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Qu’est-ce qu’un champ (en Physique) ?

samedi 5 septembre 2015, par Robert Paris

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Le champ est une forme de représentation des interactions de la physique qui tente de donner un cadre unique aux contradictions dialectiques particule/interaction, matière/vide, onde/corpuscule, électricité/magnétisme, continu/discontinu, perception à proximité d’une action à distance… Quoi de plus dialectique que le champ, conçu comme le symbole même de la continuité par Einstein, soit lui-même devenu quantique, c’est-à-dire fondamentalement discontinu...

Qu’est-ce qu’un champ (en Physique) ?

Lettre de James Clerk Maxwell à Faraday (les deux grands fondateurs de la notion de champ électrique et magnétique) (9 novembre 1857) :

« Le champ crée une toile à travers tout le ciel. »

Bien entendu, un « champ en sciences physiques » n’est pas un champ de patates, ni un champ sémantique, ni un champ de bataille, ni un champ pétrolifère, ni un champ de connaissance, ni un champ lexical, ni un champ visuel, ni un champ de l’informatique, ni un champ de mines, ni encore un champ opératoire. Rien de commun entre ces différents termes. Rien qui nous éclaire sur ce que cela signifie en Physique.

Par contre, la notion de « champ » est la même pour toute la Physique, même s’il existe une grande variété de champs qui recouvre la non moins grande variété de paramètres et d’interactions physiques. Formellement, le champ physique peut être défini de la manière suivante : un champ est la donnée, pour chaque point de l’espace, de la valeur d’une grandeur physique (température, pression, vitesse, charge, masse, densité, potentiel, etc.). Les points correspondants à des valeurs identiques peuvent être reliés, formant des « lignes de champ ».

Champ des pressions

Champ des vents

Champ des charges électriques

charge négative

charge positive

L’un des moyens simples de visualiser ces lignes de champs est de prendre l’exemple d’un champ électromagnétique est d’y disposer de la limaille de fer. Elle permet de matérialiser les « lignes de champs ».

Par exemple, ci-dessous, les lignes de champ autour des pôles Nord et Sud d’un aimant.

Schéma des lignes de champ d’un aimant

Champ dans un plan perpendiculaire à un fil conducteur rectiligne

Champ d’un solénoïde

La limaille de fer permet d’indiquer les lignes de champ dans un plan, donc elle donne seulement une section du champ qui s’étend dans tout l’espace. Aujourd’hui, les techniques modernes permettent de visualiser ces champs en trois dimensions, à l’aide de faisceaux de neutrons polarisés.

Une véritable révolution conceptuelle s’est réalisée en Physique lorsque l’on a compris que certaines caractéristiques de la nature n’étaient pas attachées aux objets matériels mais étaient définies en tout point de l’espace (espace sans particules et sans ondes ou espace en contenant). Ce concept s’est avéré indispensable du fait que les particules ne se touchent pas et interagissent via le vide qui les sépare. La manière dont ces particules (de matière ou de lumière) interagissent est déterminée par l’état du vide qui les sépare, appelé le champ… Et on s’est aperçu que, même là où il n’y a ni matière ni lumière, il y a un champ non nul qui fluctue (le champ du vide).

La notion de « champ » est d’usage courant. On y fait référence par exemple quand on examine une carte en relief qui indique le champ des inclinaisons du sol ou quand on étudie une carte des vents ou encore une carte des températures.

Les types mathématiques de champs diffèrent : « champ de potentiel », « champ vectoriel », « champ scalaire », « champ tensoriel » ou encore « champ spinoriel ».

Voici par exemple un champ scalaire (à gauche) et un champ vectoriel à droite :

Chaque type d’interaction (par exemple gravitation, électromagnétisme, pression atmosphérique, etc.) est relié à un type particulier de champ.

La pression atmosphérique a été l’une des premières à donner la notion de champ. Elle a été mise en évidence en 1643 par Evangelista Torricelli, ce qui a suggéré l’introduction d’un champ de pression. Cela signifiait que l’atmosphère était marquée en chaque point par une valeur : la pression de l’air. D’où le champ des pressions…

Euler a pris la suite dans les années 1750 avec sa notion de champ des vitesses d’écoulement du fluide en chaque point…

L’un des champs les plus connus, découvert ensuite, est le champ électromagnétique, notion développée par Faraday et Maxwell avant de devenir une notion de la physique quantique avec l’électrodynamique.

Albert Einstein :

« Le concept de champ consiste en un processus dans lequel les corps en interaction baignent dans l’espace. Cet espace a la propriété d’interagir avec les corps. »

Paul Davies écrit dans "Les forces de la nature" :

« Un aimant attire ou repousse d’autres substances magnétiques sans contact physique direct. Les pôles magnétiques sont de deux types, nord et sud, et leur force mutuelle décroît avec la distance. L’électricité fournit un deuxième type d’action à distance. Des boules se repoussent si elles sont porteuses de charges du même signe, et s’attirent si elles sont porteuses de charges de signes contraires, toujours avec une force qui diminue comme l’inverse du carré de la distance. (...) Quel est le mécanisme qui transmet l’interaction électrique ? Une réponse est de supposer que chaque charge produit dans son voisinage un champ électrique. Ce champ invisible s’étend dans l’espace autour de la charge, et sa présence est déduite de son action sur les charges électriques qui le rencontrent. L’action à distance entre charges se ramène ainsi à une action de contact entre une charge et le champ d’une autre. Le concept de champ, inventé par Faraday, fut développé par Maxwell. Il peut être étendu à la force magnétique, et aussi à la force gravitationnelle. La charge électrique ou le pôle magnétique est la source du champ, dont l’intensité diminue progressivement avec la distance à la source. (...) Remarquons que les lignes de champ commencent et financent toujours sur des charges : le champ ne peut pas disparaitre soudain dans le vide. (...) Si un champ électrique est présent dans un milieu conducteur, les charges électriques peuvent se déplacer librement sous l’action des forces engendrées par le champ, et un courant électrique circule. Ce courant produit à son tour un champ magnétique : un courant rectiligne produit le champ montré sur la figure ci-dessous. »

Figure de lignes de champ autour d’un courant

Henri Poincaré affirme dans « La science et l’hypothèse » :

« Maxwell explique les attractions électrostatiques par des pressions et des tensions qui régneraient dans le milieu diélectrique. »

Henri Poincaré dans « La Mécanique nouvelle » :

« Un électron isolé se déplaçant à travers l’éther engendre un courant électrique, c’est-à-dire un champ électro-magnétique. Ce champ correspond à une certaine quantité d’énergie localisée, non dans l’électron, mais dans l’éther. »

Il convient d’abord de rappeler que les matières ayant une masse n’ont pas de contact direct entre elles. Elles n’interagissent (par l’électromagnétisme ou par d’autres interactions) que grâce à l’espace vide qui les entoure et qu’elles transforment par leur présence. C’est ce que l’on appelle le champ. Faraday et Maxwell ont été les découvreurs des champs magnétique et électrique, unifiés par la suite en champ électromagnétique et dont la lumière (constituée d’un champ magnétique et d’un champ électrique oscillants) et la chaleur (champ électromagnétique de très basse fréquence) sont devenus des cas particuliers importants.

Louis de Broglie écrit dans « La physique nouvelle et les quanta » :

« Après avoir montré que le rotationnel du champ magnétique est égal à la densité du courant électrique, donnant ainsi naissance à l’électromagnétisme, (…) Maxwell, après avoir écrit les lois générales des phénomènes électriques, s’aperçut de la possibilité de considérer la lumière comme une perturbation électromagnétique. Par là, il a fait rentrer toute la science de l’optique à l’intérieur des cadres de l’électromagnétisme, réunissant ainsi deux domaines qui semblaient entièrement distincts. »

Voici comment Einstein expose le concept révolutionnaire du champ dans « L’évolution des idées en physique » :

« Pendant la seconde moitié du XIXe siècle des idées nouvelles d’un caractère révolutionnaire ont été introduites en physique, qui ont frayé la voie à un nouveau point de vue philosophique, différent du point de vue mécanique. Les résultats de l’œuvre de Faraday, de Maxwell et de Herz ont conduit au développement de la physique moderne et à la création de concepts nouveaux, qui forment une nouvelle image de la réalité.

(…)

Les nouveaux concepts ont pris naissance en connexion avec les phénomènes de l’électricité, mais il est plus simple de les introduire d’abord par la voie mécanique. Nous savons que deux particules s’attirent réciproquement et que cette force d’attraction diminue avec le carré de la distance. Nous pouvons représenter ce fait d’une manière nouvelle, et nous voulons le faire, même s’il est difficile de comprendre l’avantage que cela présente. Le petit cercle de notre dessin représente un corps attractif, disons le Soleil. En réalité, on devrait se représenter notre diagramme comme un modèle dans l’espace et non comme un dessin dans un plan. Notre petit cercle représente ainsi une sphère dans l’espace, disons le Soleil. Un corps, le soi-disant « corps d’épreuve », placé quelque part dans le voisinage du Soleil, sera attiré le long de la ligne qui relie les centres des deux corps. Les lignes dans notre dessin indiquent ainsi la direction de la force attractive du Soleil pour les différentes positions du corps d’épreuve. La flèche sur chaque ligne montre que la force est dirigée vers le Soleil, ce qui signifie que la force est attractive. Ce sont les « lignes de force du champ de gravitation ».

Comparez ci-dessous avec le champ d’une charge électrique négative

Pour le moment, c’est un simple nom, et il n’y a pas de raison d’y insister davantage. Notre dessin présente un trait caractéristique qu’on fera ressortir plus tard. Les lignes de force sont tracées dans un espace où il n’y a aucune matière. Pour le moment, toutes les lignes de force, ou, pour parler plus brièvement, « le champ », montrent seulement comment se comporterait un corps d’épreuve, s’il était placé dans le voisinage de la sphère pour laquelle le champ a été tracé.

Les lignes de notre modèle dans l’espace sont toujours perpendiculaires à la surface de la sphère. Puisqu’elles divergent à partir d’un point, elles sont plus denses près de la sphère et le deviennent de moins en moins avec la distance. Si la distance à la sphère devient deux ou trois fois plus grande, la densité des lignes dans l’espace, mais non dans le dessin, sera quatre ou neuf fois moindre.

Les lignes jouent un double rôle. D’une part, elles montrent la direction de la force agissant sur un corps qui se trouve dans le voisinage de la sphère solaire. D’autre part, la densité des lignes de force dans l’espace montre comment la force varie avec la distance.

Le dessin du champ, correctement interprété, représente la direction de la force gravitationnelle et sa dépendance de la distance. On peut tout aussi bien apprendre la loi de la gravitation d’un tel dessin que de la description de son action en paroles ou en termes du langage précis et économique des mathématiques.

La « représentation du champ », comme nous l’appellerons, peut paraître claire et intéressante, mais il n’y a pas de raison de croire qu’elle marque un progrès réel.

(…)

Nous n’avons cependant pas l’intention de discuter ici le problème de la gravitation. Il nous a servi uniquement d’introduction, en simplifiant les méthodes similaires de raisonnement dans la théorie de l’électricité.

Nous voulons commencer par la discussion de l’expérience qui a créé des difficultés sérieuses à notre interprétation mécanique. Nous avons déjà étudié le courant qui parcourt un fil formant un circuit circulaire. Au milieu du circuit se trouvait une aiguille aimantée. Au moment où le courant commençait à circuler, une nouvelle force, agissant sur le pôle magnétique perpendiculairement aux lignes qui relient le fil et le pôle, fit son apparition. Cette force, si elle était engendrée par une charge en mouvement, dépendait, comme l’a montré l’expérience de Rowland, de la vitesse de la charge. Ces faits expérimentaux contredisent la conception philosophique selon laquelle toutes les forces agissent dans la ligne qui relie les particules et ne dépendent que de la distance.

L’exacte expression pour la force d’un courant qui agit sur un pôle magnétique est très compliquée, beaucoup plus que l’expression pour les forces de la gravitation. Nous pouvons néanmoins essayer de rendre les actions visibles à l’œil de la même façon que dans le cas de la force gravitationnelle.

Nous demandons : avec quelle force le courant agit-il sur un pôle magnétique placé quelque part dans son voisinage ? Il serait quelque peu difficile de décrire cette force en paroles. Même une formule thérapeutique serait compliquée et lourde. Le mieux, c’est de représenter tout ce que nous savons des forces agissantes par un dessin, ou plutôt, par un modèle dans l’espace avec des lignes de force.

Il y a une certaine difficulté due au fait que le pôle magnétique existe seulement en connexion avec un autre pôle magnétique, formant un dipôle. Nous pouvons, cependant, toujours imaginer une aiguille aimantée d’une longueur telle que seule la force agissant sur le pôle qui se trouve plus près du courant doive être prise en considération. L’autre pôle est assez éloigné pour que la force qui agit sur lui soit négligeable. Pour éviter toute ambiguïté, nous dirons que le pôle qui se trouve le plus près du fil est « positif ».

Le caractère de la force agissant sur le pôle magnétique positif apparaît dans notre dessin.

Nous remarquons d’abord près du fil une flèche indiquant la direction du courant, d’un potentiel supérieur à un potentiel inférieur. Toutes les autres lignes sont des lignes de force appartenant à ce courant et situées dans un certain plan. Si on les trace convenablement, elles nous révèlent la direction du vecteur force représentant l’action du courant sur un pôle magnétique donné, et nous apprennent aussi quelque chose au sujet de la longueur de ce vecteur.

La force, comme nous le savons, est un vecteur, et pour le déterminer nous devons connaître sa direction aussi bien que sa longueur. Nous nous occupons ici principalement du problème de la direction de la force qui agit sur un pôle. Nous demandons : comment pouvons-nous trouver, d’après le dessin, la direction de la force en un point quelconque de l’espace ?

La règle pour lire sur un modèle la direction d’une force n’est pas aussi simple que dans notre exemple précédent, où les lignes de force étaient des droites. Pour simplifier le procédé, on a tracé dans le diagramme une seule ligne de force. La flèche du vecteur force est situé sur la tangente à la ligne de force. La flèche du vecteur force et les flèches sur la ligne de force sont orientées dans le même sens. C’est dans ce sens, par conséquent, que la force agit sur le pôle magnétique en ce point. Un bon dessin, ou plutôt un bon modèle, nous apprend encore quelque chose au sujet de la longueur du vecteur force en un point quelconque. Ce vecteur doit être plus long là où les lignes sont plus denses, c’est-à-dire plus près du fil, et plus court là où les lignes sont moins denses, c’est-à-dire loin du fil.

De cette façon, les lignes de force ou, en d’autres termes, le champ nous permet de déterminer les forces agissant sur un pôle magnétique en un point quelconque de l’espace.

C’est pour le moment la seule justification de notre construction soignée du champ. Sachant ce que le champ exprime, nous examinerons avec un intérêt plus profond les lignes de force correspondant au courant. Ces lignes sont des cercles entourant le fil et situés dans un plan perpendiculaire à celui où le fil est situé.

En lisant le caractère de la force sur le dessin, nous arrivons une fois de plus à la conclusion que la force agit dans la direction perpendiculaire à la ligne qui relit le fil et le pôle, car la tangente à un cercle est toujours perpendiculaire à son rayon.

Toute notre connaissance des forces agissantes peut être résumée dans la construction du champ. Nous plaçons le concept de champ entre celui du courant et celui du pôle magnétique, afin de représenter les forces agissantes d’une manière simple.

Tout courant est accompagné d’un champ magnétique, c’est-à-dire une qu’une force agit toujours sur un pôle magnétique placé près du fil que traverse un courant.

Faisons remarquer en passant que cette propriété nous permet de construire des appareils sensibles pour déceler l’existence d’un courant. Une fois que nous avons appris à lire le caractère des forces magnétiques sur le modèle du champ d’un courant, nous voulons dessiner le champ entourant le fil qui est traversé par un courant électrique, afin de représenter l’action des forces magnétiques en un point quelconque de l’espace.

Nous prendrons comme premier exemple ce qu’on appelle un solénoïde ; c’est, comme le montre le dessin, une bobine. Notre but est d’apprendre, par l’expérience, tout ce qu’on peut savoir sur le champ magnétique associé à un courant qui traverse un solénoïde, et de faire servir cette connaissance à la construction d’un champ. Le dessin représente notre résultat. Les lignes de force sont des courbes fermées et entourent le solénoïde d’une manière qui caractérise le champ magnétique d’un courant.

Le champ d’un barreau aimanté peut être représenté de la même manière que celui d’un courant, ce que montre le dessin suivant. Les lignes de force sont dirigées du pôle positif vers le pôle négatif. Le vecteur force est toujours situé sur la tangente à la ligne de force et est le plus long près des pôles, parce que la densité des lignes est la plus grande en ces points. Le vecteur force représente l’action de l’aimant sur un pôle magnétique positif. Dans ce cas, c’est l’aimant qui est la « source » du champ et non le courant.

Nos deux dessins doivent être comparés soigneusement. Dans le premier, nous avons le champ magnétique d’un courant traversant un solénoïde ; dans le second, le champ d’un barreau aimanté. Négligeons le solénoïde et le barreau et observons seulement les deux champs extérieurs. Nous constatons immédiatement qu’ils présentent exactement le même caractère ; dans l’un et l’autre cas les lignes de force vont d’une extrémité du solénoïde ou du barreau vers l’autre extrémité.

La représentation du champ porte ses premiers fruits. Il serait plutôt difficile de voir une forte similitude entre le courant traversant un solénoïde et un barreau aimanté, si elle ne nous était pas révélée par notre construction du champ.

Le concept de champ peut maintenant être soumis à une épreuve plus sévère. Nous verrons bientôt s’il est quelque chose de plus qu’une représentation des forces agissantes.

Nous pourrions raisonner ainsi : supposons, pour un moment, que le champ caractérise d’une manière univoque toutes les actions déterminées par sa source. Ce n’est qu’une conjecture. Mais cela signifierait que, si un solénoïde et un barreau aimanté ont le même champ, toutes leurs influences doivent alors être les mêmes ; que deux solénoïdes traversés par des courants électriques se comportent comme deux barreaux aimantés, qu’ils s’attirent ou se repoussent l’un l’autre, selon leur position relative, exactement comme le font deux barreaux. Cela signifierait encore qu’un solénoïde et un barreau s’attirent ou se repoussent l’un l’aitre de la même manière que deux barreaux. Bref, toutes les actions d’un solénoïde traversé par un courant et celle d’un barreau aimanté correspondant sont les mêmes, puisque le champ seul en est responsable, qui présente dans les deux cas le même caractère. L’expérience confirme pleinement notre conjecture.

(…)

Nous avons le droit de regarder le champ comme plus important qu’il ne paraissait au début. Les propriétés du champ seules paraissent essentielles pour la description des phénomènes ; la différence des sources n’a aucune importance. Le concept de champ s’est révélé très utile par le fait qu’il a conduit à de nouveaux faits expérimentaux.

Il a commencé par être quelque chose qui était placé entre la source et l’aiguille aimantée, pour servir à la description de la force agissante. On le considérait comme un « agent » de la force agissante. On le considérait comme un « agent » du courant, par lequel toute l’action du courant était effectuée. Mais maintenant l’agent sert aussi d’interprète, qui traduit les lois dans un langage simple et clair et facilement intelligible.

Le premier succès de la description du champ suggère qu’il serait commode de considérer toutes les actions des courants, des aimants et des charges d’une manière indirecte, c’est-à-dire à l’aide du champ comme interprète.

(…)

La variation d’un champ électrique, produite par le mouvement d’une charge, est toujours accompagnée d’un champ magnétique.

Notre conclusion est basée sur l’expérience d’Oersted, mais elle embrasse un domaine plus vaste. Elle nous apprend que l’association d’un champ électrique, qui varie dans le temps, avec un champ magnétique est essentielle pour notre argumentation ultérieure.

Tant qu’une charge est au repos, il y a seulement un champ électrostatique ; dès qu’elle commence à se mouvoir, un champ magnétique apparaît. Nous pouvons dire plus. le champ magnétique créé par le mouvement de la charge sera plus intense, si la charge est plus grande et si elle se meut plus rapidement. Cela aussi est une conséquence de l’expérience de Rowland. Employant une fois de plus le langage du champ, nous pouvons dire : plus rapidement le champ électrique varie, plus intense est le champ magnétique qui l’accompagne.

(…)

« La variation d’un champ électrique est accompagnée d’un champ magnétique. » Si nous interchangeons les termes « magnétique » et « électrique », notre proposition sonne ainsi : « La variation d’un champ magnétique est accompagnée d’un champ électrique. » L’expérience seule peut décider si, oui ou non, cet énoncé est vrai. Mais l’idée de formuler ce problème est suggérée par l’emploi du langage du champ.

Faraday, il y a plus d’un siècle, a effectué une expérience qui a conduit à la grande découverte des courants induits.

(…)

Supposons pour un moment que le langage du champ ne soit pas connu et qu’on doive décrire les résultats de cette expérience, qualitativement et quantitativement, dans le langage des anciens concepts mécaniques. (…) Il serait difficile d’y donner une réponse…

Il en est tout autrement si nous employons le langage du champ et nous fions à notre principe que l’action est déterminée par le champ.

(…)

La description quantitative ou mathématique des lois du champ se trouve résumée dans ce qu’on appelle les équations de Maxwell. Les faits mentionnés jusqu’à présent ont conduit à formuler ces équations, mais leur contenu est beaucoup plus riche que nous n’avons pu l’indiquer. Leur forme simple cache une profondeur qui ne peut être révélée que par une étude attentive. (….)

Les traits caractéristiques des équations de Maxwell, qui réapparaissent dans toutes les autres équations de la physique moderne, se résument en une seule proposition. Les équations de Maxwell sont des lois qui représentent la « structure du champ ». (…)

Le champ comme représentation, vu par Einstein et commenté par des enseignants

La suite

Albert Einstein expose dans « Conceptions scientifiques » :

« La théorie du champ électrique de Faraday et de Maxwell, grâce à laquelle on s’est tiré de la situation peu satisfaisante (où était la physique), représente probablement la transformation le plus profonde que les fondements de la physique aient subi depuis le temps de Newton. C’était un pas nouveau dans la direction de la spéculation constructive, qui a élargi la distance entre les fondements de la théorie et ce que nous pouvons connaître par les cinq sens. En effet, l’existence du champ (électromagnétique) se manifeste seulement quand on y introduit des corps chargés d’électricité. Les équations de Maxwell relient les dérivées spatiales et temporelles du champ électrique et du champ magnétique. (…) Dans cette théorie, le champ occupa finalement la position fondamentale qui avait été occupée dans la mécanique de Newton par les points matériels. Mais tout ceci s’applique seulement au champ électromagnétique dans l’espace vide. Dans sa phase initiale, la théorie était encore tout à fait insuffisante pour l’intérieur de la matière… »

Einstein se posait surtout la question d’unifier matière et interaction. C’est une nouvelle quantification qui allait y parvenir et une fois encore à l’aide des champs mais des champs quantifiés, ceux du vide quantique…

Ce n’est que lentement, sous la pression irrésistible des faits, qu’une nouvelle base de la physique se développa, la physique du champ. Depuis le temps de Newton, la théorie de l’action à distance fut toujours regardée comme artificielle. Les efforts ne manquèrent pas pour expliquer la gravitation par une théorie cinétique, c’est-à-dire en se basant sur des forces de collision de particules matérielles hypothétiques. Mais ces tentatives étaient superficielles et n’aboutirent à rien. Le rôle étrange joué par l’espace (ou le système d’inertie) dans les fondements de la mécanique fut aussi clairement reconnu et critiqué d’une façon particulièrement lumineuse par Ernst Mach. Le grand changement fut opéré par Faraday, Maxwell et Hertz - à vrai dire d’une façon quelque peu inconsciente et contre leur volonté. Tous les trois, tout au long de leur vie, se considérèrent comme adhérents de la théorie mécanique. Hertz avait trouvé la forme la plus simple des équations du champ électromagnétique et déclara que toute théorie conduisant à ces équations était une théorie du même genre que celle de Maxwell. Mais vers la fin de sa courte existence il composa un écrit où il présentait comme fondement de la physique une théorie mécanique affranchie du concept de force. Pour nous, qui avons pour ainsi dire sucé les idées de Faraday avec le lait de notre mère, il est difficile d’apprécier leur grandeur et leur audace. Faraday, avec son instinct sûr, a dû comprendre combien sont artificielles toutes les tentatives de rattacher les phénomènes électromagnétiques aux actions à distance entre particules électriques réagissant l’une sur l’autre. Comment dans la limaille de fer répandue sur une feuille de papier chaque grain pouvait-il connaître les particules électriques circulant dans un conducteur placé tout près ? Toutes ces particules électriques ensemble paraissaient créer dans l’espace environnant un état qui, à son tour, produisait un certain ordre dans la limaille. Ces états de l’espace, appelés aujourd’hui champs, une fois qu’on aura bien compris leur structure géométrique et la manière dont ils agissent solidairement, pourraient, pensa-t-il, expliquer les mystérieuses interactions électromagnétiques. Il concevait ces champs comme des états de tension mécanique dans un milieu qui remplit l’espace, pareils aux états de tension dans un corps élastiquement distendu. Car en ce temps c’était la seule façon dont on pouvait concevoir des états qui étaient apparemment distribués d’une manière continue dans l’espace. Le caractère particulier de l’interprétation mécanique de ces champs resta à l’arrière-plan - une sorte d’apaisement de la conscience scientifique en face de la tradition mécanique du temps de Faraday. A l’aide de ces nouveaux concepts de champ Faraday réussit à former une conception qualitative de tout le complexe d’effets électromagnétiques découverts par lui et ses prédécesseurs. L’énoncé précis des lois de ces champs dans l’espace-temps fut l’oeuvre de Maxwell. Représentons-nous les sentiments qu’il a dû éprouver quand les équations différentielles qu’il avait formulées lui prouvèrent que les champs électromagnétiques se propagent sous la forme d’ondes polarisées et avec la vitesse de la lumière ! Il fut donné à peu d’hommes au monde de faire une telle expérience. A ce moment émouvant il ne soupçonnait sûrement pas que la nature énigmatique de la lumière, en apparence si complètement éclaircie, continuerait à déconcerter les générations suivantes. En attendant , les physiciens mirent quelques décades pour saisir la pleine signification de la découverte de Maxwell, tellement fut audacieux le bond en avant que son génie marqua sur les conceptions de ses contemporains. C’est seulement après que Hertz eut démontré expérimentalement l’existence des ondes électromagnétiques de Maxwell que la résistance à la nouvelle théorie fut vaincue. Mais si le champ électromagnétique pouvait exister comme une onde indépendante de la source matérielle, alors l’interaction électrostatique ne pouvait plus être expliquée comme une action à distance. Et ce qui était vrai pour l’action électrique ne peut pas ne pas l’être pour la gravitation. Partout les actions à distance de Newton cédèrent la place aux champs se propageant avec une vitesse finie. Des fondements de Newton ne restèrent maintenant que les points matériels soumis à la loi du mouvement. Mais J.J. Thomson montra qu’un corps en mouvement chargé d’électricité doit, conformément à la théorie de Maxwell, posséder un champ magnétique dont l’énergie agissait précisément comme le fait un accroissement d’énergie cinétique du corps. Si, donc, une partie de l’énergie cinétique est constituée d’énergie de champ, ceci ne pourrait-il pas être vrai de toute l’énergie cinétique ? Peut-être la propriété fondamentale de la matière, son inertie, pourrait-elle être expliquée à l’aide de la théorie du champ ! La question conduisit au problème d’une interprétation de la matière en termes de la théorie du champ, dont la solution fournirait une explication de la structure atomique de la matière. On se rendit bientôt compte que la théorie de Maxwell ne pouvait pas réaliser un tel programme. Depuis lors plusieurs savants ont cherché avec ardeur à compléter la théorie du champ par quelque généralisation qui comprendrait une théorie de la matière ; mais jusqu’ici de tels efforts n’ont pas été couronnés de succès. Pour construire une théorie, il ne suffit pas d’avoir une claire conception du but. Il faut aussi avoir un point de vue formel qui permette de restreindre suffisamment la variété illimitée des possibilités. Jusqu’à présent on ne l’a pas trouvé ; par conséquent, la théorie du champ n’a pas réussi à fournir une base à toute la physique.

Des insuffisances que soulignait déjà Erwin Schrödinger dans « Physique quantique et représentation du monde » :

« En partant de nos expériences à grande échelle, en partant de notre conception de la géométrie et de notre conception de la mécanique – en particulier de la mécanique des corps célestes -, les physiciens en étaient arrivés à formuler très nettement l’exigence à laquelle doit répondre une description vraiment claire et complète de tout événement physique : elle doit nous informer de façon précise de ce qui se passe en chaque point de l’espace à chaque moment du temps – bien entendu à l’intérieur du domaine spatial et de la portion de temps couverts par les événements physiques que l’on désire décrire. Nous pouvons appeler cette exigence « le postulat de la continuité de la description ». C’est ce postulat de la continuité qui apparaît ne pas pouvoir être satisfait ! Il y a, pour ainsi dire, des lacunes dans notre représentation. (…) Si j’observe une particule ici et maintenant, et si j’observe une particule identique un instant plus tard et à un endroit qui est très proche de l’endroit précédent, non seulement je ne peux pas être assuré qu’il s’agit de « la même » particule, mais un énoncé de ce genre n’aurait aucune signification absolue. Ceci paraît être absurde. Car nous sommes habitués de penser que, à chaque instant, entre les deux observations, la première particule doit avoir été « quelque part », qu’elle doit avoir suivi une « trajectoire », que nous connaissions celle-ci ou non. Et de même nous sommes habitués de penser que la seconde particule doit être venue de quelque part, doit avoir « été » quelque part au moment de notre première observation. (…) En d’autres termes, nous supposons – en nous conformant à une habitude de pensée qui s’applique aux objets palpables (note de matière et révolution : c’est ce que croyait Schrödinger avant que l’on montre que nous ne voyons rien en continu, même à notre échelle) – que nous aurions pu maintenir notre particule sous une observation « continue » et affirmer ainsi son identité. C’est cette habitude de pensée que nous devons rejeter. Nous ne devons pas admettre la possibilité d’une observation continue. Les observations doivent être considérées comme des événements discrets, disjoints les uns des autres. Entre elles il y a des lacunes que nous ne pouvons combler. Il y a des cas où nous bouleverserions tout si nous admettions la possibilité d’une observation continue. C’est pourquoi j’ai dit qu’il vaut mieux ne pas regarder une particule comme une entité permanente, mais plutôt comme un événement instantané. Parfois ces événements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’être des objets permanents, mais cela n’arrive que dans des circonstances particulières et pendant une période de temps extrêmement courte dans chaque cas particulier. (…)L’idée d’un « domaine continu », si familière aux mathématiques d’aujourd’hui, est tout à fait exorbitante, elle représente une extrapolation considérable de ce qui est réellement accessible. Prétendre que l’on puisse « réellement » indiquer les valeurs exactes de n’importe quelle grandeur physique – température, densité, potentiel, valeur d’un champ, ou n’importe quelle autre – pour « tous » les points d’un domaine continu, c’est là une extrapolation hardie. Nous ne faisons « jamais » rien d’autre que déterminer approximativement la valeur de la grandeur considérée pour un nombre très limité de points et ensuite « faire passer une courbe continue par ces points ». Ce procédé nous suffit parfaitement dans la plupart des problèmes pratiques, mais du point de vue épistémologique, du point de vue de la théorie de la connaissance, il s’agit là de tout autre chose que d’une description continue soi disant exacte. (…)Les faits observés ne peuvent donc pas être mis en accord avec une description continue dans l’espace et le temps. »

Une lettre d’Einstein à Schrödinger de décembre 1850 expose l’état de la recherche sans issue du continu en physique par son auteur : « De notre outillage, il ne reste que le concept de champ ; mais seul le diable sait s’il va résister. Je pense que cela vaut la peine de s’en tenir fermement au concept de champ, c’est-à-dire au continuum. »

La théorie des champs quantiques va unifier ce dualisme champ/particule en une seule notion : les « quantons » mais il leur donne un caractère discret puisque le champ est polarisé en particules virtuelles positives et négatives. La notion d’onde de probabilité de la physique quantique ne nous ramène pas non plus au continu. La continuité n’est pas un résultat issu de l’observation. Celle-ci n’existe que de façon ponctuelle. Il n’existe pas d’expérience continue. Les mesures ne le sont pas non plus. Une mesure continue signifierait des milliards de milliards de résultats en un milliardième de seconde ! Une série de mesures (ou de valeurs d’un paramètre) successives sans rupture, sans temps de relaxation, sans réaction, sans freinage, sans rétroaction, sans inhibition, est physiquement impossible. Aucun fluide, aucun solide, aucun être vivant, pas même notre conscience, n’est le siège d’une série continue d’états.

Michel Bitbol expose dans "Le corps matériel et l’objet de la physique quantique" :

« E. Schrödinger a sans doute été celui des créateurs de la théorie quantique qui a le plus insisté sur cette carence des critères d’identité dans l’espace ordinaire, et qui en a tiré les conclusions les plus radicales. Selon lui, en l’absence de critères d’identité ou de génidentité stricte, on doit aller jusqu’à refuser de faire référence à la moindre particule. "Selon moi, écrivait-il, abandonner la trajectoire équivaut à abandonner la particule". L’indisponibilité principielle de toute trajectoire (principielle parce qu’ayant valeur légale en théorie quantique à travers les relations d’indétermination) conduit même à admettre que "(...) les particules, dans le sens naïf d’antan, n’existent pas. Le discours du physicien s’en trouve complètement inversé. Au lieu d’admettre qu’à faible distance, des particules individuelles ont une "probabilité d’échange" non nulle, qu’on risque alors de les prendre l’une pour l’autre et de perdre les conséquences statistiques de leur individualité, Schrödinger n’hésite pas à affirmer qu’"(...) il n’y a pas d’individus qui pourraient être confondus ou pris l’un pour l’autre. De tels énoncés sont dénués de sens". Plutôt que d’utiliser un formalisme impliquant des opérateurs de symétrie et d’anti-symétrie, avec ses états étiquetés par des noms de particules et ses permutations d’étiquettes, il préconise par conséquent de mettre en oeuvre le formalisme de la théorie quantique des champs, dans lequel il n’est plus du tout question de n particules dans un état, mais d’un état dans son n-ième niveau quantique. De plus, au lieu de considérer que des particules ont une trajectoire approximative, Schrödinger signale que tout ce dont on dispose, et tout ce que régit la mécanique quantique, ce sont "(...) de longs chapelets d’états successivement occupés (...)". La seule chose qui conduit bien des physiciens à parler de trajectoires de particules dans ce cas est que "(...) de tels chapelets donnent l’impression d’un individu identifiable (...)". Il ne s’agit là que d’une impression, ou pire d’une illusion, surenchérit Schrödinger : "Quelques fois ces événements forment des chaînes qui donnent l’illusion d’entités permanentes". »

La nouvelle étape allait être la théorie qui quantifiait les champs et d’abord le champ électromagnétique.

Marc Henry :

« Le premier champ qui fut quantifié fut le champ électromagnétique car il existait déjà en physique classique. La théorie quantique du champ électromagnétique remonte au milieu des années 1920 lorsque les fondations de la mécanique quantique furent établies. La théorie de l’électrodynamique quantique fut conçue dès le départ pour rendre compte de la création et de la destruction des photons. Le photon émerge naturellement comme la quantum associé au champ électromagnétique dans le cadre de cette théorie. Par la suite, les physiciens durent inventer d’autres champs, qui sont parfaitement inconnus en physique classique, et qui peuvent être quantifiés pour expliquer l’existence d’autres particules que le photon. Il existe par exemple un champ qui peut créer ou détruire des électrons. »

Cohen-Tannoudji écrit dans « Matière-espace-temps » :

« Le concept le plus parlant pour décrire les forces est celui du champ de force. Un champ classique correspond à la donnée, en chaque point de l’espace, de l’intensité et de la direction d’une force. Comme un champ de blé agité par le vent, un champ de force est le siège de la propagation d’ondes. La quantification d’un champ consiste à appliquer à la description de la dynamique des champs a complémentarité des descriptions ondulatoire et corpusculaire. Ainsi le concept de « champ quantique », la théorie quantique permet-elle une nouvelle synthèse décisive, celle de la matière et des interactions. Aussi bien pour la matière que pour les interactions, la théorie des champs quantiques débouche sur des concepts radicalement nouveaux : particules d’interaction et champ de matière sont des concepts totalement étrangers à la théorie classique mais ils se sont révélés d’une exceptionnelle fécondité. »

B. J. Hiley écrit dans « La philosophie du vide » (ouvrage collectif dirigé par Saunders et Brown) :

« Il y a de nombreux états du vide qui seraient difficilement interprétables en concevant l’espace comme « vide ». Un champ quantique a toujours une énergie de base résiduelle non nulle (…) activité résiduelle qui se maintient en l’absence d’excitations du vide sous formes de quanta, activité qui se manifeste dans les expériences. Si nous considérons le champ électromagnétique, par exemple, alors les fluctuations de celui-ci peuvent être interprétées comme des créations et annihilations spontanées de photons virtuels, ou de couples virtuels de particule/antiparticule (polarisation du vide). Quand le champ électromagnétique est en interaction, disons avec un électron (ou avec toute particule ou champ), la polarisation du vide peut produire des changements observables, comme ceux de la structure hyperfine de l’hydrogène (dédoublement des raies appelé effet Lamb shift). Dans la physique des particules, la notion d’état du vide joue un rôle croissant. Il y a plusieurs états du vide, avec notamment les notions de « faux vide », d’effet tunnel d’un état du vide à un autre (Coleman, 1977), d’états particuliers du vide (Emch, 1972), etc. (…) Mon opinion est que ces états du vide qui sont des niveaux de base se fondent sur une sorte de structure de niveau inférieur qui joue un rôle dans la structure inertielle de l’espace-temps (…) Ce qui apparaît du vide pour un observateur peut apparaître comme de la matière pour un observateur accéléré. »

Il a fallu développer une théorie quantique des champs du vide :

« Le niveau de description ultime susceptible de fonder la singularité du vide est la théorie quantique des champs, qui combine les concepts de la relativité restreinte et ceux de la physique quantique. (…) le vide y est le ciment permanent de l’univers, les particules en jaillissent et y replongent comme des poissons volants, non sans servir de monnaie d’échange entre les particules stables et durables qui donnent sa chair au monde, et qui proviennent d’ailleurs elles-mêmes de la pulvérisation du vide primordial. (…) Les particules virtuelles (du vide quantique) sont si fugitives qu’elles sont comme si elles n’étaient pas. Les particules « réelles » et « virtuelles » sont tout aussi existantes les unes que les autres, mais les dernières disparaissent avant même qu’on puisse les observer. (…) Les termes de « fluctuation du vide » et « particules virtuelles » sont équivalents dans la description, le premier appartenant au langage des champs, le second à celui des particules. (…) Les fluctuations électromagnétiques, et donc les photons virtuels qui en sont la contrepartie dans le langage des particules, furent mises en évidence dès 1940, par la mesure du décalage des raies spectrales de l’hydrogène (Lamb shift) dû à un très léger changement des niveaux d’énergie de l’atome correspondant, et par la découverte d’une minuscule attraction entre deux plaques conductrices (effet Casimir). (…) Le vide se peuple d’une invisible engeance. L’inventaire du moindre centimètre cube d’espace frappe de stupeur : les paires électron-positon (+ et -) côtoient toute une faune de quanta. Les paires électron-positon virtuelles, en dépit de leur faible durée de vie, s’orientent dans le champ électrique des charges électriques présentes et modifient leurs effets. Océan de particules virtuelles, on peut s’étonner de voir encore à travers le vide, tant il est poissonneux En lui s’ébattent tous les photons, bosons intermédiaires et gluons nécessaires à la transmission des forces qui charpentent, coordonnent et organisent le monde. Les particules furtives qui émergent du vide et s’y précipitent aussitôt relient entre elles les particules stables et durables de la matière, dites particules réelles (quarks et leptons). (…) Le vide, à la différence de la matière et du rayonnement, est insensible à la dilatation car sa pression est négative. Ceci provient de la relation : pression = opposé de la densité d’énergie qui lui confère son invariance relativiste. La pression négative engendre une répulsion gravitationnelle. De fait, si la gravitation freine l’expansion de l’univers, l’antigravitation ne peut que l’accélérer.Le vide est écarteur d’espace et créateur de matière. (…) La création de matière (via la lumière) est le fruit de la transmutation du vide indifférencié en entités physiques distinctes. Il y a là une chaîne physique de la genèse : Vide -> Lumière -> Matière et Antimatière. Le vide est une composante de l’univers, distincte de la matière ordinaire et du rayonnement. Vide, rayonnement et matière diffèrent par leur équation d’état (relation entre densité et pression pour le fluide considéré), laquelle influe sur l’expansion de l’univers et est influencée par elle, par le biais des transitions de phase. (…) Sa rage savonneuse à s’étendre indéfiniment, l’univers la tiendrait du vide. Le vide a enflé sa bulle. (…) Il y a autant de vides que de champs. (…) Chaque restructuration profonde, ou brisure de symétrie, modifie l’état du vide. Inversement, chaque modification de l’état du vide induit une brisure de symétrie. L’évolution de l’univers procède ainsi par brisures de symétrie successives qui se soldent par des transitions de phase, lesquelles bouleversent l’apparence globale du cosmos. »

Michel Cassé dans « Dictionnaire de l’ignorance »

Vient alors la théorie des particules dans le vide quantique.

« Un électron isolé se déplaçant à travers l’éther engendre un courant électrique, c’est-à-dire un champ électro-magnétique. Ce champ correspond à une certaine quantité d’énergie localisée, non dans l’électron, mais dans l’éther. »

Henri Poincaré dans « La Mécanique nouvelle »

« Pour expliquer les transitions électroniques spontanées qui confèrent à tout état excité un temps de vie fini, Dirac avait dû faire l’hypothèse d’un champ induit par l’atome et entrant en résonance avec lui. »

Extrait de « Le temps et l’éternité » d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers

Plusieurs expériences ont montré, au grand étonnement des physiciens eux-mêmes, que tout champ contient des particules et toute particule correspond à un champ.

« L’électron interagit avec les « paires virtuelles » de son propre champ électromagnétique. (…) Le vide quantique contient de telles paires virtuelles et cet effet a été observé sous le nom de « polarisation du vide ». L’électron se trouve interagir avec la charge d’un des éléments de la paire virtuelle, en sorte qu’un électron quantique n’est jamais « nu » mais « habillé » d’un essaim ou nuage de paires virtuelles qui polarisent son environnement immédiat et modifient, par voie de conséquence, ses niveaux d’énergie. (…) La procédure dite de renormalisation considère que la masse et la charge physique de l’électron sont celles de l’électron « habillé » et non celles de l’électron « nu ». Ce dernier n’existe pas réellement, puisqu’il est toujours impensable sans son champ. »

Michel Paty dans « Nouveaux voyages au pays des quanta »

La masse elle-même est définie par un champ. La masse n’est plus une propriété intrinsèque, mais la mesure de l"interaction de la particule avec le champs de Higgs.

« Intuitivement, le vide est « ce qui reste quand on a tout enlevé » : si on sait vraiment tout enlever, il ne reste que le néant. Plus précisément, pour un système donné, il faut éliminer toutes les formes d’énergie présentes sous forme de matière ou de rayonnement. On atteint ainsi l’état d’énergie le plus bas accessible pour ce système, ce qui sera désormais notre définition du vide. Est-ce là le néant ? »

Extrait de « Pourquoi les particules ont-elles une masse ? », exposé de Daniel Treille pour l’Université de tous les savoirs

La notion de champ était généralisée à la gravitation.

Pour Richard P. Feynman : « L’un des aspects les plus curieux de la théorie de la gravitation, c’est qu’elle admet à la fois une interprétation en termes de champ et une interprétation géométrique… La géométrisation implique une immédiateté des forces alors qu’un champ se caractérise par des ondes gravitationnelles qui se transmettent à la vitesse de la lumière. En tout cas, particulariser la gravitation en l’assimilant à une déformation de l’espace est un obstacle à l’unification des forces électro-magnétiques et de la gravitation, comme le note Einstein lui-même. Ce qui particularise la gravité et permet d’assimiler le champ gravitationnel à une courbure de l’espace, c’est l’absence de pôles négatif et positif dans la gravitation contrairement aux forces électromagnétiques (de spin 1/2 ou 1) »

Louis de Broglie, dans « Le dualisme des ondes et des corpuscules dans l’œuvre d’Albert Einstein » :

« La théorie de la Relativité, tant sous sa forme générale que sous sa forme primitive dite « restreinte », cherche à représenter tout l’ensemble de la réalité physique à l’aide de « champs », c’est-à-dire de grandeurs satisfaisant à certaines équations aux dérivées partielles et variant continûment dans tout l’espace au cours du temps, donc fonctions continues en tout point de l’espace-temps. »

Gilles Cohen-Tannoudji écrit : « Les équations de la relativité générale s’expriment dans un espace-temps dont la métrique, variant de pont en point, peut être représentée par un champ … le champ gravitationnel produit par la matière ! Il est tout à fait remarquable que cette dialectique de la symétrie et de la dynamique fonctionne aussi pour toutes les autres interactions fondamentales, dans le cadre de la théorie quantique des champs. »

Les particules ont leur propre champ magnétique qui est déterminé par leur spin : Lire ici

« Le niveau de description ultime susceptible de fonder la singularité du vide est la théorie quantique des champs, qui combine les concepts de la relativité restreinte et ceux de la physique quantique. (…) le vide y est le ciment permanent de l’univers, les particules en jaillissent et y replongent comme des poissons volants, non sans servir de monnaie d’échange entre les particules stables et durables qui donnent sa chair au monde, et qui proviennent d’ailleurs elles-mêmes de la pulvérisation du vide primordial. (…) Les particules virtuelles (du vide quantique) sont si fugitives qu’elles sont comme si elles n’étaient pas. Les particules « réelles » et « virtuelles » sont tout aussi existantes les unes que les autres, mais les dernières disparaissent avant même qu’on puisse les observer. (…) Les termes de « fluctuation du vide » et « particules virtuelles » sont équivalents dans la description, le premier appartenant au langage des champs, le second à celui des particules. (…) Les fluctuations électromagnétiques, et donc les photons virtuels qui en sont la contrepartie dans le langage des particules, furent mises en évidence dès 1940, par la mesure du décalage des raies spectrales de l’hydrogène (Lamb shift) dû à un très léger changement des niveaux d’énergie de l’atome correspondant, et par la découverte d’une minuscule attraction entre deux plaques conductrices (effet Casimir). (…) Le vide se peuple d’une invisible engeance. L’inventaire du moindre centimètre cube d’espace frappe de stupeur : les paires électron-positon (+ et -) côtoient toute une faune de quanta. Les paires électron-positon virtuelles, en dépit de leur faible durée de vie, s’orientent dans le champ électrique des charges électriques présentes et modifient leurs effets. Océan de particules virtuelles, on peut s’étonner de voir encore à travers le vide, tant il est poissonneux En lui s’ébattent tous les photons, bosons intermédiaires et gluons nécessaires à la transmission des forces qui charpentent, coordonnent et organisent le monde. Les particules furtives qui émergent du vide et s’y précipitent aussitôt relient entre elles les particules stables et durables de la matière, dites particules réelles (quarks et leptons). (…) Le vide, à la différence de la matière et du rayonnement, est insensible à la dilatation car sa pression est négative. Ceci provient de la relation : pression = opposé de la densité d’énergie qui lui confère son invariance relativiste. La pression négative engendre une répulsion gravitationnelle. De fait, si la gravitation freine l’expansion de l’univers, l’antigravitation ne peut que l’accélérer. »

Michel Cassé dans « Dictionnaire de l’ignorance »

« Le vide quantique est un état quantique particulier du champ, celui qui possède la plus basse des énergies possibles qui soit compatible avec les relations d’incertitude d’Heisenberg. Ce sont celles-ci qui interdisent, par principe, l’immobilité absolue au sens classique du terme. Aucun système quantique, de la simple particule au champ caractérisé par une infinité de degrés de liberté, n’est absolument figé lorsqu’il se trouve dans son état de « plus grande immobilité réalisable quantiquement » et de plus basse énergie quantiquement accessible. Il y subsiste une mouvance, une activité irréductible par principe. Celle-ci s’exprime, dans le cas d’un champ, par des fluctuations spontanées et chaotiques de son amplitude autour de sa valeur classique nulle : les « fluctuations quantiques du vide ». Ce sont ces fluctuations qui sont porteuses de l’énergie qui caractérise ce niveau fondamental énergétique. En termes particulaires, ces fluctuations quantiques du champ peuvent se visualiser comme des « particules » dont le temps de séjour est limité par les relations d’incertitude. Tout se passe comme si elles surgissaient spontanément du vide, par paires, avec l’obligation quantique incontournable de devoir s’y réannihiler tout aussitôt. Ces particules existent le temps d’une incertitude… L’impossibilité d’éliminer cette population irréductible d’êtres transitoires dans le vide résulte de la nature quantique des lois. Ce sont plus des promesses de particules, des « particules virtuelles », qui pourraient réellement exister et surgir dans le monde réel des excitations quantiques du champ (sur leur couche de masse), si on leur fournissait les moyens… énergétiques de se matérialiser. En effet, ces paires de particules virtuelles qui surgissent en chaque point, en chaque instant, le temps d’une incertitude, disparaissent si elles ne reçoivent pas les moyens de s’actualiser, leur énergie correspondant au moins à leurs masses. »

« Du vide à l’univers » de Edgar Gunzig, article de l’ouvrage collectif « Le vide »

Qu’est-ce qu’un champ en Physique - Le texte

Pour conclure :

L’histoire des champs en Physique est certainement loin d’être conclue et elle montre à quel point les concepts scientifiques ont une vie pleine de rebondissements et de combats.

Un lecteur me demandait récemment : « Vous qui êtes révolutionnaire, je ne vois pas ce que vous cherchez dans ces questions scientifiques. »

Eh bien, c’est justement ce combat permanent vers la vérité et cette discussion permanente des idées qui me semblent indispensable pour quiconque veut changer le monde. Sans philosophie scientifique, pas de marxisme et pas de science de la transformation sociale. Bien sûr, je sais que la plupart des scientifiques ne dispensent nullement une conception philosophique scientifique mais l’histoire de la connaissance scientifique nous diffuse une telle conception et cela suffit.

Le champ est justement l’exemple même d’un concept dialectique qu’Einstein affirmait être « une idée nouvelle d’un caractère révolutionnaire ». Il est défini en tout point, de manière discontinue et cherche à établir une continuité entre ses différentes valeurs. Il veut structurer l’espace tout en englobant la matière. Il est structuration du vide tout en permettant l’interaction matière/matière. Cela ne veut pas dire que les scientifiques se disent eux-mêmes dialecticiens. Ils le sont inconsciemment pour la plupart. Bohr lui-même, ennemi de la dialectique révolutionnaire, se déclarait dialecticien inconscient avec sa notion quantique de la « complémentarité ». Il écrit ainsi dans « Philosophie naturelle et cultures humaines » (1939) :

« A première vue, il pourrait sembler que cette attitude attache une importance excessive à des points de vue de pure dialectique. »

On voit ainsi que Bohr considère qu’il n’est nullement excessif de ramener la question posée par la physique quantique à celle de la dialectique de la matière !

La raison en est que Bohr était bien loin de s’en tenir au « dualisme » onde/corpuscule et à l’opposition diamétrale des deux images « complémentaires » du réel matière/lumière. Bohr répondait ainsi à Pauli :

« On répète sans cesse que la théorie quantique est insatisfaisante parce qu’elle ne permet qu’une description dualiste de la nature au moyen des concepts complémentaires d’ « onde » et de « particule ». Mais celui qui aura vraiment compris la théorie quantique n’aura même plus l’idée de parler ici de dualisme. Il concevra la théorie comme une description unifiée… »

Unification des contraires, voilà où réside le caractère dialectique et ce n’est pas le seul : interpénétration des contraires, transformation l’un dans l’autre des contraires, formation par l’unité des contraires d’un niveau supérieur de la réalité…

Heisenberg écrivait :

« La manière dont Bohr réfléchissait aux phénomènes atomiques depuis 1912 a toujours été quelque chose d’intermédiaire entre la physique et la philosophie. »

Pour Bohr, la contradiction entre onde et corpuscule était non diamétrale. Il écrit dans « Unité de la connaissance » (1955) :

« L’usage d’attributs contradictoires en apparence, se rapportant à des aspects également importants de la conscience humaine, présente une analogie remarquable avec notre situation en physique atomique… »

La devise de Bohr était "Contraria sunt complementa" (les contraires sont complémentaires)…

Quoi de plus dialectique mais Bohr affirmait ensuite qu’il rejetait la philosophie de la physique, cette dernière ne donnant selon lui aucune réponse sur la nature du monde.

Les grandes avancées des sciences ont d’abord été philosophiques et conceptuelle, bien plus qu’expérimentales ou mathématiques. L’avancée des idées philosophiques est donc bel et bien liée aux changements réels, en sciences comme dans les autres domaines, économiques, sociaux et politiques. Il faut le rappeler sans cesse aux activistes et autres pragmatiques de tous les domaines, le militantisme y compris… N’oublions pas que tous les Einstein, Planck et autres Bohr ont parlé de « révolution philosophique » à propos des avancées de la physique.

Pour les militants révolutionnaires, est bien plus révolutionnaire la compréhension des lois sociales et des rapports de force mondiaux, compréhension scientifique et philosophique qui englobe les leçons des luttes sociales dans le monde, que l’activisme militant qui se résume souvent au syndicalisme réformiste ou à l’électoralisme d’extrême gauche ou de gauche.

Avec l’impasse actuelle du capitalisme, la compréhension de la « mort systémique » est une question aussi philosophique que scientifique. La société nous met devant des faits nouveaux comme la nature le fait pour les scientifiques. A la pensée révolutionnaire de trouver des images philosophiques capables de répondre à ces faits nouveaux….

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