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Révolution et contre révolution en Iran (1978) : comment la gauche a ouvert la voie au fascisme religieux (2)

lundi 24 octobre 2022, par Alex

Cette partie (2) de la brochure est la suite de la partie (1)

DEUXIEME PARTIE : LES LEÇONS DE LA REVOLUTION

La réalité de la situation actuelle en Iran indique que le mouvement révolutionnaire de masse est retombé, incapable de s’affronter à la contre-révolution, que celle-ci tient complétement les rênes du pouvoir grâce a un Etat bourgeois répres­sif reconstruit et encore plus formidable, et que le nouveau régime est rapidement en train de créer les conditions nécessaires au rétablissement d’un ordre encore plus corrompu et exploiteur, intégré au système impérialiste mondial.

Comment la révolution iranienne en est-elle arrivée là ?

1. LA VICTOIRE DE LA CONTRE-REVOLUTION

a- La contre-révolution au pouvoir est en réalité issue de la révolution elle-même. Ce sont précisément les forces qui ont revendiqué la direction du soulèvement de février qui ont maintenant la charge de l’Etat répressif et la direction de la campagne contre-révolutionnaire de la bourgeoisie iranienne et de l’impérialisme mondial. Nulle confusion n’est permise à ce sujet. Les impérialistes, les fractions bourgeoises évincées du pays et les forces intérieures de l’ancienne dictature n’ont pu intervenir et influencer le cours des événements qu’indirectement et par le biais de la direction Khomeini. C’est lui qui dirige et qui a dirigé pendant toute cette période la contre-révolution.

Prétendre que parce que le régime de Khomeini irrite l’impérialisme, les révolutionnaires doivent lui accorder leur soutien , serait donc une grave erreur . La logique d’une telle position aboutirait inévitablement à la capitulation face à la contre-révolution en cours dans la réalité.

De même, prétendre que parce que le régime issu de la révolution n’a pas encore été renversé par l’impérialisme ou la bourgeoisie monarchiste, et que la révolution continue donc, même si c’est sous une forme déformée, équivaudrait à porter un jugement complètement faux sur la réelle campagne de la contre-révolution khomeiniste en cours.

La contre-révolution a été victorieuse et elle est issue de la direction de la révolution.

C’est un fait désormais parfaitement clair et bien documenté qu’avant l’insurrection de février, des secteurs importants de l’armée, de la police secrète et de la bureaucratie sont passés dans le camp de Khomeini. L’impérialisme américain est également intervenu directement pour susciter des négociations entre les chefs des forces armées et la direction de Khomeini. Sans
Sans parler des très nombreux entrepreneurs bourgeois qui
ont versé à Khomeini des sommes énormes pour organiser sa "direction".

Etant donné l’ampleur du mouvement de masse et son radicalisme, le seul moyen qu’avait la contre-révolution pour vaincre la révolution consistait à se "joindre" à cette dernière. Cela n’était possible qu’en soutenant une fraction au sein de l’opposition large contre le Chah, capable d’assurer une mesure de contrôle sur les masses. Ce fut là un des facteurs les plus importants, sinon le plus important, qui fit que Khomeini fut placé à la tête du mouvement de masse.

Les raisons qui ont fait que le clergé chiite, notamment sa fraction Khomeini, était particu­lièrement apte à cette tâche, devraient être évidentes. Le clergé a toujours été une importante institution de l’Etat bien rodée à la défense de la société de classes et de la propriété privée. Après tout, c’est la hiérarchie chiite qui avait été le principal pilier idéologique de l’Etat. Khomeini lui-même
provenait d’une fraction qui avait déjà fait les preuves de sa loyauté à l’égard de la classe dominante en soutenant le coup d’Etat de 1953. C’était également la partie de l’Etat la moins haïe parce qu’elle ne faisait pas partie de la structure même de ce qu’elle soutenait. Au cours de la période de développement capitaliste qui suivit la révolution blanche en particulier, le clergé avait été relégué à une position secondaire. C’est précisément pour cela qu’une fraction croissante de la hiérarchie avait été poussée à s’opposer au régime du Chah. Cela pouvait alors être utilisé comme carte d’identité au sein du mouve­ment de masse.

Vu la faiblesse de l’opposition bourgeoise qui n’avait pas été autorisée à fonctionner sous le Chah, le clergé avec son réseau national de mollahs et de mosquées offrait le puissant instrument accompa­gné d’un parti nécessaire à "l’organisation" et à la canalisation du mouvement de masse spontané. Il fournissait aussi le type de vague idéologie populiste qu’il fallait pour émousser les revendica­tions radicales des masses et les unir autour d’un programme bourgeois aux termes voilés. Vu la prépondé­rance de la petite bourgeoisie urbaine et de la migration paysanne dans les premières phases du mouvement de masse, l’appel du clergé à la "justice islamique", au "capitalisme islamique", à "l’armée islamique" et à "l’Etat islamique", a pu immédiatement trouver une base de masse consentante.

Nier encore aujourd’hui que le déclen­chement de la campagne contre-révolutionnaire de Khomeini à coïncidé avec ses tentatives de prendre la tête de la révolution, reviendrait à contredire des faits connus aujourd’hui de millions d’Iraniens ; Nier aussi que ses tentatives reçurent d’emblée l’aide des classes dominantes et de ses soutiens impérialistes équivaudrait à ne pas comprendre le fil principal des événements de la révolution ira­nienne.

b- Ce serait donc une mystification totale que de caractériser la révolution iranienne de "révolution populaire anti-impérialiste mais dirigée par des forces nationalistes bourgeoises". Ce serait passer complètement à côté du rôle contre-révolutionnaire spécifique de la bourgeoisie et de son instrument politique au sein de la révolution.

La crise politique et économique de 1976-1978 qui servit d’arrière-plan au mécontentement des masses, relevait de facteurs divers et contradic­toires. A côté du mouvement de masse de protestation contre la dictature capitaliste dépendante du Chah, il existait aussi d’importantes ruptures au sein de la bourgeoisie dans son ensemble, tant entre les différents secteurs favorables au Chah, qu’entre les secteurs favorables et défavorables au Chah. Ces oppositions bourgeoises au pouvoir du Chah se sont transformées à mesure que la crise révolutionnaire s’amplifiait et s’approfondissait.

Il se dégagea en premier lieu un mouvement pour la réforme de l’Etat du Chah, parti de la haute bourgeoisie "moderniste" désirant limiter les pouvoirs absolus de la famille royale et favorable à une certaine nationalisation de l’Etat capitaliste. Les exigences de la poursuite du développement capitaliste elles-même nécessitaient ces réformes. Cette fraction s’était déjà constituée au sein du parti unique du Chah (le Rastakhiz) avant la crise révolutionnaire. Elle jouissait de l’appui d’un important secteur de technocrates et de bureaucrates en Iran, et de groupes influents au sein de 1’ Esta­blishment yanhee.

Avec l’approfondissement de la crise cette fraction s’est faite plus vociférante dans son opposition au Chah. Elle commença à brandir la menace du mouvement de masse comme argument dans ses marchandages avec le Chah. Le renvoi du gouverne­ment d’Hoveida et la formation du cabinet Amouzegar représentaient une concession à cette fraction. Mais, déjà, l’élargissement du mouvement de masse poussait d’autres oppositions bourgeoises au devant de la scène.

En effet, cette fraction a compris que pour survivre à la crise, elle devait se dissimuler derrière des politiciens bourgeois moins liés à la dictature du Chah. Nulle autre voie ne lui aurait permis de rallier un certain soutient dans le mouvement de masse. C’est à cette tendance qu’il faut attribuer la résurrection du cadavre baptisé Front National et l’apparition de nouveaux groupements bourgeois libéraux (comme le mouvement radical).

Il se dégagea également une opposition au Chah des secteurs plus traditionnels de la bourgeoi­sie (les grands marchands du bazaar et les capitalistes petits et moyens des secteurs plus traditionnels de l’industrie). La révolution blanche et le type de croissance capitaliste qu’elle avait suscité, avait aussi enrichi ces couches. Cependant, elles avaient été plus ou moins écartées des principaux canaux d’accumulation du capital soutenus par l’Etat (les positions monopolistiques dans la production de biens de consommation sous licence étrangère), et donc de la classe dominante.

La crise structurelle du capitalisme iranien au milieu des années 1970 a conduit l’Etat du Chah à durcir ses attaques contre ces couches qui contrôlait encore un secteur du marché national. Leur emprise devait être affaiblie afin de permettre aux monopoles de résoudre leur crise de surproduction. L’industrialisation orientée vers les biens de consom­mation et la dépendance technologique a impliqué une forte tendance au contrôle bureaucratique du marché national par le biais de l’Etat. Pour ces couches l’opposition au pouvoir du Chah était une question de vie ou de mort. Elles ne pouvaient trouver la moindre satisfaction dans les types de réformes proposées par les autres fractions. Elles ont réclamé un changement plus radical des structures politiques. Tandis que les fractions réformistes s’opposaient avec véhémence à tout changement radical qui aurait
pu ébranler le pouvoir de la classe dominante toute entière, les intérêts de ces autres fractions n’étaient nullement gênés par la revendication maximum de l’élimination du régime du Chah.

Avec la croissance du mouvement de masse il devint évident que cette fraction pourrait complète­ment supplanter la première. Par le biais des liens traditionnels de l’économie du bazaar, elle pouvait s’attirer le soutient actif de la petite bourgeoisie urbaine et de l’énorme masse des pauvres urbains qui lui était liés. Cette fraction jouissait en plus de nombreux liens avec la puissante hiérarchie chiite. En effet, depuis la révolution blanche, la bourgeoisie traditionnelle et le clergé chiïte s’étaient de plus en plus rapprochés.

Une des leçons importantes qu’un secteur de la bourgeoisie avait tirée de sa défaite de 1953, consistait précisément dans le fait que sans une idéologie islamique et sans le soutien des mollahs, elle ne pourrait jamais acquérir un soutien de masse assez large pour lui permettre de se poser en alternative réaliste au Chah ou à la gauche. Le Mouvement de la Liberté de Bazargan et de Taleghani représentait cette tendance. Ce "parti" obtint alors sa chance de sauver la bourgeoisie à l’heure de sa crise.

La formation du cabinet Sharif Emami représentait une tentative du régime du Chah d’inclure également cette fraction dans les concessions qu’il se préparait à faire. Ce "gouvernement de conciliation nationale" n’a cependant pu ni satisfaire les deux fractions bourgeoises, ni assouvir le mouvement de masse qui avait acquis alors une vitalité nouvelle grâce à la grève générale qui commençait à se répandre. Khomeini était populaire parce qu’il semblait maintenir l’appel au renversement du Chah avec conséquence. Mais, à l’époque, il était prêt à se satisfaire d’un accord avec le régime. En fait, c’est précisément au cours de cette période, qu’avec l’aide du régime la direction de Khomeini fut installée dans le mouvement de masse. Dés septembre 1978, une certaine mesure de contrôle existait qui aurait pu permettre un accord au sommet. Cela fut empêché par le dévelop­pement de la grève générale.

Dès lors, les conditions étaient réunies pour l’ouverture de la période pré-révolutionnaire de septembre à février, période qui allait être marquée par l’isolement accru du régime du Chah, la démoralisation de l’armée et de la police, la radicalisation des masses et la paralysie complète de toute la société bourgeoise en raison de l’effica­cité de la grève générale.

c- L’impérialisme U.S. et la bourgeoisie favorable au Chah durent alors aller bien plus loin sur la voie des concessions au mouvement de masse. La mise à l’écart du Chah, et la désignation du gouverne­ment Bakhtiar étaient à l’époque en eux-même une concession très radicale de la dictature. Elle visait à renforcer la fraction réformiste qui apparaissait déjà plus acceptable, pour forcer la fraction plus radicale à accepter un compromis.

Mais il était déjà trop tard pour de tels compromis. En effet le mouvement de masse avait acquis une grande confiance en sa propre force ’et une majorité en son sein était acquise à l’idée de n’accepter rien de moins que l’éviction complète du Chah. Tout politicien qui cherchait un compromis avec le Chah perdait immédiatement tout soutien. De fait même le Front national fut forcé d’abandonner Bakhtiar. C’est cela qui explique la soi disant "intransigeance" de la position de Khomeini. En dénonçant Bakhtiar (avec lequel ses représentants en Iran conduisaient néanmoins des négociations secrètes) et en soutenant le mouvement de masse Khomeini renforçait ses cartes par rapport aux deux fractions de l’opposition bourgeoise. Il contraignait les figures les plus populaires de ces fractions .à accepter sa "direction" et les empêchait d’arriver à tout compromis auquel il ne participerait pas

Les cercles militaires et les impérialistes étaient alors disposés à renoncer à bien davantage. L’agitation se propageait au sein de l’armée. Les partisans irréductibles du Chah préparaient un putsch contre Bakhtiar. Cela aurait signifié la fin de l’armée, et avec elle des derniers espoirs de la bourgeoisie de maintenir son propre pouvoir de classe. Il devenait évident qu’un compromis avec Khomeini s’imposait. C’est exactement ce qui se produisit. Des négociations secrètes entre Beheshti et Bazargan d’une part, et les chefs de l’armée et de la police secrète de l’autre se tinrent à Téhéran. C’est le représentant des USA, le général Huyser, qui arbitrait, avec pour mission de s’assurer que l’armée tiendrait ses engagements. D’important secteurs de la bourgeoisie avaient été poussés par les événements et par les encouragements de Carter à accepter de partager le pouvoir avec l’opposition. On espérait un passage sans heurts au sommet vers un gouvernement Bazargan.

Bazargan était devenu l’alternative acceptable parce qu’il était seul capable de mettre sur pied une coalition entre les deux principales fractions de la bourgeoisie, tout en étant plus liés à la direction Khomeini désormais plus puissante . Khomeini fut également forcé d’accepter le marché parce qu’il fournissait la meilleure couverture aux visées sur le pouvoir du clergé. A l’époque, le clergé ne pouvait pas ouvertement revendiquer le pouvoir politique. Khomeini, pour calmer les craintes de la bourgeoisie et garder toutes ses options dans le mouvement de masse, rassurait constam­ment tout le monde qu’aussitôt que le Chah serait parti, il retournerait ê Qom à ses "devoirs religieux". C’est ainsi qu’il fut permis à Khomeini de retourner en Iran de son exil et que le gouvernement provisoire qu’il avait désigné put se préparer à remplacer Bakhtiar.

Mais l’insurrection de février ne faisait pas partie de l’accord. Certains chefs d’état-major des forces armées, partisans loyaux du Chah hostiles au compromis, agencé par les Etats-Unis, voulurent changer le tour des événements par un coup d’Etat militaire. Cette tentative entraîna une réaction de masse immédiate et une insurrection à laquelle Khomeini s’opposa d’abord. Mais il décida de s’y rallier pour ne pas perdre tout contrôle sur le mouvement de masse, et donc tcut espoir de sauver l’appareil d’Etat. Le seul moyen de détourner l’insur­rection était d’en prendre la tête. Les chefs de l’armée et la bureaucratie se montrèrent alors disposés à servir Khomeini et son Conseil islamique révolution­naire, seule voie capable de les protéger des masses insurgées. C’est ainsi que le Gouvernement provisoire révolutionnaire de Bazargan, car c’était son nom, remplaça celui de Bakhtiar.

La bénédiction de Khomeini a donc assuré son instauration par dessus la tête du mouvement de masse. Il ressort clairement de tout ceci que ce qui est apparu comme la "direction de la révolution iranienne", a d’emblée joué essentiellement le rôle d’instrument de la contre-révolution politique bour­geoise, imposé d’en haut pour repousser les avancées des masses et sauver le plus d’éléments possibles de l’appareil d’Etat bourgeois dans la mesure où l’équilibre des forces de classe le permettait. La bourgeoisie ne se trouvait pas encore en état de recourir à une nouvelle vague de répression.

d- Mais Khomeini ne s’était pas adonné à toutes ses manoeuvres pour se contenter d’un rôle d’appoint. Il n’avait fait que préparer sa prise du pouvoir à un moment plus opportun. Il représentait en effet une fraction du clergé désirant faire jouer un rôle plus direct à la hiérarchie chiïte depuis la période de Mossadegh. Au début des années 1960 cette fraction avait, avec la collaboration du chef de la police secrète de l’époque déjà tenté de prendre le pouvoir, mais sans succès. L’histoire allait maintenant lui offrir une nouvelle occasion qu’elle ne pouvait se permettre de laisser échapper. C’était d’autant plus vrai que la classe bourgeoise était extrêmement affaiblie et nullement en mesure de lui résister. Cette classe avec l’accord de ses maîtres impérialistes, avait appelé le clergé à l’aider à l’aider à se tirer d’une passe difficile en partageant le pouvoir. Ce qui s’ensuivit au cours de la période post-révolutionnaire ne peut être compris qu’en tenant compte des visées du clergé sur le pouvoir.

Au départ, le clergé ne disposait pas des instruments nécessaires à l’exercice du pouvoir. La fraction Khomeini n’était même pas hégémonique au sein de la hiérarchie chiïte. De nombreux chefs cléricaux restaient hostiles à une participation du clergé à la politique. Celui-ci ne pouvait même pas s’appuyer sur les institutions existantes de l’Etat, complètement impropres à la domination cléri­cale. D’ailleurs, celles-ci étaient toutes hostiles au pouvoir clérical. Même le premier ministre qui avait été désigné, le plus "islamique" de tous les politiciens bourgeois, résistait à toutes les tentati­ves des mollahs de se saisir des fonctions de l’Etat. Une période de préparation était donc nécessaire.

Le premier geste de cette fraction fut d’organiser un parti politique, avec l’appui direct de Khomeini : le Parti républicain islamique. Il fut présenté simplement comme un parti nouvellement constitué parmi d’autres. Par la suite, cependant, ce parti devait dévorer tous les autres et remplacer le parti unique du Chah. Les réseaux des mollahs khomeinistes lui permirent d’établir une véritable organisation des comités de quartier et d’unités de Pasdarans censés aider le gouvernement à maintenir l’ordre et à résister à la contre-révolution monar­chiste. Des tribunaux islamiques révolutionnaires furent également établis pour punir les suppôts du Chah. Ces tribunaux exécutèrent rapidement certains éléments de l’ancien régime parmi les plus haïs, mais seulement pour en sauver la majorité de la colère des masses. Les Comités de l’Imam, l’armée des Pasdarans et les tribunaux islamiques remplacèrent bientôt les instruments de répression du Chah.

A l’origine toutes ses mesures jouirent du soutien de la bourgeoisie qui avait compris que ces mesures seules lui permettraient d’en finir avec la révolution et d’entamer "la période de recons­truction". Les "institutions révolutionnaires" nouvel­lement crées servaient bien le gouvernement de Bazargan lui multipliant les professions de loyauté. Mais elle devinrent ensuite les instruments par lesquels le clergé chassa les politiciens bourgeois du pouvoir et assit sa domination directe sur l’appareil d’Etat.

Khomeini imposa également le tenue d’un référendum sur la nature du régime qui remplacerait le Chah, dans des délais très brefs : monarchie ou république islamique ? Grognant mais consentant, les politiciens bourgeois durent accepter cette méthode anti démocratique de décider de l’avenir de l’Etat car l’alternative aurait consisté à convoquer l’assemblée constituante promise. L’élection d’une telle assemblée en période révolutionnaire impliquait évidemment de grave de graves risques pour le pouvoir bourgeois. On prétendit par la suite que puisque 98% de la population avait voté pour une république islamique il fallait remplacer l’assemblée constituante par une assemblée des "experts" (khobregan) travaillant dans le cadre de la loi islamique. Naturellement la petite assemblée élue dans ce cadre fut composée d’une majorité de politiciens et de mollahs khomei-nistes qui édictèrent soudain une constitution confé­rant des pouvoirs dictatoriaux à Khomeini en tant qu’expert-en-chef. La clause du Velayat-é-Faghih (pouvoir du principal mollah) suscita lar ésistance des politiciens bourgeois, mais le clergé réussit à la faire passer par des appels démagogiques aux sentiments anti-impérialistes des masses, par les mobilisations de masse contrôlées, orchestrées autour de l’ambassade américaine, et en se prévalant du puissant culte de Khomeini.

Ainsi, la fraction cléricale de Khomeini a collaboré avec divers groupements bourgeois dans l’effort commun des classes dominantes visant à empêcher la destruction totale de l’Etat bourgeois En même temps, elle renforçait ses propres positions et cherchait à soumettre les autres fractions à son pouvoir. Elle s’est servie de sa position privilégiée au sein du mouvement de masse pour contourner l’Etat bourgeois chaque fois que cela pouvait être utile à sa propre fraction. Mais elle s’occupait en même temps de la création d’un nouvel appareil de répression qui fut graduellement intégré à l’Etat à mesure qu’elle sortit victorieuse de sa concur­rence avec les autres fractions.

2. LA DEFAITE DU MOUVEMENT DE MASSE

a- Malgré la contre-révolution islamique de Khomeini, le mouvement révolutionnaire des masses s’est encore développé et élargi après la chute du régime du Chah. La notion selon laquelle Khomeini tenait les masses sous son emprise totale est un autre mythe de la révolution iranienne. Le fait que Khomeini n’est jamais consenti à des élections libres, même immédiatement après l’insurrection c.’est-à-dire au zénith de sa popularité, démontre que même lui ne prenait pas ce mythe au sérieux. Certes, il avait bien une base de masse, et son noyau dur représentait le secteur des masses le mieux organisé et le plus actif. Mais celui-ci ne reflétait pas le mouvement de masse dans son ensemble.

La vaste majorité des masses révolution­naires savait pourquoi elle avait combattu le Chah et ce qui pourrait satisfaire ses aspirations. L’expé­rience de la révolution l’avait rendu consciente de sa propre force et de la nécessité de s’organiser. Même lorsqu’elle se soumit à la direction de Khomeini qui lui avait été imposée par la force dès avant l’insurrection, elle garda ses propres projets. Il serait extrêmement simpliste de présenter la conscience du mouvement de masse comme homogène dans sa confusion et sa confiance illusoire mais totale en Khomeini.

C’est malgré Khomeini que les ouvriers ont organisé les Shoras, chassé les capitalistes et leurs directeurs, y compris ceux qui avaient été nommés par le gouvernement de l’imam. Les paysans ont occupé les terres malgré les exhortations du Conseil révolutionnaire leur enjoignant d’attendre la permission de le faire. Les minorités nationales ont commencé à s’organiser malgré la répression ouverte du nouveau régime. Les femmes ont manifesté pour l’égalité des droits en opposition directe à Khomeini lui-même. Les étudiants ont pris le contrôle de tous les établissements de formation malgré les appels des "dirigeants" leur enjoignant de retourner à leurs études. Les masses n’ont pas rendu leurs armes malgré les instances de Khomeini lui-même. Les soldats ont résisté aux tentatives du nouveau régime de dissoudre leurs Shoras et ont commencé, de leur propre chef, la purgé des anciens officiers de 1 ’ armée.

Deux semaines à peine après l’insurrection, des manifestations de masse étaient organisées dans de nombreuses villes en opposition au gouvernement nommé par Khomeini. Plus de 300 000 personnes assis­tèrent à la première manifestation de La gauche à l’occasion du 1er mai à Téhéran. En quelques semai­nes, les Fedayines et les Modjaheddines, perçus par les masses comme se trouvant à gauche de la direction Khomeini, ont acquis une base de masse au moins comparable à celle de Khomeini et peut-être plus grande. Même les groupements libéraux bourgeois pouvaient se targuer d’une base considérable au début du processus. La base de masse de Khomeini se réduisit de plus en plus. En dehors des premières élections présidentielles, aucune des élections organisées par le régime n’ont dépassé les 40% de participants. Dès l’été 1979, Khomeini ne jouissait plus d’aucun soutien parmi les nationalités opprimées -qui représente la majorité de la population- et dans les provinces populeuses du Nord. Dans tous les grands centres industriels, comme Téhéran et Ahwaz, Khomeini ne jouissait que d’appuis minimes. Parmi les étudiants, le nouveau régime ne comptait que 10 à 15% de partisans, une situation comparable existait aux niveaux inférieurs de l’armée. Six mois avant la chute de Bani Sadr, plus de deux millions de personnes ont manifesté leur défiance à 1’encontre des forces de Khomeini à Téhéran, tandis que Beheshti ne rassemblait que moins de 150 000 personnes dans un rassemblement concurrent. Lors du premier tour des élections au Majlis, alors que la démagogie anti-impérialiste de Khomeini battait son plein et malgré le truquage des lieux de vote, la gauche reçut plus de 3,5 millions de voix. Les masses ont effectivement eu des illusions par rapport à Khomeini, mais pas pour longtemps et à aucun moment en ce qui concerne la majorité des couches en lutte : les ouvriers, les paysans pauvres, les minorités nationales, les femmes, les soldats, les étudiants, etc.

b- II faut chercher la source de la faiblesse du mouvement de masse révolutionnaire ailleurs, à savoir dans le fait que l’imposition de la direction de Khomeini provoqua immédiatement une scission en son sein. Le soulèvement populaire évolutionnaire avait été accompagné, après tout, par la contre-révolution islamique dirigée par Khomeini. Celle-ci, bien organisée et appuyée par l’appareil d’Etat, s’est mobilisée non seulement contre les forces de l’ancien régime, mais aussi contre la révolution. En particulier, dans les premières étapes, qui furent décisives, alors que la frontière entre elles n’apparaissait pas encore clairement, les masses révolutionnaires n’ont pas pu opposer la résistance nécessaire à ce qui apparais­sait à beaucoup d’entre elles comme partie prenante de leur mouvement. Bien entendu, le fait que la majorité des forces de gauche soit aussi tombée dans le piège n’a pas aidé les choses.

Lorsque la fraction de Khomeini imposa ses propres mots d’ordre aux manifestations de masse contre le Chah la gauche n’a pas protesté. Lorsque Khomeini a nommé son gouvernement provisoire révolu­tionnaire, les Fedayines, Les Modjaheddines, le Parti Toudeh et bien d’autres courants l’ont soutenu. Lorsque les tribunaux islamiques ont prononcé des sentences de mort contre les tenants de l’ancien régime au cours de procès secrets, la gauche a ap­plaudi. Lorsque le régime a commencé à s’attaquer aux droits des femmes sous le mot d’ordre de "à bas les prostituées occidentalisées", la gauche, au mieux fit la sourde oreille sous prétexte qu’il s’agissait d’une question secondaire. Lorsque la liberté de la presse fut attaquée, sous prétexte que cela n’affectait au départ que la presse bour­geoise, la gauche ne résista pas. Peu après, la presse de gauche était interdite.

Lorsque ce fut au tour de la classe ouvrière de subir ces attaques, elles furent menées sous couvert des "shoras islamiques". De nombreux militants ouvriers qui s’étaient radicalisés dans
le cadre des premières mobilisations pour la guerre, dominées par la direction Khomeini, n’ont pas pu saisir exactement ce qui se passait sur la base de leur propre expérience. Ils n’ont pas résisté
à ces assauts parce qu’une partie de la classe ouvrière y participait. La mémoire du mouvement de masse "uni" qui avait existé continuait de hanter leur conduite.

Lorsque les bandes de nervis organisés par le Parti républicain islamique ont commencé à s’attaquer ouvertement à toutes les manifestations et réunions indépendantes, la tactique qui leur fut habituellement opposée consistait à leur scander : "unité, unité, le secret de la victoire". Après tout, c’était des individus qui avaient participé à la lutte contre le Chah. Plus tard, lorsque les projets contre-révolutionnaires des forces de Khomeini sont apparus clairement aux yeux de tous, il allait être trop tard. Khomeini avait alors perdu la plus grande partie de sa base de masse, mais ce qui en restait était bien plus efficacement organisé et bien trempé pour la répression.

La fraction Khomeini, par ailleurs, ne fut jamais un observateur passif de l’érosion de sa base. Elle se servit de toute la puissance de l’Etat qu’elle contrôlait (les masses média complètement contrôlés, l’institution des prières du ven­dredi, les manifestations de masse taillées sur commande, etc.), pour susciter démagogiquement une effervescence sur la base d’une vague rhétorique anti-capitaliste et anti-impérialiste. L’occupation de l’ambassade américaine à Téhéran est probablement le meilleur exemple de cette méthode.

Battu au Kurdistan et devenu extrêmement impopulaire après huit mois d’attaques contre la révolution iranienne, le régime trouva une excellente couverture dans l’occupation de l’ambassade. La fraction de Khomeini attribua tous les maux à la politique pro-américaine de Bazargan, s’empara de l’Etat, et détourna l’attention des masses de leurs luttes réelles vers le spectacle qui se donnait devant l’ambassade américaine. Lorsque les ouvriers qui se battaient pour des shoras indépendantes furent forcés par d’autres ouvriers d’ abandonner la lutte dans leur entreprise pour aller écouter les dernières révélations sur les "libéraux" et les discours des mollahs Khomeinistes déclamés sur les lieux du "nid d’espion", il ne fut pas facile de résister.

C’est ainsi que les masses furent graduel­lement, secteur après secteur, sous l’effet des vagues successives d’assauts, forcées de se soumettre au pouvoir de l’Imam. Alors que les masses révolution­naires n’avaient pas de direction et n’étaient pas unies, les forces de la contre-révolution khomeiniste étaient dirigées à partir d’un centre bien placé et bien organisé, disposant de tous les moyens de répression et d’abrutissement. L’issue de la lutte ne faisait pas beaucoup de doute.

D’autant plus que de nombreuses organisations politiques qui se prévalaient de représenter les intérêts des masses, étaient en réalité les porte-voix de la contre-révolu­tion.

c- La composition même de la base de masse de Khomeini a aussi puissamment aidé à semer
la confusion parmi les masses, contribuant à leur déroute. Les instruments de répression de Khomeini se nourrissaient des forces sociales les plus déshéri­tées et les plus bafouées. "Les soldats de Khomeini" ont été recrutés parmi les immenses couches de pauvres urbains (paysans migrants au chômage) et de la petite bourgeoisie paupérisée. En effet, la révolution blanche du Chah avait contraint de nombreux paysans à rechercher un emploi dans les centres urbains alors que l’industrialisation limitée ne permettait d’en absorber qu’un pourcentage restreint. L’industria­lisation orientée vers la production de biens de consommation avait aussi graduellement sapé la part du marché national desservie par la petite-bourgeoisie, contraignant celle-ci à puiser de plus en plus dans sa main-d’oeuvre familiale. La taille moyenne de la famille petite-bourgeoise urbaine était montée à 7,6 membres pendant les années 1970.

Ces deux couches représentaient une réserve immense pour les instruments de répression. Les pauvres urbains représentaient à eux seuls environ 20% de la population de la plupart des grandes villes. A Téhéran par exemple i1 y en avait plus de 700 000 en 1976. La petite-bourgeoisie iranienne constitue de loin la couche sociale la plus nombreuse. Sous le régime du Chah, ces couches étaient extrêmement atomisées et dépourvues de perspective sociale indépen­dante. Leurs vagues idées sur la justice sociale ont aisément été détournées par la démagogie chiîte. A leurs yeux mêmes les secteurs les plus pauvres du prolétariat industriel étaient privilégiés. La formule conçue par les bureaucrates du Chah pour désigner les taudis habités par les pauvres urbains, "hors-limites", pouvait tout aussi bien s’appliquer à leur statut social. Pour la dictature du Chah, plus de cinq millions d’individus vivaient au-delà des limites de la société "civile".

Pour de nombreux éléments de ces couches, même le recrutement par les bandes d’hezbolahi brutaux représentait une extraordinaire promotion sociale. En devenant un Pasdar armé, on devenait du même coup "roi du voisinage". L’incorporation dans les divers instruments de répression conférait le droit de "passer ces privilégiés de païens" à tabac et, par-dessus le marché, de toucher une paye pour l’ef­fort. Le régime islamique n’a guère amélioré la situation de la majorité de ces éléments. Mais la simple promotion de quelques individus par quartier, a suffi à donner l’espoir aux autres. Ces couches ont pendant longtemps accepté en masse et fanatiquement la démagogie de Khomeini.

Le seul moyen de les gagner au camp de la révolution aurait consisté à leur montrer une meilleure voie vers la satisfaction de leurs revendications. Cela exigeait des organisations indépendantes et une lutte contre l’Etat capitaliste. Cette perspective ne pouvait sortir de ces couches elles-mêmes. Il fallait leur donner l’exemple. Et la seule classe capable de ce faire était la classe ouvrière dirigée par un parti révolutionnaire.

Si la classe ouvrière avait pris l’initia­tive au sein du mouvement de masse, s’était affrontée à l’Etat et avait conquis certaines améliorations des conditions de vie, ces couches auraient pu recon­naître la voie pour aller de l’avant. Nulle nécessité sociale objective ne dictait qu’elles devinssent un instrument de Khomeini. Cela, d’autant plus que la classe ouvrière aurait repris à son compte leurs revendications sur le logement et l’emploi.

La classe ouvrière a démontré sa puissance objective et sa capacité à diriger la grande masse des travailleurs et des opprimés par une grève générale de quatre mois, grève qui fut l’élément qui brisa ’le façon décisive la dictature du Chah. Mais elle n’a créé ni sa propre organisation indépendante au niveau national ni une direction politique capable de prendre la tête des couches brimées. Au contraire, elle fut abattue par ces secteurs.

3. L’ECHEC DE LA GAUCHE

a- Néanmoins la cause fondamentale de l’échec de la révolution iranienne a été 1’absence d’une organisation prolétarienne révolutionnai re armée d’une stratégie et d’un programme révolutionnaires implantés dans les couches d’avant-garde. Il n’existait même pas une organisation révolutionnaire de la moindre importance adhérant à un programme qui eût traduit, même de façon déformée, les nécessités objectives de la révolution iranienne et fourni une perspective claire et conséquente aux masses révolutionnaires.

La leçon fondamentale de la révolution iranienne est que, si une telle organisation n’existe pas avant les bouleversements révolutionnaires, il est extrêmement peu probable qu’elle se développe au cours de la révolution elle-même. Etant donné la rapidité des changements et des transformations de la situation révolutionnaire, la complexité des formations sociales et des alliances de classe dans les plus développés des pays arriérés, et la force relative des formations bourgeoises, il est extrêmement difficile pour une force révolutionnaire de se dévelop­per à partir de la révolution elle-même, à moins de bénéficier d’implantations et de traditions déjà établies.

Certes, il existait des petits noyaux de révolutionnaires qui se sont battus pour un program­me révolutionnaire et ont même pu rapidement élargir leur influence et leur force au cours des premiers mois de la révolution. Mais c’était bien trop peu pour affecter le cours des événements. Avec chaque nouvelle vague de répression, chaque tournant brusque de la situation politique, les groupes révolutionnaires perdaient l’essentiel de ce qu’ils avaient accumulé au cours de la période précédente. Les premières attaques ouvertes du nouveau régime ont conduit à des déviations opportunistes et capitulationnistes. Presque tous les groupes révolutionnaires ont connu des scissions au cours de la première année.

Dans des pays comme l’Iran où les périodes révolutionnaires sont généralement prises en sandwich entre deux périodes de répression sévère prolongée au cours desquelles les organisations de masse ne peuvent pas se développer, l’importance d’une organi­sation révolutionnaire capable d’offrir une direction politique et organisationnelle aux masses est encore plus nette. Une organisation révolutionnaire qui n’a pas déjà établi une base au sein du mouvement de masse avant la révolution, ne pourra pas développer ses forces assez rapidement pour lui permettre d’aider les masses à s’organiser elles-mêmes.

L’organisation semi-stalinienne des Fédayines et les Modjaheddines néo-radicaux bourgeois, qui s’étaient battus contre le régime du Chah, ont grandi rapidement et se sont transformés en organisa­tions de masse aux dimensions énormes. Mais, ni l’une ni l’autre n’avaient de direction révolutionnaire fondée sur une stratégie révolutionnaire. Ni l’une ni l’autre n’étaient capables de comprendre la dynami­que réelle de la révolution iranienne. Toutes deux ont fini par trahir la révolution. La première est tombée victime de la stratégie contre-révolutionnaire de collaboration de classe du parti Toudeh, favorable à Moscou, l’autre est revenue à ses origines et a repris sa place comme partie prenante de l’opposition bourgeoise libérale.

L’expérience de la révolution iranienne a de nouveau confirmé le fait qu’à notre époque, une direction révolutionnaire qui ne se bat pas de façon conséquente pour une stratégie claire de pouvoir ouvrier, finit inévitablement dans le camp de la réaction. La collaboration de classe a sonné le glas de la révolution iranienne. En l’absence d’une stratégie prolétarienne anti-capitaliste, les compromis avec la contre-révolution bourgeoise -étaient inévitable.

La seule voie qui aurait pu gagner les masses laborieuses et opprimées à la révolution prolé­tarienne, consistait en ce que le prolétariat fasse lui-même la démonstration dans l’action qu’il était seul capable d’abattre la bourgeoisie. Or, la gauche iranienne a cherché à s’attirer la base de masse de Khomeini en diluant une franche lutte de classe et en offrant un compromis aux couches bourgeoises et petites-bourgeoises.

De tous les groupes, c’est le Parti Toudeh qui illustre le mieux cet enseignement. Ce groupe, le plus vieux et le plus riche en traditions avait divisé la révolution iranienne en trois étapes : le front populaire contre le Chah, le front démocrati­que anti-impérialiste et "la voie de développement" non-capitaliste qui devait mener pacifiquement au socialisme. Le Parti Toudeh qui s’était même préparé à inclure dans ses fronts des monarchistes anti-Chah, s’est retrouvé devant un alignement réel des forces de classe dans la révolution qui dépassait ses fantasmes les plus débridés. Il capitula immédiatement devant la coalition contre-révolutionnaire de la bourgeoisie et du clergé.

Lorsqu’une rupture se profila entre eux, il proclama la fraction de Khomeini authentique force révolutionnaire anti-impérialiste et lui accorda son soutien inconditionnel. Il rejeta les protestations des masses contre les pratiques anti-démocratiques du régime islamique, les qualifiant de "penchant libéral bourgeois pour la démocratie". Au moment où la contre-révolution bourgeoise affirmait son pouvoir en réprimant des masses, le Parti Toudeh acclamait l’emprisonnement temporaire de quelques employés de l’ambassade améri­caine comme la plus grande avancée de la révolution.

Sans l’appui actif du Parti Toudeh, avec ses nombreux professionnels, le clergé aurait eu bien plus de mal à écraser les mouvement de masse. Le Parti Toudeh fournit au clergé de nombreux
directeurs et chefs d’équipe dans les industries nationalisées, de nombreux propagandistes dans les journaux, la télévision et la radio contrôlés par l’Etat, et même des interrogateurs politiques dans
les geôles de Khomeini. Le sort qui échoit aujourd’hui au Parti Toudeh est la meilleure leçon de chose sur l’aboutissement d’une telle politique.

b- Dépourvue de stratégie révolutionnaire, la gauche iranienne n’a pu comprendre les forces motrices de la révolution iranienne et la nature forces qui s’affrontaient en son sein. A cette phase de l’évolution rapide de la révolution, elle commit des erreurs fondamentales. Ces erreurs assurè­rent une victoire facile de la contre-révolution au cours de la période initiale qui fut décisive.

Dans la période qui précéda l’insurrection de février, la gauche n’existait pas comme tendance indépendante au sein du mouvement de masse. Elle s’était simplement mêlée au mouvement dominé par Khomeini et mis à la traîne de sa direction réaction­naire. Le seul groupe de gauche iranien qui ait critiqué le gouvernement désigné par Khomeini a été le HKS. A part lui, aucune tendance de gauche ne se distingua de Khomeini. La gauche devait bien sûr lutter contre le gouvernement de Bakhtiar, mais elle n’aurait pas dû en même temps soutenir le Conseil islamique révolutionnaire secret désigné par Khomeini. Elle aurait dû appeler les masses à s’opposer à toute tentative de désignation d’un gouvernement par en haut. Elle n’aurait pas pu gagner cette bataille mais elle se serait trouvée en meilleure position dans les périodes suivantes.

Tout de suite après l’insurrection, la gauche a accepté les appels du commandement mili­taire unifié de l’armée et du clergé (qui s’avéra par la suite avoir été dirigé par un agent de la CIA). De nombreuses figures de l’ancien régime arrêtées par les masses furent remises au clergé. Les "tribunaux islamiques révolutionnaires" furent applaudis par la gauche. Les premières déclarations de la majorité des groupes de gauche acclamèrent l’imam Khomeini pour avoir guidé la révolution vers la victoire

Quelques mois plus tard, on vit avec une clarté parfaite quelle était la principale menace contre la révolution. Le gouvernement bourgeois s’empressait de démanteler les acquis des masses. La seule voie juste aurait consisté à organiser la défense et l’extention des droits démocratiques et la résistance à toute tentative du régime de les limiter. Le mot d’ordre central qui convenait à cette période était celui qui consistait à appeler à la convocation immédiate d’une assemblée constitu­ante. La plupart des groupes ont fermé les yeux sur tout cela. Il s’agissait pour eux de problèmes secondaires. Entretemps, les soi-disant "revendications de classe" étaient réduites à des réformes purement économiques et la contre-révolution réussissait à bloquer la dynamique anti-capitaliste de la révolu­tion iranienne en limitant précisément les droits démocratiques des masses.

De même, la gauche s’intéressa plus à l’organisation de ses propres groupes qu’à aider les organes indépendants d’auto-activité des masses. On ne vit guère d’effort réel dans l’organisation indépendante des masses, la lutte pour assurer la démocratisation de ces organes et la lutte pour empêcher que les partisans zélés du clergé en leur sein n’y imposent la volonté de la contre-révolution. La tradition stalinienne de la gauche iranienne ? La tradition stalinienne de la gauche iranienne, et sa démarche bureaucratique à l’égard du mouvement de masse, ont renforcé les tendances substitutionnistes au nom desquelles chaque groupe cherchait à former ses propres "organisations de masses, dont il gardait alors "la pureté" et "l’indépendance" contre tout mélange. Ainsi, au lieu d’intervenir patiemment et régulièrement dans le mouvement réel des shoras, de lutter pour leur unification au niveau national dans la perspective de créer la base d’une lutte plus générale pour un gouvernement ouvrier et paysan, tous les groupes importants ont, dans le meilleur des cas, cherché à créer leurs propres "vrais" shoras.

Cette attitude fut fatale pour la révolu­tion. Dans la période initiale, plus favorable, de la révolution le mouvement des shoras fut laissé à la merci des forces khomeinistes. Quand la nature contre-révolutionnaire du régime apparut clairement, les forces de la réaction avaient déjà consolidé un réseau national de ces shoras émasculés qu’elles utilisèrent pour écraser la résistance de la classe ouvrière.

La conception par étapes de la révolution iranienne à laquelle souscrivait la grande majorité de la gauche iranienne a entraîné celle-ci à passer le plus clair de son temps à la recherche d’alliances avec la bourgeoisie au lieu de concentrer ses efforts sur le renforcement de la force indépendante du prolétariat iranien. De fait, la gauche s’est mise à la remorque de la politique bourgeoise pendant toute la révolution. Elle s’est ralliée à Khomeini au cours de la lutte contre le Chah, et elle s’est ralliée à l’opposition bourgeoise au Chah dans la lutte contre Khomeini. Elle n’a jamais offert claire­ment un programme indépendant. C’est ainsi que chaque manoeuvre démagogique de la contre-révolution trouva la gauche désemparée. La prise de l’ambassade améri­caine, par exemple, prit la gauche complètement au dépourvu. Sans parler du chauvinisme hystérique qui noya la gauche dans les premières phases de la guerre entre l’Iran et l’Irak.

Aujourd’hui, on peut affirmer sans exagéra­tion qu’en ce qui concerne la lutte pour la démocratie, l’opposition libérale bourgeoise, et même les monar­chistes, apparaissaient plus radicaux que la gauche stalinienne. Tandis que sur le terrain de la revendi­cation anti-capitaliste, la contre-révolution de Khomeini est allé bien plus loin que la gauche qui restait collée à son programme minimum élaboré pour l’étape démocratique.

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