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La physique qui n’est pas pure mathématique

lundi 2 octobre 2017, par Robert Paris

Albert Einstein, « La géométrie et l’expérience » :

« Ici surgit une énigme qui, de tout temps, a fortement troublé les chercheurs. Comment est-il possible que les mathématiques, qui sont issues de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, s’appliquent si parfaitement aux objets de la réalité ? La raison humaine ne peut-elle donc, sans l’aide de l’expérience, par sa seule activité pensante, découvrir les propriétés des choses réelles ? Il me semble qu’à cela on ne peut répondre qu’une seule chose : pour autant que les propositions mathématiques se rapportent à la réalité, elles ne sont pas certaines, et, pour autant qu’elles sont certaines, elles ne se rapportent pas à la réalité. »

Michel Soutif dans « Naissance et diffusion de la Physique » :

« Il ressort clairement que c’est la Physique qui détourne en priorité les lycéens des études scientifiques. La plupart de ceux-ci reprochent à cette matière d’apparaître comme une succession de lois arbitraires dont la logique est absente et sur laquelle on se borne à quelques applications numériques. Or la logique de la physique n’est pas dans des hypothèses mathématiques ni dans le vote d’un parlement démocratique… Il me semble que l’étude d’un phénomène physique devrait certes commencer par sa description expérimentale, mais ensuite par l’histoire de son interprétation, pour arriver in fine à son expression mathématique. C’est d’ailleurs la méthode préconisée à Oxford en 1250 par Roger Bacon avant qu’il ne finisse en prison. »

CROYEZ-VOUS QUE C’EST SEULEMENT CELA LA PHYSIQUE ?

Introduction à la physique qui n’est pas une sous-discipline des mathématiques

Nous ne résistons pas au plaisir de vous lire quelques extraits de l’introduction d’un ouvrage relativement récent de Physique, édité au Canada en 2007. En effet, ce texte développe une conception qui rompt avec le parti-pris courant, pauvre historiquement, conceptuellement et philosophiquement, et qui ne favorise que l’outil mathématique aux dépens même de la compréhension proprement physique. Il n’est bien entendu pas question de revenir sur les avancées scientifiques obtenues grâce à l’outil mathématique mais seulement de se rappeler que ce n’est qu’un outil, que la nature n’obéit pas aux mathématiques, que la théorie scientifique elle-même n’y obéit pas mais qu’elle sélectionne le type de mathématiques qui lui convient dans chaque situation. Ce n’est pas les mathématiques qui disent s’il faut employer des vecteurs, des matrices, des champs ou d’autres instruments mathématiques : ce sont les physiciens. Des sortes de mathématiques, il y en a des quantités. Certes, les mathématiques ont une logique globale mais ce n’est pas cette logique qui décide comment se comporte la matière. Et, quand on a trouvé le type de mathématiques adéquat, cela ne signifie pas que l’on ait exposé les concepts physiques concernés. Ce n’est pas la logique mathématique qui indique si l’énergie, si la quantité de mouvement, si le potentiel, si le champ sont le concept adéquat pour décrire un phénomène. Le contenu physique des concepts physiques n’est pas mathématique. Il nécessite des explications, des descriptions, des observations, des discussions, des hypothèses et leur confrontation, toutes méthodes qui ne sont pas strictement mathématiques. Certes, la physique ne peut plus se passer des mathématiques mais elle n’est pas une science qui serait en dessous logiquement, philosophiquement, des mathématiques. Le « tout mathématiques » peut même être une dérive non seulement de l’enseignement mais de l’étude de la nature. On en vient parfois à des situations des sciences physiques où les chercheurs s’enferment dans des discussions purement mathématiques qui n’ont même plus accès à des vérifications par expérience comme pour les supercordes et actuellement parfois pour les isolants topologiques. La technosicence s’accomode parfaitement du « tout mathématiques » puisqu’elle se détourne de toute considération descriptive de la nature, épistémologique, historique, pour ne pas dire philosophique. Mais la science peut être entraînée dans des impasses par ce « tout profit » auquel la convient la science pour l’entreprise, la science pour le profit, la science pour des résultats immédiats, la science pour des matériaux nouveaux, etc…. Les concepts fondamentaux de la physique ont été tirés des expériences et pas directement des calculs. On ne peut pas les présenter comme issus de la mathématique pour la physique, et faire comme si la nature obéissait aux équations. On en arrive même à des auteurs qui considèrent que seules existent les équations et que l’apparence physique n’est qu’un sous-produit de la pensée mathématique de l’homme, un parfait idéalisme philosophique en somme !!!! Ces auteurs en reviennent à la conception selon laquelle dieu a créé les mathématiques qui, elles-mêmes, ont créé l’image de la matière !!! Beau renversement philosophique !!! Pour ces auteurs, l’homme n’a qu’à étudier sa propre pensée alors qu’il s’agit, pour la science, d’étudier un univers qui existe objectivement, indépendamment de la pensée et de l’action humaines.

Certes, la physique est un domaine d’étude de l’homme et n’est pas identique à la nature, à la matière et elle n’en est que l’étude. Mais on ne peut pas la ramener à la seule logique mathématique car le fonctionnement naturel n’est pas produit par cette logique formelle. L’étude de la physique nécessite certainement les mathématiques mais cela ne signifie pas que la physique doive être mise sous la dépendance des mathématiques. C’est faux historiquement, c’est faux dans la démarche, c’est faux philosophiquement, et c’est faux pour ceux qui étudient.

La plupart des gens pensent que les concepts de physique contemporaine ont largement été diffusés dans le grand public, parmi les lycéens et les étudiants et dans les revues de vulgarisation et c’est faux !!! La philosophie matérialiste dynamique et contradictoire qui découle de la physique contemporaine, la liaison de la matière et du vide quantique, le lien entre matière et lumière, le caractère contradictoire de la stabilité de la matière durable, le caractère non figé et sans cesse changeant du corpuscule, la signification de l’inséparabilité de l’onde et du corpuscule, la signification matérielle du vide et la base « vide » de la matière sont absolument inconnus du public, y compris de bien des universitaires ou enseignants. Des notions fondamentales de la physique contemporaine comme la brisure de symétrie, l’auto-organisation, l’émergence de structure, les structures dissipatives, les transitions de phase, le chaos déterministe, la relativité, l’arborescence fractale auto-organisée, l’état granulaire, le vide quantique et bien d’autres thèmes fondamentaux de la Physique sont quasi inconnues du grand public, et même des scientifiques et des étudiants, ou diffusés de manière tronquée, sans développer les concepts et idées philosophiques attenantes.

Les points qui sont soulignés dans cette introduction à la physique de Eugene Hecht pour les déditions canadiennes De Boeck ont déjà été maintes fois commentés sur notre site.

« La physique est l’étude de l’Univers matériel, de tout ce qui « est ». C’est un audacieux et merveilleux programme. Les mystères de l’Univers inspirent une irrésistible attirance et une crainte mêlée de respect. Et leur compréhension n’en est qu’à ses balbutiements. Mais aussi incomplète soit-elle trois mille ans après ses débuts, la physique demeure l’une des plus grandes créations du génie humain… Ce livre se veut un cours d’introduction à la physique où le calcul n’est qu’un indispensable outil… Partant du constat que les traités actuels sont trop mathématiques et de niveau trop élevé, je considère qu’il est temps de revenir aux bases.

Prenant le contre-pied des ouvrages habituels, ce travail… laisse de côté les sujets hermétiques ou trop pointus et s’efforce en priorité de faire sentir en profondeur les concepts fondamentaux de la physique moderne… Les mathématiques ne sont développées qu’au fur et à mesure des besoins…

Au cours des dernières années, les cours de physique de première et deuxième années universitaires et les textes qui les véhiculent ont évolué de façon dramatique. Avant la seconde guerre mondiale, un cours d’introduction à la physique se contentait de présenter les concepts et principes fondamentaux. Il y avait relativement peu d’équations, pas beaucoup de calculs et un nombre limité d’exercices d’application… Les mathématiques utilisées se limitaient essentiellement à l’algèbre et à un peu de trigonométrie. Ni calcul différentiel et intégral, ni calcul vectoriel.

La guerre a donné à la physique une place éminente dans la société. Le conflit n’était pas encore achevé que l’analyse s’était déjà frayé un chemin dans les cours d’introduction à la physique… Les cours universitaires sont devenus de plus en plus mathématiques, tout en restant d’une certaine naïveté sur le plan philosophique et en ne développant que très sommairement les concepts…

Les traités d’aujourd’hui sont le fruit de cette course au formalisme sans frein ni contrôle qui prévalait dans les années 1970-1980… Il existe pourtant une alternative réaliste, moderne, philosophiquement mûre et pédagogiquement efficace… Partout où cela se justifie, nous réduisons l’usage des mathématiques au strict nécessaire pour nous concentrer sur les concepts essentiels. Les outils que sont l’analyse et le calcul vectoriel sont forgés au fur et à mesure des besoins… S’appuyant sur une vision globale des acquis du vingtième siècle et guidé par le souci de donner une vue d’ensemble de la discipline, ce livre est un retour aux fondements de la physique…

L’étudiant est muni des outils mathématiques en même temps que s’est développé son sens physique…

L’histoire de la physique n’apparaît que sporadiquement dans les traités classiques et quand elle apparaît, c’est plus comme ornement que comme partie intégrante du texte. Cet ouvrage utilise, au contraire, l’Histoire des Sciences comme matériel pédagogique… Dans la même approche, ce livre s’attache à mettre en lumière l’apport éminent des femmes à la physique. En particulier, l’auteur met en avant les travaux décisifs de savantes du vingtième siècle parmi lesquelles Amalie Noether, Maria Goeppert Mayer, Marie Curie et Lise Meitner.

Plus important encore, ce texte prend le parti d’une approche historique chaque fois qu’elle permet d’aborder un phénomène de façon plus claire. L’ouvrage raconte l’évolution des idées, les erreurs, les tâtonnements, les découvertes finales, ce qui rend ces idées plus immédiatement accessibles…

Le principal titre de gloire de la physique du vingtième siècle est d’avoir découvert que la nature possède une unité interne que révèle la simplicité de ses structures de base : il semble bien établi, même si nos moyens actuels ne permettent pas de l’expliquer en profondeur, que toute matière est faite de myriades de clones de seulement douze briques élémentaires. On peut comprendre tout phénomène physique dans ce contexte. Traiter alors à la manière d’une encyclopédie les différentes disciplines de la physique comme si elles n’avaient aucune relation revient à ignorer cet acquis fondamental du vingtième siècle…

La matière palpable est faite d’atomes et, pour appréhender vraiment ses différents comportements, mécaniques, thermiques, électriques, magnétiques, acoustiques, optiques, nous devons déterminer le rôle des atomes dans la production des phénomènes de tous les jours. Ce livre présente une grande variété de concepts physiques examinés à l’échelle atomique (par exemple, le frottement, l’élasticité, la chaleur). Ce choix conduit à aborder l’optique via la diffusion des atomes…

Les découvertes des cent dernières années ont radicalement modifié notre perception de l’univers. Malgré cela, on continue d’enseigner la physique comme si les acquis de ce siècle n’avaient aucun effet sur notre pensée. Ce n’est évidemment pas le cas.

Une des avancées les plus profondes de la physique du vingtième siècle est l’importance théorique de la relation entre symétrie et lois de conservation… »

Qu’est-ce qui fait que la physique fondamentale contemporaine est purement mathématique et n’est plus conceptuelle ?

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L’unité de la Physique

« Les mathématiques sont la seule science où on ne sait pas de quoi on parle ni si ce qu’on dit est vrai. »

Le mathématicien Bertrand Russell

« Les mathématiques sont un jeu qu’on exerce selon des règles simples en manipulant des symboles et des concepts qui n’ont en soi, aucune importance particulière. »

Le mathématicien David Hilbert

« La mathématique est l’art de donner le même nom à des choses différentes. »

Le mathématicien Henri Poincaré

« Dans de nombreux cas, les mathématiques sont une fuite de la réalité. »

Le mathématicien Stanislas Ulan

« Pour celui qui n’est pas accoutumé à l’application des mathématiques à la physique, il peut sembler surprenant qu’une analyse bien conduite puisse mener à des résultats ambiguës. L’image populaire (imméritée) de la physique est d’être une science mathématiquement rigoureuse qui impliquerait qu’une fois données les équations du mouvement d’un système, on pourrait toujours en principe (pas forcément facilement) permettre de les résoudre – et, que si les équations étaient correctes, alors leurs solutions permettraient de décrire précisément le système. Et pas deux possibilités pour celui-ci ! Malheureusement, la situation est rarement aussi simple. Les équations qui gouvernent les systèmes physiques – et qui sont généralement des équations différentielles mettant en relation les rythmes temporels et spatiaux de changement de la dynamique quantitative – donnent généralement plus d’une solution, peut-être une infinité de solution, qui se distinguent par le choix des conditions initiales (en spécifiant un état du système à un moment donné) ou des conditions restrictives (en spécifiant un état du système à un endroit donné). »

Le physicien Mark Silverman dans « And yet it moves » (Et pourtant il bouge)

« Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément. »

Le physicien Albert Einstein

Messages

  • Ce n’est pas parce que nous parvenons à formuler une loi mathématique d’un phénomène que nous le comprenons. Il faut différencier deux temps dans la démarche scientifique : celui de la mesure et de l’écriture mathématique du phénomène et celui de son intelligibilité, de la compréhension de l’ensemble des causes qui le déterminent, de la découverte des lois plus générales qui le gouvernent et le rattachent à la totalité des autres objets existants qui constituent le système du monde.

    Si Galilée a affirmé que la nature parle essentiellement le langage de la mathématique, il ne constitue pour autant qu’une première approximation, un mode provisoire d’accès à la vérité scientifique.

    Le souci d’objectivité pouvant s’ériger en système de vérités incontestables a constitué, depuis la naissance de la science moderne, une orientation méthodologique inflexible qui, en permettant de circonscrite un domaine de certitudes, en délimitant celui des sciences exactes, en érigeant la mathématique comme une langue universelle, a pu échapper aux incertitudes et confrontations de savoirs divergents et contribuer ainsi pour un temps au progrès de l’esprit.

    Mais, cette exigence épistémologique nécessaire a également contribuer à s’éloigner toujours un peu plus des contraintes axiomatiques des lois et principes de bases de la physique, à se détacher du soucis d’avoir à représenter la mécanique et l’être des phénomènes au point que le langage mathématique n’a pas craint d’afficher son autonomie et son intraduisibilité dans l’espace de la raison représentative.

    La physique quantique, en séparant les principes applicables à son propre domaine et ceux relevant de la physique classique a ainsi rendu irréductible l’un à l’autre ces deux univers (alors que par essence les objets du monde sont unis), supposant un espace de savoirs autonomes, intraduisibles dans le langage de la sensibilité quotidienne.

    Pour cette physique idéaliste et formelle, on peut tolérer plusieurs représentations du phénomène puisque seule importe la vérification expérimentale et la cohérence mathématique. Celle-ci devient la vérité objective qui facilite l’accord de toutes les subjectivités. Le rêve d’un positivisme universel qui échapperait à tout anthropomorphisme constitue l’idéal scientifique par excellence. Dés lors, l’orientation choisie par cette physique formelle sera de se libérer de toutes les représentations pour traduire le monde en un système global d’équations, d’atteindre l’univers platonicien des pures idéalités.

    Jean-Jack Micalef, Critiques des fondements de la physique contemporaine

  • Stephen Jay Gould, dans « Millénium » : « On nous a raconté des blagues sur la régularité mathématique de la nature – et mes citations initiales sont parmi les pires. Si la nature obéit à une loi, c’est à celle de l’infinie diversité et de la surprise permanente : elle est, selon la phrase célèbre de J.B. S. Haldane, « non seulement plus étrange que nous le pensons, mais plus étrange que nous ne pouvons le penser »… Les régularités apparentes des phénomènes s’avèrent souvent accidentelles… Des régularités profondément utiles et ardemment recherchées n’existent tout simplement pas et nous devons recourir à des approximations malcommodes et nous résoudre à une irréductible irrationalité, au sens mathématique du terme… Cela provient du refus borné de la nature à manifester des relations numériques simples dans un domaine où une telle régularité nous serait pourtant précieuse : la mesure du temps… »

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