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Introduction à la philosophie de Hegel
mardi 16 avril 2024, par
Hegel se situe dans la continuité de Kant (distinction représentation/chose en soi), Fichte (opposition moi/non-moi) et Schelling (unité nature/esprit).
On peut résumer Hegel par sa dialectique, ce qui signifie qu’il ne faut pas juger les choses d’après leur état actuel mais considérer à chaque fois le processus dans lequel chaque fait considéré est apparu. C’est l’introduction de l’évolution et de l’histoire dans la pensée.
Considérer à chaque fois le processus signifie que toute chose est éphémère, mais aussi qu’il y a toujours un mauvais côté des choses provoquant son dépassement (Tout bien a son mauvais côté).
Dans la conception positive des choses existantes, la dialectique inclut du même coup l’intelligence de leur négation fatale, de leur destruction nécessaire, parce que, saisissant le mouvement même dont toute forme faite n’est qu’une configuration transitoire, rien ne saurait lui en imposer ; parce qu’elle est essentiellement critique et révolutionnaire. Marx I, 559
Surtout le savoir lui-même est processus, toujours savoir d’un sujet concret. Le "Savoir absolu" est simplement la certitude que tout savoir résulte d’un apprentissage (intentionalité qui se règle sur l’objet) et toujours en progrès. Il n’y a pas de vérité en soi, hors de l’histoire et du temps, mais seulement pour nous, pour un sujet concerné concrètement.
Le concept de processus unifie le sujet et l’objet (leurs interactions) alors que Descartes et Kant les avaient séparés. Ainsi, il y a une objectivité du sujet (qui existe vraiment, dans le monde dont il dépend) comme il y a un subjectivisme de l’objet (toujours représentation, point de vue partiel d’un sujet, intentionalité). Hegel considère la vérité comme sujet, c’est-à-dire processus concret d’apparition de la vérité dans le monde et pour nous, contrairement à une vérité éternelle et séparée, indépendante de nous. Dès lors "le faux est un moment du vrai" car sans l’apparition du faux, qui n’est pas sans raisons, la vérité qui le réfute ne serait pas apparue dans le discours, pas sous cette forme particulière. Enfin, cela implique que seule la totalité du processus est concrète, qu’il n’y a de clôture du sens qu’après-coup. Chaque moment immédiat, empirique (graine, fleur ou fruit), détaché de la totalité où il s’inscrit, n’est une abstraction.
Mais le processus implique aussi une force motrice, la force de l’Esprit, qui se confond pour Hegel avec la négativité (l’esprit qui dit non) qui dissout toute particularité (universalisation) et commence par l’opposition du sujet à l’objet dans la perception, pour se réaliser, à la fin après de nombreuses médiations, comme liberté consciente d’elle-même et reconnaissance mutuelle.
Le processus dialectique est le mouvement de cette négation qui comporte quatre temps : la position (ou le résultat précédent, ou la thèse), l’opposition extérieure, la division intérieure (antithèses) puis la synthèse temporelle comme processus conscient de soi, négation de la négation. Il n’y a pas de progrès infini, mais moments opposés, passage de la quantité à la qualité (seuil qualitatif), ruptures, réactions. L’Esprit est cette puissance de négation (négation toujours partielle), de liberté face au donné (de destructions créatrices), de mouvement et de vie (mort et régénération). Passage de l’énonciation dans l’énoncé, de la vérité dans le savoir, de la liberté dans la Loi.
[En fait, il y a 5 temps ou 2 fois 3 ! En effet, ce qu’il faut comprendre c’est qu’il y a 2 négations, 2 temps dialectiques (Encyc. §241) : opposition et division. Donc on peut dire qu’il y a 4 temps (fin de la Logique III, p383) : position, opposition, division, composition. Sauf qu’on peut introduire une synthèse partielle entre opposition et division, ce qui donne 5 temps : 1) Etre, immédiat, donné, position, 2) opposition extérieure, apparence, différence 3) Essence, médiatisé, réflexion, identité 4) division intérieure, fondement, contradiction 5) Concept, médiatisant, liberté, composition (position vérifiée, unité sujet-objet, moments). Si on en reste aux 3 temps, il faut dire que les 3 temps vont pas 2 car il n’y a pas équivalence entre synthèse objective et synthèse subjective ! On en verra l’illustration dans la structure de la logique]
Le premier ouvrage important de Hegel est La Phénoménologie de l’Esprit1807, qui est son ouvrage le plus riche, illustrant la dialectique par l’histoire concrète qui commence avec la perception et la conscience, puis, par négations successives, la conscience-de-soi enfin la conscience-pour-un autre qui aboutit à la lutte du Maître et de l’esclave initiant l’histoire humaine, histoire concrète de la moralité d’abord et de la politique ensuite, jusqu’aux formes les plus hautes de l’Art et de la Religion, formes encore séparées cependant, mais dont le "Savoir absolu" se réapproprie toute l’histoire comme processus d’objectivation du sujet. De fameuses analyses concrètes dévoilent les stratégies subjectives de la conscience malheureuse, de la loi du coeur et du délire de présomption tout autant que l’orgueil de l’ascète ou la dureté hypocrite du moraliste, mais le style est souvent un peu trop dense...
La Logique 1812-1816 (Être, Essence, Concept) reprend le même projet d’un point de vue abstrait où l’Être est opposé au Néant puis unifiés dans le devenir.
1) le passage de l’être au néant et au devenir déclenche toute la progression dialectique de la qualité à la quantité et à la mesure qui constituent la sphère de l’Être ; 2) la réflexion ou scission de l’Être en fondement et en apparence phénoménale et leur union dans la "réalité" constitue la sphère de l’Essence ; 3) enfin, dans le Concept, subjectivité et objectivité ne font plus qu’un ; ce n’est plus la Vie, c’est l’Esprit qui est la véritable union de l’Infini et du Fini.
Kostas Papaioannou, "Hegel"
La négation de l’être est l’essence, la négation de l’essence est le concept, la négation du concept est... l’Idée absolue. Mais qu’est-ce, maintenant, que l’Idée absolue ? Elle se nie elle-même à son tour, si elle ne veut pas parcourir à nouveau toutes les étapes de l’abstraction depuis son commencement ni se contenter d’être une totalité d’abstractions ou l’abstraction consciente de soi. Mais l’abstraction qui se conçoit comme telle se reconnaît comme néant ; elle doit renoncer à elle-même comme abstraction, et elle aboutit ainsi à un être qui est précisément son contraire : la nature. La logique toute entière est donc la preuve que la pensée abstraite n’est rien pour soi, que l’Idée absolue n’est rien pour soi, que seule la nature est quelque chose. Marx II-138
De la même façon, la qualité "déniée" devient quantité, la quantité "déniée" devient la mesure, la mesure "déniée" devient l’être, l’être "dénié" devient le phénomène, le phénomène "dénié" devient la réalité, la réalité "déniée " devient l’idée absolue, l’idée absolue "déniée " devient la Nature, la nature "déniée" devient l’esprit subjectif, l’esprit subjectif "dénié " devient l’esprit objectif moral, l’esprit moral "dénié " devient l’art, l’art "dénié" devient religion, la religion "déniée" devient savoir absolu. Marx II-135
Puis l’Encyclopédie des sciences philosophiques en abrégé1817forme un tout de la logique à la philosophie de la nature puis de l’Esprit (Anthropologie, Droit, Art, Religion jusqu’au savoir absolu), exposant toute la philosophie de Hegel sous une forme ramassée.
Les Principes de la Philosophie du Droit 1821 sont aussi importants, même si c’est la partie la plus idéologique de Hegel. Il annonce Marx en de nombreux points. Le Droit est pour Hegel la liberté objective, et son but est la reconnaissance universelle par l’État (dont Marx critiquera l’abstraction).
Les cours de Hegel sont une bonne introduction à son oeuvre, surtout La raison dans l’histoire qui est une description dialectique vivante de l’histoire politique comme liberté devenant conscience d’elle-même, mais aussi les cours d’Esthétique, principalement le Beau, qui est une histoire dialectique de l’Art (symbolique, classique, romantique).
Il arrive souvent que l’esprit s’oublie, se perde ; mais à l’intérieur il est toujours en opposition avec lui-même ; il est progrès intérieur - comme Hamlet dit de l’esprit de son père : ’Bien travaillé, vieille taupe !" - jusqu’à ce qu’il trouve en lui-même assez de force pour soulever la croûte terrestre qui le sépare du soleil [...] L’édifice sans âme, vermoulu, s’écroule et l’esprit se montre sous la forme d’une nouvelle jeunesse.
Fin de l’introduction du Cours sur l’histoire de la philosophie
De même que, chez l’enfant, après une longue nutrition silencieuse, le premier souffle de la respiration brise - par un saut qualitatif - le caractère progressif dune croissance seulement quantitative, et voici qu’à présent l’enfant est né. Ainsi l’esprit qui se forme par une lente et silencieuse maturation accède à sa nouvelle figure, désagrège successivement les parcelles de l’édifice qui constituait son ancien monde. Que celui-ci soit ébranlé, voilà ce qu’indiquent seulement des symptômes isolés ; la frivolité, l’ennui qui s’installent en tout ce qui existe, le vague pressentiment de quelque chose d’inconnu, sont autant de signes précurseurs indiquant qu’une réalité nouvelle commence à s’instaurer. Cet émiettement progressif, qui n’altère pas la physionomie globale, est interrompu par un surgissement qui, tel un éclair, installe d’un coup la figure du monde neuf.
Phénoménologie de l’Esprit, préface, p10
Source : https://jeanzin.fr/ecorevo/philo/hegel/index.htm
Pour commencer l’étude de "Science de la Logique" de Hegel
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6244
La dialectique du fini et de l’infini pour Hegel
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6561
Comment Hegel conçoit la dialectique
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5109
Pour Hegel, qu’est-ce que la philosophie
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article5097
La dialectique de Hegel, peu connue en France, est-elle toujours d’actualité pour la pensée scientifique ?
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article2424
Quelle est la philosophie de l’Histoire de Friedrich Hegel ?
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article3702
Comme la dialectique de Hegel l’affirmait, la science démontre que la nature fait des bonds