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Poème surréaliste et texte de Raymond Queneau - Surrealist poem and text by Raymond Queneau
mardi 9 mai 2023, par
Le tour de l’ivoire
A l’abri des chênes couverts de vermine
Des chênes couverts de la vermine des morts
Ombre violette séparant la déchéance des horizons
Depuis la naissance de l’homme
A l’abri des arbres on ne rend pas la justice
Car la justice est une orfraie
Qui vagit la nuit pour endormir les chambres pleines d’amour
Les chambres mortelles aux enfants nouveau-nés
Déguisée elle tend une main insalubre
Aux pauvres qui désespèrent de la noirceur des murs
Les gardes-chiourme rugissent de joie en suçant des menottes
Plus glacées qu’un clocher d’église
La foule se rue il le faut déjà prévoir vers les bals dits populaires
La justice la justice
Elle finira bien par s’étrangler en toussant
Chat perdu derrière un trottoir gluant
Fenêtre lamentable ne s’ouvrant que pour s’éteindre
Les lueurs qui se frôlent le long des corps imprévoyants
Demandent le chemin en pleurant le long des réverbères
Pendant que les agents deviennent chauves
Que les vitraux des chapelles s’anéantissent
Sous la pression des mains moites des femmes qui ne furent jamais vierges
Et qui pour tout boulevard ne fut qu’une passion
Demander le chemin on ne répondra pas Épaules exilées dans les nuits sans fin
Mines d’ombres étranglées
Des astres jaillissent par étincelles des vagues lointaines
Il pleut à perdre haleine
Un épervier bondit danseur désorienté
L’espace 6e meut avec souplesse au-dessus des forêts métalliques
D’où s’envolent des corbeaux musiciens aux froides destinées
Par-delà la palpitation rapide des landes
Clouées au sol par les menhirs
Épouvantails de nuages ébauchés ou mourants
Par-delà les virginités dépolies des déserts où s’endort le soleil
L’ennui de ce jour s’est assis
Couvert de secondes comme un prêtre de poux
La carcasse de ces monstres s’est effondrée
De sa poussière s’échappent des oiseaux blancs et dorés
Joie des plumes rapidité des ailes
Traîne de joyaux évadés des yeux des amoureuses
Flemmes exaltées nuques transparentes
Seins de douceur torses d’étoiles
Vigilants gardiens de l’aube caressante
L’aube cristalline l’aube perpétuelle
Panthère au poil bleu
L’amour naît des rencontres une pieuvre mange
Une chouette parfumée abrite de son aile
Les fantômes ironiques et les amis du crime
Les pentes noircies du devoir s’émiettent au tremblement de la fatigue
Encore une fois le crépuscule s’est dispersé dans la nuit
Après avoir écrit sur les murs : DÉFENSE DE NE PAS RÊVER
The Ivory Tower
In the shelter of oaks covered in vermin
Oaks full of the greenery of the dead
Violet shadow separating the decay of horizons
Since the birth of man
In the shelter of trees justice is not rendered
For justice is a bird of ill omen
Which wails at night to lull to sleep rooms full of love
Rooms fatal to newborn infants
Disguised she offers an unhealthy hand
To the poor despairing of the blackness of walls
The prison guards growl with joy while sucking on handcuffs
Colder than a church’s bell tower
The crowd rushes, it must already foresee towards so-called popular dancehalls
Justice justice
It will surely end up by choking while coughing
Lost cat behind a sticky sidewalk
Pitiful window opening only to extinguish
The glimmerings that brush against the length of short-sighted bodies
Ask the way while crying the length of the streetlights
While the policemen go bald
How the stained glass windows of the chapels are obliterated
Under the pressure of the damp hands of women who were never virgins
And for whom every boulevard was only ever a passion
Ask the way and they won’t answer
Shoulders exiled to the endless nights
Mines of strangled shadows
Streetlights surge in sparks of distant waves
It’s raining full force
A sparrow hawk leaps out, a disoriented dancer
Space moves with agility beneath metallic forests
From which musical crows fly to cold destinies
Beyond the rapid palpitation of the underbrush
Nailed to the ground by menhirs
Scarecrows of cloud sketched or dying
Beyond the despoiled virginities of deserts where the sun sleeps
Today’s boredom has taken a seat
Covered in seconds like a priest with fleas
The caress of these monsters has melted
From its dust escape white and gold birds
Joy of feathers rapidity of wings
Train of a dress of escaped jewels of the eyes of loving women
Exalted flames transparent necks
Gentle breast torsos of stars
Vigilant guards of the tender dawn
The crystalline dawn the perpetual dawn
Blue-haired panther
Love is born of encounters an octopus eats the rainbow
A perfumed owl shelters with its wing
The ironic ghosts and the friends of crime
The slopes blackened with obligations crumble at the trembling of fatigue
Yet again dusk has dispersed into the night
After having written on the walls IT IS FORBIDDEN NOT TO DREAM
Des canons de neige bombardent les vallées du désastre permanent. Cadavres périmés, les périmètres de l’azur ne sont plus chambres pour l’amour et la peste au sourire d’argent entoure les fenêtres de cerceaux de platine. Les métaux en fusion sont filtrés sur des buvards de pigeons géants ; puis, concassés, ils sont expédiés vers les volcans et les mines. Traînées de plomb, traînées de marbre, miné- raux et carbones, monde souterrain où personne ne voyagea, n’êtes vous pas l’esprit chû aux pieds de la mort ? Limon rouge des océans, lacs métalliques, poissons aveugles, algues blanchâtres, mystères de la profondeur, insolubles reflets du ciel ! Et voilà la périphérie des météores et les orbites des comètes qui s’évanouissent dans la gloire d’un chêne plus vieux que la lune. Les astéroïdes se dispersent sur toutes les nations. Des femmes en recueillent pour orner leur piano, des hommes tendent leur chapeau, les enfants crient et les chiens pissent contre les murs tachés de cervelle.
Les raisins ne mûriront pas cette année ; les fleurs mourront sans fruits aux premières clameurs de la subversion des champs. La terre arable, la marne et le calcaire, l’humus et le terreau, des hommes les projettent dans l’atmosphère où l’orgueil du travail humain se disperse joyeusement. Les minerais qui déchirent si agréablement les mains, les fossiles, le granit et le feldspath, les cristaux, le mica, le sable d’or — les hommes les pétrissent de leurs doigts sanglants, ils les piétinent afin que leurs pieds même partagent leur bonheur ; ils creusent sans fin, les tunnels deviennent carrières, l’ardeur de ce monde sans vie conquiert l’humanité aux premières lueurs d’un nouvel ascétisme.
Araignée géante qui pétrifie au centre de notre planète les épopées et les fastes des peuples, pourquoi gardes-tu si longtemps ces fossiles dans tes coffres de dentelle ? Donne-nous ces pierres comiques, ces rhomboèdres obscènes, ces résidus de vie, ces débris de vengeances et de sang, afin que nous en riions une dernière fois. Et vous, poulpes, donnez-nous ces astres et ces passions que vous conservez dans vos cavernes de l’Océan Pacifique, sinon la terre se dispersera dans le ciel, et sur chaque aérolithe né de sa mort, un homme se dessèchera dans la pureté de l’éther.
Cannons of snow bombard the valleys of permanent disaster. Outdated corpses, the perimeter of the azure, are no longer rooms for love, and the silver-smiling plague encircles the window with hoops of platinum. Metals in fusion are filtered onto blotters of giant pigeons and then, pulverized, are shipped to the volcanoes and mines. Tails of lead, tails of marble, minerals and carbon, subterranean world where no one travels : are you not the spirit fallen at the feet of death ? Red silt of the ocean, metallic lakes, blind fish, white algae, mysteries of the depths, insoluble reflections of the sky ! And voila, the periphery of meteors and the orbits of comets that fade in the glory of an oak older than the moon. The asteroids disperse over all nations. Women gather them to decorate their pianos, men hold out their hats, children scream, and dogs pee against brain-stained walls.
The grapes will not ripen this year ; the flowers will die at the first clamor of the subversion of the fields without having borne fruit. Arable lands, the marl and the limestone, the humus and the loam : men project them into the atmosphere where the pride in human labor is joyously dispersed. The minerals that so agreeably tear hands, the fossils, the granite and the feldspar, the crystals, the mica, and the golden sand are all kneaded with bleeding hands. They trample on them so that even their feet can share in their happiness. The dig endlessly. Tunnels become quarries ; the ardor of the lifeless world conquers humanity at the first rays of a new asceticism.
Giant spiders who at the center of our planet petrify the epics and splendors of peoples : why have you for so long saved these fossils in your coffers of lace ? Give us these comic stones, these obscene rhombohedra, these residues of life, this debris of vengeances and blood so we can laugh at them one last time. And you, octopus, give us those stars and passions you preserve in your Pacific Ocean caves. If not, the earth shall be dispersed into the heavens and on each aerolite born of its death a man will dry out in the purity of the ether.
Messages
1. Merci (et correction d’un erreur), 27 janvier, 11:59, par Quark
Bonjour.
Comme le pitre l’indique :
le vers "L’amour naît des rencontres une pieuvre mange" est incomplet, c’est "une pieuvre mange le soleil"
(d’ailleurs joliment traduit en .eng par "[...]an octopus eats the rainbow")