plusieurs échelles et que les changements ont donc un caractère qualitatif. Un monde à plusieurs étages (par exemple une matière fractale) ne peut revenir à un ou plusieurs calculs. Le qualitatif ne peut pas se ramener au quantitatif. L’inconnue qui se cache derrière la Joconde (le secret de la beauté et pourquoi elle nous touche) n’est pas l’inconnue x de l’équation.

L’autre raison de souligner le caractère limité de l’additivité, c’est que les contraires ne s’additionnent pas comme deux nombres positifs et négatifs de même valeur absolue. Ils ne donnent pas le rien. Les contradictions ne s’annulent pas dans la nature. Ce sont au contraire elles qui produisent la dynamique du monde !

Deux particules de charges opposées ne s’annulent pas : elles se couplent pour donner une nouvelle unité. Electron et proton donnent l’atome d’hydrogène. Il en va de la charge électrique, du spin, comme de la charge de couleur ou d’étrangeté : les opposés se couplent pour donner une nouvelle unité et non pour s’annuler. Au sein de cette unité, les opposés sont liés tout en restant des opposés.

Citons sur ces points quelques auteurs :

« Qu’entre qualité et quantité il y ait passage conceptuel susceptible de reproduire des passages réels est chose si peu hypothétique qu’existe une discipline scientifique dont c’est tout l’objet, la physique des transitions de phase (…) Peut-on expliquer les discontinuités qui s’observent à l’échelle macroscopique par exemple dans la vaporisation d’un liquide à partir de sa structure microscopique ? Se produirait-il une « modification brutale » à la température de transition « dans les interactions entre atomes », dont le changement de phase serait le « reflet » ? La question, indique Roger Balian dans « Le temps macroscopique » dans « Le temps et sa flèche », a été définitivement tranchée : « Rien à l’échelle atomique ne distingue l’eau de sa vapeur ou de la glace ; leurs transformations mutuelles ne traduisent qu’un changement d’organisation de l’édifice global, contrôlé seulement par deux paramètres macroscopiques, la température et la pression. » (…) Le qualitativement nouveau vient à jour à partir de lui-même. »

Lucien Sève dans « Nature, science, dialectique : un chantier à rouvrir »

« Avec chaque niveau d’organisation, apparaissent des nouveautés, tant de propriétés que de logiques. (…) Une dialectique fait s’interpénétrer les contraires et s’engendrer la qualité et la quantité. »

François Jacob dans « La logique du vivant »

« On ne compte pas les électrons ou les photons comme on compte les objets que nous rencontrons autour de nous. »

Les physiciens Georges Lochak, Simon Diner et Daniel Farge dans « L’objet quantique ».

« Si un électron entre et sort d’une boite (une zone par exemple) (...), on ne peut pas dire que c’est le même électron qui entre et qui sort. (...) La masse est longtemps apparue comme une propriété fondamentale. N’est-il pas surprenant de la voir maintenant apparaître comme une propriété purement dynamique, liée aux propriétés du vide et à la façon dont elles affectent les particules qui s’y trouvent ? (...) Cette nouvelle conception de la masse est une révolution importante. Ce qui apparaissait comme une propriété intrinsèque et immuable se voit relégué au rang d’effet dynamique dépendant des interactions et, avant tout, de la structure du vide. »

Le physicien Maurice Jacob dans « Au cœur de la matière ».

Quelle image de la matière en relation avec le vide ?

Finalement, qu’est-ce que le vide et qu’est-ce que la matière, que sont leurs interactions ?

Rappelons d’abord que bien des hypothèses simples sur ce thème ont dû être abandonnées car elles ne correspondaient pas aux résultats des expériences.

La principale et la plus simple de ces hypothèses sans issue a été celle d’une matière constituée d’objets, formés d’une somme de particules élémentaires, se déplaçant dans un vide ne contenant aucune sorte de particules.

La matière n’est pas une simple somme de particules. L’élémentarité ne peut se concevoir en termes d’objets. Le vide contient des particules (dites « virtuelles ») se comportant différemment que les particules (dites « réelles ») ayant une masse au repos. Le vide ne se contente pas de s’opposer à la matière. Il contient aussi des particules. Même la particule dite élémentaire n’est pas une seule particule mais tout un nuage issu du vide et qui se déplace en même temps que la particule. C’est ce qui explique que la particule soit à la fois ponctuelle et se manifeste dans un espace de dimension non nulle. Cela explique également que des interférences aient lieu entre la particule et elle-même : ce sont des interférences entre les particules virtuelles du nuage.

Au sein de ce nuage, la particule qui possède une masse au repos n’est pas toujours la même. Au contraire, la propriété de masse saute sans cesse d’une particule (virtuelle) du nuage à une autre. La matière est une propriété émergente et non un objet fixe. Elle ne contente pas de s’opposer à la lumière et au vide. Elle est fondée sur les mêmes éléments qu’eux : des particules et antiparticules virtuelles.

Le vide est sans cesse le siège de transitions ultra-rapides qui permettent de dissocier les particules virtuelles associées par paires : particules et antiparticules virtuelles. Dans le vide, il y a autant d’antiparticules que de particules. Elles se séparent et se couplent sans cesse, constituant ainsi les oscillateurs de base du virtuel.

Les photons (appelés « lumière » ou radiation électromagnétique) sont constitués par le couplage d’une particule et d’une antiparticule virtuels qui, en échangeant sans cesse des interactions, sont couplés.

La masse de la particule « réelle » n’est rien d’autre que la rupture de symétrie de cet équilibre dynamique du vide. Séparation durable entre particule et antiparticule, elle privilégie pour un nombre infime de particules (par rapport au grand nombre de particules virtuelles) la propriété matière plutôt qu’antimatière.

La matière se couple avec les particules et antiparticules virtuelles du vide, en émettant des photons. La matière ne fait pas qu’émettre et recevoir des photons : après échange, la particule n’est plus la même et le photon n’est plus le même. La matière est électrisée comme le sont les particules et antiparticules virtuelles. En recevant ou en émettant un photon, la particule se couple avec l’un des éléments du couple particule/antiparticule du photon, celui qui est d’électricité opposée.

Les particules « réelles » ne relationnent pas par contact mais via des photons. Les particules virtuelles ne relationnent pas par contact mais via des photons virtuels qui sont constitués du couplage d’une particule et d’une antiparticule, qui sont appelés « virtuel de virtuel ».

La notion de « virtuel » fait appel à des seuils appelés inégalités d’Heisenberg. Quand on est en dessous de ces seuils, on est dans le virtuel. Ce qui est inférieur à un quanta h est du virtuel, c’est-à-dire un phénomène du vide quantique. Par exemple, le spin moitié de h (un demi quanta) de la particule électrisée, comme l’électron, est une manifestation du vide.

Le spin est une manifestation de l’interaction entre la particule réelle et son nuage virtuel : la rotation due au magnétisme des particules et antiparticules du nuage due à l’interaction entre particules électrisées. Ce n’est pas une simple rotation sur elle-même de la particule réelle. Les particules virtuelles comme les particules réelles tourbillonnent dans le vide du fait des interactions magnétiques entre particules chargées électriquement et les dipôles du vide.

Le vide loin de la matière ne se comporte pas comme l’espace autour de la matière en termes de temps et d’espace. Dans le vide ont lieu des sauts de temps et d’espace. La discontinuité fondamentale se manifeste également pour l’espace-temps. Et la flèche du temps n’existe pas. Le temps du vide existe mais il est désordonné : il fait des petits sauts, aussi bien vers le passé que vers le futur. Il n’est ordonné que par la présence d’une grande quantité de matière qui interagissent et constituent un temps régional cohérent.

Le temps ordonné est donc un effet collectif de la matière. C’est un phénomène émergent. Le temps est modifié par la présence de matière. La relation quantique qui expose qu’une transformation « réelle » ne peut se produire que par un échange d’une nombre entier de quanta – quantité qui est une action c’est-à-dire une énergie fois un temps (E fois t égale un quanta ou un nombre entier de quanta) signifie que gagner de l’énergie consiste à perdre du temps.

Les « horloges » et les « règles » du vide, mesures du temps et de l’espace, sont les photons « réels » et les photons « virtuels ». L’éloignement puis le rapprochement du couple particule/antiparticule du photon en est la mesure. L’interaction entre particules via les photons met les particules (virtuelles comme réelles) à la même aune d’espace-temps.

C’est de ce monde du vide que proviennent les phénomènes fondamentaux des interactions de la matière et du vide, telle qu’elle est décrite par les schémas de Feynman qui expliquent les apparitions et disparitions de couples particules/antiparticules dans le vide.

La particule durable (électron, proton, neutron – quark ou lepton) n’ont pas d’existence, de consistance au même sens où les objets qui nous entourent ont d’existence à nos yeux. Ces derniers n’apparaissent pas, ne disparaissent : ils semblent exister en continu, suivre tous les points de leurs trajectoires, et ne peuvent pas s’échanger de façon insensible. Ils ont une histoire qui n’est pas statistique mais individuelle. Ils existent dans des tailles diverses qui ne sont pas des multiples d’une quantité en nombre entier. En somme, les objets de tous les jours n’ont aucune apparence quantique. Et les quanta ne ressemblent pas à de tels objets. C’est ce qu’a démontré la physique quantique. On ne peut pas les suivre continûment dans l’espace-temps. Ils n’ont pas d’existence individuelle et, quand ils se rencontrent, il n’est pas possible de les distinguer car ils sont complètement interchangeables et identiques, alors qu’aucun objet à notre échelle n’est identique à un autre. Le nombre de particules n’est jamais un nombre fixe. Elles peuvent apparaître et disparaître. Il est impossible de suivre, par exemple, un électron sur sa trajectoire. On ne peut pas décrire l’évolution d’une particule dans l’espace comme un simple mouvement mécanique. En effet, à cette échelle, la matière, l’espace et le temps sont interactifs et le temps n’est plus d’apparence continue. A l’échelle juste inférieure, celle du vide, le temps est désordonné et peut même marcher vers l’arrière sur de courtes distances… de temps ! Le temps coordonné, régulier, avec une « flèche du temps », du passé vers le futur, n’existe que pour un très grand nombre de quanta, au niveau appelé macroscopique (celui où fonctionne la physique dite classique par opposition à la physique quantique). Le caractère du mouvement est tellement bouleversé que des particules ponctuelles connaissent des rotations sur elles-mêmes, impossibles en physique classique. Le caractère des états de la particule est tellement changé qu’une même particule connaît en même temps plusieurs états possibles, ce qui est appelé une « superposition d’états ». L’état actuel n’est rien d’autre que l’un des états « possibles », potentiels, virtuels. Il n’a même pas un rôle plus important que les autres. On ne peut même pas raisonner sur l’état actuel (dit réel) seul mais sur l’ensemble des états potentiels ! Ils sont, en fait, tout aussi réels, même si, à l’instant de la mesure, la réalité mesurée est seulement celle actuelle.

Comment comprendre un tel monde quantique, et comprendre en même temps qu’existe le monde des objets non quantiques ainsi que les relations inévitables entre eux ? C’est le vide quantique qui permet une telle interprétation.

C’est dans le vide quantique qu’existe l’espace-temps désordonné qui fonde l’ensemble de ces transformations. Il contient en effet des fluctuations d’énergie sur des temps très courts, des temps pendant lesquelles aucune mesure ne peut être faite par des instruments à notre échelle. On ne « voit » pas les fluctuations du vide mais elles sont cependant prouvées par les altérations des mesures et l’existence des phénomènes quantiques. Et ces fluctuations, comme tous les phénomènes ondulatoires, ont une apparition de type corpusculaire : des électrons, des positons, des photons, des quarks, des gluons, etc, corpuscules qui existent, eux aussi, sur des durées extrêmement brèves. La mise en évidence de l’existence des couples d’électrons et positons virtuels (appelée polarisation du vide) est réalisée par la présence de particules durables (dites particules « réelles », bien qu’elles n’aient pas plus de réalité que celles du virtuel, au contraire).

Ces particules virtuelles ont des électricités positives et négatives qui les amènent à se positionner autour de la particule durable en couches successives alternativement positives et négatives, en oignon. La particule n’est jamais nue. On dit qu’elle est habillée par le virtuel qui modifie ainsi la charge de la particule suivant les distances où on s’en approche. Et c’est loin d’être le seul effet de ces particules éphémères qui entourent d’un nuage (dit nuage de polarisation) la particule réelle !

La particule isolée dans le vide n’a donc rien d’une particule seule. Et d’autant moins que la propriété de réalité, de durabilité saute sans cesse d’une particule virtuelle à une autre du nuage…

La particule réelle ne doit donc sa durabilité qu’à des particules qui ne durent pas, et disparaissent sans cesse. La « réalité » est l’émergence d’une propriété stable au sein d’un vide très instable. Cela explique que des physiciens comme Einstein, qui souhaitaient ardemment fonder sur la seule matière durable la « réalité » du monde, aient échoué à le faire. Cela ne signifie pas un échec du monde matériel mais un échec du stable comme principe fondateur du monde. C’est le désordre qui est à la base et non l’ordre. Ce dernier émerge d’un grand nombre d’interactions déterministes sur des éléments désordonnés.

Le changement de philosophie lié à la physique quantique

Ce que disait Lénine de l’évolution des idées en physique

Messages

  • Werner Heisenberg (1955) :

    "Ce qui est né à Copenhague en 1927, ce n’est pas seulement un ensemble de prescriptions non ambigües pour l’interprétation des expériences, c’est aussi un langage dans lequel on parle de la nature au niveau atomique, et dans cette mesure c’est une partie de la philosophie.La manière dont Bohr réfléchissait aux phénomènes atomiques depuis 1912 a toujours été quelque chose d’intermédiaire entre la physique et la philosophie."

    La réponse d’adversaires de Bohr et d’Heisenberg, comme Einstein et Schrödinger, a été elle aussi philosophique, comme le rappelle cette citation de Scrödinger :

    "Du point de vue philosophique, un verdict définitif dans ce sens (l’abandon des images intuituives de la matière et de la lumière) équivaudrait pour moi à l’obligation de dépoer les armes."

  • Sur ces trois questions scientifiques, les auteurs de la physique quantique ne se sont pas opposés sur les expériences ou sur des équations mais sur des problèmes philosophiques d’interprétation.

    La question de la discontinuité, par exemple, ne s’est pas posée à eux seulement comme un problème de calcul ou de mesure, mais comme un problème de vision fondamentale du monde.

    Les poblèmes qui les taraudaient étaient ceux de la réalité et de l’observation, de la possibilté d’apparition et de disparition de matière, de l’impossibilité de suivre une particule comme un objet individuel, etc...

  • La question de la discontinuité, par exemple, ne s’est pas posée à eux seulement comme un problème de calcul ou de mesure, mais comme un problème de vision fondamentale du monde.

    Les problèmes qui taraudaient les physiciens quantiques étaient ceux de la réalité et de l’observation, de la possibilté d’apparition et de disparition de matière, de l’impossibilité de suivre une particule comme un objet individuel, etc...

    « Les particules ne sont pas des objets identifiables. (...) elles pourraient être considérées comme des événements de nature explosive (...) On ne peut pas arriver – ni dans le cas de la lumière ni dans celui des rayons cathodiques - à comprendre ces phénomènes au moyen du concept de corpuscule isolé, individuel doué d’une existence permanente. » expose le physicien Erwin Schrödinger dans « Physique quantique et représentation du monde ».

  • Max Planck dans "Initiations à la physique" :

    "L’hypothèse des quanta ne se contente pas de contredire les anciennes idées généralement reçues (...) ce qui serait une chose relativement supportable mais il apparaît de plus en plus qu’elle contredit les postulats les plus fondamentaux de la physique classique. (...) Ainsi donc, la physique, comme nous venons de le voir, considérée par la génération précédente comme une des plus vieilles et des plus solidement assisses parmi les connaissances humaines, est entrée dans une période d’agitation révolutionnaire qui promet d’être une des plus intéressantes de son histoire. (...) Pour cette raison, il serait souhaitable que les idées et les intuitions de nos grands philosophes fussent étudiées avec attention. Les temps où la philosophie et les sciences positives se considéraient comme étrangères l’une à l’autre et se regardaient mutuellement avec méfiance doivent être considérés comme révolus."

  • « La philosophie est présente dans la physique. Et la réciproque est vraie. »

    Le physicien Gilles Cohen-Tannoudji

    dans « La Matière-Espace-Temps »

  • La masse, elle aussi, est longtemps apparue comme additive. C’est ce que l’on constate à notre échelle. Par contre, à l’échelle de la matière atomique, il faut tenir compte des interactions qui ont, elles-mêmes, une masse. Dans l’atome, par exemple, il n’y a pas que le noyau et les électrons mais également l’énergie d’interaction qui les maintient ensemble. Il en va de même pour le noyau qui ne pourrait se maintenir stablement sans l’énergie qui maintient ensemble les nucléons. La masse ne s’avère d’ailleurs pas une propriété fixe d’une matière « solide », « compacte », « lourde ». C’est un phénomène. C’est une propriété et elle n’appartient pas en fixe à un objet individuel appelé la particule. La propriété peut migrer rapidement d’une particule virtuelle à une autre. Elle peut même disparaître dans un trou d’énergie négative ou par interaction avec l’antimatière.

  • A l’origine, la science est une philosophie. Aujourd’hui, on croirait plutôt qu’elle ressort d’une espèce de technique. Notre monde moderne est tout entier en train de se ramener à des techniques et cela supprime la signification de toutes choses. Les gens sont progressivement tombés dans ce piège et ont expliqué que tout ce qui n’est pas technique serait sans importance. Vous pouvez vous rendre compte de cette évolution historique de l’idéologie dominante. Mais on ne peut pas en déduire que cette thèse soit une vérité absolue.

    Je pense que toute expérience scientifique sort de questions philosophiques.

    David Böhm

  • A l’origine, la science est une philosophie. Aujourd’hui, on croirait plutôt qu’elle ressort d’une espèce de technique. Notre monde moderne est tout entier en train de se ramener à des techniques et cela supprime la signification de toutes choses. Les gens sont progressivement tombés dans ce piège et ont expliqué que tout ce qui n’est pas technique serait sans importance. Vous pouvez vous rendre compte de cette évolution historique de l’idéologie dominante. Mais on ne peut pas en déduire que cette thèse soit une vérité absolue.

    Je pense que toute expérience scientifique sort de questions philosophiques.

    David Böhm

    • Max Planck dans "Initiations à la physique" :

      "L’hypothèse des quanta ne se contente pas de contredire les anciennes idées généralement reçues (...) ce qui serait une chose relativement supportable mais il apparaît de plus en plus qu’elle contredit les postulats les plus fondamentaux de la physique classique. (...) Ainsi donc, la physique, comme nous venons de le voir, considérée par la génération précédente comme une des plus vieilles et des plus solidement assisses parmi les connaissances humaines, est entrée dans une période d’agitation révolutionnaire qui promet d’être une des plus intéressantes de son histoire. (...) Pour cette raison, il serait souhaitable que les idées et les intuitions de nos grands philosophes fussent étudiées avec attention. Les temps où la philosophie et les sciences positives se considéraient comme étrangères l’une à l’autre et se regardaient mutuellement avec méfiance doivent être considérés comme révolus."

      Werner Heisenberg (1955) :

      "Ce qui est né à Copenhague en 1927, ce n’est pas seulement un ensemble de prescriptions non ambigües pour l’interprétation des expériences, c’est aussi un langage dans lequel on parle de la nature au niveau atomique, et dans cette mesure c’est une partie de la philosophie. La manière dont Bohr réfléchissait aux phénomènes atomiques depuis 1912 a toujours été quelque chose d’intermédiaire entre la physique et la philosophie."

      Niels Bohr dans « Physique atomique et connaissance humaine » :

      « Le point de départ fut ici ce qu’on appelle le postulat quantique, selon lequel tout changement dans l’énergie d’un atome est le résultat d’une transition complète entre deux états stationnaires. En admettant en outre que toute réaction radiative atomique fait intervenir l’émission ou l’absorption d’un seul quantum de lumière, les valeurs de l’énergie des états stationnaires purent être déterminés à partir du spectre. »

      La réponse d’adversaires de Bohr et d’Heisenberg, comme Einstein et Schrödinger, a été elle aussi philosophique, comme le rappelle cette citation de Schrödinger :

      "Du point de vue philosophique, un verdict définitif dans ce sens (l’abandon des images intuitives de la matière et de la lumière) équivaudrait pour moi à l’obligation de déposer les armes."

    • Cependant, l’enjeu n’est pas seulement lié à celui des religions. Il est philosophique au plein sens du terme.

      La philosophie est une conception d’ensemble du monde, qui ne peut accepter de séparer un domaine dans lequel on rangerait sa philosophie au porte-manteau en entrant.

  • "Des systèmes microscopiques peuvent exister et posséder des propriétés définies indépendamment de toute connaissance qu’un observateur quelconque peut avoir ou ne pas avoir à leur sujet." Despagnat, Conceptions de la physique contemporaine

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