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Du temps de Marx et Engels, les grandes révolutions des sociétés humaines de la Préhistoire et de l’Antiquité la plus ancienne étaient parfaitement inconnues !

mardi 29 octobre 2019, par Robert Paris

Du temps de Marx et Engels, les grandes révolutions des sociétés humaines de la Préhistoire et de l’Antiquité la plus ancienne étaient parfaitement inconnues !

Certaines révolutions de la Grèce et de la Rome antiques, comme le passage de la société gentilice (la gens) à l’Etat ou les luttes de classes entre maîtres d’esclaves et leurs exploités ou entre grands propriétaires et hommes libres pauvres, de Spartacus aux Gracques, ont certes été connues par les fondateurs du marxisme mais la plupart des révolutions sociales de la Préhistoire et de l’Antiquité étaient alors inconnues des savants et donc de Marx et Engels, en particulier dans les sociétés orientales où nous étudions de nos jours de nombreux soulèvements sociaux et aussi dans les sociétés des Amériques où ils étaient totalement inconnus à leur époque. Aujourd’hui encore, les révolutions antiques et préhistoriques restent peu connues…

De nombreuses situations révolutionnaires de la Préhistoire et de l’Antiquité nous ont longtemps été inconnues et commencent seulement à nous apparaître.

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Oui, Marx n’a pas pu tenir compte de l’importance des révolutions sociales antiques…

En voici, par exemple, un témoignage : Karl Marx écrit pour le « New York Daily Tribune » d’août 1853 que « Ce qu’on appelle l’histoire d’Orient est plus exactement l’histoire des envahisseurs successifs qui ont su asseoir leur empire sur la base passive de sociétés qui ne s’insurgent pas et dont la structure demeure inchangée. »

Maurice Godelier signalait à ce propos dans « Sur les sociétés pré-capitalistes » : « Nous avons déjà signalé que l’archéologie de la Grèce et de la Rome archaïques n’existaient pas à l’époque où Marx et d’Engels écrivaient, que l’archéologie des pays du Proche-Orient sauf l’Egypte était en train de naïtre, que l’archéologie et la conaissance de l’histoire antique de la Chine, de l’Indonésie, du Japon et des grandes civilisations précolombiennes n’avaient pas vu le jour. Il fallut attendre la découverte du site de Jarno en Irak central et les fouilles de Braidwood (1948-1951) pour que soit exhumé un témoin des premières communautés villageoises « (5000 ans avant J.-C) contemporaines du début de l’agriculture sédentarisée et de la domestication des animaux. Depuis, les découvertes se sont multipliées et confirment que villes et Etats sont apparus bien après le développement des communautés villageoises. En Mésopotamie du sud, par exemple, la communauté villageaoise est attestée en 9250 avant J.-C et les premières cités-Etats sumériennes commencent à apparaître en 3500 avant J.-C. » Il faut rajouter d’autres découvertes récentes dues aux recherches archéologiques et aux réflexions des auteurs sur la préhistoire et l’histoire. En particulier, on découvre que la ville est apparue des années avant l’Etat, que la civilisation a connu un énorme développement bien avant l’organisation politique, policière, militaire, centralisée des classes dirigeantes. La première forme centralisée de l’Etat, dont le modèle est le règne des pharaons a souvent été présenté, comme un « despotisme asiatique » fondé sur l’organisation centralisée d’un progrès important : l’irrigation. Maurice Godelier rappelle que cette thèse s’est révélée fausse : « Ce n’est donc pas l’existence des grands travaux dirigés par un pouvoir central qui fera appartenir une société au mode de production asiatique, mais l’existence de communautés qui possèdent collectivement les moyens de production essentiels dont le contrôle ultime est dans les mains de l’Etat. » Un ouvrage récent intitulé "Archéologie historique de la Grèce antique" et écrit par Etienne, Müller¨et Prost rappelle que les cités de l’époque minoenne (nées aux environs de 2000 avant J.-C) n’étaient pas des cités-Etats et qu’elles ont disparu bien avant qu’une nouvelle civilsation, en rupture avec la première, donne naissance à des cités-Etat, beaucoup plus tard : vers 750 avant J.-C.

Voir ici les réflexions de Marx sur le prétendu mode de production asiatique ou oriental qui montraient une méconnaissance des changements sociaux de cette époque :

Karl Marx avait-il raison de spécifier un « mode de production asiatique » ?

Marx, soutien du colonialisme anglais en Inde ?

Marx aurait fait l’éloge de l’œuvre civilisatrice du colonialisme anglais, ont dit certains de ses critiques. On ne le voit guère ! Marx est loin de minimiser les maux de la colonisation. Par contre, comme nous allons le lire, il minimise les capacités qu’ont eu ces peuples orientaux de révolutionner leur propre société. Il sous-estime les révolutions sociales en Orient, parce qu’elles étaient inconnues de son temps. Tout particulièrement, la connaissance de la civilisation indienne-pakistanaise dite « de l’Indus » et sa chute provoquée par une révolution sociale, étaient tous deux parfaitement inconnus de Marx, Engels comme de tous leurs contemporains.

Karl Marx, le 25 juin 1853, article du « New York Daily Tribune » :

« Angleterre : colonialisme et commune indienne

« Il n’y a aucun doute que la misère amenée dans l’Hindoustan par les Anglais diffère essentiellement de tout ce que ce pays a jamais souffert auparavant, les effets de cette misère étant infiniment plus profonds. (…)

Toutes les guerres civiles, invasions, révolutions, conquêtes, famines – quelque étrangement embrouillée, rapide et destructrice qu’eût pu paraître leur succession dans l’Hindoustan – n’ont cependant fait qu’effleurer la surface. L’Angleterre a démoli tout l’édifice de la société hindoue, sans qu’on ait pu apercevoir jusqu’ici quelque symptôme d’une nouvelle organisation. Cette perte de sont vieux passé n’étant pas compensée par la conquête d’un monde nouveau, la misère actuelle de l’Hindou se caractérise par une espèce de mélancolie, l’Hindoustan sous domination britannique étant séparé de toutes ses vieilles traditions et de tout son passé historique. (…)

Quelque variée que pût paraître l’image politique du passé de l’Inde, son ordre social est resté inchangé depuis les temps les plus reculés jusque dans la première décennie du XIXe siècle. Le métier à tisser et le rouet, avec les innombrables fileurs et tisseurs qui se succèdent de génération en génération, furent le fondement de la structure de cette société. (…)

Ce fut l’envahisseur anglais qui détruisit le métier à filer et le rouet de l’Hindou. L’Angleterre commença par évincer les cotonnades hindoues du marché européen, ensuite elle amena vers l’Hindoustan du filé et finalement elle inonda le pays d’origine du coton avec des cotonnades. (…)

Mais le déclin des villes hindoues célèbres par leurs tissus ne fut pas, de loin, la conséquence la plus désastreuse. La vapeur et la science anglaises ont, dans tout l’Inde, détruit dans ses racines l’union de l’agriculture et de la manufacture.

Ces deux circonstances – d’une part le fait que les Hindous, comme tous les peuples orientaux, ont laissé au gouvernement central le soin de s’occuper des grands travaux publics, base de leur agriculture et de leur commerce, tandis que, d’autre part, disséminés dans tout le pays, ils étaient réunis dans de petits centres par la combinaison du travail agricole et du travail artisanal – ces deux circonstances avaient créé, depuis les temps les plus reculés, un système social très particulier : le « système villageois », qui a permis à chacune de ces petites unités d’avoir son organisation indépendante et sa vie propre. (…)

Ces petites formations stéréotypées de l’organismes social se sont désagrégées et disparaissent en grande partie non pas tant à la suite des empiètements brutaux du percepteur et du soldat anglais qu’à cause de la machine à vapeur et du libre-échange anglais. (…)

L’immixtion anglaise qui transplantait le fileur dans le Lancashire et le tisseur dans le Bengale ou les chassait tous les deux – le fileur hindou tout comme le tisseur hindou – eut pour résultat de dissoudre ces petites communautés mi-barbares, mi-civilisées, en faisant éclater leur base économique, accomplissant ainsi la plus grande et, en vérité, l’unique révolution « sociale » que l’Asie ait jamais connue.

Quelque pénible que soit pour le sentiment humain de voir comment ces innombrables et paisibles communautés sociales, travailleuses et patriarcales, se désagrègent et se noient dans une mer de souffrances, et comment leurs membres perdent, en même temps que leur ancienne forme de civilisation, leurs possibilités d’existence léguées par le passé, nous ne devons pourtant pas oublier que ces communes rurales idylliques, quelque inoffensives qu’elles paraissent, ont formé depuis toujours le fondement solide du despotisme oriental. De plus, elles ont restreint l’esprit humain à l’horizon le plus borné qu’on puisse imaginer, en en faisant un instrument soumis de la superstition, une esclave des habitudes traditionnelles et en le dépouillant de toute grandeur et de toute énergie historique.

N’oublions pas non plus l’égoïsme barbare qui, cramponné à un misérable lambeau de sol, contemple tranquillement la ruine des empires, la perpétration d’indicibles cruautés, le massacre de la population de grandes villes, incapable d’y voir autre chose qu’un événement naturel, proie inerte offerte à tout envahisseur qui daigne abaisser son regard jusqu’à lui. (…) L’Angleterre, en déclenchant une révolution sociale dans l’Hindoustan, ne fut sans doute poussée que par les intérêts les plus bas et elle l’accomplit par des moyens absurdes. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

La véritable question, la voici : l’humanité peut-elle satisfaire à sa destination sans une révolution fondamentale dans l’état social de l’Asie ? Si elle le peut, alors l’Angleterre, quels que soient ses crimes, a été, en réalisant cette révolution, l’instrument inconscient de l’histoire. »

Karl Marx, le 22 juillet 1853, article du « New York Daily Tribune » :

« Tout ce que la bourgeoisie anglaise sera obligée de faire (en Inde) n’entraînera ni la libération de la masse du peuple ni l’amélioration de sa situation sociale, qui ne dépendent pas seulement du développement des forces de production, mais encore de leur appropriation par le peuple. Ce qu’elle fera de toute manière, c’est créer les conditions de leur réalisation. La bourgeoisie a-t-elle jamais fait quelque chose de plus ? A-t-elle jamais accompli un progrès sans traîner les individus comme les peuples dans le sang et la boue, la misère et l’abaissement ?

Les Indiens ne récolteront pas les fruits de ces germes d’une nouvelle société que la bourgeoisie anglaise a disséminés parmi eux, aussi longtemps qu’en Grande Bretagne même la classe dominante ne sera pas chassée par le prolétariat industriel ou que les Hindous eux-mêmes ne seront pas devenus assez forts pour secouer une fois pour toutes le joug anglais.

En tout cas, on peut attendre avec certitude, dans un avenir plus ou moins proche, une renaissance de ce grand pays intéressant dont les doux habitants, même dans les classes les plus basses sont plus fins et plus adroits que les italiens et chez qui même l’humilité est compensée par une sorte de noblesse tranquille…

La profonde hypocrisie et la barbarie congénitale de la civilisation bourgeoise s’étalent ouvertement sous nos regards, dès que nous nous détournons de sa partie où elle affiche des dehors respectables, pour examiner les colonies où elle se manifeste dans toute sa nudité…

Les effets dévastateurs de l’industrie anglaise sur un pays comme l’Inde qui est aussi grand que l’Europe s’y montrent dans toute leur atrocité. Mais nous ne devons pas oublier qu’ils ne sont que le produit organique de l’ensemble du système actuel de production. Cette production repose sur la suprématie du capital. La concentration du capital est essentielle pour l’existence du capital en tant que puissance autonome. L’effet destructeur de cette concentration sur les marchés du monde ne fait que dévoiler, dans des proportions absolument gigantesques, les lois organiques immanentes de l’économie politique telles qu’elles agissent aujourd’hui dans toute ville du monde civilisé. L’ère historique bourgeoise doit créer la base matérielle d’un monde nouveau : d’une part, le trafic mondial fondé sur l’interdépendance des peuples et les moyens de ce trafic ; d’autre part, le développement des forces productives et la transformation de la production matérielle en une domination scientifique des forces naturelles. L’industrie et le commerce bourgeois créent ces conditions matérielles d’un monde nouveau de la même manière que les révolutions géologiques ont créé le visage du globe terrestre.

C’est seulement lorsqu’une grande révolution sociale aura maîtrisé les conquêtes de l’époque bourgeoise – le marché mondial et les forces productives modernes – et les aura soumises au contrôle commun des peuples les plus avancés, c’est alors seulement que le progrès humain cessera de ressembler à cet horrible dieu païen qui ne voulait boire le nectar que dans les crânes des ennemis tués. »

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