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Poème surréaliste et texte de Raymond Queneau - Surrealist poem and text by Raymond Queneau

mardi 9 mai 2023, par Robert Paris

Le tour de l’ivoire

A l’abri des chênes couverts de vermine

Des chênes couverts de la vermine des morts

Ombre violette séparant la déchéance des horizons

Depuis la naissance de l’homme

A l’abri des arbres on ne rend pas la justice

Car la justice est une orfraie

Qui vagit la nuit pour endormir les chambres pleines d’amour

Les chambres mortelles aux enfants nouveau-nés

Déguisée elle tend une main insalubre

Aux pauvres qui désespèrent de la noirceur des murs

Les gardes-chiourme rugissent de joie en suçant des menottes

Plus glacées qu’un clocher d’église

La foule se rue il le faut déjà prévoir vers les bals dits populaires

La justice la justice

Elle finira bien par s’étrangler en toussant

Chat perdu derrière un trottoir gluant

Fenêtre lamentable ne s’ouvrant que pour s’éteindre

Les lueurs qui se frôlent le long des corps imprévoyants

Demandent le chemin en pleurant le long des réverbères

Pendant que les agents deviennent chauves

Que les vitraux des chapelles s’anéantissent

Sous la pression des mains moites des femmes qui ne furent jamais vierges

Et qui pour tout boulevard ne fut qu’une passion

Demander le chemin on ne répondra pas Épaules exilées dans les nuits sans fin

Mines d’ombres étranglées

Des astres jaillissent par étincelles des vagues lointaines

Il pleut à perdre haleine

Un épervier bondit danseur désorienté

L’espace 6e meut avec souplesse au-dessus des forêts métalliques

D’où s’envolent des corbeaux musiciens aux froides destinées

Par-delà la palpitation rapide des landes

Clouées au sol par les menhirs

Épouvantails de nuages ébauchés ou mourants

Par-delà les virginités dépolies des déserts où s’endort le soleil

L’ennui de ce jour s’est assis

Couvert de secondes comme un prêtre de poux

La carcasse de ces monstres s’est effondrée

De sa poussière s’échappent des oiseaux blancs et dorés

Joie des plumes rapidité des ailes

Traîne de joyaux évadés des yeux des amoureuses

Flemmes exaltées nuques transparentes

Seins de douceur torses d’étoiles

Vigilants gardiens de l’aube caressante

L’aube cristalline l’aube perpétuelle

Panthère au poil bleu

L’amour naît des rencontres une pieuvre mange

Une chouette parfumée abrite de son aile

Les fantômes ironiques et les amis du crime

Les pentes noircies du devoir s’émiettent au tremblement de la fatigue

Encore une fois le crépuscule s’est dispersé dans la nuit

Après avoir écrit sur les murs : DÉFENSE DE NE PAS RÊVER

The Ivory Tower

In the shelter of oaks covered in vermin

Oaks full of the greenery of the dead

Violet shadow separating the decay of horizons

Since the birth of man

In the shelter of trees justice is not rendered

For justice is a bird of ill omen

Which wails at night to lull to sleep rooms full of love

Rooms fatal to newborn infants

Disguised she offers an unhealthy hand

To the poor despairing of the blackness of walls

The prison guards growl with joy while sucking on handcuffs

Colder than a church’s bell tower

The crowd rushes, it must already foresee towards so-called popular dancehalls

Justice justice

It will surely end up by choking while coughing

Lost cat behind a sticky sidewalk

Pitiful window opening only to extinguish

The glimmerings that brush against the length of short-sighted bodies

Ask the way while crying the length of the streetlights

While the policemen go bald

How the stained glass windows of the chapels are obliterated

Under the pressure of the damp hands of women who were never virgins

And for whom every boulevard was only ever a passion

Ask the way and they won’t answer

Shoulders exiled to the endless nights

Mines of strangled shadows

Streetlights surge in sparks of distant waves

It’s raining full force

A sparrow hawk leaps out, a disoriented dancer

Space moves with agility beneath metallic forests

From which musical crows fly to cold destinies

Beyond the rapid palpitation of the underbrush

Nailed to the ground by menhirs

Scarecrows of cloud sketched or dying

Beyond the despoiled virginities of deserts where the sun sleeps

Today’s boredom has taken a seat

Covered in seconds like a priest with fleas

The caress of these monsters has melted

From its dust escape white and gold birds

Joy of feathers rapidity of wings

Train of a dress of escaped jewels of the eyes of loving women

Exalted flames transparent necks

Gentle breast torsos of stars

Vigilant guards of the tender dawn

The crystalline dawn the perpetual dawn

Blue-haired panther

Love is born of encounters an octopus eats the rainbow

A perfumed owl shelters with its wing

The ironic ghosts and the friends of crime

The slopes blackened with obligations crumble at the trembling of fatigue

Yet again dusk has dispersed into the night

After having written on the walls IT IS FORBIDDEN NOT TO DREAM

Des canons de neige bombardent les vallées du désastre permanent. Cadavres périmés, les périmètres de l’azur ne sont plus chambres pour l’amour et la peste au sourire d’argent entoure les fenêtres de cerceaux de platine. Les métaux en fusion sont filtrés sur des buvards de pigeons géants ; puis, concassés, ils sont expédiés vers les volcans et les mines. Traînées de plomb, traînées de marbre, miné- raux et carbones, monde souterrain où personne ne voyagea, n’êtes vous pas l’esprit chû aux pieds de la mort ? Limon rouge des océans, lacs métalliques, poissons aveugles, algues blanchâtres, mystères de la profondeur, insolubles reflets du ciel ! Et voilà la périphérie des météores et les orbites des comètes qui s’évanouissent dans la gloire d’un chêne plus vieux que la lune. Les astéroïdes se dispersent sur toutes les nations. Des femmes en recueillent pour orner leur piano, des hommes tendent leur chapeau, les enfants crient et les chiens pissent contre les murs tachés de cervelle.

Les raisins ne mûriront pas cette année ; les fleurs mourront sans fruits aux premières clameurs de la subversion des champs. La terre arable, la marne et le calcaire, l’humus et le terreau, des hommes les projettent dans l’atmosphère où l’orgueil du travail humain se disperse joyeusement. Les minerais qui déchirent si agréablement les mains, les fossiles, le granit et le feldspath, les cristaux, le mica, le sable d’or — les hommes les pétrissent de leurs doigts sanglants, ils les piétinent afin que leurs pieds même partagent leur bonheur ; ils creusent sans fin, les tunnels deviennent carrières, l’ardeur de ce monde sans vie conquiert l’humanité aux premières lueurs d’un nouvel ascétisme.

Araignée géante qui pétrifie au centre de notre planète les épopées et les fastes des peuples, pourquoi gardes-tu si longtemps ces fossiles dans tes coffres de dentelle ? Donne-nous ces pierres comiques, ces rhomboèdres obscènes, ces résidus de vie, ces débris de vengeances et de sang, afin que nous en riions une dernière fois. Et vous, poulpes, donnez-nous ces astres et ces passions que vous conservez dans vos cavernes de l’Océan Pacifique, sinon la terre se dispersera dans le ciel, et sur chaque aérolithe né de sa mort, un homme se dessèchera dans la pureté de l’éther.

Cannons of snow bombard the valleys of permanent disaster. Outdated corpses, the perimeter of the azure, are no longer rooms for love, and the silver-smiling plague encircles the window with hoops of platinum. Metals in fusion are filtered onto blotters of giant pigeons and then, pulverized, are shipped to the volcanoes and mines. Tails of lead, tails of marble, minerals and carbon, subterranean world where no one travels : are you not the spirit fallen at the feet of death ? Red silt of the ocean, metallic lakes, blind fish, white algae, mysteries of the depths, insoluble reflections of the sky ! And voila, the periphery of meteors and the orbits of comets that fade in the glory of an oak older than the moon. The asteroids disperse over all nations. Women gather them to decorate their pianos, men hold out their hats, children scream, and dogs pee against brain-stained walls.

The grapes will not ripen this year ; the flowers will die at the first clamor of the subversion of the fields without having borne fruit. Arable lands, the marl and the limestone, the humus and the loam : men project them into the atmosphere where the pride in human labor is joyously dispersed. The minerals that so agreeably tear hands, the fossils, the granite and the feldspar, the crystals, the mica, and the golden sand are all kneaded with bleeding hands. They trample on them so that even their feet can share in their happiness. The dig endlessly. Tunnels become quarries ; the ardor of the lifeless world conquers humanity at the first rays of a new asceticism.

Giant spiders who at the center of our planet petrify the epics and splendors of peoples : why have you for so long saved these fossils in your coffers of lace ? Give us these comic stones, these obscene rhombohedra, these residues of life, this debris of vengeances and blood so we can laugh at them one last time. And you, octopus, give us those stars and passions you preserve in your Pacific Ocean caves. If not, the earth shall be dispersed into the heavens and on each aerolite born of its death a man will dry out in the purity of the ether.

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