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Durkheim, la société et les femmes

samedi 9 janvier 2010, par Robert Paris

Il est important de rappeler que Durkheim est encore considéré comme le prototype du sociologue et étudié comme tel. Y compris par des organisations qui se disent socialistes et qui prétendent, au travers de Durkheim, trouver un socialisme non marxiste !

Il va de soi que ses préjugés contre les femmes présentés comme des réflexions scientifiques ne reflètent nullement le point de vue de "Matière et révolution". ils ne sont cités que pour montrer à quel point la sociologie a longtemps servi de fondement idéologique à la soumission aux inégalités et aux oppressions.

C’est notamment à propos de Durkheim que Stephen Jay Gould citait Condorcet :

« Ils rendent la nature complice du crime d’inégalité politique. »
Condorcet, cité dans "La Mal-Mesure de l’homme"

Mais, au delà de la seule question des femmes, il faut voir que Durkheim avait une conception générale de la division sociale du travail qui en faisait quelque chose de naturel :

« La division du travail est donc un résultat de
la lutte pour la vie : mais, ajoute-t-il,
elle en est un dénouement adouci »

(DTS, p. 253).

Et la division sociale du travail, pour lui, est naturelle, organique :

« Il en est tout
autrement [en regard de la solidarité
mécanique] de la solidarité que produit la division du travail. […] Cette
solidarité ressemble à celle que l’on
observe chez les animaux supérieurs.
Chaque organe, en effet, y a sa physionomie spéciale, son autonomie, et
pourtant l’unité de l’organisme est
d’autant plus grande que cette individuation des parties est plus marquée. En raison de cette analogie,
nous proposons d’appeler organique
la solidarité qui est due à la division
du travail » (DTS, p. 100-101

"Ce qui fait la valeur morale de la division du travail .. c’est que, par elle, l’individu reprend conscience de son état de dépendance vis-à-vis de la société. (...)
"Non seulement la division du travail présente le caractère par lequel nous définissons la moralité, mais elle tend de plus en plus à devenir la condition essentielle de la solidarité sociale. (...) En un mot, puisque la division du travail devient la source éminente de la solidarité sociale, elle devient du même coup la base de l’ordre moral. On peut donc dire à la lettre que, dans les sociétés supérieures, le devoir n’est pas d’étendre notre activité en surface, mais de la concentrer et de la spécialiser. Nous devons borner notre horizon, choisir une tâche définie et nous y engager tout entiers, au lieu de faire de notre être une sorte d’œuvre d’art achevée, complète, qui tire toute sa valeur d’elle-même et non des services qu’elle rend. Enfin, cette spécialisation doit être poussée d’autant plus loin que la société est d’une espèce plus élevée sans qu’il soit possible d’y assigner d’autre limite. (...) Mais est-ce que la division du travail, en faisant de chacun de nous un être incomplet, n’entraîne pas une diminution de la personnalité individuelle ? C’est un reproche qu’on lui a souvent adressé. (...) Pourquoi y aurait-il plus de dignité à être complet et médiocre, qu’à vivre d’une vie plus spéciale, mais plus intense, surtout s’il nous est possible de retrouver ce que nous perdons ainsi, Par notre association avec d’autres êtres qui possèdent ce qui nous manque et qui nous complètent ? (...) Il y a plus : loin d’être entamée par les progrès de la spécialisation, la personnalité individuelle se développe avec la division du travail. (...) L’effacement du type segmentaire, en même temps qu’il nécessite une plus grande spécialisation, dégage partiellement la conscience individuelle du milieu organique qui la supporte comme du milieu social qui l’enveloppe et, par suite de cette double émancipation, l’individu devient davantage un facteur indépendant de sa propre conduite. (...) C’est donc par suite d’une véritable illusion que l’on a pu croire parfois que la personnalité était plus entière tant que la division du travail n’y avait pas pénétré. Sans doute, à voir du dehors la diversité d’occupations qu’embrasse alors l’individu, il peut sembler qu’il se développe d’une manière plus libre et plus complète. Mais, en réalité, cette activité qu’il manifeste n’est pas sienne. C’est la société, c’est la race qui agissent en lui et par lui ; il n’est que l’intermédiaire par lequel elles se réalisent. Sa liberté n’est qu’apparente et sa personnalité d’emprunt. Parce que la vie de ces sociétés est, à certains égards, moins régulière, on s’imagine que les talents originaux peuvent plus aisément s’y faire jour, qu’il est plus facile à chacun d’y suivre ses goûts propres, qu’une plus large place y est laissée à la libre fantaisie. Mais c’est oublier que les sentiments personnels sont alors très rares. Si les mobiles qui gouvernent la conduite ne reviennent pas avec la même périodicité qu’aujourd’hui, ils ne laissent pas d’être collectifs, par conséquent impersonnels, et il en est de même des actions qu’ils inspirent. D’autre part, nous avons montré plus haut comment l’activité devient plus riche et plus intense à mesure qu’elle devient plus spéciale. (...) En un mot, notre premier devoir actuellement est de nous faire une morale."

On voit bien qu’il s’agit d’une justification de l’ordre social puisqu’il affirme que c’est une « loi inéluctable
contre laquelle il serait absurde de
s’insurger ».

Comment ce "sociologue" applique ses idées à la question sociale :

« les différences fonctionnelles […] sont parfois si tranchées
que les individus entre lesquels le travail est divisé forment comme autant
d’espèces distinctes et même opposées. On dirait qu’ils conspirent pour
s’écarter le plus possible les uns des
autres. Quelle ressemblance y a-t-il
entre le cerveau qui pense et l’estomac qui digère ? De même, qu’y a-t-il de commun entre le poète tout
entier à son rêve, le savant tout entier
à ses recherches, l’ouvrier qui passe
sa vie à tourner des têtes d’épingles
etc. » (DTS, p. 246)

Note :

DTS signifie l’ouvrage "Division du travail social"

La sociologie selon Durkheim

"La société domestique, tout comme la société religieuse, est un puissant préservatif contre le suicide. Cette préservation est même d’autant plus complète que la famille est plus dense, c’est-à-dire comprend un plus grand nombre d’éléments."

Emile Durkheim - Le suicide (1897)

Durkheim écrivait dans DTS :

« [Le] Dr Lebon a pu établir directement et avec une précision mathématique
cette ressemblance originelle des deux sexes pour l’organe éminent
de la vie physique et psychique, le cerveau. En comparant un grand nombre
de crânes, choisis dans des races et dans des sociétés différentes,
il est arrivé à la conclusion suivante :
“le volume du crâne de l’homme et de la femme, même quand on compare des sujets
d’âge égal, de poids égal et de taille égale, présente des différences considérables
en faveur de l’homme, et cette inégalité va également en s’accroissant avec
la civilisation, en sorte qu’au point de vue de la masse du cerveau et, par suite,
de l’intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l’homme.
La différence qui existe par exemple entre la moyenne des crânes des Parisiens
contemporains et celle des Parisiennes est presque double de celle observée
entre les crânes masculins et féminins de l’ancienne Égypte”. »
dans "L’Homme et les Sociétés", II, 1881, p. 154

« Il y a longtemps que la femme s’est
retirée de la guerre et des affaires
publiques et que sa vie s’est concentrée tout entière dans l’intérieur de la
famille. Depuis, son rôle n’a fait que
se spécialiser davantage. Aujourd’hui,
chez les peuples cultivés, la femme
mène une existence tout à fait différente de celle de l’homme. On dirait
que les deux grandes fonctions de la
vie psychique se sont comme dissociées, que l’un des sexes a accaparé
les fonctions affectives et l’autre
les fonctions intellectuelles. […]
D’ailleurs, ces différences fonctionnelles sont rendues matériellement
sensibles par des différences morphologiques qu’elles ont déterminées.
Non seulement la taille, le poids, les
formes générales sont très dissemblables chez l’homme et chez la
femme, mais le Dr Lebon a démontré, nous l’avons vu, qu’avec le pro-
grès de la civilisation le cerveau des deux sexes se différencie de plus en
plus. Suivant cet observateur, cet
écart progressif serait dû, à la fois,
au développement considérable des
crânes masculins et à un stationnement ou même une régression des
crânes féminins. “Alors, dit-il, que la
moyenne des crânes parisiens masculins les range parmi les plus gros
crânes connus, la moyenne des crânes
parisiens féminins les range parmi
les plus petits crânes observés, bien
au-dessous du crâne des Chinoises
et à peine au-dessus du crâne des
femmes de la Nouvelle-Calédonie”. »

dans "L’Homme et les Sociétés", II, p. 154

« Les spéculations récentes de
la philosophie biologique ont achevé
de nous faire voir dans la division du
travail un fait d’une généralité que
les économistes, qui en parlèrent pour
la première fois, n’avaient pas pu
soupçonner. On sait, en effet, depuis
les travaux de Wolff, de von Baer, de
Milne-Edwards, que la loi de la
division du travail s’applique aux
organismes comme aux sociétés ; on
a même pu dire qu’un organisme
occupe une place d’autant plus élevée dans l’échelle animale que les
fonctions y sont plus spécialisées.
[…] Ce n’est plus seulement une
institution sociale qui a sa source
dans l’intelligence et la volonté des
hommes ; mais c’est un phénomène
de biologie générale dont il faut,
semble-t-il, aller chercher les conditions dans les propriétés essentielles
de la matière organisée. La division
du travail social n’apparaît plus que
comme une forme particulière de ce
processus général, et les sociétés, en Page 1
Vie de la discipline
Émile Durkheim
et la taille des crânes
Au nom de la science…
Joseph HADJIAN, professeur de SES au lycée Gustave-Jaume de Pierrelatte
« Ils rendent la nature complice du crime d’inégalité politique. »
Condorcet, cité dans La Mal-Mesure de l’homme, Stephen Jay Gould, 1983, p. 14

« [Le] Dr Lebon a pu établir directement et avec une précision mathématique
cette ressemblance originelle des deux sexes pour l’organe éminent
de la vie physique et psychique, le cerveau. En comparant un grand nombre
de crânes, choisis dans des races et dans des sociétés différentes,
il est arrivé à la conclusion suivante :
“le volume du crâne de l’homme et de la femme, même quand on compare des sujets
d’âge égal, de poids égal et de taille égale, présente des différences considérables
en faveur de l’homme, et cette inégalité va également en s’accroissant avec
la civilisation, en sorte qu’au point de vue de la masse du cerveau et, par suite,
de l’intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l’homme.
La différence qui existe par exemple entre la moyenne des crânes des Parisiens
contemporains et celle des Parisiennes est presque double de celle observée
entre les crânes masculins et féminins de l’ancienne Égypte”. »
L’Homme et les Sociétés, II, 1881, p. 154

UNE HISTOIRE
DE CRÂNES

Cette curieuse histoire de crânes masculins et féminins qui subissent une
inégalité croissante, nous la trouvons,
sous la plume de Durkheim, dans
De la division du travail social.

En 1893, Durkheim avait sous-titré
sa thèse « Étude sur l’organisation
des sociétés supérieures ».

L’ouvrage est issu de sa thèse de
doctorat, soutenue le 3 mars 1893 à la
Sorbonne ; il tient, depuis la rentrée
1994, la place que l’on sait dans
le programme de TES.
Pour bien montrer qu’il reprend à son
compte la science du Dr Lebon, qui
assimile le volume du cerveau à l’intelligence.

“Alors, dit-il, que la
moyenne des crânes parisiens masculins les range parmi les plus gros
crânes connus, la moyenne des crânes
parisiens féminins les range parmi
les plus petits crânes observés, bien
au-dessous du crâne des Chinoises
et à peine au-dessus du crâne des
femmes de la Nouvelle-Calédonie”. »
(L’Homme et les Sociétés, II, p. 154,
cité dans DTS, p. 24)

Un exemple : article de Durkheim contre l’égalité juridique des femmes intitulé "La condition de la femme" :

"Dans cet ouvrage posthume , M. Letourneau traite de la condition de la femme suivant sa méthode ordinaire. Tous les peuples du présent et du passé sont successivement passés en revue, depuis les sociétés d’anthropopithèques jusqu’aux grandes nations européennes. Si l’on songe que la condition de la femme est fonction de l’institution matrimoniale, que celle-ci est solidaire de l’organisation domestique, que l’organisation domestique, à son tour, est étroitement liée à tout ce qu’il y a d’essentiel dans la structure des sociétés, dans leur constitution religieuse, morale, etc., on ne pourra pas n’être pas effrayé de la masse énorme de problèmes complexes que soulève une telle étude. Ce n’est pas en un livre de 500 pages qu’il est possible de les traiter avec quelque méthode. Aussi le travail de M. Letourneau ne se présente-t-il que comme une revue sommaire de faits, pris à toutes sources, sans critique aucune, et interprétés à la lumière du transformisme le plus simpliste. Assurément, il serait injuste de méconnaître le labeur dépensé par l’auteur ; mais faire de la sociologie comparative, ce n’est pas simplement rassembler un peu hâtivement toute sorte de matériaux ; c’est, d’abord, en faire la critique, c’est, ensuite, les soumettre à une élaboration aussi méthodique que possible. Or, la manière dont M. Letourneau explique certaines institutions, qui embarrassent depuis longtemps ethnographes et sociologues, est vraiment trop expéditive. Ainsi, suivant lui, l’exogamie ne serait « qu’une survivance de la jalousie simienne ». « Notre ancêtre l’anthropopithèque » aurait commencé par « garder anxieusement ses femelles et ravir celles des autres jusqu’au jour où un embryon de mariage communautaire s’établit entre les diverses hordes de son espèce ». La filiation purement féminine aurait pour cause « l’impuissance des primitifs à comprendre le rôle de l’homme dans la fécondation ». Quand on sait que la famille utérine se retrouve jusque dans des civilisations relativement avancées, l’explication n’est pas sans surprendre.

L’ouvrage se termine par une conclusion où l’auteur expose ses vues sur l’avenir de la femme. Il estime que l’infériorité mentale de la femme actuelle est un produit de l’histoire, et il l’explique par l’asservissement séculaire de la femme à l’homme. Il demande, par suite, que l’on mette « autant que possible les deux sexes sur un pied d’égalité, dans l’éducation, dans le mariage, dans la famille et dans la grande société ».

Mais cette égalité de droits suffira-t-elle pour faire cesser ipso facto une inégalité héréditaire ? Le problème nous paraît un peu plus complexe. L’égalité juridique doit suivre l’égalité mentale, plus qu’elle ne doit la précéder."

TABLE DES MATIERES

"De la division sociale du travail"

de DURKHEIM :

INTRODUCTION : Le Problème

Développement de la division du travail social, généralité du phénomène. D’où le problème : Faut-il nous abandonner au mouvement ou y résister, ou question de la valeur morale de la division du travail.

Incertitude de la conscience morale sur ce point ; solutions contradictoires simultanément données. Méthode pour faire cesser cette indécision. Étudier la division du travail en elle-même et pour elle-même. Plan du livre

LIVRE I : LA FONCTION DE LA DIVISION DU TRAVAIL

CHAPITRE I : MÉTHODE POUR DÉTERMINER CETTE FONCTION

Sens du mot fonction

I. La fonction de la division du travail n’est pas de produire la civilisation

II. Cas où la fonction de la division du travail est de susciter des groupes qui, sans elle, n’existeraient pas. D’où l’hypothèse qu’elle joue le même rôle dans les sociétés supérieures, qu’elle est la source principale de leur cohésion

III. Pour vérifier cette hypothèse, il faut comparer la solidarité sociale qui a cette source aux autres espèces de solidarités et, par suite, les classer. Nécessité d’étudier la solidarité à travers le système des règles juridiques ; autant il y a de classes de ces dernières, autant il y a de formes de solidarités. Classification des règles juridiques : règles à sanction répressive ; règles à sanction restitutive

CHAPITRE II : SOLIDARITÉ MÉCANIQUE OU PAR SIMILITUDES

I. Le lien de solidarité sociale auquel correspond le droit répressif est celui dont la rupture constitue le crime. On saura donc ce qu’est ce lien si l’on sait ce qu’est le crime essentiellement.

Les caractères essentiels du crime sont ceux qui se retrouvent les mêmes partout où il y a crime, quel que soit le type social. Or, les seuls caractères communs à tous les crimes qui sont ou qui ont été reconnus comme tels sont les suivants : 1° le crime froisse des sentiments qui se trouvent chez tous les individus normaux de la société considérée ; 2° ces sentiments sont forts ; 30 ils sont définis. Le crime est donc l’acte qui froisse des états forts et définis de la conscience collective ; sens exact de cette proposition. - Examen du cas où le délit est créé ou du moins aggravé par un acte de l’organe gouvernemental. Réduction de ce cas à la définition précédente

II. Vérification de cette définition ; si elle est exacte, elle doit rendre compte de tous les caractères de la peine. Détermination de ces caractères ; 1° elle est une réaction passionnelle, d’intensité graduée ; 2° cette réaction passionnelle émane de la société ; réfutation de la théorie d’après laquelle la vengeance privée aurait été la forme primitive de la peine ; 30 cette réaction s’exerce par l’intermédiaire d’un corps constitué

III. Ces caractères peuvent être déduits de notre définition du crime : 1° tout sentiment fort offensé détermine mécaniquement une réaction passionnelle ; utilité de cette réaction pour le maintien du sentiment. Les sentiments collectifs, étant les plus forts qui soient, déterminent une réaction du même genre, d’autant plus énergique qu’ils sont plus intenses. Explication du caractère quasi religieux de l’expiation ; 2° le caractère collectif de ces sentiments explique le caractère social de cette réaction ; pourquoi il est utile qu’elle soit sociale ; 3° l’intensité et surtout la nature définie de ces sentiments expliquent la formation de l’organe déterminé par lequel la réaction s’exerce

IV. Les règles que sanctionne le droit pénal expriment donc les similitudes sociales les plus essentielles ; par conséquent, il correspond à la solidarité sociale qui dérive des ressemblances et varie comme elle. Nature de cette solidarité. On peut donc mesurer la part qu’elle a dans l’intégration générale de la société d’après la fraction du système complet des règles juridiques que représente le droit pénal

CHAPITRE III : LA SOLIDARITÉ DUE A LA DIVISION DU TRAVAIL OU ORGANIQUE

1. La nature de la sanction restitutive implique : 1° que les règles correspondantes expriment des états excentriques de la conscience commune ou qui lui sont étrangers ; 2° que les rapports qu’elles déterminent ne lient qu’indirectement l’individu à la société. Ces rapports sont positifs ou négatifs

II. Rapports négatifs dont les droits réels sont le type. Ils sont négatifs parce qu’ils lient la chose à la personne, non les personnes entre elles. - Réduction à ce type des rapports personnels qui s’établissent à l’occasion de l’exercice des droits réels ou à la suite du délit et du quasi-délit. - La solidarité qu’expriment les règles correspondantes, étant négative, n’a pas d’existence propre, mais n’est qu’un prolongement des formes positives de la solidarité sociale

III. Rapports positifs ou de coopération qui dérivent de la division du travail. Sont régis par un système défini de règles juridiques qu’on peut appeler le droit coopératif ; vérification de cette proposition à propos des différentes parties du droit coopératif. Analogies entre la fonction de ce droit et celle du système nerveux.

IV. Conclusion : Deux sortes de solidarité positive, l’une qui dérive des similitudes, l’autre de la division du travail. Solidarité mécanique, solidarité organique. La première varie en raison inverse, la seconde en raison directe de la personnalité individuelle. A celle-là correspond le droit répressif, à celle-ci le droit coopératif

CHAPITRE IV : AUTRE PREUVE DE CE QUI PRÉCÈDE

Si le résultat précédent est exact, le droit répressif doit avoir d’autant plus la prépondérance sur le droit coopératif que les similitudes sociales sont plus étendues et la division du travail plus rudimentaire, et inversement. Or, c’est ce qui arrive

I. Plus les sociétés sont primitives, plus il y a de ressemblances entre les individus ; ressemblances physiques ; ressemblances psychiques. L’opinion contraire vient de ce qu’on a confondu les types collectifs (nationaux, provinciaux, etc.) et les types individuels. Les premiers s’effacent, en effet, tandis que les autres se multiplient et deviennent plus prononcés. D’autre part, la division du travail, nulle à l’origine, va toujours en se développant

II. Or, à l’origine, tout le droit a un caractère répressif. Le droit des peuples primitifs. Le droit hébreu. Le droit hindou. Développement du droit coopératif à Rome, dans les sociétés chrétiennes. Aujourd’hui, le rapport primitif est renversé. Que la prépondérance primitive du droit répressif n’est pas due à la grossièreté des mœurs.

CHAPITRE V : PRÉPONDÉRANCE PROGRESSIVE DE LA SOLIDARITÉ ORGANIQUE ET SES CONSÉQUENCES

I. La prépondérance actuelle du droit coopératif sur le droit répressif démontre que les liens sociaux qui dérivent de la division du travail sont actuellement plus nombreux que ceux qui dérivent des similitudes sociales. Comme cette prépondérance est plus marquée à mesure qu’on se rapproche des types sociaux supérieurs, c’est qu’elle n’est pas accidentelle, mais dépend de la nature de ces types. Non seulement ces liens sont plus nombreux, mais ils sont plus forts. Critère pour mesurer la force relative des liens sociaux. Application de ce critère

II. En même temps qu’ils sont moins forts, les liens qui dérivent des similitudes se relâchent à mesure que l’évolution sociale avance. En effet, la solidarité mécanique dépend de trois conditions : 1° étendue relative de la conscience collective et de la conscience individuelle ; 2° intensité - 3° degré de détermination des états qui composent la première. Or, la première de ces conditions restant tout au plus constante, les deux autres régressent. Méthode pour le prouver d’après les variations numériques des types criminologiques. Classification de ces derniers

III. Régression et disparition progressive d’un grand nombre de ces types

IV. Ces pertes n’ont pas été compensées par d’autres acquisitions. Théorie contraire de Lombroso ; réfutation. Le nombre des états forts et définis de la conscience commune a donc diminué.

V. Autre preuve. Les états de la conscience commune, particulièrement forts, prennent un caractère religieux ; or, la religion embrasse une portion toujours moindre de la vie sociale. Autre preuve tirée de la diminution des proverbes, dictons, etc. La solidarité organique devient donc prépondérante

CHAPITRE VI : PRÉPONDÉRANCE PROGRESSIVE DE LA SOLIDARITÉ ORGANIQUE ET SES CONSÉQUENCES (suite)

I. Structures sociales correspondant à ces deux sortes de solidarités ; type segmentaire ; sa description ; correspond à la solidarité mécanique. Ses formes diverses

II. Type organisé ; ses caractères ; correspond à la solidarité organique. Antagonisme de ces deux types ; le second ne se développe qu’à mesure que le premier s’efface. Toutefois, le type segmentaire ne disparaît pas complètement. Formes de plus en plus effacées qu’il prend

III. Analogie entre ce développement des types sociaux et celui des types organiques dans le règne animal

IV. La loi précédente ne doit pas être confondue avec la théorie de M. Spencer sur les sociétés militaires et les sociétés industrielles. L’absorption originelle de l’individu dans la société ne vient pas d’une trop forte centralisation militaire, mais plutôt de l’absence de toute centralisation. L’organisation centraliste, commencement d’individuation. Conséquences de ce qui précède ; 1° règle de méthode ; 2° l’égoïsme n’est pas le point de départ de l’humanité.

CHAPITRE VII : SOLIDARITÉ ORGANIQUE ET SOLIDARITÉ CONTRACTUELLE

I. Distinction de la solidarité organique et de la solidarité industrielle de M. Spencer. Celle-ci serait exclusivement contractuelle ; elle serait libre de toute réglementation. Caractère instable d’une telle solidarité. Insuffisance des preuves par illustration données par M. Spencer. Ce qui manifeste l’étendue de l’action sociale, c’est l’étendue de l’appareil juridique ; or, elle devient toujours plus grande

II. Il est vrai que les relations contractuelles se développent mais les relations non contractuelles se développent en même temps. Vérification de ce fait à propos des fonctions sociales diffuses : 1° le droit domestique devient plus étendu et plus complexe ; or, en principe, il n’est pas contractuel. De plus, la place restreinte qu’y a le contrat privé devient toujours plus petite : mariage, adoption, abdication des droits et des devoirs de famille ; 2° plus le contrat prend de place, plus il est réglementé. Cette réglementation implique une action sociale positive. Nécessité de cette réglementation. Discussion des analogies biologiques sur lesquelles s’appuie M. Spencer.

III. Vérification du même fait à propos des fonctions cérébro-spinales de l’organisme social (fonctions administratives et gouvernementales). Le droit administratif et constitutionnel, qui n’a rien de contractuel, se développe de plus en plus. Discussion des faits sur lesquels M. Spencer appuie l’opinion contraire. Nécessité de ce développement par suite de l’effacement du type segmentaire et des progrès du type organisé. Les analogies biologiques contredisent la théorie de M. Spencer

IV. Conclusions du premier livre : la vie morale et sociale dérive d’une double source ; variations inverses de ces deux courants

LIVRE II : LES CAUSES ET LES CONDITIONS

CHAPITRE I : LES PROGRÈS DE LA DIVISION DU TRAVAIL ET CEUX DU BONHEUR

D’après les économistes, la division du travail a pour cause le besoin d’accroître notre bonheur. Cela suppose qu’en fait nous devenons plus heureux. Rien n’est moins certain

I. A chaque moment de l’histoire, le bonheur que nous sommes capables de goûter est limité. Si la division du travail n’avait pas d’autres causes, elle se serait donc vite arrêtée, une fois atteinte la limite du bonheur. Cette limite recule, il est vrai, à mesure que l’homme se transforme. Mais ces transformations, à supposer qu’elles nous rendent plus heureux, ne se sont pas produites en vue de ce résultat ; car, pendant longtemps, elles sont douloureuses et sans compensation

II. Ont-elles d’ailleurs ce résultat ? Le bonheur, c’est l’état de santé ; or, la santé ne s’accroît pas à mesure que les espèces s’élèvent. Comparaison du sauvage et du civilisé. Contentement du premier. Multiplication des suicides avec la civilisation ; ce qu’elle prouve. Conséquences importantes au point de vue de la méthode en sociologie

III. Le progrès viendrait-il de l’ennui que causent les plaisirs devenus habituels ?Ne pas confondre la variété, qui est un élément essentiel du plaisir, avec la nouveauté, qui est secondaire. Caractère pathologique du besoin de nouveauté quand il est trop vif.

CHAPITRE II : LES CAUSES

I. Les progrès de la division du travail ont pour causes : 1° L’effacement du type segmentaire, c’est-à-dire l’accroissement de la densité morale de la société, symbolisé par l’accroissement de la densité matérielle ; principales formes de cette dernière ; 2° l’accroissement du volume des sociétés, pourvu qu’il soit accompagné d’un accroissement de densité

II. Théorie de M. Spencer, d’après laquelle l’accroissement de volume n’agirait qu’en multipliant les différences individuelles. Réfutation

III. L’accroissement de volume et de densité détermine mécaniquement les progrès de la division du travail en renforçant l’intensité de la lutte pour la vie. Comment se forme le besoin de produits plus abondants et de meilleure qualité ; c’est un résultat de la cause qui nécessite la spécialisation, non la cause de cette dernière.

IV. La division du travail ne se produit donc qu’au sein des sociétés constituées. Erreur de ceux qui font de la division du travail et de la coopération le fait fondamental de la vie sociale. Application de cette proposition à la division internationale du travail. Cas de mutualisme.

CHAPITRE III : LES FACTEURS SECONDAIRES
L’INDÉTERMINATION PROGRESSIVE DE LA CONSCIENCE COMMUNE ET SES CAUSES

La division du travail ne peut progresser que si la variabilité individuelle s’accroît, et celle-ci ne s’accroît que si la conscience commune régresse. La réalité de cette régression a été établie. Quelles en sont les causes ?

I. Comme le milieu social s’étend, la conscience collective s’éloigne de plus en plus des choses concrètes et, par suite, devient plus abstraite. Faits à l’appui : transcendance de l’idée de Dieu ; caractère plus rationnel du droit, de la morale, de la civilisation en général. Cette indétermination laisse plus de place à la variabilité individuelle

II. L’effacement du type segmentaire, en détachant l’individu de son milieu natal, le soustrait à l’action des anciens et diminue ainsi l’autorité de la tradition

III. Par suite de l’effacement du type segmentaire, la société, enveloppant de moins près l’individu, peut moins bien contenir les tendances divergentes

IV. Pourquoi l’organe social ne peut pas, à ce point de vue, jouer le rôle de segment

CHAPITRE IV : LES FACTEURS SECONDAIRES (suite)
L’HÉRÉDITÉ

L’hérédité est un obstacle aux progrès de la division du travail, faits qui démontrent qu’elle devient un facteur moindre de la distribution des fonctions. D’où cela vient-il ?

I. L’hérédité perd de son empire parce qu’il se constitue des modes d’activité de plus en plus importants qui ne sont pas héréditairement transmissibles. Preuves : 1° il ne se forme pas de races nouvelles ; 2° l’hérédité ne transmet bien que les aptitudes générales et simples ; or, les activités deviennent plus complexes en devenant plus spéciales. Le legs héréditaire devient aussi un facteur moindre de notre développement, parce qu’il faut y ajouter davantage.

II. Le legs héréditaire devient plus indéterminé. Preuves : 1° l’instinct régresse des espèces animales inférieures aux espèces plus élevées, de l’animal à l’homme. Il y a donc lieu de croire que la régression continue dans le règne humain. C’est ce que prouvent les progrès ininterrompus de l’intelligence, laquelle varie en raison inverse de l’instinct ; 2° non seulement il ne se forme pas de races nouvelles, mais les races anciennes s’effacent ; 3° recherches de M. Galton. Ce qui se transmet régulièrement, c’est le type moyen. Or, le type moyen devient toujours plus indéterminé par suite du développement des différences individuelles

CHAPITRE V : CONSÉQUENCES DE CE QUI PRÉCÈDE

I. Caractère plus souple de la division du travail social comparée à la division du travail physiologique. La cause en est que la fonction devient plus indépendante de l’organe. Dans quel sens cette indépendance est une marque de supériorité

II. La théorie mécaniste de la division du travail implique que la civilisation est le produit de causes nécessaires, non un but qui par soi-même attire l’activité. Mais, tout en étant un effet, elle devient une fin, un idéal. De quelle manière. Il n’y a même pas de raison de supposer que cet idéal prenne jamais une forme immuable, que le progrès ait un terme. Discussion de la théorie contraire de M. Spencer

III. L’accroissement du volume et de la densité, en changeant les sociétés, change aussi les individus. L’homme est plus affranchi de l’organisme, par suite, la vie psychique se développe. Sous l’influence des mêmes causes, la personnalité individuelle se dégage de la personnalité collective. Puisque ces transformations dépendent de causes sociales, la psycho-physiologie ne peut expliquer que les formes inférieures de notre vie psychique. C’est la société qui explique l’individu en grande partie. Importance de cette proposition au point de vue de la méthode

LIVRE III : LES FORMES ANORMALES

CHAPITRE I : LA DIVISION DU TRAVAIL ANOMIQUE

Formes anormales où la division du travail ne produit pas la solidarité. Nécessité de les étudier

I. Cas anormaux dans la vie économique ; crises industrielles plus fréquentes à mesure que le travail se divise ; antagonisme du travail et du capital. De même, l’unité de la science se perd à mesure que le travail scientifique se spécialise

II. Théorie d’après laquelle ces effets seraient inhérents à la division du travail. D’après Comte, le remède consiste dans un grand développement de l’organe gouvernemental et dans l’institution d’une philosophie des sciences. Impuissance de l’organe gouvernemental à régler les détails de la vie économique de la philosophie des sciences à assurer l’unité de la science

III. Si, dans tous les cas, les fonctions ne concourent pas, c’est que leurs rapports ne sont pas réglés ; la division du travail est anomique. Nécessité d’une réglementation. Comment, normalement, elle dérive de la division du travail. Qu’elle fait défaut dans les exemples cités.

Cette anomie vient de ce que les organes solidaires ne sont pas en contact suffisant ou suffisamment prolongé. Ce contact est l’état normal.

La division du travail, quand elle est normale, n’enferme donc pas l’individu dans une tâche, en l’empêchant de rien voir au-delà.

CHAPITRE II : LA DIVISION DU TRAVAIL CONTRAINTE

I. La guerre des classes. Elle vient de ce que l’individu n’est pas en harmonie avec sa fonction, parce que celle-ci lui est imposée par contrainte. Ce qui constitue la contrainte : c’est toute espèce d’inégalité dans les conditions extérieures de la lutte. Il est vrai qu’il West pas de sociétés où ces inégalités ne se rencontrent. Mais elles diminuent de plus en plus. La substitution de la solidarité organique à la solidarité mécanique rend cette diminution nécessaire.

II. Autre raison qui rend nécessaire ce progrès dans la voie de l’égalité. La solidarité contractuelle devient un facteur de plus en plus important du consensus social. Or, le contrat ne lie vraiment que si les valeurs échangées sont réellement équivalentes, et, pour qu’il en soit ainsi, il faut que les échangistes soient placés dans des conditions extérieures égales. Raisons qui rendent ces injustices plus intolérables à mesure que la solidarité organique devient prépondérante. En fait, le droit contractuel et la morale contractuelle deviennent toujours plus exigeants à ce point de vue.

La vraie liberté individuelle ne consiste donc pas dans la suppression de toute réglementation, mais est le produit d’une réglementation ; car cette égalité n’est pas dans la nature. Cette oeuvre de justice est la tâche qui s’impose aux sociétés supérieures ; elles ne peuvent se maintenir qu’à cette condition

CHAPITRE III : AUTRE FORME ANORMALE

Cas où la division du travail ne produit pas la solidarité parce que l’activité fonctionnelle de chaque travailleur est insuffisante. Comment la solidarité organique s’accroît avec l’activité fonctionnelle dans les organismes - dans la société. Qu’en fait l’activité fonctionnelle s’accroît en même temps que la division du travail, si elle est normale. Raison secondaire qui fait que celle-ci produit la solidarité

CONCLUSION

I. Solution du problème pratique posé au début. La règle qui nous commande de réaliser les traits du type collectif a pour fonction d’assurer la cohésion sociale ; d’autre part, elle est morale et ne peut s’acquitter de sa fonction que parce qu’elle a un caractère moral. Or, la règle qui nous commande de nous spécialiser a la même fonction ; elle a donc également une valeur morale.

Autre manière de démontrer cette proposition. Conjecture sur le caractère essentiel de la moralité, induite des classifications précédentes. La morale, c’est l’ensemble des conditions de la solidarité sociale. Que la division du travail présente ce critère

II. Que la division du travail ne diminue pas la personnalité individuelle : 10 Pourquoi serait-il dans la logique de notre nature de se développer en surface plutôt qu’en profondeur ? 20 Bien plus, la personnalité individuelle ne progresse que sous l’influence des causes qui déterminent la division du travail.

L’idéal de la fraternité humaine ne peut se réaliser que si la division du travail progresse en même temps. Elle est donc liée à toute notre vie morale

III. Mais la division du travail ne donne naissance à la solidarité que si elle produit en même temps un droit et une morale. Erreur des économistes à ce sujet. Caractère de cette morale : plus humaine, moins transcendante. Plus de justice. Considérations sur la crise actuelle de la morale

EXTRAITS :

"précisément parce que les fonctions économiques absorbent aujourd’hui le plus grand nombre des citoyens, il y a une multitude d’individus dont la vie se passe presque tout entière dans le milieu industriel et commercial ; d’où il suit que, comme ce milieu n’est que faiblement empreint de moralité, la plus grande partie de leur existence s’écoule en dehors de toute action morale. Or, pour que le sentiment du devoir se fixe fortement en nous, il faut que les circonstances mêmes dans lesquelles nous vivons le tiennent perpétuellement en éveil. Nous ne sommes pas naturellement enclins à nous gêner et à nous contraindre ; si donc nous ne sommes pas invités, à chaque instant, à exercer sur nous cette contrainte sans laquelle il n’y a pas de morale, comment en prendrions-nous l’habitude ? Si, dans les occupations qui remplissent presque tout notre temps, nous ne suivons d’autre règle que celle de notre intérêt bien entendu, comment prendrions-nous goût au désintéressement, à l’oubli de soi, au ’sacrifice ? Ainsi l’absence de toute discipline économique ne peut manquer d’étendre ses effets au-delà du monde économique lui-même et d’entraîner à sa suite un abaissement de la moralité publique.

Mais, le mal constaté, quelle en est la cause et quel en peut être le remède ?

Dans le corps de l’ouvrage, nous nous sommes surtout attaché à faire voir que la division du travail n’en saurait être rendue responsable, comme on l’en a parfois et injustement accusée ; qu’elle ne produit pas nécessairement la dispersion et l’incohérence, mais que les fonctions, quand elles sont suffisamment en contact les unes avec les autres, tendent d’elles-mêmes à s’équilibrer et à se régler. Mais cette explication est incomplète. Car s’il est vrai que les fonctions sociales cherchent spontanément à s’adapter les unes aux autres pourvu qu’elles soient régulièrement en rapports, d’un autre côté, ce mode d’adaptation ne devient une règle de conduite que si un groupe le consacre de son autorité. Une règle, en effet, n’est pas seulement une manière d’agir habituelle ; c’est, avant tout, une manière d’agir obligatoire, c’est-à-dire soustraite, en quelque mesure, à l’arbitraire individuel. Or, seule une société constituée jouit de la suprématie morale et matérielle qui est indispensable pour faire la loi aux individus ; car la seule personnalité morale qui soit au-dessus des personnalités particulières est celle que forme la collectivité. Seule aussi, elle a la continuité et même la pérennité nécessaires pour maintenir la règle par-delà les relations éphémères qui l’incarnent journellement. Il y a plus, son rôle ne se borne pas simplement à ériger en préceptes impératifs les résultats les plus généraux des contrats particuliers ; mais elle intervient d’une manière active et positive dans la formation de toute règle. D’abord, elle est l’arbitre naturellement désigné pour départager les intérêts en conflit et pour assigner à chacun les bornes qui conviennent. Ensuite, elle est la première intéressée à ce que l’ordre et la paix règnent."

(...)

I

Rien ne paraît facile, au premier abord, comme de déterminer le rôle de la division du travail. Ses efforts ne sont-ils pas connus de tout le monde ? Parce qu’elle augmente à la fois la force productive et l’habileté du travailleur, elle est la condition nécessaire du développement intellectuel et matériel des sociétés ; elle est la source de la civilisation. D’autre part, comme on prête assez volontiers à la civilisation une valeur absolue, on ne songe même pas à chercher une autre fonction à la division du travail.

Qu’elle ait réellement ce résultat, c’est ce qu’on ne peut songer à discuter. Mais si elle n’en avait pas d’autre et ne servait pas à autre chose, on n’aurait aucune raison pour lui attribuer un caractère moral.

En effet, les services qu’elle rend ainsi sont presque complètement étrangers à la vie morale, ou du moins n’ont avec elle que des relations très indirectes et très lointaines. Quoiqu’il soit assez d’usage aujourd’hui de répondre aux diatribes de Rousseau par des dithyrambes en sens inverse, il n’est pas du tout prouvé que la civilisation soit une chose morale. Pour trancher la question, on ne peut pas se référer à des analyses de concepts qui sont nécessairement subjectives ; mais il faudrait connaître un fait qui pût servir à mesurer le niveau de la moralité moyenne et observer ensuite comment il varie à mesure que la civilisation progresse. Malheureusement, cette unité de mesure nous fait défaut ; mais nous en possédons une pour l’immoralité collective. Le nombre moyen des suicides, des crimes de toute sorte, peut en effet servir à marquer la hauteur de l’immoralité dans une société donnée. Or, si l’on fait l’expérience, elle ne tourne guère à l’honneur de la civilisation, car le nombre de ces phénomènes morbides semble s’accroître à mesure que les arts, les sciences et l’industrie progressent . Sans doute il y aurait quelque légèreté à conclure de ce fait que la civilisation est immorale, mais on peut être tout au moins certain que, si elle a sur la vie morale une influence positive et favorable, celle-ci est assez faible.

Si, d’ailleurs, on analyse ce complexus mal défini qu’on appelle la civilisation, on trouve que les éléments dont il est composé sont dépourvus de tout caractère moral.

C’est surtout vrai pour l’activité économique qui accompagne toujours la civilisation. Bien loin qu’elle serve aux progrès de la morale, c’est dans les grands centres industriels que les crimes et les suicides sont le plus nombreux ; en tout cas, il est évident qu’elle ne présente pas les signes extérieurs auxquels on reconnaît les faits moraux. Nous avons remplacé les diligences par les chemins de fer, les bateaux à voiles par les transatlantiques, les petits ateliers par les manufactures ; tout ce déploiement d’activité est généralement regardé comme utile, mais il n’a rien de moralement obligatoire. L’artisan, le petit industriel qui résistent à ce courant général et persévèrent obstinément dans leurs modestes entreprises, font tout aussi bien leur devoir que le grand manufacturier qui couvre un pays d’usines et réunit sous ses ordres toute une armée d’ouvriers. La conscience morale des nations ne s’y trompe pas : elle préfère un peu de justice à tous les perfectionnements industriels du monde. Sans doute l’activité industrielle n’est pas sans raison d’être ; elle répond à des besoins, mais ces besoins ne sont pas moraux.

A plus forte raison en est-il ainsi de l’art, qui est absolument réfractaire à tout ce qui ressemble à une obligation, car il est le domaine de la liberté. C’est un luxe et une parure qu’il est peut-être beau d’avoir, mais que l’on ne peut pas être tenu d’acquérir : ce qui est superflu ne s’impose pas. Au contraire, la morale c’est le minimum indispensable, le strict nécessaire, le pain quotidien sans lequel les sociétés ne peuvent pas vivre. L’art répond au besoin que nous avons de répandre notre activité sans but, pour le plaisir de la répandre, tandis que la morale nous astreint à suivre une voie déterminée vers un but défini : qui dit obligation dit du même coup contrainte. Ainsi, quoiqu’il puisse être animé par des idées morales ou se trouver mêlé à l’évolution des phénomènes moraux proprement dits, l’art n’est pas moral par soi-même. Peut-être même l’observation établirait-elle que, chez les individus, comme dans les sociétés, un développement intempérant des facultés esthétiques est un grave symptôme au point de vue de la moralité.

De tous les éléments de la civilisation, la science est le seul qui, dans de certaines conditions, présente un caractère moral. En effet, les sociétés tendent de plus en plus à regarder comme un devoir pour l’individu de développer son intelligence, en s’assimilant les vérités scientifiques qui sont établies. Il y a, dès à présent, un certain nombre de connaissances que nous devons tous posséder. On n’est pas tenu de se jeter dans la grande mêlée industrielle ; on n’est pas tenu d’être un artiste ; mais tout le monde est maintenant tenu de ne pas rester ignorant. Cette obligation est même si fortement ressentie que, dans certaines sociétés, elle n’est pas seulement sanctionnée par l’opinion publique, mais par la loi. Il n’est pas, d’ailleurs, impossible d’entrevoir d’où vient ce privilège spécial à la science. C’est que la science n’est autre chose que la conscience portée à son plus haut point de clarté. Or, pour que les sociétés puissent vivre dans les conditions d’existence qui leur sont maintenant faites il faut que le champ de la conscience tant individuelle que sociale s’étende et s’éclaire. En effet, comme les milieux dans lesquels elles vivent deviennent de plus en plus complexes et, par conséquent, de plus en plus mobiles, pour durer, il faut qu’elles changent souvent. D’autre part, plus une conscience est obscure, plus elle est réfractaire au changement, parce qu’elle ne voit pas assez vite qu’il est nécessaire de changer ni dans quel sens il faut changer ; au contraire, une conscience éclairée sait préparer par avance la manière de s’y adapter. Voilà pourquoi il est nécessaire que l’intelligence guidée par la science prenne une part plus grande dans le cours de la vie collective.

Seulement, la science que tout le monde est ainsi requis de posséder ne mérite guère d’être appelée de ce nom. Ce n’est pas la science, c’en est tout au plus la partie commune et la plus générale. Elle se réduit, en effet, à un petit nombre de connaissances indispensables qui ne sont exigées de tous que parce qu’elles sont à la portée de tous, La science proprement dite dépasse infiniment ce niveau vulgaire. Elle ne comprend pas seulement ce qu’il est honteux d’ignorer, mais tout ce qu’il est possible de savoir. Elle ne suppose pas seulement chez ceux qui la cultivent ces facultés moyennes que possèdent tous les hommes, mais des dispositions spéciales. Par suite, n’étant accessible qu’à une élite, elle n’est pas obligatoire ; c’est une chose utile et belle, niais elle n’est pas à ce point nécessaire que la société la réclame impérativement. Il est avantageux d’en être muni ; il n’y a rien d’immoral à ne pas l’acquérir, C’est un champ d’action qui est ouvert à l’initiative de tous, mais où nul n’est contraint d’entrer. On n’est pas plus tenu d’être un savant que d’être un artiste. La science est donc, comme l’art et l’industrie, en dehors de la morale .

Si tant de controverses ont eu lieu sur le caractère moral de la civilisation, c’est que, trop souvent, les moralistes n’ont pas de critère objectif pour distinguer les faits moraux des faits qui ne le sont pas. On a l’habitude de qualifier de moral tout ce qui a quelque noblesse et quelque prix, tout ce qui est l’objet d’aspirations un peu élevées, et c’est grâce à cette extension excessive du mot que l’on a fait rentrer la civilisation dans la morale. Mais il s’en faut que le domaine de l’éthique soit aussi indéterminé ; il comprend toutes les règles d’action qui s’imposent impérativement à la conduite et auxquelles est attachée une sanction, mais ne va pas plus loin. Par conséquent, puisqu’il n’y a rien dans la civilisation qui présente ce critère de la moralité, elle est moralement indifférente. Si donc la division du travail n’avait pas d’autre rôle que de rendre la civilisation possible, elle participerait à la même neutralité morale.

C’est parce qu’on n’a généralement pas vu d’autre fonction à la division du travail que les théories qu’on en a proposées sont à ce point inconsistantes. En effet, à supposer qu’il existe une zone neutre en morale, il est impossible que la division du travail en fasse partie . Si elle n’est pas bonne, elle est mauvaise : si elle n’est pas morale, elle est une déchéance morale. Si donc elle ne sert pas à autre chose, on tombe dans d’insolubles antinomies, car les avantages économiques qu’elle présente sont compensés par des inconvénients moraux, et comme il est impossible de soustraire l’une de l’autre ces deux quantités hétérogènes et incomparables, on ne saurait dire laquelle des deux l’emporte sur l’autre, ni, par conséquent, prendre un parti. On invoquera la primauté de la morale pour condamner radicalement la division du travail. Mais, outre que cette ultima ratio est toujours un coup d’État scientifique, l’évidente nécessité de la spécialisation rend une telle position impossible à soutenir.

Il y a plus ; si la division du travail ne remplit pas d’autre rôle, non seulement elle n’a pas de caractère moral, mais on n’aperçoit pas quelle raison d’être elle peut avoir. Nous verrons, en effet, que, par elle-même, la civilisation n’a pas de valeur intrinsèque et absolue ; ce qui en fait le prix, c’est qu’elle correspond à certains besoins. Or, cette proposition sera démontrée plus loin , ces besoins sont eux-mêmes des conséquences de la division du travail. C’est parce que celle-ci ne va pas sans un surcroît de fatigue que l’homme est contraint de rechercher, comme surcroît de réparations, ces biens de la civilisation qui, autrement, seraient pour lui sans intérêt. Si donc la division du travail ne répondait pas à d’autres besoins que ceux-là, elle n’aurait d’autre fonction que d’atténuer les effets qu’elle produit elle-même, que de panser les blessures qu’elle fait. Dans ces conditions, il pourrait être nécessaire de la subir, mais il n’y aurait aucune raison de la vouloir, puisque les services qu’elle rendrait se réduiraient à réparer les pertes qu’elle cause.

Tout nous invite donc à chercher une autre fonction à la division du travail. Quelques faits d’observation courante vont nous mettre sur le chemin de la solution.

II

Tout le monde sait que nous aimons qui nous ressemble, quiconque pense et sent comme nous. Mais le phénomène contraire ne se rencontre pas moins fréquemment. Il arrive très souvent que nous nous sentons portés vers des personnes qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu’elles ne nous ressemblent pas. Ces faits sont en apparence si contradictoires que, de tout temps, les moralistes ont hésité sur la vraie nature de l’amitié et l’ont dérivée tantôt de l’une et tantôt de l’autre cause. Les Grecs s’étaient déjà posé la question. « L’amitié, dit Aristote, donne lieu à bien des discussions. Selon les uns, elle consiste dans une certaine ressemblance et ceux qui se ressemblent s’aiment : de là ce proverbe qui se ressemble s’assemble et le geai cherche le geai, et autres dictons pareils. Mais selon les autres, au contraire, tous ceux qui se ressemblent sont potiers les uns pour les autres. Il y a d’autres explications cherchées plus haut et prises de la considération de la nature. Ainsi Euripide dit que la terre desséchée est amoureuse de pluie, et que le sombre ciel chargé de pluie se précipite avec une amoureuse fureur sur la terre. Héraclite prétend qu’on n’ajuste que ce qui s’oppose, que la plus belle harmonie naît des différences, que la discorde est la loi de tout devenir . »

Ce que prouve cette opposition des doctrines, c’est que l’une et l’autre amitié existent dans la nature. La dissemblance, comme la ressemblance, peut être une cause d’attrait mutuel. Toutefois, des dissemblances quelconques ne suffisent pas à produire cet effet. Nous ne trouvons aucun plaisir à rencontrer chez autrui une nature simplement différente de la nôtre. Les prodigues ne recherchent pas la compagnie des avares, ni les caractères droits et francs celle des hypocrites et des sournois ; les esprits aimables et doux ne se sentent aucun goût pour les tempéraments durs et malveillants. Il n’y a donc que les différences d’un certain genre qui tendent ainsi l’une vers l’autre ; ce sont celles qui, au lieu de s’opposer et de s’exclure, se complètent mutuellement. « Il y a, dit M. Bain, un genre de dissemblance qui repousse, un autre qui attire, l’un qui tend à amener la rivalité, l’autre à conduire à l’amitié... Si l’une (des deux personnes) possède une chose que l’autre n’a pas, mais qu’elle désire, il y a dans ce fait le point de départ d’un charme positif . » C’est ainsi que le théoricien à l’esprit raisonneur et subtil a souvent une sympathie toute spéciale pour les hommes pratiques, au sens droit, aux intuitions rapides ; le timide pour les gens décidés et résolus, le faible pour le fort, et réciproquement. Si richement doués que nous soyons, il nous manque toujours quelque chose, et les meilleurs d’entre nous ont le sentiment de leur insuffisance. C’est pourquoi nous cherchons chez nos amis les qualités qui nous font défaut, parce qu’en nous unissant à eux nous participons en quelque manière à leur nature, et que nous nous sentons alors moins incomplets. Il se forme ainsi de petites associations d’amis où chacun a son rôle conforme à son caractère, où il y a un véritable échange de services. L’un protège, l’autre console ; celui-ci conseille, celui-là exécute, et c’est ce partage des fonctions, ou, pour employer l’expression consacrée, cette division du travail qui détermine ces relations d’amitié.

Nous sommes ainsi conduits à considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce cas, en effet, les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de chose à côté de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite ces sociétés d’amis, et elle les marque de son empreinte.

L’histoire de la société conjugale nous offre du même phénomène un exemple plus frappant encore.

Sans doute l’attrait sexuel ne se fait jamais sentir qu’entre individus de la même espèce, et l’amour suppose assez généralement une certaine harmonie de pensées et de sentiments. Il n’est pas moins vrai que ce qui donne à ce penchant son caractère spécifique et ce qui produit sa particulière énergie, ce n’est pas la ressemblance, mais la dissemblance des natures qu’il unit. C’est parce que l’homme et la femme diffèrent l’un de l’autre qu’ils se recherchent avec passion. Toutefois, comme dans le cas précédent, ce n’est pas un contraste pur et simple qui fait éclore ces sentiments réciproques : seules, des différences qui se supposent et se complètent peuvent avoir cette vertu. En effet, l’homme et la femme isolés l’un de l’autre ne sont que des parties différentes d’un même tout concret qu’ils reforment en s’unissant. En d’autres termes, c’est la division du travail sexuel qui est la source de la solidarité conjugale, et voilà pourquoi les psychologues ont très justement remarqué que la séparation des sexes avait été un événement capital dans l’évolution des sentiments ; c’est qu’elle a rendu possible le plus fort peut-être de tous les penchants désintéressés.

Il y a plus. La division du travail sexuel est susceptible de plus ou de moins ; elle peut ou ne porter que sur les organes sexuels et quelques caractères secondaires qui en dépendent, ou bien, au contraire, s’étendre à toutes les fonctions organiques et sociales. Or, on peut voir dans l’histoire qu’elle s’est exactement développée dans le même sens et de la même manière que la solidarité conjugale.

Plus nous remontons dans le passé, plus elle se réduit à peu de chose. La femme de ces temps reculés n’était pas du tout la faible créature qu’elle est devenue avec les progrès de la moralité. Des ossements préhistoriques témoignent que la différence entre la force de l’homme et celle de la femme était relativement beaucoup plus petite qu’elle n’est aujourd’hui . Maintenant encore, dans l’enfance et jusqu’à la puberté, le squelette des deux sexes ne diffère pas d’une façon appréciable : les traits en sont surtout féminins. Si l’on admet que le développement de l’individu reproduit en raccourci celui de l’espèce, on a le droit de conjecturer que la même homogénéité se retrouvait aux débuts de l’évolution humaine, et de voir dans la forme féminine comme une image approchée de ce qu’était originellement ce type unique et commun dont la variété masculine s’est peu à peu détachée. Des voyageurs nous rapportent d’ailleurs que, dans un certain nombre de tribus de l’Amérique du Sud, l’homme et la femme présentent dans la structure et l’aspect général une ressemblance qui dépasse ce que l’on voit ailleurs . Enfin le Dr Lebon a pu établir directement et avec une précision mathématique cette ressemblance originelle des deux sexes pour l’organe éminent de la vie physique et psychique, le cerveau. En comparant un grand nombre de crânes, choisis dans des races et dans des sociétés différentes, il est arrivé à la conclusion suivante : « Le volume du crâne de l’homme et de la femme, même quand on compare des sujets d’âge égal, de taille égale et de poids égal, présente des différentes considérables en faveur de l’homme, et cette inégalité va également en s’accroissant avec la civilisation, en sorte qu’au point de vue de la masse du cerveau et, par suite, de l’intelligence, la femme tend à se différencier de plus en plus de l’homme. La différence qui existe par exemple entre la moyenne des crânes des Parisiens contemporains et celle des Parisiennes est presque double de celle observée entre les crânes masculins et féminins de l’ancienne Égypte . » Un anthropologiste allemand, M. Bischoff, est arrivé sur ce point aux mêmes résultats .

Ces ressemblances anatomiques sont accompagnées de ressemblances fonctionnelles. Dans ces mêmes sociétés, en effet, les fonctions féminines ne se distinguent pas bien nettement des fonctions masculines ; mais les deux sexes mènent à peu près la même existence. Il y a maintenant encore un très grand nombre de peuples sauvages où la femme se mêle à la vie politique. C’est ce que l’on a observé notamment chez les tribus indiennes de l’Amérique, comme les Iroquois, les Natchez , à Hawaï où elle participe de mille manières à la vie des hommes , à la Nouvelle-Zélande, à Samoa. De même on voit très souvent les femmes accompagner les hommes à la guerre, les exciter au combat et même y prendre une part très active. A Cuba, au Dahomey, elles sont aussi guerrières que les hommes et se battent à côté d’eux . Un des attributs aujourd’hui distinctifs de la femme, la douceur, ne paraît pas lui avoir appartenu primitivement. Déjà dans certaines espèces animales la femelle se fait plutôt remarquer par le caractère contraire.

Or, chez ces mêmes peuples le mariage est dans un état tout à fait rudimentaire. Il est même très vraisemblable, sinon absolument démontré, qu’il y a eu une époque dans l’histoire de la famille où il n’y avait pas de mariage ; les rapports sexuels se nouaient et se dénouaient à volonté sans qu’aucune obligation juridique liât les conjoints. En tout cas, nous connaissons un type familial qui est relativement proche de nous et où le mariage n’est encore qu’à l’état de germe indistinct, c’est la famille maternelle. Les relations de la mère avec ses enfants y sont très définies, mais celles des deux époux sont très lâches. Elles peuvent cesser dès que les parties le veulent, ou bien encore ne se contractent que pour un temps limité . La fidélité conjugale n’y est pas encore exigée. Le mariage, ou ce qu’on appelle ainsi, consiste uniquement dans des obligations d’étendue restreinte et, le plus souvent, de courte durée, qui lient le mari aux parents de la femme ; il se réduit donc à peu de chose. Or, dans une société donnée, l’ensemble de ces règles juridiques qui constituent le mariage ne fait que symboliser l’état de la solidarité conjugale. Si celle-ci est très forte, les liens qui unissent les époux sont nombreux et complexes, et, par conséquent, la réglementation matrimoniale qui a pour objet de les définir est elle-même très développée. Si, au contraire, la société conjugale manque de cohésion, si les rapports de l’homme et de la femme sont instables et intermittents, ils ne peuvent pas prendre une forme bien déterminée, et, par conséquent, le mariage se réduit à un petit nombre de règles sans rigueur et sans précision. L’état du mariage dans les sociétés où les deux sexes ne sont que faiblement différenciés témoigne donc que la solidarité conjugale y est elle-même très faible.

Au contraire, à mesure qu’on avance vers les temps modernes, on voit le mariage se développer. Le réseau de liens qu’il crée s’étend de plus en plus, les obligations qu’il sanctionne se multiplient, Les conditions dans lesquelles il peut être conclu, celles auxquelles il peut être dissous se délimitent avec une précision croissante, ainsi que les effets de cette dissolution. Le devoir de fidélité s’organise ; d’abord imposé à la femme seule, il devient plus tard réciproque. Quand la dot apparaît, des règles très complexes viennent fixer les droits respectifs de chaque époux sur sa propre fortune et sur celle de l’autre. Il suffit, d’ailleurs, de jeter un coup d’œil sur nos Codes pour voir quelle place importante y occupe le mariage. L’union des deux époux a cessé d’être éphémère ; ce n’est plus un contact extérieur, passager et partiel, mais une association intime, durable, souvent même indissoluble de deux existences tout entières.

Or, il est certain que, dans le même temps, le travail sexuel s’est de plus en plus divisé. Limité d’abord aux seules fonctions sexuelles, il s’est peu à peu étendu à bien d’autres. Il y a longtemps que la femme s’est retirée de la guerre et des affaires publiques et que sa vie s’est concentrée tout entière dans l’intérieur de la famille. Depuis, son rôle n’a fait que se spécialiser davantage. Aujourd’hui, chez les peuples cultivés, la femme mène une existence tout à fait différente de celle de l’homme. On dirait que les deux grandes fonctions de la vie psychique se sont comme dissociées, que l’un des sexes a accaparé les fonctions affectives et l’autre les fonctions intellectuelles. A voir, dans certaines classes, les femmes s’occuper d’art et de littérature comme les hommes, on pourrait croire, il est vrai, que les occupations des deux sexes tendent à redevenir homogènes. Mais, même dans cette sphère d’action, la femme apporte sa nature propre, et son rôle reste très spécial, très différent de celui de l’homme. De plus, si l’art et les lettres commencent à devenir choses féminines, l’autre sexe semble les délaisser pour se donner plus spécialement à la science. Il pourrait donc très bien se faire que ce retour apparent à l’homogénéité primitive ne fût autre chose que le commencement d’une différenciation nouvelle. D’ailleurs, ces différences fonctionnelles sont rendues matériellement sensibles par les différences morphologiques qu’elles ont déterminées. Non seulement la taille, le poids, les formes générales sont très dissemblables chez l’homme et chez la femme, mais le Dr Lebon a démontré, nous l’avons vu, qu’avec le progrès de la civilisation le cerveau des deux sexes se différencie de plus en plus. Suivant cet observateur, cet écart progressif serait dû, à la fois, au développement considérable des crânes masculins et à un stationnement ou même une régression des crânes féminins. « Alors, dit-il, que la moyenne des crânes parisiens masculins les range parmi les plus gros crânes connus, la moyenne des crânes parisiens féminins les range parmi les plus petits crânes observés, bien au-dessous du crâne des Chinoises et à peine au-dessus du crâne des femmes de la Nouvelle-Calédonie . »

Dans tous ces exemples, le plus remarquable effet de la division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées, mais qu’elle les rend solidaires. Son rôle dans tous ces cas n’est pas simplement d’embellir ou d’améliorer des sociétés existantes, mais de rendre possibles des sociétés qui, sans elles, n’existeraient pas. Faites régresser au-delà d’un certain point la division du travail sexuel, et la société conjugale s’évanouit pour ne laisser subsister que des relations sexuelles éminemment éphémères ; si même les sexes ne s’étaient pas séparés du tout, toute une forme de la vie sociale ne serait pas née, Il est possible que l’utilité économique de la division du travail soit pour quelque chose dans ce résultat, mais, en tout cas, il dépasse infiniment la sphère des intérêts purement économiques ; car il consiste dans l’établissement d’un ordre social et moral sui generis. Des individus sont liés les uns aux autres qui, sans cela, seraient indépendants ; au lieu de se développer séparément, ils concertent leurs efforts ; ils sont solidaires et d’une solidarité qui n’agit pas seulement dans les courts instants où les services s’échangent, mais qui s’étend bien au-delà. La solidarité conjugale, par exemple, telle qu’elle existe aujourd’hui chez les peuples les plus cultivés, ne fait-elle pas sentir son action à chaque moment et dans tous les détails de la vie ? D’autre part, ces sociétés que crée la division du travail ne peuvent manquer d’en porter la marque. Puisqu’elles ont cette origine spéciale, elles ne peuvent pas ressembler à celles que détermine l’attrait du semblable pour le semblable ; elles doivent être constituées d’une autre manière, reposer sur d’autres bases, faire appel à d’autres sentiments.

Si l’on a souvent fait consister dans le seul échange les relations sociales auxquelles donne naissance la division du travail, c’est pour avoir méconnu ce que l’échange implique et ce qui en résulte. Il suppose que deux êtres dépendent mutuellement l’un de l’autre, parce qu’ils sont l’un et l’autre incomplets, et il ne fait que traduire au-dehors cette mutuelle dépendance. Il n’est donc que l’expression superficielle d’un état interne et plus profond. Précisément parce que cet état est constant, il suscite tout un mécanisme d’images qui fonctionne avec une continuité que n’a pas l’échange. L’image de celui qui nous complète devient en nous-même inséparable de la nôtre, non seulement parce qu’elle y est fréquemment associée, mais surtout parce qu’elle en est le complément naturel : elle devient donc partie intégrante et permanente de notre conscience, à tel point que nous ne pouvons plus nous en passer et que nous recherchons tout ce qui en peut accroître l’énergie. C’est pourquoi nous aimons la société de celui qu’elle représente, parce que la présence de l’objet qu’elle exprime, en la faisant passer à l’état de perception actuelle, lui donne plus de relief. Au contraire, nous souffrons de toutes les circonstances qui, comme l’éloignement ou la mort, peuvent avoir pour effet d’en empêcher le retour ou d’en diminuer la vivacité.

Si tourte que soit cette analyse, elle suffit à montrer que ce mécanisme n’est pas identique à celui qui sert de base aux sentiments de sympathie dont la ressemblance est la source. Sans doute, il ne peut jamais y avoir de solidarité entre autrui et nous que si l’image d’autrui s’unit à la nôtre. Mais quand l’union résulte de la ressemblance des deux images, elle consiste dans une agglutination. Les deux représentations deviennent solidaires parce que étant indistinctes, totalement ou en partie, elles se confondent et n’en font plus qu’une, et elles ne sont solidaires que dans la mesure où elles se confondent, Au contraire, dans le cas de la division du travail, elles sont en dehors l’une de l’autre, et elles ne sont liées que parce qu’elles sont distinctes. Les sentiments ne sauraient donc être les mêmes dans les deux cas ni les relations sociales qui en dérivent.

Nous sommes ainsi conduits à nous demander si la division du travail ne jouerait pas le même rôle dans des groupes plus étendus, si, dans les sociétés contemporaines où elle a pris le développement que nous savons, elle n’aurait pas pour fonction d’intégrer le corps social, d’en assurer l’unité. Il est très légitime de supposer que les faits que nous venons d’observer se reproduisent ici, mais avec plus d’ampleur ; que ces grandes sociétés politiques ne peuvent, elles aussi, se maintenir en équilibre que grâce à la spécialisation des tâches ; que la division du travail est la source, sinon unique, du moins principale de la solidarité sociale. C’est déjà à ce point de vue que s’était placé Comte. De tous les sociologues, à notre connaissance, il est le premier qui ait signalé dans la division du travail autre chose qu’un phénomène purement économique. Il y a vu « la condition la plus essentielle de la vie sociale », pourvu qu’on la conçoive « dans toute son étendue rationnelle, c’est-à-dire qu’on l’applique à l’ensemble de toutes nos diverses opérations quelconques, au lieu de la borner, comme il est trop ordinaire, à de simples usages matériels ». Considérée sous cet aspect, dit-il, « elle conduit immédiatement à regarder non seulement les individus et les classes, mais aussi, à beaucoup d’égards, les différents peuples comme participant à la fois, suivant un mode propre et un degré spécial, exactement déterminé, à une oeuvre immense et commune dont l’inévitable développement graduel lie d’ailleurs aussi les coopérateurs actuels à la série de leurs prédécesseurs quelconques et même à la série de leurs divers successeurs. C’est donc la répartition continue des différents travaux humains qui constitue principalement la solidarité sociale et qui devient la cause élémentaire de l’étendue et de la complication croissante de l’organisme social » .

Si cette hypothèse était démontrée, la division du travail jouerait un rôle beaucoup plus important que celui qu’on lui attribue d’ordinaire. Elle ne servirait pas seulement à doter nos sociétés d’un luxe, enviable peut-être, mais superflu ; elle serait une condition de leur existence. C’est par elle, ou du moins c’est surtout par elle, que serait assurée leur cohésion ; c’est elle qui déterminerait les traits essentiels de leur constitution. Par cela même, et quoique nous ne soyons pas encore en état de résoudre la question avec rigueur, on peut cependant entrevoir dès maintenant que, si telle est réellement la fonction de la division du travail, elle doit avoir un caractère moral, car les besoins d’ordre, d’harmonie, de solidarité sociale passent généralement pour être moraux.

Mais, avant d’examiner si cette opinion commune est fondée, il faut vérifier l’hypothèse que nous venons d’émettre sur le rôle de la division du travail. Voyons si, en effet, dans les sociétés où nous vivons, c’est d’elle que dérive essentiellement la solidarité sociale.

III

Mais comment procéder à cette vérification ?

Nous n’avons pas simplement à rechercher si, dans ces sortes de sociétés, il existe une solidarité sociale qui vient de la division du travail. C’est une vérité évidente, puisque la division du travail y est très développée et qu’elle produit la solidarité. Mais il faut surtout déterminer dans quelle mesure la solidarité qu’elle produit contribue à l’intégration générale de la société : car c’est seulement alors que nous saurons jusqu’à quel point elle est nécessaire, si elle est un facteur essentiel de la cohésion sociale, ou bien, au contraire, si elle n’en est qu’une condition accessoire et secondaire. Pour répondre à cette question, il faut donc comparer ce lien social aux autres, afin de mesurer la part qui lui revient dans l’effet total, et pour cela il est indispensable de commencer par classer les différentes espèces de solidarité sociale.

Mais la solidarité sociale est un phénomène tout moral qui, par lui-même, ne se prête pas à l’observation exacte ni surtout à la mesure. Pour procéder tant à cette classification qu’à cette comparaison, il faut donc substituer au fait interne qui nous échappe un fait extérieur qui le symbolise et étudier le premier à travers le second.

Ce symbole visible, c’est le droit. En effet, là où la solidarité sociale existe, malgré son caractère immatériel, elle ne reste pas à l’état de pure puissance, mais manifeste sa présence par des effets sensibles. Là où elle est forte, elle incline fortement les hommes les uns vers les autres, les met fréquemment en contact, multiplie les occasions qu’ils ont de se trouver en rapports. A parler exactement, au point où nous en sommes arrivés, il est malaisé de dire si c’est elle qui produit ces phénomènes ou, au contraire, si elle en résulte ; si les hommes se rapprochent parce qu’elle est énergique, ou bien si elle est énergique parce qu’ils sont rapprochés les uns des autres. Mais il n’est pas nécessaire pour le moment d’élucider la question, et il suffit de constater que ces deux ordres de faits sont liés et varient en même temps et dans le même sens. Plus les membres d’une société sont solidaires, plus ils soutiennent de relations diverses soit les uns avec les autres, soit avec le groupe pris collectivement : car, si leurs rencontres étaient rares, ils ne dépendraient les uns des autres que d’une manière intermittente et faible. D’autre part, le nombre de ces relations est nécessairement proportionnel à celui des règles juridiques qui les déterminent. En effet, la vie sociale, partout où elle existe d’une manière durable, tend inévitablement à prendre une forme définie et à s’organiser, et le droit n’est autre chose que cette organisation même dans ce qu’elle a de plus stable et de plus précis . La vie générale de la société ne peut s’étendre sur un point sans que la vie juridique s’y étende en même temps et dans le même rapport. Nous pouvons donc être certains de trouver reflétées dans le droit toutes les variétés essentielles de la solidarité sociale.

On pourrait objecter, il est vrai, que les relations sociales peuvent se fixer sans prendre pour cela une forme juridique. Il en est dont la réglementation ne parvient pas à ce degré de consolidation et de précision ; elles ne restent pas indéterminées pour cela, mais, au lieu d’être réglées par le droit, elles ne le sont que par les mœurs. Le droit ne réfléchit donc qu’une partie de la vie sociale et, par conséquent, ne nous fournit que des données incomplètes pour résoudre le problème. Il y a plus : il arrive souvent que les mœurs ne sont pas d’accord avec le droit ; on dit sans cesse qu’elles en tempèrent les rigueurs, qu’elles en corrigent les excès formalistes, parfois même qu’elles sont animées d’un tout autre esprit. Ne pourrait-il pas alors se faire qu’elles manifestent d’autres sortes de solidarité sociale que celles qu’exprime le droit positif ?

Mais cette opposition ne se produit que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles. Il faut pour cela que le droit ne corresponde plus à l’état présent de la société et que pourtant il se maintienne, sans raison d’être, par la force de l’habitude. Dans ce cas, en effet, les relations nouvelles qui s’établissent malgré lui ne laissent pas de s’organiser ; car elles ne peuvent pas durer sans chercher à se consolider. Seulement, comme elles sont en conflit avec l’ancien droit qui persiste, elles ne dépassent pas le stade des mœurs et ne parviennent pas à entrer dans la vie juridique proprement dite. C’est ainsi que l’antagonisme éclate. Mais il ne peut se produire que dans des cas rares et pathologiques, qui ne peuvent même durer sans danger. Normalement, les mœurs ne s’opposent pas au droit mais au contraire en sont la base. Il arrive, il est vrai, que sur cette base rien ne s’élève. Il peut y avoir des relations sociales qui ne comportent que cette réglementation diffuse qui vient des mœurs ; mais c’est qu’elles manquent d’importance et de continuité, sauf, bien entendu, les cas anormaux dont il vient d’être question. Si donc il peut se faire qu’il y ait des types de solidarité sociale que les mœurs sont seules à manifester, ils sont certainement très secondaires ; au contraire, le droit reproduit tous ceux qui sont essentiels, et ce sont les seuls que nous ayons besoin de connaître.

Ira-t-on plus loin et soutiendra-t-on que la solidarité sociale n’est pas tout entière dans ses manifestations sensibles ; que celles-ci ne l’expriment qu’en partie et imparfaitement ; qu’au-delà du droit et des mœurs il y a l’état interne d’où elle dérive, et que, pour la connaître véritablement, il faut l’atteindre en elle-même et sans intermédiaire ? - Mais nous ne pouvons connaître scientifiquement les causes que par les effets qu’elles produisent, et, pour en mieux déterminer la nature, la science ne fait que choisir parmi ces résultats ceux qui sont le plus objectifs et qui se prêtent le mieux à la mesure. Elle étudie la chaleur à travers les variations de volume que produisent dans les corps les changements de température, l’électricité à travers ses effets physico-chimiques, la force à travers le mouvement. Pourquoi la solidarité sociale ferait-elle exception ?

Qu’en subsiste-t-il d’ailleurs une fois qu’on l’a dépouillée de ses formes sociales ? Ce qui lui donne ses caractères spécifiques, c’est la nature du groupe dont elle assure l’unité, c’est pourquoi elle varie suivant les types sociaux. Elle n’est pas la même au sein de la famille et dans les sociétés politiques ; nous ne sommes pas attachés à notre patrie de la même manière que le Romain l’était à la cité ou le Germain à sa tribu. Mais puisque ces différences tiennent à des causes sociales, nous ne pouvons les saisir qu’à travers les différences que présentent les effets sociaux de la solidarité. Si donc nous négligeons ces dernières, toutes ces variétés deviennent indiscernables et nous ne pouvons plus apercevoir que ce qui leur est commun à toutes, à savoir la tendance générale à la sociabilité, tendance qui est toujours et partout la même et n’est liée à aucun type social en particulier. Mais ce résidu n’est qu’une abstraction ; car la sociabilité en soi ne se rencontre nulle part. Ce qui existe et vit réellement, ce sont les formes particulières de la solidarité, la solidarité domestique, la solidarité professionnelle, la solidarité nationale, celle d’hier, celle d’aujourd’hui, etc. Chacune a sa nature propre ; par conséquent, ces généralités ne sauraient en tout cas donner du phénomène qu’une explication bien incomplète, puisqu’elles laissent nécessairement échapper ce qu’il a de concret et de vivant.

L’étude de la solidarité relève donc de la sociologie. C’est un fait social que l’on ne peut bien connaître que par l’intermédiaire de ses effets sociaux. Si tant de moralistes et de psychologues ont pu traiter la question sans suivre cette méthode, c’est qu’ils ont tourné la difficulté. Ils ont éliminé du phénomène tout ce qu’il a de plus spécialement social pour n’en retenir que le germe psychologique dont il est le développement. Il est certain, en effet, que la solidarité, tout en étant un fait social au premier chef, dépend de notre organisme individuel. Pour qu’elle puisse exister, il faut que notre constitution physique et psychique la comporte. On peut donc, à la rigueur, se contenter de l’étudier sous cet aspect. Mais, dans ce cas, on n’en voit que la partie la plus indistincte et la moins spéciale ; ce n’est même pas elle à proprement parler, mais plutôt ce qui la rend possible.

Encore cette étude abstraite ne saurait-elle être bien féconde en résultats. Car, tant qu’elle reste à l’état de simple prédisposition de notre nature psychique, la solidarité est quelque chose de trop indéfini pour qu’on puisse aisément l’atteindre. C’est une virtualité intangible qui n’offre pas prise à l’observation. Pour qu’elle prenne une forme saisissable, il faut que quelques conséquences sociales la traduisent au-dehors. De plus, même dans cet état d’indétermination, elle dépend de conditions sociales qui l’expliquent et dont, par conséquent, elle ne peut être détachée. C’est pourquoi il est bien rare qu’à ces analyses de pure psychologie quelques vues sociologiques ne se trouvent mêlées. Par exemple, on dit quelques mots de l’influence de l’état grégaire sur la formation du sentiment social en général ; on bien on indique rapidement les principales relations sociales dont la sociabilité dépend de la manière la plus apparente . Sans doute, ces considérations complémentaires, introduites sans méthode, à titre d’exemples et suivant les hasards de la suggestion, ne sauraient suffire pour élucider beaucoup la nature sociale de la solidarité. Elles démontrent du moins que le point de vue sociologique s’impose même aux psychologues.

Notre méthode est donc toute tracée. Puisque le droit reproduit les formes principales de la solidarité sociale, nous n’avons qu’à classer les différentes espèces de droit pour chercher ensuite quelles sont les différentes espèces de solidarité sociale qui y correspondent. Il est, dès à présent, probable qu’il en est une qui symbolise cette solidarité spéciale dont la division du travail est la cause. Cela fait, pour mesurer la part de cette dernière, il suffira de comparer le nombre des règles juridiques qui l’expriment au volume total du droit.

Pour ce travail, nous ne pouvons nous servir des distinctions usitées chez les jurisconsultes. Imaginées pour la pratique, elles peuvent être très commodes à ce point de vue, mais la science ne peut se contenter de ces classifications empiriques et par à-peu-près. La plus répandue est celle qui divise le droit en droit public et en droit privé ; le premier est censé régler les rapports de l’individu avec l’État, le second ceux des individus entre eux. Mais quand on essaie de serrer les ternies de près, la ligne de démarcation qui paraissait si nette au premier abord s’efface. Tout droit est privé, en ce sens que c’est toujours et partout des individus qui sont en présence et qui agissent ; mais surtout tout droit est publie, en ce sens qu’il est une fonction sociale et que tous les individus sont, quoique à des titres divers, des fonctionnaires de la société. Les fonctions maritales, paternelles, etc., ne sont ni délimitées, ni organisées d’une autre manière que les fonctions ministérielles et législatives, et ce n’est pas sans raison que le droit romain qualifiait la tutelle de munus publicum. Qu’est-ce d’ailleurs que l’État ? Où commence et où finit-il ? On sait combien la question est controversée ; il n’est pas scientifique de faire reposer une classification fondamentale sur une notion aussi obscure et mal analysée.

Pour procéder méthodiquement, il nous faut trouver quelque caractéristique qui, tout en étant essentielle aux phénomènes juridiques, soit susceptible de varier quand ils varient. Or, tout précepte de droit peut être défini : une règle de conduite sanctionnée. D’autre part, il est évident que les sanctions changent suivant la gravité attribuée aux préceptes, la place qu’ils tiennent dans la conscience publique, le rôle qu’ils jouent dans la société. Il convient donc de classer les règles juridiques d’après les différentes sanctions qui y sont attachées.

Il en est de deux sortes. Les unes consistent essentiellement dans une douleur, ou, tout au moins, dans une diminution infligée à l’agent ; elles ont pour objet de l’atteindre dans sa fortune, ou dans son honneur, ou dans sa vie, ou clans sa liberté, de le priver de quelque chose dont il jouit. On dit qu’elles sont répressives ; c’est le cas du droit pénal. Il est vrai que celles qui sont attachées aux règles purement morales ont le même caractère : seulement elles sont distribuées d’une manière diffuse par tout le monde indistinctement, tandis que celles du droit pénal ne sont appliquées que par l’intermédiaire d’un organe défini ; elles sont organisées. Quant à l’autre sorte, elle n’implique pas nécessairement une souffrance de l’agent, mais consiste seulement dans la remise des choses en étal, dans le rétablissement des rapports troublés sous leur forme normale, soit que l’acte incriminé soit ramené de force au type dont il a dévié, soit qu’il soit annulé, c’est-à-dire privé de toute valeur sociale. On doit donc répartir en deux grandes espèces les règles juridiques, suivant qu’elles ont des sanctions répressives organisées, ou des sanctions seulement restitutives. La première comprend tout le droit pénal ; la seconde, le droit civil, le droit commercial, le droit des procédures, le droit administratif et constitutionnel, abstraction faite des règles pénales qui peuvent s’y trouver.

Cherchons maintenant à quelle sorte de solidarité sociale correspond chacune de ces espèces.

(...)

Le Dr Lebon a pu établir d’une manière objective cette homogénéité croissante à mesure qu’on remonte vers les origines. Il a comparé les crânes appartenant à des races et à des sociétés différentes, et y a trouvé « que les différences de volume du crâne existant entre individus de même race... sont d’autant plus grandes que la race est plus élevée dans l’échelle de la civilisation. Après avoir groupé les volumes des crânes de chaque race par séries progressives, en ayant soin de n’établir de comparaisons que sur des séries assez nombreuses pour que les termes soient reliés d’une façon graduelle, j’ai reconnu, dit-il, que la différence de volume entre les crânes masculins adultes les plus grands et les crânes les plus petits est en nombre rond de 200 centimètres cubes chez le gorille, de 280 chez les parias de l’Inde, de 310 chez les Australiens, de 350 chez les anciens Égyptiens, de 470 chez les Parisiens du XIIe siècle, de 600 chez les Parisiens modernes, de 700 chez les Allemands ». Il y a même quelques peuplades où ces différences sont nulles. « Les Andamans et les Todas sont tous semblables. On en peut presque dire autant des Groenlandais. Cinq crânes de Patagons que possède le laboratoire de M. Broca sont identiques . »

Il n’est pas douteux que ces similitudes organiques ne correspondent à des similitudes psychiques. « Il est certain, dit Waitz, que cette grande ressemblance physique des indigènes provient essentiellement de l’absence de toute forte individualité psychique, de l’état d’infériorité de la culture intellectuelle en général. L’homogénéité des caractères (Gemülhseigenschaflen) au sein d’une peuplade nègre est incontestable. Dans l’Égypte supérieure, le marchand d’esclaves ne se renseigne avec précision que sur le lieu d’origine de l’esclave et non sur son caractère individuel, car une longue expérience lui a appris que les différences entre individus de la même tribu sont insignifiantes à côté de celles qui dérivent de la race. C’est ainsi que les Nubas et les Gallus passent pour très fidèles, les Abyssins du Nord pour traîtres et perfides, la majorité des autres pour de bons esclaves domestiques, mais qui ne sont guère utilisables pour le travail corporel ; ceux de Fertit pour sauvages et prompts à la vengeance . » Aussi l’originalité n’y est-elle pas seulement rare, elle n’y a, pour ainsi dire, pas de place. Tout le monde alors admet et pratique, sans la discuter, la même religion ; les sectes et les dissidences sont inconnues : elles ne seraient pas tolérées. Or, à ce moment, la religion comprend tout, s’étend à tout. Elle renferme dans un état de mélange confus, outre les croyances proprement religieuses, la morale, le droit, les principes de l’organisation politique et jusqu’à la science, ou du moins ce qui en tient lieu. Elle réglemente même les détails de la vie privée. Par conséquent, dire que les consciences religieuses sont alors identiques, - et cette identité est absolue, - c’est dire implicitement que, sauf les sensations qui se rapportent à l’organisme et aux états de l’organisme, toutes les consciences individuelles sont à peu près composées des mêmes éléments. Encore les impressions sensibles elles-mêmes ne doivent-telles pas offrir une grande diversité, à cause des ressemblances physiques que présentent les individus.

C’est pourtant une idée encore assez répandue que la civilisation a, au contraire, pour effet d’accroître les similitudes sociales. « A mesure que les agglomérations humaines s’étendent, dit M. Tarde, la diffusion des idées suivant une progression géométrique régulière est plus marquée . » Suivant Hale , c’est une erreur d’attribuer aux peuples primitifs une certaine uniformité de caractère, et il donne comme preuve ce fait que la race jaune et la race noire de l’océan Pacifique, qui habitent côte à côte, se distinguent plus fortement l’une de l’autre que deux peuples européens. De même, est-ce que les différences qui séparent le Français de l’Anglais ou de l’Allemand ne sont pas moindres aujourd’hui qu’autrefois ? Dans presque toutes les sociétés européennes, le droit, la morale, les mœurs, même les institutions politiques fondamentales sont à peu près identiques. On fait également remarquer qu’au sein d’un même pays on ne trouve plus aujourd’hui les contrastes qu’on y rencontrait autrefois. La vie sociale ne varie plus ou ne varie plus autant d’une province à l’autre ; dans les pays unifiés comme la France, elle est à peu près la même dans toutes les régions, et ce nivellement est à son maximum dans les classes cultivées .

Mais ces faits n’infirment en rien notre proposition. Il est certain que les différentes sociétés tendent à se ressembler davantage ; mais il n’en est pas de même des individus qui composent chacune d’elles. Il y a maintenant moins de distance que jadis entre le Français et l’Anglais en général, mais cela n’empêche pas les Français d’aujourd’hui de différer entre eux beaucoup plus que les Français d’autrefois. De même, il est bien vrai que chaque province tend à perdre sa physionomie distinctive ; mais cela n’empêche pas chaque individu d’en prendre de plus en plus une qui lui est personnelle. Le Normand est moins différent du Gascon, celui-ci du Lorrain et du Provençal : les uns et les autres n’ont plus guère en commun que les traits communs à tous les Français ; mais la diversité que présentent ces derniers pris ensemble ne laisse pas de s’être accrue. Car, si les quelques types provinciaux qui existaient autrefois tendent à se fondre les uns dans les autres et à disparaître, il y a, à la place, une multitude autrement considérable de types individuels. Il n’y a plus autant de différences qu’il y a de grandes régions, mais il y en a presque autant qu’il y a d’individus. Inversement, là où chaque province a sa personnalité, il n’en est pas de même des particuliers. Elles peuvent être très hétérogènes les unes par rapport aux autres, et n’être formées que d’éléments semblables, et c’est ce qui se produit également dans les sociétés politiques. De même, dans le monde biologique, les protozoaires sont à ce point distincts les uns des autres qu’il est impossible de les classer en espèces ; et cependant, chacun d’eux est composé d’une matière parfaitement homogène.

Cette opinion repose donc sur une confusion entre les types individuels et les types collectifs, tant provinciaux que nationaux. Il est incontestable que la civilisation tend à niveler les seconds ; mais on en a conclu à tort qu’elle a le même effet sur les premiers, et que l’uniformité devient générale. Bien loin que ces deux sortes de types varient l’un comme l’autre, nous verrons que l’effacement des uns est la condition nécessaire à l’apparition des autres . Or, il n’y a jamais qu’un nombre restreint de types collectifs au sein d’une même société, car elle ne peut comprendre qu’un petit nombre de races et de régions assez différentes pour produire de telles dissemblances. Au contraire, les individus sont susceptibles de se diversifier à l’infini. La diversité est donc d’autant plus grande que les types individuels sont plus développés.

Ce qui précède s’applique identiquement aux types professionnels. Il y a des raisons de supposer qu’ils perdent de leur ancien relief, que l’abîme qui séparait jadis les professions, et surtout certaines d’entre elles, est en train de se combler. Mais ce qui est certain, c’est qu’à l’intérieur de chacune d’elles les différences se sont accrues. Chacun a davantage sa manière de penser et de faire, subit moins complètement l’opinion commune de la corporation. De plus, si de profession à profession les différences sont moins tranchées, elles sont en tout cas plus nombreuses, car les types professionnels se sont eux-mêmes multipliés à mesure que le travail se divisait davantage. S’ils ne se distinguent plus les uns des autres que par de simples nuances, du moins ces nuances sont plus variées. La diversité n’a donc pas diminué, même à ce point de vue, quoiqu’elle ne se manifeste plus sous forme de contrastes violents et heurtés.

Nous pouvons donc être assurés que, plus on recule dans l’histoire, plus l’homogénéité est grande ; d’autre part, plus on se rapproche des types sociaux les plus élevés, plus la division du travail se développe. Voyons maintenant comment varient, aux divers degrés de l’échelle sociale, les deux formes du droit que nous avons distinguées.

II

Autant qu’on peut juger de l’état du droit dans les sociétés tout à fait inférieures, il paraît être tout entier répressif. « Le sauvage, dit Lubbock, n’est libre nulle part. Dans le monde entier, la vie quotidienne du sauvage est réglée par une quantité de coutumes (aussi impérieuses que des lois) compliquées et souvent fort incommodes, de défenses et de privilèges absurdes. De nombreux règlements fort sévères, quoiqu’ils ne soient pas écrits, compassent tous les actes de leur vie . » On sait, en effet, avec quelle facilité, chez les peuples primitifs, les manières d’agir se consolident en pratiques traditionnelles, et, d’autre part, combien est grande chez eux la force de la tradition. Les mœurs des ancêtres y sont entourées de tant de respect qu’on ne peut y déroger sans être puni.

Mais de telles observations manquent nécessairement de précision, car rien n’est difficile à saisir comme des coutumes aussi flottantes. Pour que notre expérience soit conduite avec méthode, il faut la faire porter autant que possible sur des droits écrits.

Les quatre derniers livres du Pentateuque, l’Exode, le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome représentent le plus ancien monument de ce genre que nous possédions . Sur ces quatre ou cinq mille versets, il n’y en a qu’un nombre relativement infime où soient exprimées des règles qui puissent, à la rigueur, passer pour n’être pas répressives. (...)

On peut d’ailleurs montrer, au moins en gros, comment il résulte des progrès mêmes de la division du travail et de la transformation qui a pour effet de faire passer les sociétés du type segmentaire au type organisé.

Tant que chaque segment a sa vie qui lui est particulière, il forme une petite société dans la grande et a, par conséquent, en propre ses organes régulateurs, tout comme celle-ci. Mais leur vitalité est nécessairement proportionnelle à l’intensité de cette vie locale ; ils ne peuvent donc pas manquer de s’affaiblir quand elle s’affaiblit elle-même. Or, nous savons que cet affaiblissement se produit avec l’effacement progressif de l’organisation segmentaire. L’organe central, trouvant devant lui moins de résistance, puisque les forces qui le contenaient ont perdu de leur énergie, se développe et attire à lui ces fonctions, semblables à celles qu’il exerce, mais qui ne peuvent plus être retenues par ceux qui les détenaient jusque-là. Ces organes locaux, au lieu de garder leur individualité et de rester diffus, viennent donc se fondre dans l’appareil central qui, par suite, grossit, et cela d’autant plus que la société est plus vaste et la fusion plus complète ; c’est dire qu’il est d’autant plus volumineux que les sociétés sont d’une espèce plus élevée.

Ce phénomène se produit avec une nécessité mécanique, et, d’ailleurs, il est utile, car il correspond au nouvel état des choses. Dans la mesure où la société cesse d’être formée par une répétition de segments similaires, l’appareil régulateur doit lui-même cesser d’être formé par une répétition d’organes segmentaires autonomes. Toutefois, nous ne voulons pas dire que, normalement, l’État absorbe en lui tous les organes régulateurs de la société quels qu’ils soient, mais seulement ceux qui sont de même nature que les siens, c’est-à-dire qui président à la vie générale. Quant à ceux qui régissent des fonctions spéciales, comme les fonctions économiques, ils sont en dehors de sa sphère d’attraction. Il peut bien se produire entre eux une coalescence du même genre, mais non entre eux et lui ; ou du moins, s’ils sont soumis à l’action des centres supérieurs, ils en restent distincts. Chez les vertébrés, le système cérébro-spinal est très développé, il a une influence sur le grand sympathique, mais il laisse à ce dernier une large autonomie.

En second lieu, tant que la société est faite de segments, ce qui se produit dans l’un d’eux a d’autant moins de chances de faire écho dans les autres que l’organisation segmentaire est plus forte. Le système alvéolaire se prête naturellement à la localisation des événements sociaux et de leurs suites. C’est ainsi que, dans une colonie de polypes, un des individus peut être malade sans que les autres s’en ressentent. Il n’en est plus de même quand la société est formée par un système d’organes. Par suite de leur mutuelle dépendance, ce qui atteint l’un en atteint d’autres, et ainsi tout changement un peu grave prend un intérêt général.

Cette généralisation est encore facilitée par deux autres circonstances. Plus le travail se divise, moins chaque organe social comprend de parties distinctes. A mesure que la grande industrie se substitue à la petite, le nombre des entreprises différentes diminue ; chacune a plus d’importance relative, parce qu’elle représente une plus grande fraction du tout ; ce qui S’y produit a donc des contrecoups sociaux beaucoup plus étendus. La fermeture d’un petit atelier ne cause que des troubles très limités, qui cessent d’être sentis au-delà d’un petit cercle ; la faillite d’une grande société industrielle est, au contraire, une perturbation publique. D’autre part, comme le progrès de la division du travail détermine une plus grande concentration de la masse sociale, il y a entre les différentes parties d’un même tissu, d’un même organe ou d’un même appareil, un contact plus intime qui rend plus faciles les phénomènes de contagion. Le mouvement qui naît sur un point se communique rapidement aux autres ; il n’y a qu’à voir avec quelle vitesse, par exemple, une grève se généralise aujourd’hui dans un même corps de métier. Or, un trouble d’une certaine généralité ne peut se produire sans retentir dans les centres supérieurs. Ceux-ci, étant affectés douloureusement, sont nécessités à intervenir, et cette intervention est d’autant plus fréquente que le type social est plus élevé. Mais il faut pour cela qu’ils soient organisés en conséquence ; il faut qu’ils étendent dans tous les sens leurs ramifications, de manière à être en relations avec les différentes régions de l’organisme, de manière aussi à tenir dans une dépendance plus immédiate certains organes dont le jeu pourrait avoir, à l’occasion, des répercussions exceptionnellement graves. En un mot, leurs fonctions devenant plus nombreuses et plus complexes, il est nécessaire que l’organe qui leur sert de substrat se développe, ainsi que le corps de règles juridiques qui les déterminent.

(...)

Messages

  • Il est important de rappeler que Durkheim est encore considéré comme le prototype du sociologue et étudié comme tel. Y compris par des organisations qui se disent socialistes et qui prétendent, au travers de Durkheim, trouver un socialisme non marxiste !

    Il va de soi que ses préjugés contre les femmes présentés comme des réflexions scientifiques ne reflètent nullement le point de vue de "Matière et révolution". ils ne sont cités que pour montrer à quel point la sociologie a longtemps servi de fondement idéologique à la soumission aux inégalités et aux oppressions.

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