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La révolution prolétarienne en Bolivie en 1952

mardi 19 janvier 2010, par Robert Paris

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« La campagne marche derrière la ville où l’initiative appartient au prolétariat.(…) Evidemment, les possibilités révolutionnaires de larges couches de la classe moyenne sont très grandes – il suffit de rappeler les objectifs de la révolution démocratico-bourgeoise -, mais il est clair aussi qu’elles ne peuvent atteindre par leurs seules forces de tels objectifs. Ce qui caractérise le prolétariat, c’est qu’il est la seule classe dotée de la force suffisante pour réaliser non seulement ses propres objectifs mais également ceux des autres classes. (…) Nous, travailleurs mineurs, ne cherchons pas à faire croire qu’on peut se passer de l’étape démocratico-bourgeoise, à savoir la lutte pour les droits démocratiques élémentaires et pour la réforme agraire anti-impérialiste. Nous ne nions pas non plus l’existence de la petite bourgeoisie, surtout des paysans et des artisans. Nous disons que si on ne veut pas étouffer dans l’œuf la révolution démocratico-bourgeoise, on doit la considérer seulement comme une phase de la révolution prolétarienne. »
Thèses de Pulacayo des mineurs boliviens en 1946

En 1952 en Bolivie, la révolution ouvrière renverse le régime mais ne prend pas le pouvoir pour elle

La lutte de la classe ouvrière de Bolivie (1952)

Sur la politique des trotskystes du POR dirigés par Guillermo Lora, lire, en fin de texte, l’annexe sur la révolution ouvrière de 1952 en Bolivie, des extraits de « La Révolution de 1952 : comment la Quatrième internationale et le POR ont trahi la révolution », écrit par José Villa.

Si la Bolivie est souvent connue à l’extérieur parce que Che Guevara y a mené sa dernière guérilla dans les campagnes, son l’histoire est essentiellement marquée, durant plusieurs décennies, par des luttes ouvrières très dures, sanglantes le plus souvent, mais aussi fréquemment victorieuses. Et ce pays a connu la seule véritable révolution ouvrière de toute l’Amérique Latine, celle de 1952. La classe dirigeante bolivienne payait ainsi, avec retard, le discrédit de la défaite militaire cuisante et les nombreux morts de la guerre du Chaco, une boucherie qui avait duré de 1932 à 1935. C’est la force et l’organisation de cette classe ouvrière, qui est véritablement partie en armes à l’assaut du pouvoir, qui a fait triompher cette révolution. Ce n’était pas l’effet du hasard puisque dès novembre 1946, le mouvement ouvrier avait adopté le « Manifeste de Pulacayo » proclamant le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la lutte visant à sa prise du pouvoir et au socialisme. En juillet 1946 et janvier 1947, la montée révolutionnaire a commencé à se manifester, les travailleurs boliviens menaçant le pouvoir de la bourgeoisie. Les organisations ouvrières (organisations syndicales comme celle la très puissante fédération des mineurs de Juan Lechin et organisations politiques révolutionnaires, comme le POR trotskyste de Guillermo Lora) à la tête du prolétariat, avec pour principale force les mineurs armés, ont été la force principale qui ont déterminé des événements révolutionnaires (notamment la prise des bases militaires aériennes et la bataille de La Paz), et ont pris le pouvoir le 11 avril 1952 à La Paz. Le MNR, de Paz Estenssoro, parti réformiste au passé national-socialiste qui prétendait réaliser un vaste programme d’indépendance nationale et de développement économique, avait un large soutien dans la population, notamment dans la petite bourgeoisie, mais ne disposait d’aucune force capable de faire tomber le régime. Pourtant les organisations ouvrières, une fois triomphantes, ont remis le pouvoir à la bourgeoisie nationaliste au travers du MNR. Les révolutionnaires ont failli, incapables de mener une politique révolutionnaire du type de celle de Lénine en 1917 préparant la classe ouvrière à devenir une direction de toutes les couches opprimées, une direction indépendante de la bourgeoisie nationaliste ou démocrate. Au lieu d’un Etat ouvrier, le pouvoir des ouvriers et des paysans en armes et organisés, c’est un Etat bourgeois qui a vu le jour et a pu se contenter de quelques concessions à la classe ouvrière. Le motif d’une telle trahison ? Le parti révolutionnaire a été opportuniste et n’a pas su amener la classe ouvrière à être indépendante de la bourgeoisie nationaliste. Une des raisons est le fait que le MNR se disait favorable à la nationalisation des mines. L’Etat bourgeois peut, comme en 52, nationaliser les richesses du sous-sol, y compris sous la pression révolutionnaire des travailleurs, mais certainement pas les mettre au service des exploités. Une expérience à méditer aujourd’hui.
La réforme agraire, partiellement réalisée par les paysans indiens eux-mêmes, a été légalisée par le nouveau pouvoir qui a également élargi le droit de vote parmi les plus paysans et indiens pauvres. Les mines ont été nationalisées par Paz Estenssoro mais, seulement les trois plus grandes compagnies minières d’étain. Contrairement à ses promesses, Estenssoro a indemnisé les compagnies américaines et en a fait payer le prix à la population. Loin d’aider au développement du pays, la nationalisation avec indemnisation a amené l’économie bolivienne au bord du gouffre, misérabilisé les travailleurs et les paysans et rendu le pays encore plus dépendant. Le nationalisme prétendument anti-impérialiste de la petite bourgeoisie et d’une partie de la bourgeoisie et des chefs militaires a montré ses limites. L’oligarchie, momentanément déstabilisée, a très vite et très facilement retrouvé son influence sur le gouvernement. Cependant, durant les années qui ont suivi, le pouvoir a été contraint d’associer les directions syndicales au régime et, surtout, la classe ouvrière s’est sentie assez forte pour mener des combats impressionnants et faire reculer patrons et gouvernants. La centrale ouvrière COB, construite le 16 avril 1952, dans la foulée de la révolution, est restée indépendante du pouvoir (même si le leader syndicaliste Juan Lechin de la COB est devenu ministre des mines), contrairement aux syndicats paysans partiellement construits par le pouvoir et qui lui ont inféodés. Les organisations syndicales ouvrières se sont opposées directement à Paz Estenssoro dès 1956, alors qui lançait un plan économique de sacrifices imposé par les USA. En 1963, le leader nationaliste restructurait violemment les mines d’Etat et brisait toute protestation en faisant tirer à balles sur les mineurs. Le 29 octobre 1964, il faisait à nouveau casser une grève ouvrière par l’armée. Finalement les militaires prenaient le pouvoir et, pour de nombreuses années, la Bolivie entrait dans l’ère des coups d’état. Les chefs militaires, notamment le général Barrientos, tenaient un discours nationaliste, populiste et se prétendant démagogiquement révolutionnaire. Ils gagnaient une certaine popularité dans les campagnes mais accroissaient encore les attaques contre les ouvriers qui ripostaient de mai à septembre 1965. En juin 1967, une grève des mineurs était à nouveau écrasée par l’armée, faisant 90 victimes.

DOCUMENT :

Les « thèses de Pulacayo », thèses centrales de la Fédération syndicale des travailleurs des mines de Bolivie en 1946, sont un véritable programme communiste révolutionnaire :

« Les principes de base
« 1- Le Prolétariat, en Bolivie comme ailleurs, constitue la classe sociale révolutionnaire par excellence. Les travailleurs des mines, secteur le plus avancé et le plus combatif du prolétariat de ce pays, déterminent le sens de la lutte de la Fédération syndicale FSTMB.
2- La Bolivie est un pays capitaliste arriéré ; au sein de son économie coexistent différents stades d’évolution et différents modes de production, mais c’est le mode de production capitaliste qui est qualitativement dominant, les autres formes économico-sociales constituant un héritage de notre passé historique. L’hégémonie du prolétariat dans la politique nationale découle de cet état de choses.
3- La Bolivie, bien que pays arriéré, n’est qu’un maillon de la chaîne capitaliste mondiale. Les particularités nationales représentent en elles-mêmes une combinaison des traits essentiels de l’économie mondiale.
4- La particularité de la Bolivie réside dans le fait qu’aucune bourgeoisie capable de liquider le système des latifundia et les autres formes économiques précapitalistes, de réaliser l’unification nationale et la libération du joug capitaliste, n’est apparue sur la scène politique.
Toutes les tâches que la bourgeoisie n’a pas accomplies constituent les objectifs démocratico-bourgeois qui doivent inéluctablement être réalisés . Les problèmes centraux qui se posent aux pays semi-coloniaux sont : la révolution agraire, c’est-à-dire la liquidation de l’héritage féodal, et l’indépendance nationale, à savoir balayer le joug impérialiste ; tâches qui sont étroitement liées les unes aux autres.
5- Les caractéristiques propres de l’économie nationale, pour importantes qu’elles soient, sont partie intégrante - cela se confirme chaque jour – d’une réalité supérieure qui s’appelle l’économie mondiale ; tel est le fondement de l’internationalisme prolétarien. Le développement capitaliste se caractérise par une imbrication croissante des relations internationales, qui trouvent leur expression dans le volume croissant du commerce extérieur.
6- Le développement des pays arriérés se fait sous le signe de la pression impérialiste et de manière combinée. Ces pays associent en même temps les formes économiques les plus primitives et le dernier mot de la technique et de la civilisation capitaliste. Le prolétariat des pays arriérés est obligé de combiner la lutte pour les tâches démocratico-bourgeoises avec la lutte pour les revendications socialistes. Ces deux étapes – démocratique et socialiste - « ne sont pas séparées dans la lutte par des phases historiques, mais elles découlent immédiatement les unes des autres. »
7- Les propriétaires féodaux ont mêlé leurs intérêts à ceux de l’impérialisme mondial dont ils sont devenus les serviteurs inconditionnels.
De là vient que la classe dominante est devenue une véritable féodo-bourgeoisie. Etant donné le niveau très bas de la technique, l’exploitation des latifundia serait inconcevable si l’impérialisme n’entretenait artificiellement leur existence en leur jetant des miettes. On ne peut imaginer la domination impérialiste sans l’appui des gouvernements créoles (bourgeoisie d’origine espagnole). La concentration du capitalisme en Bolivie est très poussée : trois entreprises contrôlent la production minière, c’est-à-dire ce qui constitue l’axe de la vie économique du pays. La classe au pouvoir est bornée et incapable de réaliser ses propres objectifs historiques, et de ce fait se trouve liée aussi bien aux intérêts des latifundistes qu’à ceux des impérialistes. L’Etat féodo-bourgeois est un organisme de violence destiné à maintenir les privilèges des gamonales (propriétaires d’haciendas) et des capitalistes. L’Etat est un puissant instrument aux mains de la classe dominante pour écraser son adversaire. Seuls les traîtres et les imbéciles peuvent continuer à soutenir que l’Etat a la possibilité de s’élever au-dessus des classes et de décider paternellement de ce qui revient à chacune d’elles.
La classe moyenne ou petite-bourgeoise est la classe la plus nombreuse et, cependant, son poids dans l’économie nationale est insignifiant. Les petits commerçants et propriétaires, les techniciens, les bureaucrates, les artisans et les paysans n’ont pu jusqu’à présent développer une politique de classe indépendante, et ils le pourront encore moins dans le futur. La campagne marche derrière la ville où l’initiative appartient au prolétariat. La petite bourgeoisie suit les capitalistes dans les périodes de « calme » social et quand l’activité parlementaire est prospère. Elle s’aligne derrière le prolétariat dans les moments d’extrême acuité de la lutte des classes (par exemple en période de révolution) et quand elle a la certitude que lui seul sera capable de lui indiquer la voie de son émancipation. Entre ces deux cas extrêmes, l’indépendance de la petite bourgeoisie est un mythe. Evidemment, les possibilités révolutionnaires de larges couches de la classe moyenne sont très grandes – il suffit de rappeler les objectifs de la révolution démocratico-bourgeoise -, mais il est clair aussi qu’elles ne peuvent atteindre par leurs seules forces de tels objectifs.
Ce qui caractérise le prolétariat, c’est qu’il est la seule classe dotée de la force suffisante pour réaliser non seulement ses propres objectifs mais également ceux des autres classes. Son énorme poids spécifique dans la vie politique est dû à la place qu’il occupe dans le processus de production et n’a rien à voir avec sa faiblesse numérique. L’axe économique de la vie nationale doit être aussi l’axe politique de la future révolution. Le mouvement mineur en Bolivie est l’un des plus avancés du mouvement ouvrier en Amérique latine. Les réformistes avancent la thèse selon laquelle le mouvement social dans notre pays ne peut être plus avancé que dans les pays techniquement plus évolués. Une telle conception mécaniste des relations entre la perfection des machines et la conscience politique des masses a été démentie de très nombreuses fois par l’histoire. Si le prolétariat bolivien a pu devenir l’un des prolétariats les plus radicaux, c’est à cause de son extrême jeunesse et de son incomparable vigueur, c’est parce qu’il n’a pas connu de traditions parlementaristes et de collaborations de classes, et enfin c’est parce qu’il combat dans un pays où la lutte acquiert un caractère extrêmement belliqueux.
Nous répondrons aux réformistes et aux vendus à la Rosca qu’un tel prolétariat ne peut que mettre en avant des exigences révolutionnaires et faire preuve d’une audace extrême dans la lutte. »
« Le type de révolution que nous devons réaliser
« 1- Nous, travailleurs mineurs, ne cherchons pas à faire croire qu’on peut se passer de l’étape démocratico-bourgeoise, à savoir la lutte pour les droits démocratiques élémentaires et pour la réforme agraire anti-impérialiste. Nous ne nions pas non plus l’existence de la petite bourgeoisie, surtout des paysans et des artisans. Nous disons que si on ne veut pas étouffer dans l’œuf la révolution démocratico-bourgeoise, on doit la considérer seulement comme une phase de la révolution prolétarienne.
2- Ceux qui nous dénoncent comme défenseurs d’une révolution socialiste immédiate en Bolivie mentent. En effet, nous savons bien que les conditions objectives ne sont pas encore réunies pour cela. Nous disons clairement que la révolution sera démocratico-bourgeoise par ses objectifs et qu’elle ne sera qu’un épisode de la révolution prolétarienne, car elle aura le prolétariat à sa tête. Parler de révolution prolétarienne en Bolivie ne signifie pas qu’on exclue les autres couches exploitées du pays, mais implique au contraire l’alliance révolutionnaire du prolétariat avec les paysans, les artisans et les autres secteurs de la petite bourgeoisie urbaine.
3- La dictature du prolétariat est l’expression au niveau de l’Etat de cette alliance. Le mot d’ordre de révolution et de dictature prolétarienne indique clairement le fait que c’est la classe travailleuse qui sera le moteur principal de cette transformation et l’axe central de cet Etat. Au contraire, soutenir la révolution démocratico-bourgeoise, en tant que telle, sera réalisé par des couches « progressistes » de la bourgeoisie et que le futur Etat sera celui d’un gouvernement d’union et d’entente nationale manifeste une ferme intention d’étrangler le mouvement révolutionnaire dans le cadre de la démocratie bourgeoise. Les travailleurs, une fois au pouvoir, ne pourront pas indéfiniment s’en tenir aux limites démocratico-bourgeoises et ils se verront obligés – chaque jour davavntage – de faire toujours plus d’incursions dans le régime de la propriété privée, de telle sorte que la révolution acquerra un caractère permanent.
Nous, travailleurs de la mine, dénonçons devant les exploités ceux qui prétendent substituer à la révolution prolétarienne des révolutions de palais fomentées par les divers secteurs de la féodo-bourgeoisie.
« La lutte contre la collaboration de classe
« 1- La lutte des classes est en dernière analyse la lutte l’appropriation de la plus-value. Les prolétaires qui vendent leur force de travail luttent pour le faire dans les meilleurs conditions et les détenteurs des moyens de production (capitalistes) luttent pour confisquer le produit du travail non payé ; ils poursuivent des buts opposés, ce qui rend leurs intérêts irréconciliables.
Nous savons clairement que la lutte contre les patrons est une lutte à mort, car dans cette lutte se joue le sort de la propriété privée.
Dans la lutte de classes, contrairement à nos ennemis, nous ne connaissons pas de trêve.
L’étape historique présente, qui est une étape sombre de l’histoire de l’humanité, ne pourra être dépassée que lorsque les classes sociales disparaîtront et qu’il n’existera plus d’exploiteurs ni d’exploités. Ceux qui pratiquent la collaboration de classes font un jeu de mots stupide quand ils soutiennent qu’on ne doit pas supprimer les riches, mais convertir les pauvres en riches. Notre objectif, c’est l’expropriation des expropriateurs.
2- Toute tentative de collaboration avec nos bourreaux, toute tentative de concession à l’ennemi dans le cours de la lutte, signifie abandonner les travailleurs aux mains de la bourgeoisie. S’adonner à la collaboration signifie purement et simplement renoncer à nos objectifs. Toute conquête ouvrière, même la plus minime, ne s’obtient qu’après une lutte acharnée contre le système capitaliste. Il n’est pas possible d’envisager de conclure un accord avec nos oppresseurs parce que le programme de revendications transitoires est étroitement lié à la perspective de la révolution prolétarienne. Nous ne sommes pas des réformistes, même si nous présentons aux travailleurs la plate-forme la plus avancée de revendications ; nous sommes par-dessus tout des révolutionnaires, car nous nous dirigeons vers la transformation de la structure même de la société.
3- Nous repoussons l’illusion petite bourgeoise selon laquelle l’Etat ou d’autres institutions, se plaçant au dessus des classes sociales en lutte, peuvent régler le problème ouvrier. Une telle solution, comme nous l’enseigne l’histoire du mouvement ouvrier national et international, s’est toujours soldée par la soumission aux intérêts du capitalisme et a eu pour prix la misère et l’oppression du prolétariat.
L’arbitrage de l’Etat et la réglementation légale des moyens de lutte des travailleurs marquent, dans la plupart des cas, le commencement de la défaite. Dans la mesure du possible nous luttons pour que soit supprimé l’arbitrage obligatoire. Les conflits doivent se régler sous la direction des travailleurs, et par eux seuls !
4- La réalisation de notre programme de revendications transitoires, qui doit déboucher sur la révolution prolétarienne, est étroitement subordonnée à la lutte des classes. Nous sommes fiers d’être les plus intransigeants quand il s’agit de faire des compromis avec les patrons. Pour cette raison, la lutte contre les réformistes qui préconisent la collaboration de classes, contre ceux qui conseillent de se sacrifier sur l’autel de la prétendue sauvegarde nationale, constitue une tâche vitale. On ne peut parler de grandeur nationale dans un pays où les ouvriers connaissent la faim et l’oppression, mais bien plutôt de misère et de décrépitude nationales.
Nous abolirons l’exploitation capitaliste.
Guerre à mort au capitalisme ! Guerre à mort aux collaborateurs réformistes ! Suivons la voie de la lutte des classes jusqu’à la destruction de la société capitaliste ! »
« La lutte contre l’impérialisme
« 1- Pour les travailleurs des mines, la lutte des classes veut dire surtout la lutte contre les grands trusts miniers, c’est-à-dire contre un secteur de l’impérialisme yankee qui nous opprime. La libération des exploités est liée à la lutte contre l’impérialisme. Lorsque nous luttons contre le capitalisme international nous représentons les intérêts de toute la société et nos objectifs sont les mêmes que ceux des exploités du monde entier. La destruction de l’impérialisme est une condition préalable à l’introduction de la technique dans l’agriculture et à la création de la petite industrie et de l’industrie lourde. Nous sommes partie intégrante du prolétariat international parce que nous sommes engagés dans la destruction d’une force internationale : l’impérialisme.
2- Nous dénonçons, comme ennemis déclarés du prolétariat, les « gens de gauche » vendus à l’impérialisme yankee, qui nous parlent de la grandeur de la « démocratie » du Nord et de sa prépondérance mondiale. On ne peut parler de démocratie dans un pays comme les Etats-Unis où soixante familles dominent l’économie, suçant le sang des pays semi-coloniaux, dont le nôtre. La prépondérance yankee engendre une accumulation démesurée et une acuité sans précédent des antagonismes et des contradictions du système capitaliste. Les Etats-Unis sont une poudrière qui n’attend que le contact d’une étincelle pour exploser. Nous nous déclarons solidaires du prolétariat nord-américain et ennemis irréconciliables de sa bourgeoisie qui vit de rapine et d’oppression à l’échelle mondiale.
3- La politique des impérialistes qui dicte la politique bolivienne est conditionnée par le stade monopoliste du capitalisme. Pour cette raison, la politique impérialiste ne peut signifier qu’oppression et rapine, transformation permanente de l’Etat pour en faire un instrument docile aux mains des exploiteurs. Les attitudes de « bon voisinage », « panaméricanisme », etc, ne sont que des masques dont se servent l’impérialisme yankee et la bourgeoisie féodale créole pour tromper les peuples d’Amérique latine. Le système de la consultation diplomatique réciproque, la création d’organismes bancaires internationaux avec l’argent des pays opprimés, la concession aux Yankees des bases militaires stratégiques, les contrats léonins sur la vente des matières premières, etc, sont diverses formes du détournement honteux, au profit de l’impérialisme, des richesses des pays d’Amérique latine par ceux qui les gouvernent. Lutter contre ce détournement et dénoncer toutes les tentatives de rapine de l’impérialisme est le devoir élémentaire du prolétariat. Les Yankees ne se contentent pas de faire et de défaire les cabinets ministériels, ils vont plus loin : ils se sont fixé pour tâche d’orienter l’activité policière des bourgeoisies semi-coloniales ; l’annonce du déclenchement de la lutte contre les révolutionnaires anti-impérialistes n’a pas d’autre signification.
Travailleurs de Bolivie ! Renforcez vos organisations pour lutter contre le rapace impérialiste yankee !

La lutte contre le fascisme
1- Nous devons lutter en même temps contre l’impérialisme et contre la bourgeoisie nationale qui lui est soumise. L’anti-fascisme devient, dans la pratique, un aspect de cette lutte : la défense et l’acquisition des garanties démocratiques et la destruction des bandes armées entretenues par la bourgeoisie.
2- Le fascisme est un produit du capitalisme international ; il est la dernière étape de la décomposition de l’impérialisme. Un régime fasciste se caractérise par la violence organisée par l’Etat, pour défendre ses privilèges capitalistes et détruire le mouvement ouvrier. La démocratie bourgeoise est un luxe trop coûteux que peuvent seuls s’offrir les pays qui ont accumulé des bénéfices aux dépens d’autres pays où sévit la famine. Dans les pays pauvres comme le nôtre, les ouvriers à un moment ou à un autre sont amenés à trouver en face d’eux des armes dirigées contre eux. Peu importe le parti politique qui doive recourir aux méthodes fascisantes pour mieux servir les intérêts impérialistes, une chose est certaine : si l’oppression capitaliste persiste à se maintenir, le caractère inévitable des gouvernements sera celui de la violence contre les ouvriers.
3- La lutte contre des bandes fascistes est subordonnée à la lutte contre l’impérialisme et la féodo-bourgeoisie. Ceux qui, sous le prétexte de lutter contre le fascisme, font confiance à l’impérialisme « démocratique » et à la féodo-bourgeoisie « démocratique » ne font rien d’autre que de préparer la voie à l’avènement inévitable d’un régime fascisant.
Pour venir à bout définitivement du péril fasciste, nous devons détruire le capitalisme comme système.
Pour lutter contre le fascisme, loin d’atténuer artificiellement les contradictions entre les classes, nous devons aviver la lutte des classes.
Ouvriers et exploités, détruisons le capitalisme pour détruire définitivement le péril et les bandes fascisantes ! C’est seulement avec les méthodes de la révolution prolétarienne et dans le cadre de la lutte des classes que nous pourrons renverser le fascisme.

« Un brève histoire de la Bolivie » de Waltraud Q. Morales :
« Le massacre de Catavi
« Le complexe minier de Catavi se situe sur le haut plateau, près de la ville d’Oruro. En 1942, le centre minier a connu une vague de grèves sauvages. Les mineurs étaient misérables et revendiquaient de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail et de vie. Insensible et irresponsable, le gouvernement du général Penaranda ordonna aux soldats de s’occuper des mineurs. La grève ne fut brisée en décembre qu’après que des centaines de mineurs soient tués et blessés lors d’une confrontation sanglante connue sous le nom de « massacre de Catavi ». (…) Un des résultats du gouvernement Villaroel fut l’expansion des syndicats, et particulièrement la fondation en juin 1944 d’un syndicat important représentant les mineurs. La FSTMB (Fédération syndicale des travailleurs mineurs de Bolivie) était dirigée par Juan Lechin Oquendo, un trotskyste. Le syndicalisme mineur allait être d’une influence prépondérante sur l’ensemble des travailleurs et des forces militantes de la Bolivie durant la moitié de siècle suivante. Politiquement, la FSTMB était sous la direction de partis politiquement radicaux, y compris du MNR. (…)
Le 21 juin 1946, une foule de centaines de grévistes, enseignants, cheminots, travailleurs du bâtiment.et étudiants accompagnés d’agitateurs du Front démocratique antifasciste assiégèrent le palais de la présidence. Incapable de sauver le régime, le président Villaroel démissionna mais refusa de quitter sa résidence de président. Le foule déferla dans le Palais Quemado, tua Villaroel et ses proches collaborateurs, traîna leurs corps jusqu’à la place Murillo où ils furent pendus aux lampadaires. (…)
Aux élections de janvier 1947 (…) Hertzog candidat de l’oligarchie l’emporta de justesse avec 44.700 voix contre 44.300 voix pour le candidat du MNR paz Estenssoro. La coalition qui avait gagné allait de l’oligarchie à un parti « marxiste », le PIR. Discrédité, le PIR explosa donnant un nouveau parti : le Parti communiste de Bolivie. (…) Des milliers de mineurs perdirent leur emploi. Des grèves ouvrières avaient lieu presque tous les jours, non seulement dans les mines mais dans tous les secteurs de l’économie. Le gouvernement conservateur utilisa la répression militaire, violant jusqu’aux lois. Cette intransigeance et ces violences du régime radicalisèrent le MNR et ses contingents ouvriers.
En novembre 1946, des milliers de mineurs militants avaient tenu une conférence spéciale à Pulacayo. Ils y avaient adopté un document révolutionnaire historique connu sous le nom de « Thèses de Pulacayo ». Inspirées par Guillermo Lora, le syndicaliste qui avait réorganisé le POR (parti ouvrier révolutionnaire, trotskyste) dans les années 1940. (…) Selon le document de Pulacayo, les travailleurs boliviens étaient la vraie et la seule avant-garde de la révolution socialiste. C’est en tant que telle que la classe ouvrière devait initier la lutte de classe armée en vue d’établir directement un Etat ouvrier. (…) En janvier 1947, les travailleurs, les mineurs déterminés organisèrent une grève avec manifestations pour proclamer leurs objectifs établis à Pulacayo. (…)
En juin 1949, lors de la répression violente d’une grande grève dans les centres de mines de Catavi, Llallagua et Siglo XX, trois cent travailleurs boliviens et deux techniciens américains furent tués. Juan Lechin, leader charismatique et secrétaire général du FSTMB, ainsi que sénateur du MNR, condamna publiquement le gouvernement pour cette répression contre les mineurs. Puis, alors que Lechin avait exilé par la dictature, d’autres affrontements violents eurent lieu entre l’armée et les mineurs. Deux tentatives de coup d’état par le MNR furent démasquées et le gouvernement imposé l’état de siège. Le 26 août, en plein milieu d’une grève de grande ampleur, le MNR organisa une rébellion contre le gouvernement. L’insurrection du MNR avait le soutien des mineurs, des travailleurs et des paysans ainsi que la sympathie d’officiers d’active et en retraite, bien qu’aucune unité militaire importante ne prenne partie pour les rebelles. Néanmoins, du fait de la forte résistance de certaines régions, en particulier les régions minières, la révolte prit le caractère d’une brève mais violente guerre civile. La découverte prématurée du projet d’insurrection à La Paz et d’autres erreurs du MNR permirent que la guerre civile s’achève, battue en 20 jours. Bien que le degré et l’extension de la résistance aient surpris le gouvernement, il n’y eut jamais de soulèvement général des masses. L’armée soutint solidement le gouvernement et les insurgés n’étaient eux-mêmes pas vraiment mobilisés et en armes au point de se battre dans les principales villes. Le MNR avait pensé qu’il s’agirait d’un rapide coup d’Etat, mais la ténacité et la férocité de l’oligarchie surprirent aussi la résistance. (…) Malgré cette défaite, l’insurrection prématurée apprit au MNR et aux mineurs radicaux d’importantes leçons sur la manière de faire la révolution. (…) En 1951, la société bolivienne était toujours irrévocablement polarisée entre les forces de la révolution et celles de la réaction, et il n’y avait toujours pas de voie intermédiaire. Réformes, élections et mesures des assemblées avaient été essayées et avaient échoué. (…) Le MNR gagna finalement l’élection de 1951, mais l’élection fut truquée. A peu près 126.000 votes représentant environ 5% de la population furent dérobés. (…)

La révolution nationale
« Dans les pays semi-coloniaux, ni le prolétariat seul ni la classe moyenne ne peuvent triompher. C’est seulement lorsqu’il y a une alliance de classe que les conditions sont réunies pour le triomphe de la révolution nationale. »
Victor Paz Estenssoro – février 1953

« Des réformes frustrées résulta la révolution. La défaite bolivienne dans la guerre du Chaco et la mobilisation politique massive dans les suites de la guerre sont les sources de la révolution sociale où s’engouffra tout le pays dans les premières semaines de l’année 1952. (…) Dégoûtée par la corruption endémique, l’inégalité économique et l’injustice, une nouvelle majorité de la population se reconnut dans la cause d’une transformation radicale. (…) Le soulèvement était l’œuvre de l’avant- garde révolutionnaire soutenue par les travailleurs, les mineurs et, dans la classe moyenne, les étudiants et les intellectuels. Intialement, la paysannerie et les communautés indigènes n’étaient pas dans le coup du démarrage de la révolution ; en conséquence, cette révolution était incontestablement une révolution prolétarienne et, comme la révolte du MNR de 1949, fondée exclusivement sur les villes. (…) Jusqu’à la victoire, les contingents révolutionnaires de la paysannerie ne rejoignirent pas la révolution. (…) Quand elle démarra, la révolution ne fut pas une insurrection spontanée ; c’est son organisation et même sa planification qui en assura le succès. Les deux principaux dirigeants du MNR, Hernan Siles et Juan Lechin, qui avaient été des organisateurs du soulèvement de 1949, jouaient une fois encore les principaux rôles. Tous les deux avaient tiré des leçons des erreurs passées. En 1944, un timide MNR n’avait pas armé le peuple, craignant le développement d’une guerre civile et le bain de sang. En 1952, davantage de leaders radicaux du MNR étaient désespérés et décidés à prendre le risque d’un affrontement violent en armant les opposants au gouvernement. (…) D’après James M. Malloy, le plan du MNR consistait à nommer président le général Seleme au sein d’un cabinet entre militaires et MNR et de nommer vice-président Hernan Siles qui était chargé personnellement de diriger la révolte. Mais les événements prirent un tour différent.
Le matin du 9 avril, les citoyens de La Paz s’éveillèrent au bruit d’une confrontation armée dans les rues étroites et les places de la cité entre les forces pro-MNR et les carabiniers d’un côté, l’armée et les soutiens du gouvernement de l’autre. Les forces révolutionnaires s’emparèrent rapidement du centre ville, contraignant l’armée nationale à se retrouver en dessous de la rébellion. L’armée du gouvernement prit El Alto pour dominer la position des rbelles du haut de l’atiplano. Encerclant les forces révolutionnaires, l’armée du gouvernement bien armée et confiante s’apprêtait à écraser aisément les forces rebelles.
Après une journée d’affrontements, les positions révolutionnaires semblaient bien précaires. Le rapport des forces était en faveur de l’armée loyaliste et le général Seleme qui avait armé les insurgés, misant sur leur victoire aisée, crut à leur défaite. Dans sa panique, il déserta son poste de commandement et demanda l’asile diplomatique à l’ambassade du Chili. Devant la panique du général, certains insurgents commençèrent à envisager un compromis ou une reddition. Les rebelles continuaient à se battre quand se soulevèrent les villes de Oruro et Cocabamba. Pendant ce temps, à La Paz, les travailleurs des usines de la ville et ceux du quartier périphérique Viacha s’armèrent eux-mêmes, en enlevant des armes, et rejoignirent la bataille.
La situation allait se renverser radicalement dans les jours suivants. Les militants mineurs du grand complexe minier Millum, dix miles au nord de La Paz, attaquèrent El Alto et s’emparèrent de la gare de chemin de fer et de la base aérienne qui s’y situait, au dessus de la capitale. Cette action décisive interrompit le flot de munitions sur lequel comptaient les forces gouvernementales et empêcha le bombardement aérien des forces révolutionnaires. Convergeant vers les forces armées sur toutes les hauteurs au dessus de la cité, les mineurs en colère prirent les forces armées dans un piège et les poussèrent au bord du précipice juste au dessus de la capitale.
Pendant ce temps, 70 miles au sud de La Paz, sur l’altiplano, les cadres du MNR et les mineurs d’Oruro empêchaient la garnison militaire qui y était située d’envoyer des renforts pour secourir les soldats du gouvernement, pris au piège à El Alto.(…) Après une dernière tentative inutile des cadets de romprent l’encerclement, les forces gouvernementales se rendirent. Après trois jours d’une intense bataille, le combat historique de La Paz, le MNR était victorieux. Le 11 avril, le général Torres Ortiz démissionnait et signait sa reddition aux forces révolutionnaires. (…) Sans l’appui des forces du prolétariat, la révolte aurait été écrasée dans ses premières 24 heures. Même si le MNR ne l’avait pas prévu, on assistait au succès d’une révolution des mineurs socialistes et marxistes et des travailleurs de La Paz. Le MNR ne pouvait pas ignorer les buts sociaaux, radicaux et révolutionnairex des dirgeants ouvriers de la révolution qui venait d’avoir lieu à moins de le payer très cher.
Victor Paz Estenssoro fut accueilli le 15 avril 1952dans son pays de son exil en Argentine au milieu d’une ébullition joyeuse des citoyens de La Paz. Le lendemain, Paz entrait dans ses bureaux de premier président révolutionnaire de Bolivie. (Le lendemain, Paz entrait dans ses bureaux de premier président révolutionnaire de Bolivie. (…) C’était la première révolution majeure depuis la révolution mexicaine de 1910. Mais réussir la révolution s’avéra une tâche plus facile que d’effectuer ensuite des changements en profondeur de la société. Avoir fait la révolution donnait une nouvelle allure aux dirigeants autrefois réformistes et pro-fascistes du MNR. (…) Les trois objectifs officiels du programme du MNR étaient le suffrage universel, la nationalisation des mines et la réforme agraire. Les deux premiers objectifs, bien que radicaux à l’époque, étaient compatibles avec les aspirations nationalistes et réformistes du programme originel du MNR. Par contre, il est certain que le troisième objectif était le plus révolutionnaire et provoquait des sérieuses divisions au sein du parti. (…) Même la très populaire nationalisation des propriétés des « Big three », les trois grands capitalistes des mines, causa de nombreuses interrogations au sein du MNR. (…)
Ce sont les leaders ouvriers, nationalistes de l’aile gauche du MNR et du syndicat de mineurs, qui réalisèrent la nationalisation des mines ; ce sont les paysans et les communautés indiennes qui imposèrent la réforme agraire. (…) La première réforme fut la nouvelle loi électorale qui garantit le suffrage universel à tous les adultes de 21 ans et plus (18 ans pour les personnes marriées). Le nombre de votants fut instantanément multiplié par cinq. (…) La majorité des nouveaux votants était constituée de paysans indiens illetrés, de mineurs et d’ouvriers d’usine. (…) Aux élections de 1951, 126.000 personnes votaient sur trois millions. Le nombre de votant augmenté d’un million avec la nouvelle loi. (…)
L’Acte d’Indépendance Economique de la Bolivie fut signé le 31 octobre 1952 sur le site même des deux massacres sanglants des mineurs boliviens, l’infâme complexe minier Catavi. Le décret radical nationalisait les entreprises minières des « trois grands », Patino, Aramayo et Hoschchild, et fondait la puissante corporation nationale des mines de Bolivie, plus connue comme COMIBOL.
En termes économiques, selon Richard S. Thorn, la nationalisation transférait à l’Etat le contrôle d’environ 85% de la production du pays, de 95% des échanges extérieurs, d’environ 50% des recettes fiscales qui étaient entre des mains privées. (…)
Le programme officiel du MNR avait promis que les gros patrons des mines expropriés ne seraient pas indemnisés. Le MNR avait toujours dénoncé ces trois grands patrons comme des exploiteurs. (…) Mais les dirigeants politiques du MNR bloquèrent les interventions des leaders ouvriers du MNR sur cette question et acceptèrent de compenser l’exporpriation des barons de l’étain. (…) Au lieu de provoquer l’indépendance économique de la Bolivie, la nationalisation accrut la dépendance économique du pays et accéléra la division entre le MNR et sa base ouvrière. (…)
Le MNR se pencha beaucoup plus sérieusement sur la question paysanne et indienne alors que ces communautés n’avaient quasi pas participé à la révolution. Il créa le ministère des affaires paysannes. Sa première tâche fut la constitution de syndicats paysans pro-MNR, en particulier dans la région de Cochabamba. (…) La loi de 1953 abolit les pratiques féodales qui opprimaient les communautés indiennes. (…) Elle abolit le travail forcé et non payé, courant dans les haciendas et les résidences des grands propriétaires. (…) La réforme agraire rétablit les communautés indiennes dans leurs propriétés collectives. (…) Cependant, cette réforme ne s’attaqua qu’à la très grande propriété. (…)
En octobre 1953, Paz Estenssoro approuva un nouveau code d’exploitation du pétrole qui autorisa les investissements privés étrangers et l’exploration pétrolière des compagnies US. (…)
Au début, la révolution avait considérablement consolidé la force du prolétariat organisé. La COB (centrale ouvrière bolivienne) fut créée dans la foulée des journées de triomphe révolutionnaire et était un syndicat national des travailleurs qui affirmait représenter l’ensemble des travailleurs boliviens. (….) Le plus important syndicat en dehors de la COB était la Fédération des travailleurs des mines boliviennes ou FSTMB. (…) Juan Lechin, le fameux leader des ouvriers durant les années 40, était à la fois secrétaire exécutif du FSTMB et de la COB.
Tant que Lechin faisait partie de la direction du MNR et du gouvernement et dominait ces deux syndicats, le parti était capable d’exercer sa mainmise sur le mouvement ouvrier. Après 1956, dès que Lechin quitte le cabinet gouvernemental où il était ministre des mines, et que le MNR cherchait à imposer le plan d’austérité voulu par le FMI, la collaboration avec la classe ouvrière avait cessé d’exister.

ANNEXE

« La Révolution de 1952 : comment la « Quatrième internationale » et le POR ont trahi la révolution qui aurait dû porter le trotskysme au pouvoir »

Par José Villa

« Introduction

« Quand la Révolution russe de février survint en 1917, le parti bolchevik n’avait que 15 ans d’existence. Quand la Révolution d’avril 1952 se produisit, le POR en avait 17. Les deux organisations militaient dans des pays où la majorité appartenait à la paysannerie et à la petite bourgeoisie, mais où existait un prolétariat moderne et géographiquement concentré. Les deux partis avaient bénéficié de travailler avec ceux qui avaient introduit le marxisme dans le pays (respectivement Plékhanov et Marof) et leurs cadres avaient pris part à la mise en place des premières organisations de la classe ouvrière. Alors que le Bolchevisme s’était formé en se confrontant aux autres courants marxistes (économistes, mencheviks, etc.), petits bourgeois socialistes (Socialistes révolutionnaires) et démocrates bourgeois (Cadets), le POR a dû se battre contre le « marxisme » à la Marof et sa version stalinienne, contre les différentes « ailes » du MNR et le « socialisme » des diverses versions prônées par la bourgeoisie et l’armée.

Le Bolchevisme a été trempé par le soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière quia culminé par la révolution de 1905, par la vague réactionnaire qui a suivi, et par la nouvelle vague de grèves et de luttes qui a précédé la première guerre mondiale et enfin dans le combat contre la guerre. Le POR est né dans la lutte contre la Guerre du Chaco et a été forgé lors des de soulèvements de masse qui ont fait chuter les gouvernements de 1936 et 1946, avec de grandes grèves et des massacres, au cours de changements de gouvernements continuels, des coups d’état et une courte guerre civile. Alors que le soulèvement général de 1905 (en Russie) a été écrasé, les deux soulèvements révolutionnaires, des crises auxquelles le POR a participé se sont terminés par le renversement des gouvernements. Le « trotskysme » bolivien a vu son programme repris par les étudiants et les mineurs et pouvait être fier d’avoir dans ses rangs les principaux leaders de la fédération syndicale des mineurs et de la principale centrale ouvrière, la CON (ancêtre de la centrale ouvrière COB).

Le rôle du POR dans les événements d’avril qu’un des fondateurs du parti stalinien lui-même le reconnaissait comme l’une des cinq forces principales dirigeant l’insurrection, la principale étant, à droite, le MNR, la seconde l’aile pro-POR du MNR et la troisième le POR lui-même : « Ce soulèvement armé fut dirigé et amené à la victoire par les dirigeants du MNR, Hernàn Siles Zuazo, Juan Lechin Oquendo, Edwin Moller, Alandia Pantojas, Villegas et les autres. » peut-on lire dans les « Mémoires du premier ministre ouvrier » de Waldo Alvarez (1986).

Dans « Lucha Obrera », le POR cachait que « Quand les principaux dirigeants du MNR pensaient à s’enfuir, ce furent nos camarades qui prirent la direction du peuple et du prolétariat d’Oruro jusqu’à la victoire (…) Nos militants furent les vrais dirigeants de la défense de Villa Pavon et Miraflores qui fut déterminante pour la victoire de la révolution à un moment où l’ennemi semblait devoir triompher dans la cité. » (Lucha Obrera du 12/06/1952)

Aux côtés de la centrale syndicale COB, le pouvoir dominant dans le pays, le POR était le parti le plus important et le plus influent. L’historien Robert J. Alexander remarque que « Le POR avait été capable de définir l’orientation idéologique et le dynamisme de la Centrale des Travailleurs » ; « Pendant les six premiers mois, la COB fut pratiquement aux mains des Trotskystes. » (dans « Trotskysme en Amérique latine ») Lora reconnaît cela.

Lora admet que « Immédiatement après le 9 avril 1952, le MNR agit comme une minorité passive aux côtés des organisations syndicales. Il avait peu de succès du fait que la radicalisation des masses avait atteint un sommet. » (dans « Les syndicats et la révolution » de G. Lora – 1960)

« La totalité de la lutte ouverte qui a donné naissance à la centrale syndicale ouvrière fut aux mains des militants du POR et l’essentiel des permanents et la plupart des orientations de la nouvelle centrale syndicale COB étaient trotskystes. Lechin ne fit rien d’autre que de manœuvrer sous la forte pression des masses et du POR. Dans les discours des dirigeants ouvriers de cette période et dans les plans présentés par le Cabinet de Paz Estenssoro on trouve l’empreinte du POR. » (dans « La révolution bolivienne, une analyse critique » de Guillermo Lora – 1963)

Quand le MNR fut affaibli durant plusieurs mois après le soulèvement d’avril, le Comité central du POR continuait de se tromper lui-même sur la signification de sa majorité au sein de la COB : « Notre actuelle majorité incontestée est la preuve d’un lent mais solide et sûr travail, mené par notre parti. » (Bulletin intérieur n° 13 du POR – 1953)

La COB est née en brandissant les « Thèses de Pulacayo », c’est-à-dire avec un programme issu du programme du POR et de ses orientations politiques. Lors de sa fondation, le POR assumait son rôle dans sa formation et sa direction de la centrale : « La COB est née d’une position d’indépendance de classe claire, interprétant fidèlement pour un large mouvement de masse les conceptions du Programme de Transition. » (dans « Lucha Obrera » du 18/04/1952)

L’historien James Dunkerley soutient que « Une grande part du travail préparatoire à la fondation de la COB fut pris en mains par les représentants du POR, Edwin Moller, Miguel Alandia et José Zegada. » (dans « La révolte dans les veines » de James Dunkerley – 1982). « Le POR influençait directement au moins la moitié de la COB » (dans le même ouvrage – passage supprimé de l’édition anglaise expurgée après « contrôle ».)

En octobre 1952, un journaliste se disant un trotskyste critique du POR admettait qu’au sein de la COB, « la plus importante fraction est celle du POR ; ensuite vient le groupe de Lechin et Torres, c’est-à-dire l’aile nationaliste au sein des syndicats, alors que les staliniens sont seulement en troisième position avec à peine 5 voix. » (dans « Labor Action » du 27/10/1952, le journal de Shachtman)

Il a fallu de février 1917 à octobre pour gagner la majorité au sein des soviets et, lorsqu’ils l’ont obtenue, ils se sont lancés dans l’insurrection. Le POR, lui, contrôlait la COB dès sa naissance. Alors que les Bolcheviks étaient en minorité au sein de la classe ouvrière russe durant ces huit mois de révolution, le POR dirigeait la centrale ouvrière COB durant les six mois déterminants qui ont suivi l’insurrection qui avait défait l’armée de la bourgeoisie. Le programme, la direction et la presse de la COB étaient aux mains du POR. L’essentiel de la direction de la COB défendait une politique et des discours rédigés par le POR.

Cependant, il y a une grande différence entre le POR et les Bolcheviks. Les Bolcheviks ont demandé aux Soviets de n’apporter aucun soutien de classe à la bourgeoisie démocratique, au gouvernement de coalition réformiste et, au contraire, les ont appelé à rompre avec la bourgeoisie et à prendre tout le pouvoir entre leurs mains. Le POR, au contraire, apporta « un soutien critique » au gouvernement bourgeois et lui demanda de lui offrir des postes ministériels. Alors que les Bolcheviks attaquèrent sans pitié les Mencheviks et les Socialistes-révolutionnaires, en tentant de leur ôter leur position dirigeante, le POR s’identifia à la bureaucratie syndicale (pour laquelle ils écrivaient des discours et des plans ministériels) et tenta de transformer le parti bourgeois et son gouvernement. La stratégie bolchevik était de préparer une nouvelle révolution alors que celle du POR consistait à réformer le MNR et son gouvernement. En résumé, alors que le Bolchevisme était léniniste, le POR était Lechiniste.

En Avril, les positions de type menchevik du POR et de Lora

Essayant d’expliquer le comportement du POR aussi objectivement que possible, Dunkerley maintient que les positions de la section de la quatrième internationale « étaient très tôt celles d’une critique du régime du MNR. Ils ne firent aucun appel à un gouvernement des travailleurs, réclamant par contre une radicalisation des réformes proposées par le gouvernement, la défense du régime contre l’impérialisme et une éducation révolutionnaire des masses. » (dans « La révolte dans les veines »)

Juste avant les événements d’avril, le POR publiait « une lettre ouverte au gouvernement, réclamant que le pouvoir revienne aux nationalistes du MNR sans nouvelle élection. » (dans « Labor Action » du 7/04/1952). La stratégie du POR se limitait à exercer une pression périodique sur le gouvernement afin de transformer la direction du gouvernement bourgeois dans le but de permettre au MNR de prendre la présidence par des moyens constitutionnels. Dans cette voie, un gouvernement légal pouvait être préservé qui, par des pressions, aurait été forcé d’adopter des mesures radicales et aurait été contraint de nommer des travailleurs comme ministres.

Durant les événement d’Avril, Lora avait été en France où il fit état de la situation pour le journal « La Vérité », document que « The Militant » reproduisit. Ils étaient les principaux quotidiens de la Quatrième Internationale. Dans son histoire du POR, Lora disait que « Jusqu’à présent, on n’a pas accordé assez d’importance à l’appel de Lora pour un programme trotskyste écrit à Paris quelques jours après l’arrivée au pouvoir du MNR. » Avec un grand cynisme, il affirmait là que la classe ouvrière, « dans le but de gagner, n’avait pas d’autre choix que d’accepter la direction du MNR et du Lechinisme. » (dans « Contribucion a la historia politica boliviana » de G. Lora)
« Les slogans principaux mis en avant par notre parti étaient :
1°) Restaurer la constitution de notre pays par la formation d’un gouvernement MNR qui avait obtenu la majorité dans les élections de 1951.
2°) La lutte pour l’amélioration des salaires et des conditions de travail
3°) La lutte pour des droits démocratiques
4°) La mobilisation des masses contre l’impérialisme, pour la nationalisation des mines et pour l’abrogation de l’accord avec les Etats-Unis » (d’après une interview de G. Lora par le SWP à New York, dans « The Militant » du 12/05/1952)

De toutes ces revendications, seules les dernières sont vraiment radicales et même celles-là ne dépassent pas le cadre démocratique bourgeois, ou ce que l’anticommuniste Paz va faire quelques mois plus tard. La première demande un Etat bourgeois constitutionnel avec un gouvernement populiste. Au lieu de chercher à se différencier du mouvement populiste en développant des revendications anticapitalistes sur des bases de classe, toute la plateforme du POR va exactement dans le même sens que celle développée par le parti bourgeois MNR. Lora ne met en avant aucune idée propre au prolétariat (l’expropriation de la bourgeoisie sans compensation, le contrôle ouvrier, le désarmement des forces armées de la bourgeoisie et leur remplacement par des milices ouvrières et paysannes, l’occupation des mines, des usines et des terres, etc…) Au lieu de chercher à faire de la COB une forme de soviet, de rompre avec la bourgeoisie et d’aller vers la prise de pouvoir par les travailleurs, Lora en appelait à un gouvernement bourgeois du MNR comme changement de direction du pays et pour pratiquer quelques réformes qui ne dépassaient pas le cadre de l’Etat bourgeois.

« Le mouvement insurrectionnel d’Avril ne fut pas une surprise pour notre parti, et se produisit comme nous l’avions prévu dans nos analyses théoriques. » écrit Lora dans son interview au SWP pour « The Militant » du 12/05/1952.

Si un parti était conscient que la principale révolution de son histoire approchait, il aurait dû faire tout ce qu’il pouvait pour maintenir ses principaux dirigeants dans le pays, ou au moins pas trop loin. Pourtant, Lora restait à Paris durant plus de la moitié de l’année après la fin du troisième Congrès Mondial de la Quatrième Internationale pour laquelle il était venu en Europe. Alors qu’il prétend avoir que son parti avait prédit ce qui allait arriver, il décide de rester au loin, dans le monde impérialiste parce qu’il n’estime pas que sa tâche est de contester le pouvoir au MNR mais, au contraire, il a seulement l’intention de s’entendre avec lui en effectuant tout au plus une pression sur lui.

« La lutte qui commença immédiatement est une lutte des masses pour imposer les revendications du gouvernement du 9 avril. » écrit Lora dans une interview à « The Militant » du 19/05/1952.

Si le POR avait été au premier rang de la lutte, son objectif aurait été de mettre en avant une direction alternative de la lutte en proposant à la COB de prendre le pouvoir en renversant Paz. Au lieu de cela, Lora appelait à soutenir le gouvernement bourgeois et les ministres de son « aile gauche ». Au lieu de s’opposer au piège de la participation de ministres ouvriers dans un gouvernement capitaliste, aidant ainsi le gouvernement à cacher ses préparatifs pour désarmer les travailleurs avant de mener une contre-attaque contre eux. Lora se reconnaissait dans cette tactique : « Les travailleurs du textile décidèrent d’imposer leurs conditions à l’aile gauche du MNR et la contraignirent à accepter des ministres issus de la classe ouvrière au sein du nouveau gouvernement dont ils formèrent l’aile gauche. » (d’après « The Militant » interviewant Lora le 12/05/1952)

« Dans cette situation, le rôle essentiel du POR est d’être le guide vigilant qui empêche que les revendications des travailleurs soient diluées dans de vagues promesses ou dans des manœuvres de gens de l’aile droite. » (Interview de Lora à « The Militant » du 19/05/1952

Pour le POR, l’ennemi n’est pas le gouvernement bourgeois mais seulement les ministres de l’aile droite du gouvernement de l’anti-communiste Paz. (…)

Lora justifiait cette attitude réformiste en qualifiant le régime de petit-bourgeois. La petite bourgeoisie est incapable d’installer son propre régime de production ni un régime qui lui soit propre. La petite propriété engendre inéluctablement la grande propriété. Une société de petits propriétaires est impossible et ne peut empêcher que, la compétition se renforçant, les uns s’enrichissent en accumulant pendant que les autres deviennent pauvres et tombent dans le prolétariat. Quand la petite bourgeoisie n’est pas alliée au prolétariat , elle marche derrière la bourgeoisie qui veut réformer l’Etat.

Un gouvernement qui n’est pas subordonné aux soviets et aux milices ouvrières est un pouvoir contre le prolétariat. Un gouvernement petit bourgeois qui oscille entre le prolétariat et la bourgeoisie ne peut exister. Soutenant cette possibilité imaginaire, Lora mettait en avant l’idée que ces « gouvernements petits-bourgeois » devaient être sous la pression et complétés par des ministres ouvriers pour parvenir graduellement à devenir des gouvernements ouvriers et paysans. Cette conception gradualiste et réformiste devait amener le POR à soutenir l’idée de dictature militaire socialiste et à demander plus tard à obtenir des ministres dans le gouvernement du général Torres. Plus vous prétendez introduire des ministres « rouges » dans des gouvernements populistes de la bourgeoisie et que vous semez des illusions sur de tels gouvernements, plus la classe dirigeante est amenée à faire appel à de tels démagogues pour tromper et désorienter les masses et préparer ensuite un nouveau coup d’Etat réactionnaire.

Ni le gouvernement du MNR, ni le parti n’étaient petits- bourgeois. Le MNR, comme tout parti ayant un soutien populaire, reflétait le composition de la société où il intervenait. Un parti populiste, même si une majorité de ses membres sont issus des couches les plus opprimées de la société, exactement comme tout le reste de la société, est dirigé du haut en bas. Presque tous les dirigeants principaux du MNR venaient de familles de l’oligarchie, qui avaient collaboré avec l’impérialisme allemand, soutenu la dictature nationaliste sanglante de Villarroel et qui étaient socialement, idéologiquement et organiquement l’expression d’un secteur de la bourgeoisie nationale. Comme toute la société bolivienne, le MNR pouvait avoir une majorité de membres et de votants issus de la petite bourgeoisie, mais elle était dirigée par des bourgeois et des politiciens bourgeois. (…)

« Rébelion » contre la Révolution permanente

Le POR était fier d’éditer les déclarations de la bureaucratie de la COB :

« Notre point de vue s’est imposé à une écrasante majorité et le journal « Rébelion » de la COB défend notre position au sein du camp des travailleurs. » écrit le numéro 13 du Bulletin intérieur du POR.

« Les trois premiers numéros de « Rébelion », ceux qui ont été publiés à l’occasion du premier congrès de la COB (31 octobre 1954) ont été écrits sous la direction de M. Alandia et expriment intégralement le programme de notre direction à ce moment. Le premier numéro contient un chaleureux message du secrétaire général du POR. » (citation tirée « La révolution bolivienne, analyses et critiques, de G. Lora – 1963)

Mais que disait le journal de la COB ? Mettait-il en avant une politique révolutionnaire dont le principe de base devait nécessairement être la rupture avec Paz et l’appel à l’occupation des mines, des usines et des terres, et l’appel à prendre le pouvoir ? Au contraire « Révolte » s’identifiait avec le régime bourgeois. Il affirmait que le gouvernement MNR était le sien et qu’il devait être soutenu. Dans sa première parution, écrite sous la dictée du POR, il écrivait :
« La défaite de l’oligarchie et la naissance du gouvernement du MNR a été l’œuvre des masses travailleuses. C’est notre création. (….) Pour se maintenir, l’actuel gouvernement nécessite le soutien des travailleurs. Si les travailleurs sont vigilants, ils peuvent obtenir de grands succès. » (dans « Rébelion » du 1/05/1952)

Ils se sont non seulement livrés au MNR mais ont également rendu hommage à la mémoire d’un militaire, Gualberto Villarroel, qui avait été impliqué dans le massacre de Catavi en 1942, et qui était un dicttateur pro-impérialiste qui avait été renversé par un soulèvement populaire. (lire « Notre prolétariat rend hommage à la mémoire d’un président martyr ». (« Rébelion » du 1/05/52)

Comment une telle position pouvait–elle être celle de révolutionnaires ? Une telle orientation pouvait seulement désarmer et démobiliser la COB, lui demandant, au lieu de prendre le pouvoir, de continuer à aider un gouvernement bourgeois qui était inévitablement destiné à s’aligner sur l’impérialisme et à massacrer les travailleurs.

En juin, « Lucha Obrera » maintenait que le MNR devait remercier le POR pour l’avoir aidé à venir au pouvoir et pour son soutien. Il considérait que sa tâche était désormais de de faire pression sur le MNR pour aller vers des réformes qui pourraient bénéficier aux travailleurs et aux classes moyennes.

« Si le MNR a des remerciements à transmettre à quelqu’un, c’est certainement et indubitablement au POR (…) Le POR continuera à prendre en charge sa tâche de guide du prolétariat et de contrôle que les actions qui ont renversé un gouvernement et en a mis en place un autre qui reçoit le soutien du peuple profiteront au prolétariat et aux secteurs opprimés des classes moyennes. » (dans « Lucha Obrera » du 12/06/1952)

« Jamais auparavant n’a-t-on vu un parti comme le MNR, qui peut compter sur le soutien unanime du peuple en armes et du prolétariat, n’a pris le pouvoir et jamais, non plus, il n’a eu une telle opportunité d’adopter des mesures ayant un tel contenu révolutionnaire. Le gouvernement a fermé les yeux, ou n’a pas voulu voir cette magnifique opportunité, et a préféré tromper le prolétariat qui l’avait soutenu inconditionnellement. » (dans « Lucha Obrera » du 29/06/1952

Jamais auparavant un parti avait eu une telle opportunité de réaliser une révolution sociale, mais le MNR hésitait. Le POR s’opposait à l’idée que cette déficience provenait du caractère de classe bourgeois du MNR, mais il disait que c’était dû à un manque de capacités tactiques. Pour le POR, la tâche consistait à lui ouvrir les yeux et à lui faire voir cette magnifique opportunité. Toute la politique du POR était de type menchevik. Au lieu d’appeler les travailleurs à rejeter le MNR et à lutter pour amener la COB au pouvoir, le POR se flattait d’avoir servi le MNR et de lui servir de conseiller pour l’aider à se réformer.

Le POR soutient le gouvernement bourgeois

Neuf jours après le soulèvement du 9 avril, le POR déclarait que

« dans la mesure où celui-ci tient les promesses de son programme, le POR soutient le gouvernement qui est issu du soulèvement populaire du 9 avril. (…) Il a deux ministres ouvriers dans un gouvernement petit bourgeois, mais il est entièrement contrôlé et tenu par les décisions de la COB. » (dans « Lucha Obrera » du 18/04/1952)

Il n’existe pas de circonstances dans lesquelles le prolétariat devrait soutenir un gouvernement tenu par une fraction de ses exploiteurs. Au contraire, le but d’un parti marxiste devrait être de le contester et de le lutter pour son renversement révolutionnaire. (…)

Bien qu’en Bolivie à cette époque l’impérialisme n’ait eu aucune intention de tenter un coup d’Etat, le POR choisit de d’aider Paz et Siles, qui savaient comment user de démagogie de concert avec des réformistes comme Lechin et leurs agents au sein du POR, afin de calmer les masses, afin de se libérer de la pression de la classe ouvrière et réussir à reconstruire les forces armées de la bourgeoisie et maintenir ainsi le capitalisme semi-colonial. (…)

Croire que des ministres « rouges » dans un cabinet bourgeois pourraient avoir une politique contraire à celle du gouvernement s’est révélé une illusion réactionnaire. Au contraire, ces ministres « rouges » ont dû soutenir les décisions d’un gouvernement anti-ouvrier. Ce n’était pas la Cob qui contrôlait les ministres, mais c’était le gouvernement qui, au travers des ministres syndicalistes, contrôlait la COB.

Pendant les événements d’avril, « le Comité Central (du POR) émit une résolution sur la manière se soutenir la révolution, avançant un programme de revendications immédiates. Le point principal réclamait une lutte pour (…) un gouvernement bolivien qui obéirait aux aspirations des Boliviens ». (Bulletin intérieur numéro 13 – 1953) En mai, « Lucha Obrera » appelait à une lutte pour changer la direction du gouvernement de Victor Paz. Il réclamait « Un gouvernement bolivien qui obéirait aux souhaits des Boliviens et non aux Yankis. » « Le gouvernement petit bourgeois, sous la pression des événements politiques, a la possibilité de se transformer ou de se changer en un gouvernement Ouvrier et Paysan. » (dans « Lucha Obrera » du 25/05/1952)

Les Boliviens appartiennent à toutes les classes de la société. Un gouvernement « des Boliviens » ne peut qu’être un gouvernement aux mains de la classe dirigeante. Le POR, au lieu de se battre pour renverser le gouvernement bourgeois afin de créer un pouvoir des ouvriers et des paysans, suggérait que le MNR devrait prendre en charge le but de développer une souveraineté nationale bourgeoise et qu’il serait capable de cesser de se concilier avec l’impérialisme. S’il agissait ainsi, il serait, selon le POR, devenu un gouvernement Ouvrier et Paysan.

Pour le marxisme, le prolétariat ne peut venir au pouvoir que sur la base de la destruction de la machine d’Etat et de l’exclusion de la bourgeoisie du pouvoir. Pour le POR, les travailleurs pouvaient accéder au pouvoir en bolivianisant le régime bourgeois MNR. Le POR, suivait ainsi fidèlement les enseignements d’Aguirre et Marof, selon lesquels il fallait tenter d’aider les gouvernements nationalistes dans le but d’en changer la direction.

Le co-gouvernement

Après le succès de la révolution d’Avril, une querelle commença entre les différentes ailes du MNR à propos du partage du pouvoir. Quand Lechin se retira, protestant contre le petit nombre de postes attribués à ses amis, le leader de l’aile droite, (…) Siles, déclara : « Juan reviens, nous allons discuter (…) Tu nommes quatre ministres. » Lechin revint, nomma quatre ministres, presque au hasard. Le co-gouvernement était né. (…)

Soutenu par tous les votes du POR, la résolution de la nouvelle centrale COB déclarait : « Confirmer leur soutien et la confiance absolue de la classe ouvrière dans les camarades Juan Lechin et German Butron et la solidarité et le soutien dans leur poste de ministre. » (dans « Mouvement ouvrier et processus politique en Bolivie, Histoire de la COB 1952-1987 de Jorge Lazarte)
Le POR, après s’être lui-même identifié avec les ministres Lechinistes, leur demanda de renoncer à protester contre le retard dans la nationalisation des mines. (…) En juillet, le POR disait : « Quand la COB a été fondée, les ministres ouvriers étaient des porte-paroles des ouvriers au sein du gouvernement et des agents du gouvernement dans le camp des ouvriers. L’action des ministres ouvriers, minoritaires, est difficile. Face à cette situation, il ne leur restait pas d’autre alternative que la démission. » (Lucha Obrera du 15/07/1952)
En novembre, le POR commença à émettre une « autocritique » : « (…) au lieu de prolétariser le cabinet gouvernemental, ces ministres ont seulement réussi à ministérialiser la Centrale Ouvrière Bolivienne. » (Lucha Obrera du 29/11/1952).
Vers la fin de 1953, les dirigeants du POR présentaient un rapport qui affirmait que « Le nouveau soulèvement ouvrier provient de la revendication des travailleurs que Lechin quitte le cabinet soutenu par les syndicats de mineurs, s’appuyant sur la COB et sur Lechin. Notre fraction au sein des syndicats adopta alors une position neutre et vacillante. (…) » (Bulletin intérieur numéro 13 du POR)
Le POR admettait que ses syndicalistes s’étaient adaptés aux pressions de Lechin. La politique consistant à revendiquer la démission des ministres ouvriers était une manœuvre opportuniste. Elle ne s’accompagnait pas de la revendication que la Cob prenne le pouvoir. Quelques semaines auparavant, durant les événements clefs qui ont frustré de sa victoire en janvier le camp d’extrême gauche, le POR demandait au « camarade président » bolivien et à son gouvernement qu’ils acceptent qu’il le rejoigne. Pour ces raisons, la « nouvelle période de soulèvement » ne s’acheva pas par une victoire du POR mais par celle du MNR, qui réussit à absorber la plupart des membres et de la périphérie du POR.

Le POR cherche à entrer au gouvernement bourgeois
Pendant la révolution de 1952, il était d’une importance vitale pour tout parti marxiste (aussi peu qu’il le soit) qu’il ait une politique de totale indépendance et d’opposition claire à un nouveau gouvernement bourgeois du MNR. Non seulement, le POR fit le contraire, apporta son soutien au nouveau régime, s’identifiant complètement aux ministres « de gauche », mais il tenta même d’entrer au gouvernement. La « Quatrième internationale », lors de son troisième congrès mondial en 1951, adopta de manière unanime une ligne qui poussait le POR a rejoindre un gouvernement du MNR, et le POR avait déjà rejoint un précédent gouvernement militaire « socialiste ». (…)
« Le Pouvoir exécutif a invité le peintre révolutionnaire Alandia à prendre le poste de Ministre de la Culture (…) Le POR a autorisé ce membre de l’organisation à accepter cette invitation. » (Lucha Obrera du 1/06/1952). Alandia, qui fut jusqu’à la fin de sa vie un dirigeant du POR de Lora, avait été l’éditeur de l’organe de la bureaucratie syndicale du MNR, avant de devenir le ministre de la Culture du gouvernement.
Le militant trotskyste californien Ryan envoya une lettre au SWP et à la « Quatrième Internationale », demandant des explications avec justifications pour la participation du POR au gouvernement. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu connaissance d’une explication ou d’un démenti concernant ces faits (…) Selon le bulletin intérieur numéro 17 du SWP, « Selon ces rapports émanant de sources non-trotskystes, le POR a accepté des postes dans l’appareil gouvernemental : Guillermo Lora, qui était le secrétaire général du parti, a reçu un poste à l’Office de Stabilisation ; le camarade Moller, actuellement secrétaire général du POR, est nommé directeur de la Banque d’Epargne des Travailleurs qui est contrôlée par Juan Lechin, membre cabinet gouvernemental ; Ayala Mercado, un autre dirigeant du POR, est membre de la Commission Agraire. » (dans la deuxième lettre critique du militant Ryan du SWP)
(…) En 1952, le POR a mené une politique de participation ministérielle dans l’Etat bourgeois, en contradiction avec le bolchevisme et le trotskysme. S’il n’a pas réussi à obtenir un portefeuille ministériel mais seulement des postes de secrétaire d’Etat dans les ministères ou les départements de la bureaucratie d’Etat, c’est à cause du fait que le MNR considérait que le POR n’avait pas un poids suffisant indépendamment de la faction Lechiniste (…). Il préférait conserver le POR en dehors du gouvernement, mais subordonné à celui-ci au travers de la bureaucratie syndicale.

Le programme de collaboration du POR

Dans chaque numéro de « Lucha Obrera » après avril 1952, a été reproduit « le Programme des Exploités », qui suit ici dans son intégralité :

« 1- Empêcher la révolution commencée le 9 avril d’être étouffée par un cadre démocratique bourgeois.
2- Renforcer la classe ouvrière et consolider la COB.
3- Mobiliser la paysannerie derrière le slogan de nationalisation de la terre et expropriation des grandes propriétés sans indemnisation, afin de permettre au processus révolutionnaire d’aller jusqu’à son terme.
4- Obtenir des garanties démocratiques pour les exploités. Le développement de la démocratie syndicale au sein des organisations syndicales. Liberté de propagande pour les partis révolutionnaires. La suppression des privilèges de l’oligarchie minière contre-révolutionnaire.
5- Armer des milices ouvrières pour remplacer l’armée régulière.
6- Améliorer les conditions de vie et de travail. Respect d’un salaire minimum et d’une échelle montante des salaires. Des contrats collectifs.
7- Nationaliser les mines et les chemins de fer sans indemnisation et sous contrôle ouvrier.
8- Expulser l’impérialisme. Suppression des traités internationaux qui lient le pays à l’impérialisme. Rejet des accords d’aide technique avec les Nations Unies. » (Lucha Obrera du 25/05/1952)
Nous n’allons pas critiquer chacun de ses slogans, mais relever l’absence des slogans clefs et essentiels. Ce programme est limité et adapté au goût de l’aile Lechiniste du MNR. La bureaucratie syndicale pouvait s’accommoder de ces slogans.
Les revendications centrales complètement ignorées par la presse du POR durant ces mois étaient celles concernant l’occupation par les travailleurs des mines, des usines et de larges secteurs ; aucun soutien au nouveau gouvernement bourgeois ni à la bureaucratie syndicale de Lechin ; aucune participation ouvrière au gouvernement bourgeois ; tout le pouvoir à la COB.
Le POR parlait d’ « empêcher la révolution d’être étouffée » alors que, par leur soutien critique au gouvernement capitaliste, il était lui-même en train de l’étouffer. Il réclamait la « consolidation de la COB » mais refusait de se battre pour la plus élémentaire des tâches permettant d’aller vers ce but comme une lutte ouverte contre la bureaucratie Lechiniste, pour contester les élus MNR lors des élections, pour le rappel des élus par la base dans les meetings de masse et pour l’appel d’une conférence immédiate de la COB afin de la doter de structures de pouvoir de type soviétique afin de la préparer à prendre tout le pouvoir. (…)
Il revendiquait la nationalisation de la terre, des mines et des chemins de fer, mais ils ne revendiquaient pas qu’elle soit réalisée par les ouvriers et les paysans organisés les occupant eux-mêmes. Leur position se limitait à demander au gouvernement de réaliser ces mesures, ce qui créait des illusions dangereuses dans les masses, aidait à les démobiliser et à les maintenir dans un état de dépendance au lieu de les appeler à agir par elles-mêmes. Au lieu d’avancer l’expropriation par les travailleurs, ils ne réclamaient le contrôle ouvrier que dans les entreprises d’Etat. Les usines (Said, Soligno, etc ), les chaînes de magasins (Casa Grace, etc ) et les autres compagnies privées continuaient de fonctionner comme auparavant. Il n’y avait aucune revendication en vue de leur nationalisation (même pas avec indemnisation), ni pour le contrôle ouvrier, ni même pour des taxes plus élevées à leur égard.
Le POR demandait « la liberté de propagande pour les partis révolutionnaires ». Le pluriel de « partis » revenait déjà à reconnaître le MNR et les staliniens comme des révolutionnaires. Il aurait plutôt fallu mener une lutte pour exproprier les medias de masse et les mettre sous le contrôle des travailleurs.

Le programme collaborationniste du POR

Dans chaque parution de Lucha Obrera après avril 1952, une nouvelle version du « Programme des exploités » est reproduite, ici en intégralité :

« 1- Empêcher que la révolution débutée le 9 avril soit étranglée par la démocratie bourgeoisie
2- Renforcer la classe ouvrière et consolider la COB
3- Mobiliser la paysannerie derrière le slogan de nationalisation de la terre et expropriation des grandes sociétés privées sans compensation, afin d’assurer que le processus révolutionnaire aille jusqu’à la victoire
4- Gagner des garanties démocratiques pour les exploités. Développer la démocratie ouvrière dans les syndicats. Liberté de propagande pour tous les partis révolutionnaires. La suppression de tous les privilèges des « roscas » contre-révolutionnaires (hiérarchie d’encadrement des mineurs).
5- Substituer les milices ouvrières à l’armée régulière
6- Obtenir de meilleures conditions de vie et de travail. Un salaire minimum et une échelle de progression des salaires. Des contrats collectifs.
7- Nationaliser les mines et chemins de fer sans indemnités et sous contrôle ouvrier.
8- Expulser l’impérialisme. Supprimer les traités internationaux qui attachent le pays à l’impérialisme. Rejeter l’accord pour l’aide des Nations Unies. (dans « Lucha Obrera du 25-5-1952)
Nous n’allons pas discuter ces slogans, mais l’absence de ceux qui nous paraissent essentiels et fondamentaux. Ce programme est limité et adapté aux vues de l’aile Lechiniste du MNR. La bureaucratie syndicale pouvait parfaitement s’adapter à tous ces slogans.
Les revendications fondamentales qui sont parfaitement ignorée dans la presse du POR durant tous ces mois concernaient l’occupation des mines, des usines et des grandes entreprises, le refus de soutenir le nouveau gouvernement bourgeois ni la bureaucratie syndicale de Lechin, le refus du co-gouvernement, la démission des ministres ouvriers du gouvernement capitaliste et tout le pouvoir à la COB.
Le POR parlait d’ « empêcher que la révolution ne soit étranglée » alors qu’ils contribuaient eux-mêmes à l’étrangler avec leur soutien « critique » d’un gouvernement capitaliste. Ils revendiquaient le « renforcement de la COB » mais ils refusaient de se battre pour la plus élémentaire des tâches pour y parvenir à savoir le combat contre la bureaucratie syndicale de Lechin et du MNR, pour la réélection de tous les dirigeants par la base dans de grands meetings et pour pour une conférence nationale immédiate en vue de transformer le syndicat en organe de type soviétique en vue de l’amener à prendre la totalité du pouvoir. Le POR ne voulait pas lutter pour la transformation de la COB en direction des soviets en vue de la prise de pouvoir par les travailleurs, mais il voulait mettre la pression sur son sommet pour qu’il récite ses discours et améliore les décrets gouvernementaux.
Il appelait à la nationalisation de la terre, des mines et des chemins de fer, mais ne proposait pas qu’elle soit imposée par les ouvriers et les paysans eux-mêmes au travers d’occupations des lieux de travail. Sa position se limitait à revendiquer et à exercer des pressions sur le gouvernement afin qu’il prenne de telles mesures, ce qui créait de dangereuses illusions parmi les masses, aidait à les démobiliser et à les maintenir dans un état de dépendance vis-à-vis du gouvernement (au lieu de les appeler à réaliser ces tâches eux-mêmes). A aucun moment, ils n’ont appelé à l’expropriation de la bourgeoisie. Le contrôle ouvrier n’a été demandé que dans les entreprises d’Etat. Les usines (Said, Soligno, etc), les chaînes de magasins (Casa Grace, etc) et les autres compagnies privées continuaient de fonctionner comme avant. Il n’y avait aucune revendication en vue de leur nationalisation (même avec indemnisation), pour le contrôle ouvrier ou pour le paiement de taxes patronales.
Ils revendiquaient « la liberté de propagande pour les partis révolutionnaires ». De cette manière, le POR admettait qu’il existait d’autres partis révolutionnaires que lui-même : les staliniens et le MNR. Ce qui aurait été juste c’était de revendiquer les plus larges libertés démocratiques. En même temps, il aurait dû y avoir un combat pour l’expropriation du secteur privé dans les médias et leur prise en mains par les organisations de travailleurs et par les gens ordinaires. « La suppression de tous les privilèges des roscas contre-révolutionnaires » était réclamée. Mais que signifiait la suppression de ces privilèges ? Ce qui était nécessaire était la revendication de leur expulsion totale au travers de cours de justice du peuple pour condamner les exécuteurs et les bouchers du régime oligarchique.
Le slogan visant à l’expulsion de l’impérialisme était très vague. Il n’était pas relié à une revendication d’expulsion de toutes ses entreprises ni à un rejet de toutes les dettes étrangères. D’ailleurs, le POR lui-même répétait que, s’il parvenait au pouvoir, il tenterait de forcer les USA à le reconnaître et à établir des relations diplomatiques avec lui.
Le POR ne revendiquait même pas ce que nécessite une simple démocratie bourgeoise : une assemblée constituante souveraine dans laquelle tous les citoyens âgés de 18 ans (ou de 16 ans) aient le droit de voter et d’être élus. (…)

Le POR ne luttait pas pour l’occupation par les travailleurs de toutes les entreprises

Après les événements d’avril, les forces armées de la bourgeoisie étaient virtuellement détruites. Tout le pouvoir était aux mains des milices du peuple et des travailleurs et de la COB. Dans ces circonstances, l’étape suivante était d’appeler la COB à cesser tout soutien à un gouvernement de la classe dirigeante et à prendre tout le pouvoir entre ses propres mains.
Selon Lora, « Depuis le 9 avril, les syndicats des plus importantes régions prirent en mains la solutions de principaux problèmes, et les autorités, ainsi remplacées, n’eurent d’autre choix que d’accepter leurs décisions. Ce sont ces syndicats qui agirent comme des organes d’un pouvoir aux travailleurs, d’une dualité de pouvoir face aux autorités au niveau local ou national. Contrôlant la vie quotidienne des masses, ils prirent des décisions en occupant les attributions d’un pouvoir législatif et exécutif et parvinrent même à exercer la justice. L’assemblée syndicale était devenue l’arbitre ultime et l’autorité suprême. Cette situation était quasiment générale dans les mines et, parfois, était la même dans les entreprises. Malheureusement, cette réalité n’était pas complètement comprise par l’avant-garde du prolétariat et le moment favorable pour mettre en avant l’occupation immédiate des mines, qui aurait permis au prolétariat de faire basculer en sa faveur la question de la dualité de pouvoir, a été abandonnée. Dans la première période, les dirigeants syndicaux et les assemblées agissaient pourtant comme des organes d’un pouvoir ouvrier. »

Lora écrit : « Un des slogans du POR qui plaisait le plus aux travailleurs était l’occupation des mines. (…) Pourquoi il n’a pas été mis en avant dans l’action des travailleurs, à l’époque de leur plus grande mobilisation et radicalisation ? Si les mines avaient été occupées, et cela était possible, le cours de la révolution aurait été radicalement différent. (…) L’occupation des mines aurait soulevé, à court ou à moyen terme, la question du pouvoir et donné les bases au dépassement du programme nationaliste par la classe ouvrière. Cela aurait permis aussi ay POR d’en prendre rapidement la direction. » (dans « Contribution à l’histoire politique de la Bolivie » de Guillermo Lora Volume 2 – pages 231-232)
(…) La raison pour laquelle le POR n’a pas mis en avant ce slogan est liée à son refus d’appeler au contrôle ouvrier des entreprises privées, à la nationalisation des usines et à des revendications anti-capitalistes : il suivait Lechin et faisait pression sur le gouvernement Paz.

Tout le pouvoir à la COB !

« A travers la COB, l’aile gauche du mouvement ouvrier était un pouvoir à côté du gouvernement et, en un certain sens, plus puissant que le gouvernement lui-même. La COB avait une base plus importante que le parti dont il était officiellement un élément. Il avait proposé que le MNR assume le pouvoir et gouverne, mais la COB se positionna comme un centre rival capable de prendre des initiatives et de mettre son veto aux décisions du gouvernement. Cela signifie que la COB était en capacité de gouverner mais n’en avait pas la responsabilité. (…) En réalité, la COB était le gouvernement réel des travailleurs de Bolivie et, par conséquent, de l’économie nationale. En fait, il possédait les caractéristiques symboliques et fonctionnelles du pouvoir souverain, y compris des organes exécutif, délibératif et judiciaire et, ce qui est plus important, des forces armées. » (dans « Bolivie : la révolution inachevée » de James M. Malloy – 1989).

« La COB était le maître du pays, et, de fait, pour une certaine période, il était le seul centre d’un pouvoir digne de ce nom. Pour la majorité des masses, la COB était leur seul leader et leur seul gouvernement. » (dans « Une histoire du mouvement ouvrier bolivien » de Lora – 1963)

La situation en Bolivie après le 9-11 avril 1952 était semblable à celle de la Russie après la révolution de février 1917. Deux pouvoirs existaient dans le pays, mais le plus fort, celui aui avait un caractère de masse, était celui des organisations des travailleurs et du peuple qui, du fait de ses dirigeants conciliateurs, laissait tout le pouvoir à un gouvernement bourgeois faible. Les gouvernements de Kérensky et de Paz ont dû flirter avec l’insurrection et avec les revendications des masses en même temps qu’elles essayaient de gagner du temps pour ne pas les satisfaire et, pendant cet intervalle, pour reconstruire des forces armées et bâtir leur propre autorité, afin d’ouvrir la voie à une stabilisation du pouvoir bourgeois.
Afin de faire face à cette situation, les bolcheviks demandaient aux soviets de rompre avec le gouvernement provisoire de gauche et de prendre eux-mêmes le pouvoir. Dans le cas de la Bolivie, la revendication aurait dû être de lutter pour tout le pouvoir à la COB. La COB, tout comme les soviets russes, avait les armes et le pouvoir mais, du fait de ses dirigeants conciliateurs, laissait la place à la bourgeoisie. La prise du pouvoir, par la COB comme par les soviets, aurait pu se faire pacifiquement. L’ancien appareil militaire s’était déjà effondré sous les coups de la révolution violente. La voie était ouverte au pouvoir aux travailleurs, qui avait ses propres armes entre ses mains et pouvait disposer de la totalité du pouvoir. Le seul obstacle, pour la COB comme pour les soviets russes, pour qu’ils prennent en charge leur tâche, est que leur direction tenait avant tout à sauver la bourgeoisie.
Aux objectifs que la COB devienne le pouvoir réel dans le pays et que le POR devienne sa principale direction, la section de la quatrième internationale s’opposa au slogan : tout le pouvoir à la COB. Au contraire, il appela la COB à rejoindre le gouvernement bourgeois, affaiblissant celle-ci comme pouvoir alternatif et la transformant en un corps de plus en plus subordonné au gouvernement bourgeois. Le slogan du POR était de gauchiser l’administration Paz par des changements ministériels. Dans cette voie de trahison, le POR aida Paz et Lechin à diluer le pouvoir de la COB et à reconstituer l’Etat bourgeois et son armée.
Dans son « autocritique », Lora reconnaissait que « Le POR utilisait ces événements pour défendre le slogan d’un contrôle total du cabinet par la gauche (…) Le slogan, pourtant, révélait une énorme erreur idéologique : l’idée que les travailleurs pouvaient parvenir au pouvoir grâce à Lechin » (dans « La révolution bolivienne, une analyse critique » de Lora – 1963).
(…)

Transformer la COB en soviet !

Pour Lénine et Trotsky, la dictature révolutionnaire du prolétariat ne peut avoir comme base que des organisations du type des soviets russes de 1917. Dans chaque révolution, il est vital de lutter pour donner des formes soviétiques aux organisations de masse et aux organes de pouvoir créées par les exploités. Le soviet est un organe de lutte du prolétariat dont les délégués sont directement élus et révocables par les assemblées de base, incluant tous les travailleurs, petits patrons, paysans, soldats, ménagères, chômeurs et autres secteurs opprimés du secteur. Alors que les syndicats sont des corps qui unissent les travailleurs d’une entreprise ou d’une branche de production. Les soviets sont des organismes constitués sur la base d’un territoire qui comprend les plus larges masses, syndiqués et non-syndiqués.
Aux yeux du POR, la COB, comme un meeting de masse ou un conseil municipal ouvert, était un soviet. Tous les soviets ne sont pas des pouvoirs alternatifs. Tous les organes de dualité de pouvoir ne sont pas des soviets. Un pouvoir parallèle peut être un parlement, une armée une autre institution qui possède des forces armées et une autorité gouvernementale sur une part notable du pays.
La COB, même si elle avait des tendances soviétiques, était un organisme de type syndical avec des formes d’organisation verticales et bureaucratiques. « Une des plus graves erreurs dans l’organisation de la COB provenait de ses sommets, ses leaders se révélant rapidement complètement liés au gouvernement petit-bourgeois. » (La révolution bolivienne » de Guillermo Lora) (…)
Les délégués de la COB n’étaient ni élus ni contrôlés par la base et ne pouvaient pas être révoqués par des meetings de masse. Le premier congrès de la COB eut lieu un an et demi après sa fondation. La direction syndicale fit tout son possible pour diriger les syndicats sur des critères patronaux de type bureaucratique. Un parti révolutionnaire aurait dû lutter pour l’organisation immédiate d’un congrès quelques jours ou quelques semaines après sa fondation. C’est seulement ainsi que la COB aurait pu être démocratisée et acquérir des formes d’organisation de type soviétique. Cependant, le POR était un des dirigeants de la COB et n’avait pas d’objection contre la structure bureaucratique, ce qui lui permettait d’avoir de bonnes relations avec Lechin afin de s’entendre avec lui.
La COB avait été fondée dans un meeting appelé par la Fédération des Mineurs le 17 avril 1952. Les dirigeants des confédérations des travailleurs d’usines, des chemins de fer et des paysans, des banques et des branches alliées, des employés commerciaux et industriels, de la construction, des boulangers … prirent part à cette assemblée. (d’après « Mouvement ouvrier et processus politique en Bolivie » de Jorge Lazarte) (…)
La dualité de pouvoir ne peut durer longtemps. L’un des pouvoirs doit l’emporter sur l’autre. Si le pouvoir ouvrier n’écrase pas celui de la bourgeoisie, alors ce dernier s’imposera finalement (si nécessaire au travers d’un écrasement sanglant et d’un enrégimentement et d’une domestication). (…)

Le gouvernement MNR-POR

Dans son congrès de 1952, la Quatrième Internationale adopta à l’unanimité le slogan de gouvernement MNR-POR. Après avril 1952, le POR tenta d’appliquer cette recette en la changeant légèrement. Il demandait le départ de l’aile de droite du MNR.

« Le gouvernement ouvrier et paysan n’est pas la dictature du prolétariat. Il est en transition vers lui le parti politique de la classe ouvrière n’étant pas encore une majorité de celle-ci. (…) Le gouvernement ouvrier et paysan émergera sûrement avant la dictature du prolétariat en Bolivie, sur la base fondamentale de deux importantes forces politiques : le POR et l’aile gauche du MNR (…) » (Bulletin intérieur n°13 du POR)
Cette notion de gouvernement ouvrier et paysan ressemble d’avantage à celle du stalinisme qu’au léninisme-trotskysme. Dans une période récente, le stalinisme parlait aussi de gouvernement ouvrier et paysan, mais dans un autre sens, celui d’une étape historique. Il proposait de subordonner les objectifs du prolétariat à ceux du programme démocratique de la petite-bourgeoisie des villes et des campagnes. C’est pour cette raison que Trotsky était opposé à l’utilisation de ce slogan à ce moment et il ne l’acceptait qu’au sens de la dictature du prolétariat et de la paysannerie pauvre dirigée par le prolétariat pour appliquer un programme socialiste.
Les idées centristes de la Quatrième internationale et du POR consistaient en un gouvernement conjoint avec la petite bourgeoisie dans lequel le POR serait le représentant de la classe ouvrière. Mais le MNR ne représentait pas la paysannerie (et encore moins les paysans pauvres ni le secteur des sans-terre) et le MNR n’a jamais tenté d’organiser cette classe ni de placer à sa tête certains des leaders de cette classe en majorité dans le pays. Le MNR était indiscutablement un parti bourgeois. Ses membres provenaient d’anciens partis capitalistes ou issus des caciques qui avaient présidé des gouvernements anti-ouvriers. Paz avait été gouverneur de la banque centrale et ministre des finances dans deux gouvernements au service des patrons. Le MNR avait sympathisé avec le parti nazi d’Hitler qui avait massacré le mouvement ouvrier le plus important du monde. Quand les membres du MNR étaient au gouvernement, ils ont mis en place la dictature pro-impérialiste qui a été renversée par l’insurrection populaire.

« En vue de la résolution des tâches nationales élémentaires, non seulement la grande bourgeoisie mais également la petite bourgeoisie ont été incapables de fournir une force politique, un parti ou une fraction avec lequel le parti du prolétariat aurait pu mener la lutte pour la révolution démocratique bourgeoise. » (extrait du texte de Trotsky intitulé « La troisième internationale après Lénine »).
Le prolétariat ne doit pas dissoudre son programme dans celui de la bourgeoisie, petite, moyenne et grande. Sous le programme de la bourgeoisie, il est impossible de rompre avec l’impérialisme et le sous-développement. La seule manière de résoudre les tâches démocratiques bourgeoisies est de les réaliser au travers de la révolution socialiste qui mènera des tâches bourgeoises non réalisées à l’expropriation de la bourgeoisie et à la mise en place d’une économie socialisée et planifiée et à l’internationalisation de la révolution.
Durant ses 55 années d’existence, le POR n’a jamais mis en avant la stratégie de la révolution socialiste internationaliste. Il est né en appelant à une révolution anti-impérialiste et agraire en vue de la mise en place d’un gouvernement multi-classiste et capitaliste qui aurait pu être mis en place par un coup d’état militaire ou par une métamorphose d’un gouvernement bourgeois. Ensuite, avec le programme de Pulacayo, il mit en avant une révolution démocratique bourgeoise conduite par le prolétariat. (…)
L’Internationale Communiste affirmait pourtant : « Dans certaines circonstances, les communistes doivent se déclarer prêts à former un gouvernement des travailleurs avec des partis des travailleurs non communistes et des organisation de travailleurs. Mais ils ne peuvent le faire que s’ils ont des garanties que le gouvernement des travailleurs conduira réellement la lutte contre la bourgeoisie dans le sens suivant : armement du prolétariat, désarmement des formations militaires de la bourgeoisie et des organisations contre-révolutionnaires, introduction du contrôle ouvrier sur la production, transfert de l’essentiel des impôts sur la bourgeoisie et destruction de toute tentative contre-révolutionnaire de la bourgeoisie. »
Ainsi, le gouvernement MNR, à quelque aile de ce parti qu’on se réfère, ne répondait à aucune de ces conditions. Le MNR était un parti représentant une bourgeoisie émergente. Loin de vouloir s’exproprier et se désarmer elle-même, c’est-à-dire de se suicider, la bourgeoisie du MNR aspirait à renforcer l’Etat et à réaliser des réformes pour étendre le marché intérieur. Un gouvernmeent du MNR, avec une ou plusieurs ailes de ce parti, ne pouvait qu’être un gouvernement de défense des intérêts de la bourgeoisie et de son Etat, même si ce gouvernement était décoré par la présence de quelques travailleurs.

Tout le pouvoir à l’aile gauche du MNR !

« Quand la lutte dans le cabinet gouvernemental entre les tendances de droite et de gauche du MNR devint ouverte (cette deuxième tendance étant représentée par des travailleurs qui étaient la base du Lechinisme), le POR mit en avant le slogan d’obtenir d’avantage de « ministres ouvriers » et, en même temps, l’expulsion du gouvernement des ministres de droite, une revendication qui allait se révéler beaucoup trop radicale pour Lechin et compagnie. » (dans « Contribution à l’histoire politique de la Bolivie » par Guillermo Lora, volume 2)
Dans sa neuvième conférence, le POR confirma sa ligne s’identifiant avec celle du réformisme nationaliste de gauche de Lechin et Nuflo Chavez.
« Le rapport de politique intérieure a fixé la position du POR par rapport au gouvernement dans les points suivants : 1- soutien au gouvernement face aux attaques de l’impérialisme et des rosca. 2- Soutien à toutes les mesures progressives qu’il entreprend, en soulignant toujours leur portée et leurs limites. (…) 3- Dans la lutte des ailes du MNR, le POR soutient l’aile gauche. (…) Le POR soutiendra la gauche du MNR dans sa lutte contre la droite du parti, dans toutes ses activités tendant à détruire les structures sur lesquelles repose l’exploitation féodale, bourgeoise et impérialiste, toute tentative d’approfondir la révolution et de mettre en pratique le programme des travailleurs, ainsi que toute tentative de contrôle du gouvernement par l’aile gauche. » (Lucha Obrera du 11/11/1952)
Dans ce même journal, on peut lire également : « La classe ouvrière doit intervenir activement dans la formation du cabinet gouvernemental. Ce sont les travailleurs qui doivent diriger l’Etat avec un programme révolutionnaire qui doit commencer la destruction de la structure capitaliste. La COB représentant aussi les travailleurs des campagnes doivent rejoindre le cabinet gouvernemental, disposer d’une majorité de ministres représentant les divers groupes de la classe ouvrière. »
Le MNR est clairement un parti bourgeois. Comme dans tout parti bourgeois populiste qui essaie de discipliner les syndicats, il y a toujours une aile travailliste qui essaie de jouer les tampons entre les revendications des travailleurs et les nécessités de la politique bourgeoise. Un parti de plusieurs classes sociales ne peut pas exister. Celui qui commande est celui qui possède le capital Le cheval et le cavalier ne sont pas dans une relation égalitaire. L’un monte sur l’autre. La bureaucratie syndicale et l’aile réformiste sont la selle. Ils mentent au prolétariat pour permettre à la classe capitaliste de continuer à diriger la société.
L’aile « gauche » du MNR n’est pas une iale prolétarienne ni révolutionnaire. Elle se revendique d’un programme bourgeois et sa participation au clan de la bourgeoisie est contre-révolutionnaire. Bien sûr, il reste possible que des fractions de la jeunesse ou de la classe ouvrière liées à cette aile du mouvement nationaliste passent du centrisme à une position plus à gauche, que ses préjugés puissent être combattus au point qu’ils soient gagnés à une politique trotskyste. Par contre, une bureaucratie, ayant derrière elle une longue carrière de trahisons, qui a servi une dictature comme celle de Villaroel et qui a soutenu un parti anti-communiste, qui ne se cachait pas au début de flirter avec le racisme et ne nazisme, ne peut pas évoluer vers une positon révolutionnaire.
L’aile « gauche » de Lechin et Chavez a défendu le capitalisme et seulement voulu le réformer. Le MNR avait besoin d’eux pour contrôler les masses. Avec le bras droit, il a commencé la réorganisation des forces armées, mis en place des commandos paramilitaires et une police secrète, développé une campagne anti-communiste pour mobiliser la petite bourgeoisie contre « les excès » du prolétariat et exercé des pressions pour un rapprochement de l’impérialisme. Grâce à son bras gauche, il tenta de flirter avec le radicalisme de la classe laborieuse en vue de l’encadrer. Les syndicalistes du MNR, en même temps qu’ils proféraient les discours les plus enflammés, faisaient tout leur possible pour en tirer plus d’influence sur la mobilisation de la COB et ses revendications de manière à désamorcer sa signification de double pouvoir et la transformer en une force pouvant collaborer avec le régime bourgeois.
Face à une lutte entre deux ailes d’un parti bourgeois, le prolétariat devrait assurer son indépendance de classe et son opposition aux deux ailes. (…)
Cependant, le POR n’a pas fait que servir le lechinisme. Il éditait son journal syndical. Il écrivait ses discours et le soutenait entièrement. (…) Depuis les premières semaines de la révolution de 1952 jusqu’à la fin de 1953 au moins, « le POR travaille de telle sorte que les masses et l’aile gauche du parti au gouvernement parviennent à la conclusion logique, c’est-à-dire évoluent vers un gouvernement ouvrier et paysan. L’évolution vers la gauche du gouvernement et, en conséquence, cette transformation sera déterminée par les exploités. Du fait de la pression des circonstances politiques, le gouvernement petit bourgeois peut se transformer en un gouvernement ouvrier et paysan. C’est la tendance la plus probable dans ce moment instable. »

Suite à venir ….

Nahuel Moreno

Un document scandaleux

V. Les stratégies décennales

4. Une conséquence tragique : la Bolivie en 1952-55.

Si un jeune trotskyste essaie d’étudier l’histoire de notre mouvement faite par le camarade Frank, il aura des difficultés presque insurmontables pour savoir quelle fut notre orientation en Bolivie. Bien que notre action y ait été la plus importante de notre Internationale pendant des années (avec Ceylan), selon les déclarations mêmes de Pablo et ses amis, un secret jalousement gardé entoure son histoire. On dirait qu’une section importante comme celle de la Bolivie n’a jamais existé.

La raison de cette conspiration du silence est très simple : il y eut en Bolivie la plus grande, la plus parfaite, la plus classique révolution ouvrière de notre époque. Elle eut une forte influence dans notre Internationale et il s’y est exprimé, dans sa forme la plus claire, le terrible danger que comporte la « stratégie » de l’entrisme « sui generis ». Mais assez de qualificatifs, voyons les faits.

L’échec du nationalisme bourgeois

La Bolivie connaissait une situation analogue à celle de l’Argentine péroniste mais sans les bases économiques qui permirent l’épanouissement du péronisme. La Bolivie est un pays très pauvre avec un prolétariat minier très fort et concentré à Oruro et La Paz, un prolétariat industriel et une petite bourgeoisie presque totalement concentrés dans la ville la plus importante, La Paz.

La tentative par la bourgeoisie d’instaurer un gouvernement bonapartiste militaire, soutenu par le mouvement ouvrier afin de résister aux pressions américaines, comme cela s’était fait en Argentine avec le péronisme, échoua du fait de la condition misérable de l’économie bolivienne. En Argentine, ce projet bourgeois eut le vent en poupe grâce à son exceptionnelle place commerciale et financière (la 3ème place mondiale dans l’après-guerre), et Peron put faire de grandes concessions économiques aux masses et acquérir ainsi un grand prestige à leurs yeux. En Bolivie, par contre, la situation économique déplorable enleva toute marge de manœuvre au gouvernement bourgeois et celui-ci ne put pas faire de grandes concessions. La croissance du prestige du trotskysme fut massive et fulgurante.

Le trotskysme gagne une influence de masse

Les trotskystes boliviens devinrent ainsi une direction d’un grand prestige politique dans le mouvement ouvrier et des masses boliviennes, sans réussir toutefois à consolider cette influence au niveau organisationnel - les organes officiels de notre Internationale l’ont reconnu plusieurs fois - et notre influence se refléta dans les faits mêmes de la lutte de classes. Les fameuses Thèses de Pulacayo, la base programmatique du mouvement syndical bolivien, en sont un bon exemple : En no­vembre 46, à Pulacayo (une ville minière), se réunirent les délégués de toutes les mines de Bolivie, qui adoptèrent à l’unanimité les thèses élaborées par les trotskystes, rejetant celles du MNR et des staliniens. Ces thèses, qui s’intitulaient « Programme de revendications transitoires », avançaient parmi d’autres ces positions : 1) salaire minimum vital et échelle mobile des salaires 2) semaine de 40 heures et échelle mobile des heures de travail 3) occupation des mines 4) contrat collectif 5) indépendance syndicale 6) contrôle ouvrier des mines 7) armement des travailleurs 8) caisse de grève 9) réglementation des aliments de base 10) suppression du travail contractuel. Ce programme, et particulièrement la partie concernant l’armement du prolétariat dans des milices ouvrières, fut popularisé massivement par le trotskysme et l’organisation syndicale des mineurs pendant six ans, jusqu’à la révolution de 52.

Après cette fantastique victoire trotskyste parmi les mineurs, un bloc ou front ouvrier se constitua pour la présentation de candidats aux élections. Alors que 90% de la population bolivienne ne votait pas à ce moment-là (seuls pouvaient voter ceux qui savaient lire et écrire), le bloc ouvrier gagna dans les districts miniers et obtint un sénateur et 5 députés. Le plus grand leader trotskyste, Guillermo Lora, fit avec d’autres camarades une violente utilisation du parlement bourgeois en attaquant l’armée et en préconisant la nécessité de la détruire et d’imposer les milices ouvrières.

La révolution bolivienne

En 51, il y eut des élections présidentielles et le MNR les gagna, mais il ne put pas accéder au gouvernement, car face à cette victoire les militaires firent un coup d’Etat et instaurèrent un régime dictatorial, extrêmement répressif. Le 9 avril 1952, la police et un secteur de l’armée, en accord avec la direction du MNR tentèrent un contrecoup d’Etat, mais ils échouèrent et leur chef militaire se réfugia dans une ambassade. La police, se voyant vaincue par les militaires, remit des armes aux travailleurs des usines et au peuple de La Paz, pour qu’ils résistent à la contre-offensive militaire. Pendant ce temps, les mineurs commencèrent à descendre sur La Paz et, après s’être emparés d’un train militaire plein d’armements, ils liquidèrent totalement l’armée bolivienne. A La Paz, par exemple, les travailleurs battirent totalement 7 régiments (la base de l’armée bolivienne) et prirent toutes les armes. Le gouvernement dictatorial tomba et un gouvernement du MNR prit sa place.

Les milices ouvrières et paysannes étaient les seules forces armées en Bolivie après le 11 avril 1952 et elles étaient dirigées, en majeure partie, par les trotskystes. Ce n’est que le 24 juillet, plus de 3 mois après, que le gouvernement décréta la réorganisation de l’armée.

Nos camarades trotskystes, en s’appuyant sur les milices armées ouvrières et paysannes - entre 50 et 100 000 hommes (les milices paysannes à elles seules en avaient 25 000) - et sur les organisations syndicales fondèrent et organisèrent la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB), qui regroupa toutes les milices et toutes les organisations ouvrières et paysannes de Bolivie.

Le mot d’ordre de Pablo : « Tout le pouvoir au MNR ! »

Face à cette situation, unique dans ce siècle - une révolution qui liquide l’armée bourgeoise et organise sa propre armée prolétarienne, avec une direction et un programme trotskyste -, que font Pablo et ses amis ? Ils appliquèrent une de leurs tactiques décennales : l’entrisme. Cette ligne était imposée à l’échelle mondiale, et là où il n’y avait pas de parti stalinien, on le remplaçait par des partis socialistes ou bourgeois nationalistes, puisque c’est d’eux que naîtraient les tendances centristes qui allaient diriger la révolution. Voici les prévisions de Pablo et ses amis en 51 :

« Par ailleurs, en cas de mobilisation des masses sous l’impulsion ou l’influence prépondérante du MNR, notre section doit soutenir de toutes ses forces le mouvement, ne pas s’abstenir mais au contraire intervenir énergiquement en vue de l’amener le plus loin possible, y compris jusqu’à la prise du pouvoir par le MNR, sur la base du programme progres­siste de front unique anti-impérialiste. » (3°Congrès de la IVème Internationale : tâches générales et spécifiques du mouvement prolétarien marxiste révolutionnaire en Amérique latine, QI août 51) [*].

Pas un seul mot sur le mouvement ouvrier et ses organisations de classe, les syndicats et les futures milices et soviets ! Le camarade Pablo proposait cela tout en définissant le MNR comme un parti de la basse bourgeoisie minière, c’est-à-dire comme un parti bourgeois. Donc, selon Pablo, nous ne devions pas utiliser les mobilisations pour démasquer le MNR, pour dénoncer son rôle inévitable, en dernière instance, d’agent de l’impérialisme. Nous ne devions pas lui opposer les organisations de classe, les futures milices ou soviets. Au contraire, nous devions le pousser à « prendre le pouvoir ». Et il déguisait cette capitulation devant un parti nationaliste bourgeois derrière le programme du front unique anti-impérialiste.

En réalité, cette politique allait directement contre la tactique de front unique anti-impérialiste. La base fondamentale de cette tactique consiste à proposer des actions communes qui démasquent les hésitations et les trahisons de bourgeoisies nationalistes ; et son objectif est de gagner l’indépendance politique du mouvement ouvrier par rapport à ces directions bourgeoises. L’autre face, encore plus grave, de cette dénaturation de la tactique de front unique anti-impérialiste est le renoncement à la lutte pour l’organisation et la politique indépendante des travailleurs. Pablo proposait au mouvement ouvrier de suivre un parti bourgeois, ce qui est exactement le contraire de l’objectif de cette tactique.

La capitulation totale : "gouvernement commun" du MNR et des trotskystes

Cette capitulation totale, exprimée dans un autre paragraphe de la résolution, dégage une odeur nauséabonde :

« Si contradictoirement, dans le cours de ces mobilisations des masses, notre section constate qu’elle dispute au MNR son influence sur les masses révolutionnaires, elle avancera le mot d’ordre de gouvernement ouvrier et paysan commun aux deux partis, toujours sur la base du même programme, gouvernement s’appuyant sur les comités ouvriers et paysans et sur les éléments révolutionnaires de la petite bourgeoisie. » (id.p.56).

Autrement dit, si nous commençons à battre le MNR à la tête du mouvement des masses, nous n’avons pas à mener cette tâche jusqu’au bout mais nous devons proposer un gouvernement partagé entre le MNR et nous. Ce gouvernement en toute logique ne devait pas être celui des comités ouvriers et paysans, puisqu’il devait « s’appuyer » sur eux.

Pour arriver à une telle position, Pablo a dû réviser la position léniniste sur le gouvernement ouvrier et paysan. Lénine était d’accord pour impulser la prise du gouvernement par les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires (quand le parti révolutionnaire n’avait pas encore les forces pour le faire), mais il affirma catégoriquement que l’on ne doit jamais faire un gouvernement commun (et il n’entra pas dans le gouvernement kérenskyste des mencheviks et socialistes-révolutionnaires). L’essence de la position léniniste était de se maintenir hors du gouvernement justement pour rester la seule alternative quand le réformisme serait démasqué aux yeux des masses par la démonstration de son impuissance au pouvoir.

Le soutien d’un gouvernement bourgeois qui n’avait ni armée ni police

Si en tant que ligne politique, l’orientation de Pablo et ses amis fut révisionniste et capitulatrice, en tant que prévision des événements, elle fut catastrophique. La révolution de 52 ne suivit aucun des schémas qu’ils avaient prévu en 51, au contraire. La classe ouvrière, à travers ses organisations de classe, les syndicats et les milices, liquida le régime militaire. Mais, comme toujours, même si la réalité est autre que prévue, Pablo poursuit sa stratégie. Et c’est alors que la direction du mouvement ouvrier bolivien (les trotskystes, qui faisaient ce que Pablo leur ordonnait, en première ligne) mit le MNR bourgeois au pouvoir et lui donna son soutien critique.

Nous insistons : Pablo et ses amis ont soutenu en Bolivie un gouvernement bourgeois qui n’avait ni police ni armée pour le maintenir, parce qu’ils avaient adopté cette stratégie à long terme au Congrès de 51. Pour preuve, voici ce que disait après avril 52 notre section bolivienne, directement contrôlée par Pablo et ses amis :

« Dans le moment présent, notre tactique consiste à regrouper nos forces en soudant le prolétariat et les paysans en un bloc pour défendre un gouvernement qui n’est pas le nôtre. » « Loin de lancer le mot d’ordre de renversement du régime de Paz Estenssoro, nous le soutenons pour qu’il résiste à l’attaque de la "rosca" » « Cette attitude se manifeste d’abord comme pression sur le gouvernement pour qu’il réalise les aspirations les plus vitales des ouvriers et des paysans. » (X° Conférence du POR, 10-6-53, cité par L. Justo, "La revolución derrotada").

Un an de révolution : notre mot d’ordre était « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », celui de Pablo... « Soutien critique au MNR ! »

Alors que nous défendions en Bolivie le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB et aux milices armées », les camarades Frank et Germain, sans aucune honte disaient ceci, un an après la révolution de 52, dans QI :

« Le POR commença par un soutien juste mais critique au gouvernement du MNR. Cela veut dire qu’il évita de lancer le mot d’ordre « A bas le gouvernement du MNR », il le soutint critiquement contre toute attaque de la part de l’impérialisme et de la réaction, ainsi que pour toute mesure progressiste. » (QI, avril 53, p .25).

Entre parenthèses, nous ne voyons pas la relation entre ne pas lancer le mot d’ordre immédiat de « A bas le gouvernement » et le soutien critique, puisque nous pouvons ne pas le lancer sans que cela signifie soutenir le gouvernement, ni de manière critique ni autrement.

En juillet 53, la revue officielle de notre Internationale, Quatrième Internationale, dans son édition espagnole (supervisée à la virgule près par Pablo et ses amis), faisait de la situation bolivienne le tableau suivant :

« L’organisation des milices ouvrières s’amplifie parallèlement à celle des masses paysannes... » « Le régime a évolué en effet vers une espèce de « kérenskysme » très avancé, beaucoup plus accentué que celui de Mossadegh en Iran, par exemple. » (p.74).

Et dans cette situation de « kérenskysme avancé », nous continuions à ne pas lancer le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB et à ses milices ».

Deux ans de révolution : « Tout le pouvoir à la gauche du MNR », « Défense armée du gouvernement de Paz Estenssoro ! »

Un an de plus passa - deux depuis la révolution - et le IV° Congrès de l’Internationale se réunit. Pablo et ses amis y poursuivirent leur stratégie décennale, ils ne perdirent en rien leur goût profond pour les organisations non prolétariennes et pour les tendances centristes et continuèrent à refuser d’appeler la COB, l’organisation ouvrière par excellence, à prendre le pouvoir. Ils avaient trouvé une autre organisation centriste digne de leur « soutien critique » : la gauche du MNR.

« En Bolivie, le tournant à droite et réactionnaire de la politique du MNR, cédant à la pression de l’impérialisme et à la réaction indigène, rend plus impérieuse que jamais une franche dénonciation de ce tournant par le POR, qui doit enlever toute sa confiance à ce gouvernement, comme aux ministres ouvriers, en appelant constamment la COB et en travaillant systématiquement en son sein afin d’appliquer une véritable politique de classe indépendante du MNR et d’engager la centrale dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan ; la campagne systématique pour cette perspective, ainsi que pour le programme d’un tel gouvernement, la campagne pour des élections générales, avec droit de vote pour tous les hommes et les femmes de plus de 18 ans, pour élire une assemblée constituante et la présentation de listes ouvrières de la COB à ces élections. Cette politique est la seule qui puisse provoquer une différenciation au sein du MNR et obliger son aile gauche très diffuse et désorganisée à rompre définitivement avec la droite et avec ses dirigeants « ouvriers » bureaucratisés, et à s’engager dans la voie du gouvernement ouvrier et paysan. » (Résolution du IVème Congrès, QI juin 54, p.54).

La ligne aurait été parfaite, avec une modification : pour garantir tout cela (constituante, élections, etc.), il faut que la COB prenne le pouvoir. Mais Pablo et ses amis ne le disaient pas. Qui allaient donc appeler à cette constituante ? Si ce n’était pas la COB au pouvoir, il ne restait que le gouvernement de Paz Estenssoro ou un prétendu gouvernement de la gauche du MNR. Cette ligne confirmait celle que s’était donnée la section bolivienne un an plutôt, exprimée dans un manifeste publié le 23 juin 53, avec la bénédiction de Pablo et ses amis.

« La menace de conspiration réactionnaire est devenue permanente... par conséquent nous devons... défendre le gouvernement actuel... par la... défense armée du gouvernement ».

Bien que cela paraisse incroyable, c’est bien du gouvernement bourgeois qu’il s’agit, du gouvernement bourgeois de Paz Estenssoro. Peut-être que le danger de « conspiration réactionnaire » justifiait le fait de ne pas avancer momentanément le mot d’ordre de « Tout le pouvoir à la COB » et de le remplacer par le mot d’ordre décisif de « Front ouvrier contre la réaction ». Mais la stratégie consistant à ce que la COB prenne le pouvoir restait en vigueur, et en aucun cas on ne pouvait avancer le mot d’ordre de « défense » d’un gouvernement bourgeois. Cependant, quel était le mot d’ordre de pouvoir par lequel se terminait ce manifeste ?

« Toute cette lutte doit tourner autour du mot d’ordre « Contrôle total de l’Etat par l’aile gauche du MNR ! ». » (BI du POR, mai 56, p .262, dans "La revolucion derrotada").

Quatre ans de révolution : nos positions triomphent mais il est trop tard

Le temps passa et la gauche du MNR échoua. Ainsi, quatre ans après la révolution, alors que l’armée avait réussi à se restructurer, étant donné que l’on ne pouvait plus faire confiance au MNR - comme au début - ou en son aile gauche - comme ensuite - Pablo et ses amis adoptèrent la ligne pour laquelle notre parti avait lutté systématiquement depuis le début. Dans une résolution du CE du POR bolivien de mai 56, enfin (mais trop tard) il est dit :

« En renforçant et en développant tous les organes de double pouvoir, face aux conflits avec le gouvernement, avec la bourgeoisie, l’oligarchie et l’impérialisme, face au parlement et aux tentatives du gouvernement Siles pour prendre de l’influence dans les syndicats, nous impulserons la tendance des masses en lançant : « Que la COB règle tous les problèmes ! » et « Tout le pouvoir à la COB ! ». »

Enfin, ils se rendaient compte de ce que nous répétions depuis des années. C’était une victoire, tardive, de notre lutte et de notre polémique. La capitulation de Pablo et ses amis était découverte, les terribles dangers qui nous guettaient derrière les fameuses « tactiques » à long terme, basées sur des hypothèses concernant l’avenir et non la réalité présente, étaient mis en lumière.

[*] Le délégué du SWP (Clark) vota pour cette résolution. D’autres résolutions de la même teneur furent votées par le SWP. En laissant de côté le fait que Clark rompit avec le SWP pour soutenir Pablo, l’important est que le SWP soutint et contribua à construire le Comité International de la IV. Le SWP soutenait ainsi implicitement et explicitement la bataille menée par notre parti et le SLATO (l’organisation du Comité International pour l’Amérique latine) contre cette ligne en Bolivie.

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