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En philosophie des sciences, on en revient toujours à Zénon… mais l’effet Zénon existe-t-il en sciences ?

mercredi 17 avril 2013, par Robert Paris

En philosophie des sciences, on en revient toujours à Zénon… mais l’effet Zénon existe-t-il en sciences ?

Einstein a montré que la matière est énergie. La physique quantique a montré que la matière et la lumière ont une unité qui repose dans leur fondement qui est le vide quantique. Les quanta sont la base unique de l’univers, la clef de l’unification des phénomènes, expliquant que la lumière puisse se transformer en matière, la matière en lumière, et les deux disparaitre brutalement dans le vide ou y apparaitre. La science moderne considère donc que la matière, la lumière, le mouvement, les changements d’état ne sont pas de choses différentes mais des formes de la même chose, le vide quantique. C’est une idée proche de celle que défendaient deux philosophes de la Grèce antique, Parménide et Zénon et qui allait contre les idées intuitives les plus courantes, à leur époque comme à la nôtre, car le mode de raisonnement courant et les apparences vont à l’encontre de cette idée. Que les objets possédant une masse n’aient pas plus de réalité matérielle que la lumière ou que le vide n’a rien d’intuitif et que le mouvement soit aussi discontinu que le changement d’état non plus. Que tous ces phénomènes ne soient que des formes d’organisation, des structurations émergentes au sein du même monde n’est pas non plus quelque chose qui saut e aux yeux.

Ce qui a permis à ces deux philosophes grecs de concevoir une telle idée, sans grande connaissances sur la matière, la lumière ou le vide quantique, c’est le raisonnement sur les contradictions entre matière, espace, temps et mouvement. La seule connaissance dont disposaient les penseurs de l’époque était la mathématique naissante, géométrie et algèbre qui les amenait à une conception du continu (continuité des nombres et continuité des segments, droites et courbes) et la philosophie de la matière, tout particulièrement l’atomistique grecque purement théorique, qui les amenait à une conception du discontinu de la matière. Divergence philosophique fondamentale donc entre un univers matériel conçu comme continuum et les objets considérés comme discontinus. Le but de Zénon et Parménide étant de montrer qu’il y a un seul monde, ils ont cherché des exemples prouvant que cette conception rendait impossible la compréhension des faits. Pour cela, ils ont cherché le point où ces deux mondes se rencontraient : le mouvement du corps matériel dans l’espace. Et ils ont montré que, si les auteurs avaient eu raison, le mouvement matériel serait impossible.

Pour étayer le point de vue de Parménide, le philosophe de la Grèce antique Zénon (septième siècle avant J.-C.) a choisi dans ses paradoxes de développer la question que pose au monde notre conception du mouvement, celle d’un déplacement d’un corps qui resterait identique à lui-même se déplaçant dans un espace qui resterait inchangé lors de ce mouvement en supposant que ce mouvement soit parfaitement continu.

Leur idée est simple : si le parcours du mouvement d’un corps dans le vide (discontinuité) peut être subdivisé à l’infini (continuité), il n’y a plus du tout de mouvement. C’est ce que l’on appelle l’effet Zénon.

Un « effet Zénon » est donc un phénomène dans lequel le mouvement devient impossible parce que le temps y est sans cesse découpé en intervalles. Nous allons examiner les arguments de Zénon pour prouver que, dans ce cas, il ne peut y avoir mouvement et nous verrons que la physique donne de nombreux exemple d’effets Zénon dans de nombreuses disciplines.

Le physicien Valerio Scarani explique ainsi dans "Initiation à la physique quantique, la matière et ses phénomènes" :

« En 1977, Misra et Sudarshan ont étudié ce qui se passerait dans l’hypothèse où les intervalles de temps entre observations répétées portant sur un même système instable – atome excité ou noyau instable – deviennent plus courts, jusqu’à ce que ces observations puissent à la limite être assimilées à une observation continue. Ils ont établi un résultat surprenant : lorsque l’intervalle de temps tend vers zéro, le formalisme quantique mène à la conclusion que l’atome ne pourra quitter son niveau excité, ni le noyau instable se décomposer. C’est ce qu’ils ont appelé « le paradoxe de Zénon de la mécanique quantique ». Une observation continue est assurément une idéalisation : toute observation prend un temps fini. Mais la mesure telle que la mécanique quantique l’a définit correspond elle aussi à une idéalisation. (…) Nous ne croyons pas que le paradoxe du chat de Schrödinger et celui de Zénon renvoient seulement à des problèmes d’interprétation. (...) Ainsi la dynamique classique mettait en scène des interactions instantanées alors que, selon la relativité, ces interactions se propagent à une vitesse finie. (…) Nous aboutissons à des prévisions nouvelles qui concernent le « paradoxe de Zénon » et les niveaux caractérisés par un temps de vie fini. (…) C’est l’événement quantique caractérisé par un temps de vie, et non l’ "acte d’observation" , qui brise la superposition quantique. »

Zénon est un des philosophes de la Grèce antique qui s’est intéressé à la philosophie de la science et qui a tenté, au travers de ses paradoxes, de contredire la vision dominante de son époque et de défendre celle de Parménide, celle d’un monde unique.

Parménide et Zénon ne connaissaient pas, bien entendu, la plus grande part de nos connaissances actuelles en sciences et pourtant leurs questionnements restent riches de réflexions fondamentales pour les scientifiques d’aujourd’hui.

Ces deux philosophes discutaient essentiellement sur les contradictions : entre matière et vide, entre mouvement et repos, entre continuité et discontinuité, entre unicité et pluralité, entre unité et diversité, entre élémentarité et composition d’ensembles non élémentaires. Ils se demandaient si le monde était un tout ou s’il était comme un jeu de construction avec des éléments emboités. Ils optaient pour une conception globale plutôt que réductionniste. Ils se demandaient si le fait de diviser le monde en parties n’était pas une source d’embrouilles plus qu’un éclairage sur le fonctionnement du monde.

Zénon montre par exemple qu’une contradiction entre matière et vide est posée par la question du mouvement. En effet, le fait que la matière se déplace dans le vide nécessite que la matière soit elle-même constituée de… vide !

Zénon explique en effet qu’un objet matériel qui se déplace doit, pour y parvenir, trouver à ses côtés un espace vide qu’il pourra occuper. Il faut donc qu’il soit entouré de vides. Mais, s’il s’agit d’un objet composite, lui-même formé d’autres morceaux, quand il se déplace, il faudra que chacune de ses parties se déplace aussi et, pour cela, il faudra qu’elle trouve à ses côtés un espace vide à occuper. Cela suppose qu’au sein de l’objet composite, constitué de parties, chaque partie soit elle-même environnée de vides. Et si on continue ainsi à progresser vers de parties de plus en plus petites, on trouve que l’objet composite est constitué, presque uniquement, de vides… Sinon, il ne peut pas se déplacer. Les paradoxes de Zénon sont tous comme celui-là : apparemment très simples mais posant des questions fondamentales. Zénon ne se contente pas, à l’aide de ses paradoxes, de détruire une idée qu’il estime fausse : il questionne tous les points de vue et, finalement, il n’y a aucune solution… Soit l’objet et d’une seule pièce, soit il est composite. Dans tous les cas l’image du mouvement par la géométrie et l’algèbre est impossible. S’il est d’une seule pièce tout en occupant un volume non nul, il n’est pas assimilable au mouvement théorique du point. S’il est décomposable, il doit l’être sans cesse, sans limite au risque de retomber sur le problème précédent. S’il est décomposable sans fin, il ne doit contenir que…. du vide. Sinon, aucun mouvement n’est pas possible. De toutes les manières, le mouvement d’une position ponctuelle à une autre n’a pas de réalité physique….

D’ailleurs ce type de mouvement d’un point à un autre suppose un mouvement du temps d’un point à un autre. Or le temps ponctuel, l’instant, pose autant de problèmes que la matière ponctuelle ou le point de l’espace au mouvement. Car le mouvement suppose des durées (intervalles et non points) des distances (intervalles et non points) et des objets (volumiques et non ponctuels)…

On a donc mal imagé le mouvement. Non. Zénon démontre que le mouvement de choses qui se contentent de changer de position sans que rien d’autre ne change (ni les choses, ni l’espace, ni le temps) pose des problèmes pour toutes les conceptions du mouvement.

La notion classique de mouvement, s’opposant diamétralement à l’état de repos, est mise en échec par Zénon.

Il prend un objet au repos et qui va entrer, de la manière et pour la raison que vous voulez, en mouvement à un instant donné. Son problème n’est pas dans la manière d’entrer en mouvement mais dans la notion même de passage du repos au mouvement au cours du temps….

Il prend tout simplement un objet immobile qui, à un moment donné, va se mettre à se déplacer à une vitesse constante.

Par exemple, si, jusqu’à trois heures, le corps est au repos et que c’est là qu’il entre en mouvement, Zénon s’interroge : à trois heures, on peut supposer qu’il est au repos et à trois heures dix on est sûrs qu’il est à sa vitesse V qu’il ne va plus quitter. Mais à trois heures cinq, il est aussi à vitesse V puisque, dès qu’il démarre il est à vitesse V. Mais à trois heures deux ? A trois heures une minute ? Mais à trois heures et une seconde ? Il est encore à vitesse V. A trois heures et un milliardième de seconde, il est à vitesse V. Si on peut diminuer le temps ainsi à l’infini, si l’infiniment petit du temps existe, si le temps s’écoule continûment comme on le croit couramment, un instant aussi prêt que l’on veut de trois heures, il sera déjà à la vitesse V. A la limite, à trois heures, il est déjà à la vitesse V ! Mais à trois heures pile, on a dit qu’il était à la vitesse zéro donc il est à la fois mobile et au repos. Sa situation instantanée est à la fois immobilité et mouvement. Il n’y a pas d’erreur ni de tromperie. C’est simplement que l’état instantané ne peut pas indiquer un mouvement….

Cela pose aussi des problèmes sur ce qu’est la matière qui se meut et aussi sur ce qu’est le vide dans lequel cette matière est censée se mouvoir, vide qui est contraint à deux conditions inconciliables : ne pas contenir d’objet et être aussi un milieu physique donc matériel…

Ils ont ainsi lancé une question qui a des résonances très actuelles en physique. Ils ont également développé des critiques de plusieurs méthodes scientifiques (réductionnisme ou continuisme, par exemple) qui restent des discussions au sein de la science contemporaine. Ils critiquent l’idée que pour comprendre il suffirait de décomposer en parties et chaque partie encore en parties, qu’il suffirait d’atteindre l’élémentarité. Ils affirment ainsi qu’une unité composée est autre chose que la somme de ses parties. Que les lois de l’unité ne sont pas la somme des lois des parties ni ne découlent de celles des parties… Là encore, c’est un questionnement tout à fait contemporain ! Les propriétés de la molécule ne sont pas les sommes des propriétés des atomes et les propriétés de l’atome ne sont pas la somme des propriétés du noyau et de ceux des électrons périphériques pas plus que les propriétés du noyau ne sont la somme des propriétés des neutrons et des protons, ni encore les propriétés du tas de sable ne sont la somme des propriétés des grains… La physique du tas de sable est un des domaines explorés très récemment. Etrangement, les questions de Zénon venues du fond des âges continuent de nous étonner et de nous enrichir. C’est ce que nous allons essayer de montrer…

Prenons trois points essentiels de la philosophie de Zénon et examinons si la science physique contemporaine lui donne plutôt raison ou non.

Premier point

Zénon affirme que l’infiniment petit n’existe pas. On ne peut pas diviser à l’infini ni le temps, ni l’espace, ni la matière, ni le mouvement, ni l’énergie, ni rien. Par exemple, pour lui, la dichotomie sans fin (division par deux) n’est pas possible. Cela signifie qu’il y a des quanta : de seuils avec des multiples de ce seuil. Le monde est donc discontinu fondamentalement et la continuité n’est qu’apparente. Il contredit ainsi une image donnée par les mathématiciens de son temps : celle de la l’algèbre et de la géométrie selon lesquelles les nombres seraient un continuum et les segments et droites aussi, continuum constitué d’éléments singuliers en nombre infini sans rupture entre eux. L’existence de quanta suppose qu’il y a nécessairement des ruptures.

Deuxième point

Zénon affirme que le mouvement n’est qu’une apparence. Bien sûr, il voit bien que la matière bouge dans l’espace mais il affirme en même temps que c’est une interprétation de notre part qui est erronée car nous faisons comme s’il s’agissait de deux choses complètement séparées : l’objet et l’espace qui n’interagissaient pas, l’espace servant seulement de toile de fond et la matière restant égale à elle-même tout en se déplaçant….

Troisième point

La contradiction dialectique de l’unité et de la diversité, de la matière et du mouvement, de l’être et du néant, de la matière et du vide est sans cesse contenue dans tous les paradoxes de Zénon…

Vérifions la validité de ces conceptions par rapport à ce que nous apprend la physique contemporaine.

Quelques expériences simples de physique vont illustrer notre propos pour démontrer ces trois points de Zénon. Nous ferons comme lui et nous fonderons sur des processus de dichotomie, des expériences qui illustrent que l’on ne peut pas diviser à l’infini. Ce sont ce que nous pouvons valablement appeler des « effets Zénon » de la physique. On trouve un en Cristallographie, un en Mécanique, un en optique, un en Physique quantique, un en chimie, un en Biologie, en Théorie de l’évolution et on en passe.

Il suffit de trouver une expérience dans laquelle des éléments microscopiques ont deux voies possibles (par exemple fentes de Young ou passage d’un filtre, réflexion/réfraction, …) et d’itérer cette expérience en série. A chaque étape, il devrait y avoir la moitié des éléments qui passent et ensuite la moitié de la moitié, etc. Mais, en pratique, rapidement, aucun élément microscopique n’est plus capté.

Plus simplement, on considère les rebonds d’une balle qui perd à chaque fois la moitié de son énergie et ne rebondit que de la moitié de la hauteur. On pourrait théoriquement croire que la balle ne va pas cesser de rebondir même s’il s’agit de touts petits bonds mais cela est faux. La balle s’arrête.

Dans une série de miroirs qui absorbent à chaque fois la moitié du rayonnement (miroirs dits semi-réfléchissants), on retrouve la même remarque. Rapidement, si on place en série de tels miroirs en grand nombre, la dichotomie laisse croire qu’il devrait passer une fraction infime mais non nulle du rayonnement initial et c’est faux : aucun rayonnement ne passe plus au bout de la série de miroirs. On ne peut pas diviser la réalité à l’infini… Pourquoi ? Parce qu’à force de diviser on atteint un seuil en dessous duquel le phénomène n’existe plus. On dit que le phénomène est quantique pour dire qu’en dessous d’un quanta, le phénomène n’existe plus.

On peut citer ainsi un exposé de recherche de physiciens sur l’effet Zénon quantique même si bien des passages peuvent sembler obscurs au non spécialiste :

« L’effet Zénon quantique a été décrit pour la première fois par Misra et Sudarshan de l’Université du Texas en1977. Ces deux scientifiques montraient comment une série dense de mesures pouvait geler la dynamique d’un système quantique. Tous les mouvements spontanés d’un atome en direction d’un chemin quelconque sont capturés par ces mesures et ramenés à la position initiale. Il s’agit d’une expérience plus facile à réaliser (à partir d’un point initial) que celle consistant à faire parcourir un chemin donné à une particule par une série dense de mesures. L’écrivain scientifique John Gribbin a pu dire qu’une bouilloire quantique soumise à une observation continue ne pourra jamais s’échauffer. Des mesures quantiques répétées peuvent inhiber l’évolution cohérente d’un système. C’est l’effet Zénon quantique, nommé ainsi en souvenir du célèbre paradoxe du philosophe grec qui niait le mouvement. Cette inhibition est provoquée par la projection associée à la mesure quantique. La première mesure projette le système sur un état propre de l’observable mesurée. Quand le temps entre mesures est court à l’échelle du temps d’évolution du système, la seconde mesure donne avec une grande probabilité le même résultat que la première. Le système est projeté à nouveau sur son état initial, annulant toute l’évolution cohérente entre les deux mesures. Après un grand nombre de mesures, le système passera finalement dans un autre état propre, effectuant un saut quantique. Le temps moyen entre ces sauts est beaucoup plus long que le temps caractéristique d’évolution cohérente et tend vers l’infini quand l’intervalle de temps entre mesures successives tend vers zéro. Notons qu’il n’y a pas d’effet Zénon quantique pour des phénomènes incohérents, comme la relaxation. L’effet Zénon quantique a été observé sur des particules matérielles piégées. Par exemple, l’oscillation de Rabi cohérente entre deux niveaux d’un ion piégé, induite par un laser résonnant, est inhibée par des mesures répétées de l’état atomique par fluorescence. Dans l’effet Zénon quantique sur le champ de la cavité, des mesures sans démolition quantique (QND) de l’intensité du champ inhibent la croissance d’un champ sous l’influence d’une source classique résonnante avec la cavité. On parvient à un effet Zénon par des injections cohérentes en phase dans la cavité. En l’absence de mesure, toutes les amplitudes injectées s’ajoutent et l’amplitude finale est proportionnelle au nombre d’injections. Le nombre de photons, lui, croit quadratiquement avec ce nombre. Bien sûr, la relaxation de la cavité entre en jeu et, quand la durée de l’expérience est comparable avec le temps de vie de la cavité, le nombre de photons atteint une asymptote, quand les pertes compensent les injections. »

Sur la QND

Les photons sont de très bons véhicules pour l’information mais, dans la plupart des cas, ils sont annihilés par leurs détecteurs. Les photodétecteurs habituels les absorbent et convertissent leur énergie en un signal mesurable. L’état quantique de la lumière est totalement détruit dans ce processus brutal.

Cette démolition n’est pas exigée par la physique quantique, qui autorise des mesures idéales d’intensité ou du nombre de photons. Il faut pour les réaliser des photodétecteurs parfaitement transparents, qui laissent les photons intacts après les avoir comptés. Au lieu d’être détruit, le champ est projeté alors sur un état de Fock, avec un nombre de photons certain correspondant au résultat de la mesure.
Comme le nombre de photons est une constante pour le champ libre, on appelle ces mesures idéales ’sans démolition quantique’ ou QND (pour Quantum Non Demolition). Des mesures répétées de l’intensité doivent toujours donner le même résultat, à moins qu’une perturbation ne change l’état du champ. Une modification du nombre de photons entre deux mesures peut donc révéler la présence d’une telle perturbation.

Les mesures QND permettent d’observer des sauts quantiques, quand on les réalise fréquemment à l’échelle du temps d’évolution du système. Au lieu d’évolue continûment, comme le prédisent la physique classique ou les moyennes quantiques, le système évolue, dans une réalisation unique de l’expérience, par sauts quantiques soudains entre les états propres de l’observable mesurée. Pour le champ, la relaxation à température finie dans la cavité doit conduire à des sauts vers le haut et le bas dans l’échelle des états de Fock.
Les sauts quantiques ont été souvent observés pour des particules matérielles, par exemple pour des ions piégés. Des signaux télégraphiques sont observés pour la fluorescence de l’ion quand il saute dans ou depuis un état métastable. Ces sauts sont une manifestation authentiquement quantique.

L’observation des sauts quantiques de la lumière est beaucoup plus difficile. Elle requiert une mesure QND au niveau du photon unique. Elle exige aussi une ’boîte à photons", capable de stocker le champ sur un temps long et rendant l’échelle de temps de sa relaxation plus longue que celle de la mesure. Ces deux conditions sont renplies dans notre expérience.

Le champ est stocké dans la cavité supraconductrice. L’expérience a été réalisée avec le plus long temps d’amortissement disponible, 0.13 s. La cavité est sondée par des atomes non-résonnants. L’interaction atome-champ produit un déphasage de pi pour la cohérence atomique pendant la traversée de la cavité.

La dichotomie est elle itérable à l’infini ?

La possibilité d’effectuer à l’infini des divisions a été la cible de la critique de Zénon. Il prend l’exemple de la dichotomie selon laquelle dès qu’on a deux points géométriques il existe un point au milieu entre les deux et de même pour deux nombres. Rien de plus simple donc et la dichotomie est une méthode classique en mathématiques et qui porte, dans ce domaine, certains fruits. A chaque segment (de la droite des nombres aussi bien que de la droite géométrique, par exemple) on peut donc associer son milieu. Puis on peut reproduire l’opération entre chaque extrémité et le milieu et avoir deux nouveaux milieux et quatre petits segments et ainsi de suite. Apparemment, une telle opération peut être itérée autant que l’on veut et, apparemment, elle donnera toujours le même résultat : entre deux points d’un segment, il y aura toujours un autre point et entre deux nombres, il y aura toujours un autre nombre. Cette remarque n’est pas valable en physique. La dichotomie ne se poursuit pas à l’infini. La matière n’est pas sécable à l’infini, le temps non plus, l’espace non plus, l’énergie non plus et le mouvement pas davantage….

De multiples exemples d’expérience le prouvent. A la base de tous les domaines matériels, qu’ils concernent l’inerte ou le vivant, il y a une unité de base et le fonctionnement ne descend pas en dessous de cette unité. Ce n’est pas qu’il n’existe pas des unités inférieures de structure : elles existent mais ne sont pas une fraction de l’unité supérieure. Elles sont un nouveau type de structure pour laquelle il y a aussi une unité de base.

Si les nombres décimaux ont pu être imagés par un apparent continuum laissant croire à une possibilité de diviser à l’infini, il n’est exprimable que sous la forme de niveaux hiérarchiques (des niveaux d’unités décimales) et, pour chacun d’eux, il y a des valeurs discrètes qui sont des multiples de l’unité. Cela signifie que ce n’est pas véritablement un continuum. La graduation décimale existe à une certaine échelle. On peut descendre en dessous mais on ne peut jamais avoir en même temps tous les niveaux de graduation. D’ailleurs, nous savons maintenant qu’entre les nombre décimaux, il y a des trous puisqu’entre eux on trouve les nombre irrationnels ! Les nombres sont des valeurs discrètes et un grand nombre de valeurs discrètes ne forment pas un continuum… Avec des objets discontinus placés à côté les un des autres, on ne peut constituer réellement de continuité… Cette propriété dans la matière provient du fait que deux matières ne peuvent pas se toucher : si elles s’approchent de trop elles se repoussent…Par exemple, deux molécules ou deux atomes se repoussent par leurs électrons périphériques. Si des objets matériels (deux particules par exemple) se rapprochent trop, ils se transforment en lumière. Du coup, même deux particules d’électricité opposée ne peuvent se toucher et il ne peut exister de continuum de matière. Il doit toujours y avoir un vide entre deux matières. Et aucune expérience physique ne peut non plus mettre en évidence un continuum de temps ou d’espace. On ne peut marquer le temps ou l’espace que par des intervalles non nuls et aucune montre comme aucun mètre ne peut mesurer un intervalle arbitrairement petit. Il faut forcément un pas de temps ou d’espace pour mesurer. On ne peut pas descendre en dessous de ce pas avec ce type de mesure. Aucune expérience de physique ne peut donc prétendre atteindre la variable appelée réelle en mathématiques ou la fonction dite réelle de variable réelle qui est supposée varier de manière continue. Toute expérience, toute mesure suppose un pas de mesure, une limite de précision, une limite de durée de mesure, une limite de repos. Aucun appareil ne fait des mesures à tout instant. Même s’il fait un grand nombre de mesures, l’appareil doit s’arrêter entre deux mesures, ne serait-ce qu’un instant. Aucune mesure en continu n’existe en physique. Aucune action physique non plus. Si un trait de stylo devait être vraiment continu, en supposant un tout petit peu d’encre pour chaque point, le continuum nécessitant une infinité de point consommerait une infinité d’encre ! Or la divisibilité à l’infini suppose le continuum.
Zénon va s’y attaquer en montrant que si on suppose que l’espace peut être divisé à l’infini, alors il n’y a plus de déplacement dans l’espace possible.

La démonstration est simple et très connue : c’est le paradoxe d’Achille et de la tortue.

Cette fameuse tortue très lente de Zénon a trouvé une très bonne astuce pour ne jamais être doublée ni même rattrapée par le fameux coureur olympique Achille. Zénon nous dit en somme : supposons que l’on puisse diviser à l’infini l’espace à parcourir par les deux coureurs et qu’on laisse partir la tortue avant, alors Achille ne gagnera jamais même s’il est beaucoup plus rapide. En effet, Achille doit combler son retard et pour cela il commence par courir jusqu’à l’endroit où est la tortue. Pendant ce temps, la tortue a avancé aussi et Achille ne l’a donc pas atteinte même si l’écart se réduit beaucoup. Achille doit réitérer la même opération et à nouveau aller jusqu’à la position de la tortue et, de nouveau, la tortue avance pendant ce temps. L’avance de la tortue se réduit comme peau de chagrin mais elle n’est jamais zéro. Si on admet qu’il existe des infiniment petits non nuls, alors Achille n’aura jamais tout à fait rejoint la tortue et l’aura encore moins doublée. Absurde direz-vous puisque chacun sait qu’Achille va doubler en réalité la tortue. C’est l’hypothèse de divisibilité à l’infini qui est ici critiquée.

Peut-on ainsi diviser le mouvement en deux parties à l’infinie ? Alors le mouvement sera sans fin.

L’Achille contient en fait une divisibilité à l’infini à la fois de l’espace, du temps et du mouvement et il les contredit toutes les trois…

Bien sûr, on se souvient que les suites infinies convergentes des mathématiques prétendent avoir résolu ce problème. On peut, selon elles, découper un segment fini en une infinité de sous-segments. Et, pour les mathématiques, cela ne pose aucune sorte de contradiction logique. Mais les mathématiciens se gardent bien de poser la question clef : est-ce que la réalité physique leur donne raison ou pas. Nous allons voir que toutes les expériences dans lesquelles il y a un grand nombre de divisions successives mènent non pas à des nombres de plus en plus petits mais assez rapidement à zéro et pas à un nombre très petit… On peut le dire autrement : en termes d’espace comme de temps, de matière ou d’énergie, on trouve une quantité minimale ou quantum. Il y a un minimum de distance comme un minimum de masse ou de temps et ces minima sont appelés du nom de leur auteur Planck. Et ce sont des seuils au-delà desquels on ne peut plus diviser. La dichotomie à l’infini de l’espace s’est heurtée au paradoxe d’Achille et aussi aux autres paradoxes de Zénon.

Le paradoxe de la flèche, mobile ou au repos heurte l’idée que toute chose est soit au repos soit en mouvement. Au repos, elle n’occupe que sa dimension quand elle est immobile. Mais en un instant, elle est toujours immobile et dans l’instant suivant aussi et ainsi de suite alors elle est toujours immobile si la durée est la somme des instants.

Dans le « paradoxe de la dichotomie », Zénon se tient à huit mètres d’un arbre, tenant une pierre. Il lance sa pierre dans la direction de l’arbre. Avant que le caillou puisse atteindre l’arbre, il doit traverser la première moitié des huit mètres. Il faut un certain temps, non nul, à cette pierre pour se déplacer sur cette distance. Ensuite, il lui reste encore quatre mètres à parcourir, dont elle accomplit d’abord la moitié, deux mètres, ce qui lui prend un certain temps. Puis la pierre avance d’un mètre de plus, progresse après d’un demi-mètre et encore d’un quart, et ainsi de suite à l’infini et à chaque fois avec un temps non nul. Zénon en conclut que la pierre ne pourra pas frapper l’arbre, puisqu’il faudrait pour cela que soit franchie effectivement une série infinie d’étapes, ce qui est impossible.

Dans le paradoxe de « la flèche en vol », nous imaginons une flèche en vol. À chaque instant, la flèche se trouve à une position précise. Si l’instant est trop court, alors la flèche n’a pas le temps de se déplacer et reste au repos pendant cet instant. Maintenant, pendant les instants suivants, elle va rester immobile pour la même raison. Si le temps est une succession d’instants et que chaque instant est un moment où le temps est arrêté, le temps n’existe donc pas. La flèche est donc toujours immobile à chaque instant et ne peut pas se déplacer : le mouvement est donc impossible.

Dans le « paradoxe du stade », des corps égaux se meuvent en sens inverse dans le stade à des vitesses égales et une durée est à la fois le double et la moitié d’elle-même. Les corps A égaux et immobiles. Les corps B venant du milieu du stade, égaux en nombre et en grandeur aux A. les corps C venant de l’extrémité, égaux en nombre et en grandeur aux A et marchant à la même vitesse que les B. Les B et les C défilent les uns devant les autres de telle sorte que le premier B arrive à la hauteur du dernier C en même temps que le premier C à la hauteur du dernier B. Le premier C a passé devant tous les B tandis que le premier n’a passé que devant la moitié des A. De sorte que la durée de son mouvement n’a été aussi que la moitié d’elle-même car le premier B met le même temps à passer devant chaque A que le premier C à passer devant chaque B. Le premier B a passé devant tous les C (puisqu’il arrive au bout de la file des C en même temps que le premier C arrive au bout de la file des B), mettant le même temps à passer devant chacun d’eux que le premier C à passer devant chaque A, du moins à ce que prétend Zénon. Car un B et un C mettent le même temps à passer devant un A.
Zénon a montré non seulement que le premier C a passé devant tous les B tandis qu’il n’a passé que devant la moitié des A mais aussi que le premier C a passé devant tous les B pendant que le premier B, marchant à la même vitesse, ne passait que devant une moitié (celle de droite des A). Donc la durée du mouvement des B est le double et la moitié d’elle-même…

La dichotomie impossibilité du mouvement car il faut d’abord avoir fait la moitié et d’abord la moitié de la moitié.

L’Achille toujours atteindre d’abord le point ou l’autre était déjà parvenu mais pendant ce temps l’autre a avancé

Zénon : « s’il y a une pluralité d’êtres, ils doivent être à la fois semblables et dissemblables… »

L’Achille ou la dichotomie interdit la continuité et contraint à la finitude du quantum.

La flèche ou le stade interdit la composition du continu par superposition (ou addition) infinie de quanta

Faut-il concevoir des instants divisibles ou indivisibles ? Si tout est divisible l’instant est divisible. Sinon, tout n’est pas divisible… Si on admet que l’instant est divisé en deux c’est qu’il est égal au double de lui-même…

La dichotomie est la distance infiniment divisée.
L’Achille est le temps infiniment divisé.

La flèche doit aller d’une place à une autre de l’espace et si celui-ci est quantique cela suppose que le mouvement le soit aussi et saute…
Sinon le temps n’est pas composé d’une somme d’instants ni l’étendue d’une somme de positions…

La division à l’infini marche vers un terme qu’elle n’atteint jamais…
Le mathématicien saut allègrement cette difficulté en disant qu’il l’atteint « à la limite »…

Dans Achille, Zénon décompose le mouvement en deux parties : une pour atteindre l’ancienne position de la tortue puis la suite. Puis à nouveau une pour atteindre la nouvelle position de la tortue puis la suite. Peut-on ainsi diviser le mouvement en deux parties à l’infinie ? Alors le mouvement sera sans fin.

Zénon dévoile ainsi les contradictions incluses dans la notion de mouvement, de temps, d’espace, d’énergie, de matière

Zénon montre que le mouvement ne peut être conçu comme une série successive de positions de repos et qu’une position ponctuelle est incapable de discriminer entre repos et mouvement car aucun temps ne s’y écoule ni aucun espace et il n’y a donc aucune mesure de mouvement en instantané. Ainsi, le film peut être constitué d’une série de photos mais un geste dans une photo ne nous dit pas s’il y aura ensuite mouvement de ce qui est montré par la photo ou si, au contraire, les éléments de la photo sont immobiles.

Zénon montre qu’un objet immobile en un instant ne se distingue en rien d’un objet censé être en mouvement et qui serait également positionné là au même instant… Quand un objet va commencer à bouger à l’instant t et qu’il était immobile juste avant a-t-il une vitesse nulle à t ou non nulle ? Et à t plus a (un tout petit peu de temps), il est passé à une vitesse non nulle. Mais à t plus la moitié de a ? Et à t plus la moitié de la moitié de a ? Et à t plus infiniment peu de a il a aussi une vitesse non nulle ? Donc à t, il a à la fois une vitesse nulle et une vitesse non nulle…

Si le parcours du temps était divisible par dichotomies successives à l’infini, on pourrait concevoir qu’en chaque point atteint (chaque instant), on actionne un processus ouverture/ fermeture de lumière et on n’a plus qu’à demander au bout si la lumière sera allumée ou éteinte pour voir qu’il est impossible d’y répondre.

La question est donc : est-ce que le segment est un ensemble de points, est-ce que l’intervalle de temps est un ensemble d’instants ?

La physique quantique a été obligée de renoncer à la notion de divisibilité à l’infinie de toute quantité physique et de signification absolue des notions de trajectoire, de position, de vitesse…

Cela n’empêche pas la physique quantique de continuer à utiliser des fonctions continues plus faciles à manipuler et valables parce que les quanta sont très petits… C’est valable à condition de savoir que l’on a remplacé des fonctions discontinues de variables discontinues par des fonctions continues et dérivables de variables continues…

Prenons une autre question que celle de la dichotomie de l’élément matériel, électrique ou lumineux. Effectuons une dichotomie sur l’espace et le temps. Nous retrouvons l’effet Zénon…

Nous prenons des particules en déplacement rectiligne entre deux points A (par exemple la source) et B (par exemple un écran de captage). Nous sommes donc sûrs de notre point de départ et de notre point d’arrivée. Nous découpons en deux le segment entre A et B et vérifions que le total des particules captées entre A et le milieu plus celles entre le milieu et B. Nous faisons des mesures dans tous les intervalles de nouveau découpés en deux. Très rapidement, le comptage ne fonctionne plus. Le compte des particules allant de A à B n’est pas le même que celui captées en A et A1, entre A1 et A2, entre A2 et A3, entre A3 et A4, puis entre A4 et B. Il s’en est perdu en route… On ne peut pas dire que, physiquement, le segment entre A et B soit identique à la somme de ses sous-segments. On trouvera le même résultat qu’on découpe du temps, de l’espace, de la matière ou de l’énergie.

Le découpage théorique (mathématique par exemple) n’est en effet pas le même que le découpage physique qui nécessite du temps, de l’énergie, de l’espace alors qu’en théorie mathématique, la coupure est ponctuelle, sans longueur, sans occupation de l’espace, sans effort, sans énergie, sans perte…

En physique, rien n’est purement ponctuel, de même que rien n’est parfaitement continu. Le discontinu n’est pas du purement ponctuel et le continu n’existe pas. Le point sans dimension (ni intervalle de temps ni d’espace ni d’énergie) n’a pas d’existence et ne serait de toutes les manières pas mesurable ni observable. Donc l’ensemble constitué d’une infinité de points ne serait non seulement pas continu mais pas existant…Quant à la continuité, elle exigerait, même pour un phénomène de toute petite taille, une énergie infinie (voir l’exemple du segment continu tracé à l’encre qui exigerait plus que toute l’encre du monde s’il fallait tracer tous les points en continu).

L’infiniment grand est totalement exclus de la physique et, du coup, aussi l’infiniment petit qui lui est inséparable (la quantité inverse). Tout infiniment grand nécessite un infiniment petit et inversement. Par exemple l’infiniment petit du point d’encre nécessite l’infiniment grand de la quantité d’encre. Physiquement, il existe des quantités comparativement très grandes ou très petites mais pas infiniment. Comparativement signifie quelque chose de très différent de la notion d’infiniment grand ou petit dans l’absolu car cela suppose de comparer à une autre grandeur alors que l’infiniment grand ou petit l’est dans l’absolu. Il existe des quantités négligeables dans certains phénomènes mais elles ne le sont que par rapport aux quantités en jeu dans ce phénomène. D’ailleurs, on peut les négliger dans les calculs mais pas dans l’existence, dans le raisonnement alors que les infiniment petits peuvent être remplacés par zéro dans le calcul différentiel. La méthode consistant à remplacer, quand cela nous chante, un infiniment petit par zéro n’est valable que si on se rappelle qu’on ne peut pas considérer avoir ainsi décrit le phénomène mais seulement calculé, ce qui est très différent.

En physique, ce qui est petit n’est pas nécessairement négligeable ne serait-ce que parce que il y a des effets d’échelle, des effets chaotiques et parce que les éléments petits peuvent avoir des effets qui ne le sont pas. Par exemple, l’existence ou l’absence de toutes petites poussières sont déterminantes dans la formation des nuages qui sont d’une taille autrement importante. Les phénomènes se déroulant sur des temps très courts peuvent être déterminants à des échelles bien supérieures, par exemple les neutrinos pour les étoiles. Le neutrino est mathématiquement négligeable par rapport au proton, au neutron et à l’électron mais indispensable pour comprendre comme ces particules se transforment les unes dans les autres. Les bosons d’interaction (comme le photon lumineux) peuvent sembler négligeables dans les interactions de la matière car le photon n’a pas de masse (ou une masse négligeable) et que la masse semble déterminante pour la matière et pourtant la matière ne peut interagir sans les bosons. Comprendre le phénomène physique qui se produit ne consiste pas seulement à effectuer des calculs.

Certains physiciens ont souligné l’erreur consistant à remplacer l’étude physique de « ce qui se passe quand » par de seuls calculs différentiels et intégraux. Pour les non initiés, le calcul différentiel consiste à calculer pour de très petites variations et ensuite à faire la démarche inverse pour trouver les lois (cela s’appelle intégrer). Cela suppose des fonctions qui aient des propriétés très régulières (on les dit continues et dérivables).

Certes, on peut considérer grossièrement que le centre de gravité de la Terre dans son mouvement autour du Soleil est un mouvement assez régulier pour que les fonctions qui le décrivent soient continues et dérivables. De même pour un boulet de canon. Par contre, ce n’est plus vrai pour une poussière, pour une molécule, pour un atome, pour une particule inerte et pour une particule virtuelle du vide. Les mouvements à ce niveau sont beaucoup trop agités pour être continus ou dérivables. C’est le mouvement brownien, l’agitation quantique et l’agitation du vide. A ces niveaux de l’univers physique, il n’y a pas de continuité et donc pas de dérivabilité ni d’intégrabilité du mouvement. Or c’est là que réside la base du monde matériel que nous connaissons à notre échelle. On n’y trouve aucune continuité ni de la matière, ni du mouvement, ni de l’énergie et pas davantage du temps et de l’espace. L’espace, c’est justement le vide et il est quantique donc pas continu.

Mais ce n’est pas encore l’essentiel : le vide quantique (constitué de particules et antiparticules dits virtuels car de courte durée de vie) est la base matérielle de la matière inerte : ce sont les particules virtuelles qui fournissent le substrat sur lequel se fixe le boson de Higgs pour former une particule de masse inerte. Mais le vide est aussi la base de la lumière, celle-ci étant formée de photon c’est-à-dire une union de particule et d’antiparticule virtuelle. Le vide est aussi le fondement de l’espace-temps déterminé par l’agitation des particules et antiparticules virtuels. Comprendre le mouvement a été la préoccupation de Parménide et Zénon et ils ont estimé qu’il ne pouvait pas y avoir un simple déplacement dans le temps, s’écoulant régulièrement sans changement ni rupture, et dans l’espace comme toile de fond passive et que la matière ne pouvait pas se contenter de se déplacer ainsi. La thèse dite du boson de Higgs signifie que ce n’est pas la même particule qui est, en continu, porteuse de la masse inerte et que cette dernière, portée par le Higgs, saute d’une particule virtuelle à une voisine. Le déplacement n’est donc pas mouvement du même objet mais seulement de la propriété de masse qui réside dans de multiples particules successives du vide…

La matière, la lumière, le vide ne sont pas indépendants. C’est le fait qu’ils aient, dans le vide quantique, la même base matérielle (non durable et sans masse) qui explique que matière, lumière et espace-temps puissent interagir. S’ils n’avaient rien en commun, on ne comprendrait pas que de la matière se change en lumière et inversement, que de la matière apparaisse et disparaisse dans le vide, que de l’énergie puisse se transformer en matière, que des particules du vide soient virtuelles et apparaissent réelles pour des particules suffisamment accélérées. Et surtout on ne pourrait pas comprendre les paradoxes du vide dont la dualité, l’intrication, la superposition et autre bizarreries quantiques…

C’est le vide qui explique la matière. C’est vrai non seulement à l’échelle quantique des particules mais aussi à celle de l’atome ou de la molécule comme à celle de la matière macroscopique. Sans l’agitation du vide pas de mouvement brownien sans fin des molécules par exemple… Sans le vide entre noyau et électrons, aucune des propriétés d’interaction matière/lumière ne peut se concevoir, etc… Au sein des structures de la matière, à toutes les échelles, il y a essentiellement du vide, entre amas de galaxies, entre galaxies, entre étoiles d’une même galaxie comme entre planètes et galaxies, entre molécules ou entre atomes, entre noyau et électron, entre particules. La masse inerte a elle aussi absolument besoin des particules virtuelles du vide pour se fixer momentanément et exprimer sa masse, cette propriété de résistance du vide au mouvement.

La discussion menée par Zénon et son maître en philosophie Parménide consistait justement à discuter de la matérialité du vide. Ils constataient la contradiction dialectique suivante : pour se déplacer, la matière doit être entourée d’espaces vides mais, en même temps, pour exister, ce vide doit avoir une consistance, une espèce de matière….

Et il s’avère effectivement, selon la théorie quantique du vide, que le vide contient des particules et des antiparticules. Elles se distinguent des particules classiques de matière par le fait qu’elles ne possèdent pas de masse inerte et ne sont pas durables. Le vide quantique confirme les suppositions philosophiques de Parménide que défendait son disciple Zénon. Ce qui est confirmé par des physiciens quantiques comme ici Lévy-Leblond :

« Les états virtuels peuvent être décrits comme des Entités Parménidiennes. Parménide croyait que tout mouvement n’est possible que s’il existe de l’espace vide dans lequel un objet peut se déplacer. Cependant, étant donné qu’il pensait également qu’il n’existe pas d’espace vide, il affirmait en quelque sorte que rien ne peut se mouvoir. Les systèmes quantiques renouvellent et affinent le principe parménidien : un système a besoin d’états vides (potentiels ou virtuels) afin de pouvoir changer. Si tous les états d’un système matériel sont occupés, ce dernier ne pourra rien faire. Sans l’ordre virtuel de la réalité, rien de nouveau ne peut se passer… On peut reprendre l’exemple standard de la vitesse. Penser une vitesse instantanée, c’est très difficile, on se heurte vite à l’un des paradoxes de Zénon (la flèche qui à tout instant est immobile), et l’on voit bien les efforts (et les erreurs) du pauvre Galilée dans sa théorisation. Et puis arrivent Newton et Leibniz, quelques décennies plus tard, qui inventent la notion de dérivée. À partir de ce moment, il n’est plus nécessaire de penser : on a x=f(t) ; on dérive et on a la vitesse =f’(t)… avec tous les risques que l’on prend en s’en remettant aveuglément à la machinerie mathématique. Je reviens à la métaphore du moyen de transport : ton avion peut se casser la figure, il se peut qu’au moment où tu en aurais besoin, il n’y ait pas de piste libre. La même chose peut arriver ici : tu étudies le mouvement brownien, par exemple ; tu t’aperçois alors que la notion de vitesse usuelle ne fonctionne pas parce que la trajectoire n’est pas dérivable. Autrement dit, la mathématisation est toujours risquée et ne peut se passer d’une pensée vraiment physicienne. C’est en ce sens-là que je parle de « production » de connaissances physiques ; les mathématiques fournissent une machine à produire des idées physiques – encore faut-il apprendre à conduire et savoir maîtriser cette machine. »
Dans « Les mathématiques de/dans la physique » - Entretiens de Françoise Balibar avec le physicien quantique Jean-Marc Lévy-Leblond

Physiquement, l’univers de base n’obéit pas à la continuité, à la dérivabilité et à l’intégrabilité et d’ailleurs, même mathématiquement, de manière purement théorique, il est beaucoup plus difficile que l’on croit souvent de définir la continuité, la dérivabilité, l’intégrabilité, et même la courbe et la tangente à une courbe (souvent par la limite d’une série de sécantes quand un point de la courbe tend vers l’autre mais alors les deux points confondus, il n’y a plus de droite). De même algébriquement, distance divisée par temps et limite quand le temps tend vers zéro mais alors une division de zéro par zéro qui n’est pas définie…

C’est la simple notion de vitesse instantanée qui est déjà source de problèmes solubles par des règles ad hoc de calcul mais pas théoriquement et conceptuellement.

En effet, cette notion de vitesse, et celle de quantités infiniment petites qui lui est liée, est source de contradictions formelles.

Rappelons que la vitesse (augmentation relative de la distance) et l’accélération (augmentation relative de la vitesse) suppose de diviser deux quantités par rapport au temps et ces quantités doivent être mesurées à deux moments. Normalement, la notion de vitesse ne peut donc être définie qu’entre deux points distincts et donc pas instantanément (à un seul instant). La vitesse est dès lors la distance parcourue entre deux points A et B divisée par le temps écoulé entre les deux points A et B. Mais on ne peut pas parler de distance parcourue entre le point A et le point A ni de temps écoulé entre deux moments identiques. On peut encore moins diviser deux quantités nulles n’une par l’autre et trouver un résultat. Or toute la physique mathématique va reposer sur ces notions de vitesse instantanée qui va fonder celle d’accélération (accroissement de vitesse). Nous discutons là des bases de la physique depuis Newton-Leibniz. Cette physique s’est révélée très efficace mathématiquement mais sans réponse au plan théorique, conceptuel et philosophique. Même mathématiquement, il faut se souvenir que la vitesse instantanée est une division d’un déplacement nul par un écoulement nul du temps et qu’une division de zéro par zéro a un résultat arbitraire puisque zéro fois n’importe quoi fait zéro…

Considérer des intervalles de temps tendant vers zéro et des espaces parcourus tendant vers zéro s’appelle le calcul différentiel et les quantités dites infiniment petites de temps que l’on note dt et d’espace que l’on note dx deviennent la base de calcul comme si c’était des nombres ou comme si c’étaient des variables mais ce ne sont ni des nombres ni des variables. Et, si nécessaire, le calcul différentiel va convenir de les remplacer par zéro alors qu’ils ne valent pas zéro et sont seulement très petits et même arbitrairement petits…

Pour le calcul, c’est génial et extrêmement puissant car on peut faire des calculs qui seraient impossibles avec des valeurs numériques ou avec des seules variables. Pour décrire le phénomène physique, ce n’est pas suffisant car un élément très petit n’est nullement inexistant et ne peut être nié en étant assimilé à rien.

A l’époque où Newton et Leibniz inventaient le calcul différentiel, le philosophe Berkeley avait parfaitement souligné cette faiblesse dans le calcul différentiel, qui est fondamentale pour qui veut comprendre et pas seulement calculer…

Berkeley a critiqué la théorie des infiniment petits, qui permet par exemple de calculer la vitesse instantanée d’un corps. Dans le cas de la chute d’une pierre, supposons que la position de la pierre soit donnée par s = 4 t² (où t est le nombre de secondes depuis qu’on a lâché la pierre et s est la distance parcourue par la pierre). Quelle est la vitesse de la pierre au bout d’une seconde ? Pour connaître la vitesse de la pierre après une seconde ( t = 1), Leibniz pro- pose de noter dt l’accroissement infinitésimal de temps entre 1 et 1 + dt , et ds l’accroissement infinitésimal de distance correspondant. Il s’ensuit alors que :
ds/dt = [4 (1 + dt )²– 4] / dt= 8 + 4 dt

Si nous négligeons 4 dt, nous trouvons que la vitesse est 8. C’est ce que propose Leibniz. George Berkeley n’est pas d’accord. Dans « L’analyste », paru en 1734, il refuse ce point de vue au nom de la logique, c’est-à-dire au nom de la non-contradiction. Pour lui, il est absurde de considérer 8 identique à 8 + 4 dt : « Lorsque l’on néglige un terme, aussi petit soit-il, nous ne pouvons plus dire que nous avons la valeur exacte. [...] Si dt n’est pas nul, alors l’accroissement est 8 + 4 dt, et n’est pas 8. Si dt est nul, alors l’accroissement de distance ds est nul aussi, et la fraction ds/dt n’est pas 8 + 4dt , mais 0/0, qui n’a pas de sens. [...] Que sont les fluxions ? Les vitesses d’accroissements infiniment petits. Et que sont ces accroissements infiniment petits eux-mêmes ? Ce ne sont ni des quantités finies, ni des quantités infiniment petites, pas même rien. Ce sont les fantômes de quantités disparues. .
La notion de vitesse instantanée suppose une contradiction non formulée entre le temps-durée et le temps-instant. Cette dialectique non réfléchie ne peut être utilisée n’importe comment au risque d’arriver à des contradictions formelles.
Les contradictions internes des notions mathématiques ont notamment produit les paradoxes logiques de Zénon. Il dévoile que la courbe mathématique ne peut à la fois être conçue comme objet fixe et trajectoire de parcours d’un mouvement car alors le fini des dimensions et l’infini des intervalles se contredisent de même que la continuité et la discontinuité.
Par définition, le mouvement est un déplacement, c’est-à-dire un changement de position qui s’étend dans le temps. Cette définition nous amène naturellement à nous intéresser au « taux de changement de position » par rapport au temps. Ce taux porte un nom : c’est la vitesse.
La vitesse est un concept élémentaire que tout un chacun manipule couramment dans sa vie de tous les jours. Il peut sembler inutile de s’étendre sur un sujet aussi simple, aussi trivial et universellement admis.

Pourtant, comprenons-nous vraiment ce qu’est la vitesse ?
Cette question est fondamentale car le concept de vitesse se trouve au cœur de celui de mouvement ; les deux sont si intimement liés que l’on ne saurait faire l’économie d’une bonne compréhension de la nature profonde de la vitesse si l’on souhaite appréhender le mouvement.

Pour mesurer la vitesse d’un mobile, il suffit de diviser la distance parcourue par la durée qu’il a mise pour la parcourir. La grandeur obtenue porte le nom de vitesse moyenne.
Considérons une locomotive qui s’est déplacée sur des rails rectilignes d’une longueur de 100 km en une heure. Nous disons que sa vitesse moyenne a été de 100 km/h. Cette information nous permet-elle de décrire ce qu’a été le mouvement effectif de la locomotive ? Bien évidemment, la réponse est non ; nous ne disposons que d’une information globale qui ne nous fournit aucune connaissance des détails du mouvement. En effet, une infinité de scénarios sont envisageables.

Penchons-nous sur deux d’entre eux :

 La locomotive a maintenu une vitesse constante de 100 km/h tout le long du parcours,

 La locomotive est restée immobile pendant les 59 premières minutes puis elle a parcouru la totalité des 100 km durant la dernière minute.
Dans les deux cas, la vitesse moyenne est égale à 100 km/h mais pour les passagers, les deux situations sont très différentes ! Dans le second scénario, la vitesse du train a été nulle pendant les 59 premières minutes puis elle s’est élevée à 6.000 km/h lors de la dernière minute.

– Deux scénarios de déplacement ayant la même vitesse moyenne de 100 km/h.

Pour pouvoir étudier le mouvement de la locomotive dans le détail il est donc nécessaire de mesurer la distance parcourue à plusieurs moments, par exemple toutes les minutes ; nous obtenons ainsi une image plus précise du mouvement du train. Cependant, la vitesse du train a pu varier en permanence tout au long de son déplacement et pour atteindre une description complète de son mouvement il faudrait connaître sa vitesse à chaque instant ! Nous serons alors en mesure de tracer la courbe exacte de la distance parcourue en fonction du temps.

Nous en concluons que la connaissance du mouvement d’un corps nécessite de connaître sa vitesse à chaque instant, c’est-à-dire de connaître sa vitesse instantanée à chaque instant.

– Exemple de mouvement dont la vitesse varie en permanence.
Soit ! Mais qu’est-ce que la vitesse instantanée d’un corps ? Il s’agit de sa vitesse à un instant donné. Mais un instant, nous l’avons vu, il n’a pas de durée, c’est un point, sans « épaisseur », sur la droite du temps. Or, pendant une durée nulle un corps reste immobile. On en conclut que la vitesse instantanée ne peut être que nulle ! En d’autres termes, le mouvement, lorsqu’il est analysé instant après instant, s’évanouit.

Nous nous heurtons ici à une contradiction majeure :
 d’un côté notre analyse du mouvement nous conduit à conclure que la connaissance du mouvement implique la mesure de la vitesse instantanée,

 de l’autre, nous avons montré que la vitesse instantanée était toujours nulle, annihilant la notion même de mouvement.
Ce paradoxe avait déjà été relevé par Zénon, un philosophe grec qui vécut au VIIe siècle av. J.-C. Zénon d’Elée.

Il appartenait à l’école de pensée des Eléates fondée par Parménide d’Elée et qui s’opposait à celle des atomistes dont les plus célèbres représentants étaient Leucippe et Démocrite.

Au cœur du différend se trouvait la question de l’immuabilité de l’être. Selon Parménide l’être était une nécessité incontournable car on ne peut penser le non être : « ...il n’est pas permis, ni de dire, ni de penser que c’est, à partir de ce qui n’est pas ; car il n’est pas possible de dire ni de penser une façon pour lui de n’être pas ».

L’être apparaît alors immuable car on ne peut concevoir qu’il ne soit pas. Le fait d’être n’a ainsi ni commencement ni fin ; il est éternel, il est présent absolument, indivisible et homogène. Cette conception de l’être se heurtait toutefois à l’idée du mouvement : le mouvement étant par nature même le changement, comment un être immuable pouvait-il alors se mouvoir ? Leucippe et Démocrite proposèrent que l’être était constitué de corps immuables et insécables, ou atomes, libres de se mouvoir dans le vide. Face à cette vision discontinue du monde, Zénon opposait un modèle continu, où l’espace est divisible à l’infini.

Au travers de quelques paradoxes devenus célèbres, il tenta de démontrer que les hypothèses de Démocrite menaient à l’impossibilité de tout mouvement.

Newton et Leibniz, confrontés au même problème, trouvèrent, séparément, une solution qui devait révolutionner la physique et les mathématiques. Au lieu de tenter de mesurer la vitesse instantanée, tâche vouée à l’échec, ils partirent de la remarque suivante : calculer la vitesse instantanée d’un corps revient en quelques sortes à calculer sa vitesse moyenne sur une durée extrêmement courte, quasiment nulle mais non nulle. En fait, le temps étant continu, il est possible de calculer la vitesse d’un corps sur une durée aussi petite que l’on veut.

Lire ici

Conclusion :

Quelles sont les idées révolutionnaires introduites par Zénon pour qu’elles aient été discutées par les plus grands mathématiciens et physiciens de chaque époque sans avoir jamais été vraiment dépassées par les avancées des sciences ?

Première idée : l’espace, le temps, le mouvement, l’énergie, la matière ne peuvent pas être ni des points ni des segments. Notre géométrie ne répond pas au problème posé par le mouvement. En effet, le mouvement ne peut être représenté par une somme de positions successives car il serait une succession d’immobilités.

Deuxième idée  : il n’est pas possible qu’il n’y ait rien entre les objets matériels. Le vide doit être un univers existant et interagissant avec la matière. La matière doit être une espèce de vide et le vide une espèce de matière. Comme le dira Hegel à propos des paradoxes de Zénon, "dans le mouvement, l’espace se pose temporellement et le temps spatialement."

Troisième idée : la matière ne peut pas être constituée par des objets fixes qui se contentent de se déplacer, sans changer, dans un espace qui ne change pas du fait de leur passage.

Quatrième idée : il ne peut pas y avoir mouvement sans de multiples discontinuités profondes de la matière, de l’espace, du vide et du temps. Ces discontinuités ne peuvent être ni assimilables, d’une manière ou d’une autre, à du continu ni représentables par des points. Une discontinuité ne peut être de dimension zéro.

Cinquième idée : le tout n’est pas la somme de ses parties. Les propriétés d’une collection d’objets ne sont pas une addition des propriétés des éléments.

Sixième idée : tout objet, tout mouvement, tout espace, tout temps suppose une contradiction entre réalité et potentialité, entre structure et changement, entre état et changement, ....

Septième idée : le monde est un et non pluriel. Les contradictions ne proviennent pas de l’action entre des mondes différents mais sont intérieures au même monde.

Huitième idée : la précision exacte et fixe d’une valeur (du temps, de l’espace, de l’énergie) n’existe pas. Un instant de durée nulle n’est pas plus possible qu’un espace entièrement ponctuel. On ne peut pas sans cesse rendre plus précise une mesure.

Neuvième idée, qui soutend les autres : l’apparence n’est pas forcément la réalité. Ce qui est réel peut être virtuel et ce qui est virtuel peut être réel. ce qui apparait mobile peut être immobile et inversement. Ce qui semble fixe peut être changeant et inversement.
Dixième idée : unité et multiplicité ne s’opposent pas logiquement mais sont combinés en même temps qu’opposés. Ils constituent une contradiction dialectique.

Onzième idée : la matière ne peut être en mouvement si elle ne contient pas elle-même du mouvement. Dans le cas d’une particule dite élémentaire, le mouvement suppose le changement. Cela suppose qu’au niveau limite de dimension, il y a un autre univers sous-jacent, en rupture avec le précédent. La dimension n’est donc pas divisible continûment mais la division de dimension signifie un saut qualitatif.

Dernière idée : La continuité fondée sur une succession d’infiniment petits n’a pas de réalité. Il n’est pas possible de diviser à l’infini et pourtant il y a un univers sous-jacent...

En somme, ce que posent les paradoxes de Zénon, en plus de nombre d’idées de la physique quantique la plus moderne, c’est une idée qu’il a hérité de Parménide et que nous connaissons sous le nom de dialectique de la nature. Le vide est dans le plein et le plein est dans le vide. Le mouvement est dans l’immobilité et l’immobilité dans le mouvement. L’espace est dans le temps et le temps est dans l’espace, etc... Aucun calcul (sommation infinie, calcul différentiel, ...) ne peut résoudre le fait que le mouvement pose le problème de la contradiction dialectique de la nature. Le corps est à la fois en un lieu et en un autre lieu, en un état et en un autre état.

Messages

  • Le physicien Louis de Broglie : « Dans le macroscopique, Zénon paraît avoir tort, poussant trop loin les exigences d’une critique trop aiguë, mais dans le microscopique, à l’échelle des atomes, sa perspicacité triomphe et la flèche, si elle est animée d’un mouvement bien défini, ne peut être en aucun point de sa trajectoire. Or, c’est le microscopique qui est la réalité profonde, car il sous-tend le macroscopique. »

    Louis de Broglie, dans « La physique nouvelle et les quanta » : « L’existence du quantum d’action, sur lequel nous aurons si souvent à revenir dans le cours de cet ouvrage, implique en effet une sorte d’incompatibilité entre le point de vue de la localisation dans l’espace et dans le temps et le point de vue de l’évolution dynamique ; chacun de ces points de vue est susceptible d’être utilisé pour la description du monde réel, mais il n’est pas possible de les adopter simultanément dans toute leur rigueur. La localisation exacte dans l’espace et dans le temps est une sorte d’idéalisation statique qui exclut toute évolution et tout dynamisme ; l’idée d’état de mouvement prise dans toute sa pureté est par contre une idéalisation dynamique qui est en principe contradictoire avec les concepts de position et d’instant. »

    De Broglie dans « La physique nouvelle et les quanta » :

    « L’existence du quantum d’action (…) implique une sorte d’incompatibilité entre le point de vue de la localisation dans l’espace et dans le temps et le point de vue de l’évolution dynamique (…) La localisation exacte dans l’espace et le temps est une sorte d’idéalisation statique qui exclut toute évolution et toute dynamique. »

  • Cela consiste, dans l’idée de Zénon et aussi la constatation en physique quantique, que, plus on veut avoir des valeurs de mesure proches les unes des autres, plus la réalité que l’on mesure se fige.

  • En mécanique quantique, l’un des concepts les plus difficiles à comprendre et à intégrer pour le débutant, et même pour le physicien confirmé, est le rôle qu’y joue l’observateur, qu’il soit un être humain ou un instrument de mesure piloté par un ordinateur. La raison essentielle est la suivante : il semble bien, dans le cadre de l’interprétation standard de la théorie quantique, qu’il soit impossible de parler de l’existence réelle de certains attributs classiques d’un système quantique sans faire intervenir l’acte de mesure pour l’observer.

    Ainsi, en soi, un quanta de matière ou d’énergie (et même des atomes et des molécules de matière) n’existe pas comme un objet localisé de façon constante dans l’espace et dans le temps. C’est l’interaction avec un système physique classique macroscopique - un détecteur en physique des particules par exemple - en un endroit et un temps donnés, qui peut l’amener à se manifester comme un objet classique semblable à une boule de billard. C’est ainsi qu’un photon ou un électron peuvent être observés par un détecteur lorsqu’ils se localisent à la surface d’un capteur CCD.

    Un autre avatar de cette étrangeté quantique se manifeste lorsque l’on considère des systèmes comme un atome couplé à un champ électromagnétique ou une particule élémentaire couplée aux interactions faibles. Le premier peut se désexciter émettant des photons, le second, se désintégrer en d’autres particules, comme des muons et des neutrinos s’il s’agit d’un pion. Le couplage à un champ joue, d’une certaine façon, le rôle d’une mesure et force le système à évoluer. Mais, dans certains cas, comme Alan Turing le découvrit en 1954, l’observation peut bloquer cette évolution. Le paradoxe de Turing, comme il est parfois appelé, a été énoncé sous une forme plus rigoureuse en 1974 par Degasperis, Fonda et Ghirardi puis par Sudarshan et Misra qui l’ont baptisé l’effet Zénon (Quantum Zeno effect en anglais).

    Le grand physicien théoricien George Sudarshan est à l’origine du nom de l’effet Zénon quantique, dont il fut l’un des premiers à signaler la présence dans le monde quantique. En effet, comme Alan Turing avant lui, George Sudarshan a montré qu’en observant assez fréquemment une particule instable, il était possible de l’empêcher de se désintégrer ! Aujourd’hui, l’effet Zénon est peut-être une clé pour la réalisation des ordinateurs quantiques.

    Le nom d’effet Zénon est un clin d’œil au philosophe grec Zénon d’Élée qui a vécu dans la Grande Grèce, c’est-à-dire une partie du Sud de l’Italie, il y a presque 2.500 ans. Zénon pensait avoir démontré que le mouvement était une illusion, car impossible. En effet, dans les deux exemples mentionnés précédemment, l’effet Zénon opérerait de la façon suivante : à force de regarder à des intervalles de temps très rapprochés (la condition est essentielle) un atome ou un pion pour détecter leurs émissions de particules, l’observateur les empêcherait de se désexciter et de se désintégrer. L’effet Zénon n’a été observé expérimentalement qu’en 1989, avec des ions refroidis par laser et piégés par des champs magnétiques et électriques, par le prix Nobel de physique David J. Wineland et son équipe. Un groupe de physiciens de l’université de Cornell (États-Unis) vient de l’observer à nouveau avec des atomes ultra-froids de rubidium piégés dans un réseau optique, comme les chercheurs l’expliquent dans un article disponible sur arXiv.

    À la base, l’expérience a consisté à refroidir sous vide environ un milliard de ces atomes à l’aide de la technique de refroidissement Raman par bandes latérales, donc en utilisant un piège magnéto-optique, puis à utiliser à nouveau des faisceaux laser pour créer des cuvettes de potentiel périodique où ces atomes se répartissent comme ils le feraient dans un réseau cristallin. Comme des ondes électromagnétiques sont utilisées, il est cependant question de réseau optique (optical lattice en anglais).

    Ces atomes ne restent pas en permanence dans les sites du réseau cristallin artificiel ainsi créé. Ils transitent d’un site à l’autre par effet tunnel. On peut en comprendre intuitivement la raison en se rappelant qu’à cause des inégalités de Heisenberg, des atomes froids doivent être, en quelque sorte, délocalisés dans un tel réseau puisque la température du gaz, et donc les vitesses des atomes, sont basses. En effet, le produit de la dispersion de la vitesse par celui de la position doit être au moins de l’ordre de la constante de Planck pour chaque atome. Une dispersion presque nulle de la vitesse entraîne donc une dispersion élevée de la position.

    Mais, comme l’ont montré les chercheurs, tout change si l’on tente malgré tout d’observer les positions de ces atomes. Pour cela, il faut d’abord commencer à exciter ces atomes avec des lasers pour induire un effet de fluorescence. Les photons émis par les atomes qui se désexcitent sont ensuite observés avec une sorte de microscope, ce qui revient à tenter de déterminer les positions de ces atomes. L’observateur constate alors que l’effet Zénon entre en jeu et que l’effet tunnel est d’autant plus inhibé que les lasers sont réglés plus finement pour mesurer précisément les positions des atomes.

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