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Une lettre sur la révolution italienne

vendredi 28 février 2020, par Robert Paris

Cette lettre de Léon Trotsky a été écrite en 1930 à l’occasion de l’un des développements les plus encourageants de l’histoire de l’opposition de la gauche internationale (trotskyste). Trois dirigeants du Parti communiste italien, Blasco, Feroci et Santini, ont publié une déclaration publique de solidarité politique et organisationnelle avec la lutte révolutionnaire pour l’internationalisme marxiste que Trotsky avait menée si longtemps. Ils ont créé le groupe appelé la Nouvelle Opposition Italienne (à la différence de la "vieille" Opposition Italienne de Gauche dirigée par Amadeo Bordiga). Les staliniens, bien sûr, les ont immédiatement expulsés du Comité central auquel ils appartenaient et du parti.

Lettre sur la révolution italienne

(14 Mai 1930)

Chers camarades

J’ai reçu votre lettre du 5 mai. Merci beaucoup pour cette étude du communisme italien en général et des diverses tendances qui y règnent en particulier. Cela a comblé un grand besoin pour moi et elle était bienvenue. Il serait regrettable que votre travail soit laissé sous forme de lettre ordinaire. Avec quelques modifications ou abrégés, la lettre pourrait très bien trouver sa place dans les pages de "La Lutte de classes".

Si cela ne vous dérange pas, je commencerai par une conclusion politique générale : je considère notre collaboration mutuelle à l’avenir comme parfaitement possible et même extrêmement souhaitable. Aucun de nous ne possède ni ne peut posséder de formules politiques préétablies pouvant servir à toutes les éventualités de la vie. Mais je crois que la méthode avec laquelle vous cherchez à déterminer les formules politiques nécessaires est la bonne.

Vous me demandez mon avis sur toute une série de graves problèmes. Mais avant de tenter une réponse sur certains d’entre eux, je devrais formuler une réserve très importante. Je n’ai jamais été très familier avec la vie politique italienne, car je n’ai passé que très peu de temps en Italie, j’ai très mal lu l’italien et pendant mon séjour à l’Internationale communiste, je n’ai pas eu l’occasion d’approfondir un examen de Affaires italiennes.

Vous devez le savoir vous-même assez bien, car comment expliquer autrement le fait que vous ayez entrepris un travail aussi détaillé pour me mettre au courant des questions en suspens ?

Il résulte de ce qui précède que mes réponses, dans la plupart des cas, ne devraient avoir qu’une valeur purement hypothétique. En aucun cas je ne peux considérer les réflexions qui suivent comme définitives. Il est tout à fait possible et même probable qu’en examinant tel ou tel autre problème je perds de vue certaines circonstances concrètes très importantes de temps et de lieu. J’attendrai donc vos objections et informations complémentaires et correctives. Dans la mesure où notre méthode, comme je l’espère, est commune, c’est de cette manière que nous arriverons le mieux à la bonne solution.

1. Vous me rappelez que j’ai critiqué une fois le slogan « Assemblée républicaine sur la base des comités de travailleurs et des comités de paysans », slogan précédemment proposé par le Parti communiste italien. Vous me dites que ce slogan avait une valeur tout à fait épisodique et qu’à l’heure actuelle il a été abandonné. Je voudrais néanmoins vous expliquer pourquoi je considère qu’il s’agit d’un slogan politique erroné ou du moins ambigu. L ’« Assemblée républicaine » constitue bien évidemment une institution de l’État bourgeois. Mais que sont les « comités ouvriers et paysans » ? Il est évident qu’ils sont une sorte d’équivalent des soviets ouvriers et paysans. Voilà ce qu’il faut dire. Car les organes de classe des ouvriers et des paysans pauvres, que vous leur donniez le nom de soviets ou de comités, constituent toujours des organisations de lutte contre l’Etat bourgeois, puis deviennent des organes d’insurrection, pour se transformer enfin, après la victoire, en organes de la dictature prolétarienne. Comment, dans ces conditions, une Assemblée républicaine - organe suprême de l’Etat bourgeois - peut-elle avoir comme « base » les organes de l’Etat prolétarien ?

« Assemblée républicaine »

Je voudrais vous rappeler qu’en 1917, avant octobre, Zinoviev et Kamenev, lorsqu’ils se sont prononcés contre une insurrection, ont préconisé d’attendre la réunion de l’Assemblée constituante afin de créer un « État combiné » au moyen d’une fusion entre le Assemblée constituante et soviets ouvriers et paysans. En 1919, nous avons vu Hilferding proposer d’inscrire les Soviets dans la constitution de Weimar. Comme Zinoviev et Kamenev, Hilferding a appelé cela « l’état combiné ». En tant que nouveau type de petit bourgeois, il voulait, au moment même du tournant historique le plus brusque, « combiner » un troisième type d’État en mariant la dictature de la bourgeoisie à la dictature prolétarienne sous le signe de la constitution.

Le slogan italien exposé ci-dessus me semble être une variante de cette tendance petite-bourgeoise. Sauf, si je l’ai bien compris, dans un sens encore pire. Mais dans ce cas, elle a déjà l’incontestable défaut de se prêter à de dangereux malentendus. J’en profite pour corriger ici une erreur vraiment impardonnable commise par les épigones staliniens en 1924 : ils avaient trouvé dans Lénine un passage disant que nous pourrions être amenés à marier l’Assemblée constituante avec les Soviets. Un passage disant la même chose peut également être découvert dans mes écrits. Mais de quoi s’agissait-il exactement ? Nous posions la question d’une insurrection qui transmettrait le pouvoir au prolétariat sous forme de soviets. À la question de ce que, dans ce cas, nous ferions de l’Assemblée constituante, nous avons répondu : « Nous verrons ; peut-être allons-nous le combiner avec les Soviets ». Nous avons compris que le cas où l’Assemblée constituante, convoquée sous le régime soviétique, aurait une majorité soviétique. Comme ce n’était pas le cas, les Soviets ont dispersé l’Assemblée constituante. En d’autres termes : la question se posait de savoir s’il était possible de transformer l’Assemblée constituante et les Soviets en organes d’une seule et même classe, et pas du tout de « combiner » une Assemblée constituante bourgeoise avec les Soviets prolétariens. Dans un cas (avec Lénine), il s’agissait de la formation d’un état prolétarien, de sa structure, de sa technique. Dans l’autre (avec Zinoviev, Kamenev, Hilferding), il s’agissait d’une combinaison constitutionnelle de deux états de classes ennemies en vue d’éviter une insurrection prolétarienne qui aurait pris le pouvoir.

Caractère social de la révolution antifasciste

2. La question que nous venons d’examiner (l’Assemblée républicaine) est intimement liée à une autre que vous analysez dans votre lettre, à savoir quel caractère social la révolution antifasciste acquerra-t-elle ? Vous niez la possibilité d’une révolution bourgeoise en Italie. Vous avez parfaitement raison. L’histoire ne peut pas revenir en arrière sur un nombre considérable de pages, chacune équivalant à une demi-décennie. Le Comité central du Parti communiste italien a déjà tenté une fois de contourner la question en proclamant que la révolution ne serait ni bourgeoise ni prolétarienne, mais « populaire ». C’est une simple répétition de ce que les populistes russes ont dit au début de ce siècle quand on leur a demandé quel caractère la révolution contre le tsarisme allait acquérir. Et c’est toujours la même réponse que l’Internationale Communiste donne aujourd’hui à l’égard de la Chine et de l’Inde. C’est tout simplement une variante pseudo-révolutionnaire de la théorie social-démocrate d’Otto Bauer et d’autres, selon laquelle l’État peut s’élever au-dessus des classes, c’est-à-dire ne pas être bourgeois ou prolétarien. Cette théorie est aussi pernicieuse pour le prolétariat que pour la révolution. En Chine, il a transformé le prolétariat en chair à canon de la contre-révolution bourgeoise.

Chaque grande révolution se révèle populaire dans le sens où elle entraîne dans son sillage le peuple tout entier. La Grande Révolution française et la Révolution d’octobre étaient toutes deux très populaires. Néanmoins, la première était bourgeoise parce qu’elle instituait la propriété individuelle, tandis que la seconde était prolétarienne parce qu’elle supprimait la propriété individuelle. Seuls quelques révolutionnaires petits-bourgeois désespérément tardifs peuvent encore rêver d’une révolution qui ne serait ni bourgeoise ni prolétarienne, mais « populaire » (c’est-à-dire petite-bourgeoise).

Or, à l’époque impérialiste, la petite bourgeoisie est incapable non seulement de mener une révolution, mais même d’y jouer un rôle indépendant.

Ainsi, la formule d’une « dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie » constitue désormais un simple écran pour une conception petite-bourgeoise d’une révolution de transition et d’un État de transition, c’est-à-dire d’une révolution et d’un État qui ne peut avoir lieu en Italie ou même dans l’Inde arriérée. Un révolutionnaire qui n’a pas adopté une position claire et sans équivoque sur la question d’une dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie est condamné à tomber dans l’erreur après erreur. Quant au problème de la révolution antifasciste, la question italienne, plus que toute autre, est intimement liée aux problèmes fondamentaux du communisme mondial, c’est-à-dire de la soi-disant théorie de la révolution permanente.

La période de transition en Italie

3. À la suite de ce qui a été dit, vient la question de la période de « transition » en Italie. Dès le départ, il faut établir très clairement : transition de quoi à quoi ? Une période de transition de la révolution bourgeoise (ou « populaire ») à la révolution prolétarienne - c’est la seule chose. Une période de transition de la dictature fasciste à la dictature prolétarienne, c’est autre chose.

Si la première conception est envisagée, la question de la révolution bourgeoise se pose en premier lieu, et il s’agit alors d’y établir le rôle du prolétariat. Ce n’est qu’après cela que se posera la question de la période de transition vers une révolution prolétarienne. Si la seconde conception est envisagée, la question se pose alors d’une série de batailles », troubles, changement de situation, tournants brusques, constituant dans leur ensemble les différentes étapes de la révolution prolétarienne. Ces étapes peuvent être nombreuses. Mais ils ne peuvent en aucun cas contenir en leur sein une révolution bourgeoise ou son mystérieux hybride, la révolution « populaire ».

Contre-révolution à visage démocratique

Est-ce à dire que l’Italie ne peut pas, pendant un certain temps, redevenir un État parlementaire ou devenir une « république démocratique » ? Je considère - en parfait accord avec vous, je pense - que cette éventualité n’est pas exclue. Mais alors ce ne sera pas le fruit d’une révolution bourgeoise, mais l’avortement d’une révolution prolétarienne insuffisamment mûrie et prématurée. En cas de crise révolutionnaire profonde et de batailles de masse au cours desquelles l’avant-garde prolétarienne n’aura pas été en mesure de prendre le pouvoir, il se peut que la bourgeoisie rétablisse son autorité sur des bases « démocratiques ». Peut-on dire, par exemple, que l’actuelle république allemande est une conquête de la révolution bourgeoise ? Une telle affirmation serait absurde. Ce qui s’est passé en Allemagne en 1918-1919, c’est une révolution prolétarienne qui, faute de leadership, a été trompée, trahie et écrasée. Mais la contre-révolution bourgeoise est néanmoins contrainte de s’adapter aux circonstances résultant de cet écrasement de la révolution prolétarienne et de prendre la forme d’une république parlementaire « démocratique ». Est-ce le même - ou à peu près le même - finalement exclu pour l’Italie ? Non, ce n’est pas exclu. L’intronisation du fascisme résulte du fait que la révolution prolétarienne de 1920 n’a pas été menée à son terme. Seule une nouvelle révolution prolétarienne peut renverser le capitalisme. S’il ne devait pas non plus être destiné à triompher cette fois-ci (du fait de la faiblesse du Parti communiste, des manœuvres et des trahisons des sociaux-démocrates, des francs-maçons, des catholiques), de l’état « de transition » que la contre-révolution bourgeoise serait alors contraint de s’installer sur les ruines de la forme fasciste de son pouvoir ne serait rien d’autre qu’un État parlementaire et démocratique.

Quelle est à long terme la concentration antifasciste ? Anticipant la chute de l’État fasciste par un soulèvement du prolétariat et en général de toutes les masses opprimées, la Concentration s’apprête à arrêter ce mouvement, à le paralyser et à le contrecarrer afin de faire passer la victoire du compteur rénové -la révolution comme victoire supposée d’une révolution démocratique bourgeoise. Si cette dialectique des forces sociales vivantes est perdue de vue un seul instant, le risque est de se retrouver inextricablement enchevêtré et de dévier de la bonne route. Je pense qu’il ne peut y avoir le moindre malentendu entre nous sur ce point.

Slogans démocratiques et transitoires

4. Mais cela signifie-t-il que nous communistes rejetons à l’avance tous les slogans démocratiques, tous les slogans transitoires ou préparatoires, nous limitant strictement à la dictature prolétarienne ? Ce serait une démonstration de sectarisme stérile et doctrinaire. Nous ne pensons pas un seul instant qu’un seul saut révolutionnaire suffit pour franchir ce qui sépare le régime fasciste de la dictature prolétarienne. Nous ne nions en aucune façon une période de transition avec ses exigences transitoires, y compris les exigences démocratiques. Mais c’est précisément à l’aide de ces slogans transitoires, qui sont toujours le point de départ sur la voie de la dictature prolétarienne, que l’avant-garde communiste devra gagner toute la classe ouvrière et que celle-ci devra unir autour d’elle toutes les masses opprimées de la nation. Et je n’exclus même pas la possibilité de l’Assemblée constituante qui, dans certaines circonstances, pourrait être imposée par le cours des événements ou, plus précisément, par le processus d’éveil révolutionnaire des masses opprimées. Certes, à l’échelle historique large qui se situe dans la perspective d’un certain nombre d’années, le sort de l’Italie se réduit sans aucun doute à l’alternative suivante : fascisme ou communisme. Mais prétendre que cette alternative a déjà pénétré la conscience des classes opprimées de la nation revient à s’engager dans des vœux pieux et à considérer comme résolue la tâche colossale qui confronte encore pleinement le faible Parti communiste. Si la crise révolutionnaire devait éclater, par exemple, au cours des prochains mois (sous l’influence de la crise économique d’une part, et sous l’influence révolutionnaire venue d’Espagne, d’autre part), les masses de travailleurs , travailleurs comme paysans, donneraient certainement suite à leurs revendications économiques par des slogans démocratiques (tels que liberté de réunion, de presse, d’organisation syndicale, représentation démocratique au Parlement et dans les municipalités). Est-ce à dire que le Parti communiste doit rejeter ces demandes ? Au contraire. Il devra les investir du caractère le plus audacieux et le plus résolu possible. Car la dictature prolétarienne ne peut être imposée aux masses populaires. Elle ne peut être réalisée qu’en poursuivant une bataille - une bataille dans son intégralité - pour toutes les exigences, exigences et besoins transitoires des masses, et à la tête des masses.

Il faut rappeler ici que le bolchevisme n’est nullement arrivé au pouvoir sous le slogan abstrait de la dictature du prolétariat. Nous nous sommes battus pour l’Assemblée constituante beaucoup plus hardiment que tous les autres partis. Nous avons dit aux paysans : « Vous demandez une répartition égale des terres ? Notre programme agraire va beaucoup plus loin. Mais personne, sauf nous, ne vous aidera à parvenir à une utilisation égale de la terre. Pour cela, vous devez soutenir les travailleurs ». Concernant la guerre, nous avons dit aux masses populaires : « Notre tâche communiste est de faire la guerre à tous les oppresseurs. Mais vous n’êtes pas prêt à aller si loin. Vous vous efforcez d’échapper à la guerre impérialiste. Personne, sauf les bolcheviks, ne vous y aidera ». Je ne traite pas de la question de savoir quels devraient être les slogans centraux de la période de transition en Italie en ce moment, en 1930. Pour les définir et pour apporter des changements corrects et opportuns, il est nécessaire de mieux connaître La vie intérieure de l’Italie et en contact beaucoup plus étroit avec ses masses laborieuses qu’il ne m’est possible de l’être. Car, en plus d’une méthode correcte, il faut aussi écouter les masses. Je veux simplement indiquer la place générale des revendications transitoires dans la lutte du communisme contre le fascisme et, en général, contre la société bourgeoise.

Charlatanisme démocratique

5. Cependant, tout en faisant avancer tel ou tel slogan démocratique, nous devons lutter irrémédiablement contre toutes les formes de charlatanisme démocratique. La « République démocratique des travailleurs », slogan de la social-démocratie italienne, est un exemple de ce petit charlatanisme. Une république des travailleurs ne peut être qu’un État de classe prolétarienne. La république démocratique n’est qu’une forme masquée d’État bourgeois. La combinaison des deux n’est qu’une illusion petite-bourgeoise du rang social-démocrate (ouvriers, paysans) et un mensonge impudent des dirigeants sociaux-démocrates (tous les Turatis, Modiglianis et leurs semblables). Permettez-moi une fois de plus de remarquer en passant que j’étais et reste opposé au slogan d’une "Assemblée républicaine sur la base des travailleurs" et des "Comités paysans" précisément parce que cette formule se rapproche du slogan social-démocrate de la "République démocratique des travailleurs" et, par conséquent, peut rendre la lutte contre la social-démocratie extrêmement difficile.

Fascisme et social-démocratie

6. L’affirmation des dirigeants officiels (du Parti communiste) selon laquelle la social-démocratie n’existerait plus politiquement en Italie n’est rien d’autre qu’une théorie consolante des optimistes bureaucratiques qui souhaitent voir des solutions toutes faites où il reste encore de grandes tâches à accomplir . Le fascisme n’a pas liquidé la social-démocratie mais l’a au contraire préservée. Aux yeux des masses, les sociaux-démocrates ne portent pas la responsabilité du régime, dont ils sont en partie les victimes. Cela leur gagne une nouvelle sympathie et renforce l’ancien. Et un moment viendra où la social-démocratie monnayera la monnaie politique du sang de Matteotti tout comme la Rome antique l’a fait du sang du Christ.

Il n’est donc pas exclu que dans la période initiale de la crise révolutionnaire, la direction puisse être concentrée principalement entre les mains de la social-démocratie. Si un grand nombre de masses sont immédiatement entraînées dans le mouvement et si le Parti communiste mène une politique correcte, il se pourrait bien que dans un court laps de temps la social-démocratie soit réduite à zéro. Mais ce serait une tâche à accomplir, pas encore un accomplissement. Il est impossible de sauter ce problème ; il faut le résoudre.

Permettez-moi de rappeler à ce stade que Zinoviev, puis les Manuilskys et Kuusinens, ont annoncé à deux ou trois reprises que la social-démocratie allemande n’existait pratiquement plus. En 1925, le Komintern, dans sa déclaration au parti français écrite par la main légère de Lozovsky, décréta également que le parti socialiste français avait définitivement quitté la scène. L’opposition de gauche a toujours dénoncé énergiquement ce jugement volage. Seuls des imbéciles ou des traîtres purement et simplement voudraient inculquer à l’avant-garde prolétarienne de l’Italie l’idée que la social-démocratie italienne ne peut plus jouer le rôle que la social-démocratie allemande a joué lors de la révolution de 1918.

On peut objecter que la social-démocratie ne parvient pas à nouveau à trahir le prolétariat italien comme elle l’a fait en 1920. C’est une illusion et une auto-illusion ! Le prolétariat a été trompé trop de fois au cours de son histoire, d’abord par le libéralisme puis par la social-démocratie.

De plus, nous ne pouvons pas oublier que depuis 1920, dix années complètes se sont écoulées et depuis l’avènement du fascisme, huit ans. Les enfants qui avaient dix et douze ans en 1920-1922, et qui ont été témoins des activités des fascistes, constituent aujourd’hui la nouvelle génération d’ouvriers et de paysans qui lutteront héroïquement contre le fascisme, mais qui manquent d’expérience politique. Les communistes n’entreront en contact avec le mouvement de masse que pendant la révolution elle-même et, dans les circonstances les plus favorables, il faudra des mois avant de pouvoir exposer et démolir la social-démocratie qui, je le répète, le fascisme n’a pas liquidé mais au contraire a conservé.

Pour conclure, quelques mots sur une importante question de fait, sur laquelle il ne peut y avoir deux opinions différentes dans notre cercle. Les opposants de gauche devraient-ils ou peuvent-ils délibérément démissionner du parti ? Il ne peut y avoir aucune question à ce sujet. Sauf de rares exceptions, et c’étaient des erreurs, aucun de nous n’a jamais fait ça. Mais je n’ai pas une idée claire de ce qui est exigé d’un camarade italien pour conserver tel ou tel poste au sein du parti dans les circonstances actuelles. Je ne peux rien dire de concret sur ce point, si ce n’est qu’aucun de nous ne peut permettre à un camarade de s’adapter à une position politique fausse ou équivoque devant le parti ou les masses afin d’éviter l’expulsion.

Je vous serre la main.

14 mai 1930

bien à vous,

Leon Trotsky

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