Le 14 juillet de la Révolution française, mythe et réalité
Le 14 juillet 1789, en rédigeant son journal intime, le Roi qui revenait d’une partie de chasse, écrira pour cette même date : « Rien ». Au lendemain, le 15 juillet, à Versailles, à 8 heures, au moment de son réveil, que le duc de La Rochefoucauld-Liancourt annonça à Louis XVI la prise de la Bastille.
Le dialogue suivant aurait eu lieu :
— « C’est une révolte ? » demande Louis XVI.
— « Non sire, ce n’est pas une révolte, c’est une révolution. » répond le duc de La Rochefoucauld.
Bien des gens disent que la prise de la Bastille est un mythe parce que cet ancien château symbole de la féodalité n’était plus rien, n’avait aucune importance militaire, et était à peine gardé. En fait, là n’est pas la question, car une importance symbolique dans une révolution, c’est une importance considérable, même au plan du rapport des forces réelles. Quand le peuple de tout le pays apprend dans chaque ville, avec retard, que la Bastille est tombée, c’est sous la vision de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie révolutionnaire qui veulent s’en servir pour porter un coup dans chaque région, dans chaque localité à la féodalité ou à ce qu’il en reste, afin de l’éradiquer. Et c’est d’une importance symbolique considérable aux yeux du petit peuple qui est la véritable force. Or, quand la force sociale qui est la locomotive pense avoir des perspectives réelles de changement, elle devient irrépressible et même momentanément invincible … L’histoire devient alors celle des opprimés. Et, le 14 juillet est l’une de ces journées faites par le petit peuple des opprimés même s’il ne dépend pas seulement d’eux de savoir ce qu’on en dira ensuite et en symbole de quoi on la transformera.
On a souvent souligné l’action spontanée des masses. L’historien Michelet écrit : "La Révolution de Juillet est « le premier modèle d’une révolution sans héros, sans noms propres ; point d’individus en qui la gloire ait pu se localiser. La société a tout fait […]. Après la victoire, on a cherché le héros ; et l’on a trouvé tout un peuple. » Mais il ne s’agit pas seulement d’un peuple, il s’agit de l’apparition sur la scène politique de l’action des opprimés et ils ne vont pas quitter rapidement la scène...
« Sans la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, par les sans-culottes parisiens, l’assemblée nationale aurait fini pas succomber dans sa rébellion contre les baïonnettes royales. Sans la marche sur Versailles, le 5 octobre, des "bras nus" affamés et sans leur irruption dans l’enceinte de l’Assemblée, la Déclaration des Droits de l’Homme n’aurait pas été sanctionnée. Sans l’irrésistible vague de fond partie des campagnes, l’assemblée n’eût pas osé s’attaquer, bien que timidement, à la propriété féodale, dans la nuit du 4 août 1789, l’expropriation sans indemnité des rentes féodales n’eût pas été, enfin, décrétée ; la bourgeoisie eût hésité devant la république et devant le suffrage universel. (…)Un phénomène caractéristique de toutes les révolutions consiste dans la coexistence momentanée de deux formes antagonistes de pouvoir politique. La dualité de pouvoirs, bien qu’encore relativement embryonnaire, se manifesta, avec une certaine netteté déjà, au cours de la Révolution française. (…) Nous voyons les premiers symptômes de ce phénomène apparaître dès juillet 1789. A l’orée de la révolution, il y a dualité de pouvoirs non seulement entre le roi et l’Assemblée nationale, mais déjà entre l’Assemblée nationale, interprète des volontés de la haute bourgeoisie, et la Commune de Paris, cette dernière s’appuyant sur les couches inférieures du tiers-état de la capitale. Le second pouvoir, émanation directe du peuple, ne traitait pas seulement le parlement d’égal à égal, il lui parlait à peine né sur le ton de protection (…). La dualité de pouvoirs se manifesta de façon beaucoup plus accusée à l’occasion de l’insurrection du 10 août 1792. Dès la seconde quinzaine de juillet, les sections avaient nommé des délégués qui s’étaient réunis à l’Hôtel de ville. Le 10 août, l’assemblée des sections se substitua à la Commune légale et se constitua en Commune révolutionnaire. » a écrit Daniel Guérin dans « La révolution française et nous ».
Le 15 juillet 1789, les électeurs de l’hôtel de ville, élus qui devaient se dissoudre en tant que comité après la formation de l’assemblée des Etats généraux, se sont érigés en "commune de Paris", Messers. Lafayette et Bailly, en tête de la délégation de l’Assemblée nationale sont accueillis sous les cris de : Vive la nation et vive les députés ! La Fayette est nommé commandant général de la milice bourgeoise baptisée GARDE NATIONALE, Bailly est nommé prévôt des marchands.
Et surtout, la révolution gagne les villes et les campagnes. les châteaux sont détruits. Les nobles assassinés. La noblesse s’affole et plie : la nuit du 4 août 1789, les chefs de la noblesse annoncent à tout le pays que, sous leur propre initiative, les privilèges sont abolis !
La révolution du 14 juillet a donc effectivement eu des conséquences sociales et politiques de grande ampleur qui dépassent largement l’importance de la battisse !
Mais ces développement posent autant de problèmes qu’ils n’en résolvent. Justement parce que le petit peuple s’est mobilisé et qu’il est loin d’être constitué de bourgeois. Il est surtout formé de très petits bourgeois et des masses populaires, des ouvriers, des domestiques, des chômeurs, des mendiants, etc... La bourgeoisie a souvent aussi peur de ceux-là que la noblesse et elle n’aura de cesse que d’en finir le plus vite possible avec la révolution.
La prise de la Bastille qui voulait dire : la révolution commence ...
se transforme en : la prise de la Bastille veut dire que la révolution est finie !
Cependant, la suite des événements change encore la vision des choses. Ce jour-là représente des milliers de choses différentes et même opposées selon les points de vue, selon les époques et selon les classes sociales. Dès le lendemain, tous les courants vont s’en emparer pour lui donner un sens historique, à chaque fois différent.
Un jour ce sera un mythe révolutionnaire et autre un mythe contre-révolutionnaire ou, au moins, conservateur. La révolution de 1789 n’a rien à voir avec la mythologie de la France impérialiste d’aujourd’hui. L’idéal de la "nation française" de Sarkozy ou Aubry n’a rien à voir avec celui de la bourgeoisie révolutionnaire de 1789, sans parler de l’idéal du petit peuple de Paris qui a pris la Bastille et, plus précisément sur les "bras nus" qui anticipaient l’élan révolutionnaire des prolétaires.
Le défilé du 14 juillet est devenu celui d’une prétendue unité entre les travailleurs de France et leurs exploiteurs qui sont en même temps ceux qui écrasent avec leurs armées le peuple afghan, le peuple rwandais ou le peuple tchadien (notamment).
L’"unité des Français" que clame Sarkozy est celle entre les licenciés et les licencieurs, entre les banquiers et leurs victimes dans la crise, entre les travailleurs et leurs exploiteurs.
Une chose s’est changée en son contraire : le 14 juillet, produit exacerbé de la guerre des classes, servira aussi, plus tard, de symbole de l’union des classes, de la soumission des exploités aux exploiteurs au nom de la république bourgeoise... Mais n’anticipons pas.
Ce qui s’est vraiment passé le 14 juillet 1789 et ensuite...
40 jours plus tôt, les états généraux se sont réunis à Versailles et les députés ont constaté que les maux du gouvernement appelaient davantage qu’une simple réforme de l’impôt. Ils ont décidé de remettre à plat les institutions et de définir par écrit, dans une constitution, de nouvelles règles de fonctionnement, selon l’exemple américain.
Le 9 juillet, l’assemblée réunie à Versailles se proclame « Assemblée nationale constituante ». L’initiative ne plaît pas au roi ni à son entourage. Le 12 juillet, Louis XVI renvoie son contrôleur général des finances, Jacques Necker, un banquier très populaire.
Le matin du dimanche 12 juillet 1789, les Parisiens sont informés du renvoi de Necker, la nouvelle se répand dans Paris. À midi, au Palais-Royal, un avocat et journaliste alors peu connu, Camille Desmoulins, monte sur une table du café de Foy et harangue la foule des promeneurs et l’appelle à prendre les armes contre le gouvernement du roi. Dans les rues de Paris et dans le jardin du Palais-Royal de nombreuses manifestations ont lieu, les bustes de Jacques Necker et de Philippe d’Orléans sont portés en tête des cortèges. Le régiment de cavalerie, le Royal-allemand charge la foule amassée aux Tuileries. On compte plusieurs blessés, peut-être un tué parmi les émeutiers.
En début de soirée, Pierre-Victor de Besenval à la tête des troupes installées à Paris, donne l’ordre aux régiments suisses cantonnés au Champ-de-Mars d’intervenir.
Lundi 13 juillet 1789
À une heure du matin, quarante des cinquante barrières (postes d’octroi) qui permettent l’entrée dans Paris sont incendiées. La foule des émeutiers exige la baisse du prix des grains et du pain - prix qu’ils n’avaient jamais atteint au cours du siècle.
Une rumeur circule dans Paris : au couvent Saint-Lazare seraient entreposés les grains ; le couvent est pillé à six heures. Deux heures plus tard, une réunion des "électeurs" de la capitale se tient à l’Hôtel de Ville (ceux qui, au deuxième degré, ont élu les députés des États généraux). À leur tête se trouve le prévôt des marchands de Paris, Jacques de Flesselles. Au milieu d’une foule déchaînée, ils décident de former un « comité permanent » et prennent la décision de créer une « milice bourgeoise » de 48 000 hommes, afin de limiter les désordres. Chaque homme portera comme marque distinctive une cocarde aux couleurs de Paris, rouge et bleu. Pour armer cette milice, les émeutiers mettent à sac le Garde-Meuble où sont entreposées des armes, mais aussi des collections anciennes. Sur ordre de Jacques de Flesselles 50 000 piques furent forgées. La foule obéissant aux ordres qui semblaient provenir du Palais-Royal, parlaient de prendre la Bastille. À 17 heures, une délégation des électeurs parisiens se rend aux Invalides pour réclamer les armes de guerre qui y sont entreposées. Le gouverneur refuse. La Cour ne réagit pas. Les électeurs n’obtiennent pas les armes.
10 heures le 14 juillet : Les émeutiers s’emparent des 30 000 à 40 000 fusils entreposés aux Invalides
Devant le refus du gouverneur des Invalides, une foule énorme (40 000 à 50 000 personnes) se présente devant les Invalides pour s’en emparer de force. Pour défendre l’Hôtel des Invalides il existe des canons servis par des invalides, mais ceux-ci ne paraissent pas disposés à ouvrir le feu sur les Parisiens. À quelques centaines de mètres de là, plusieurs régiments de cavalerie d’infanterie et d’artillerie campent sur l’esplanade du Champ-de-Mars, sous le commandement de Pierre-Victor de Besenval. Celui-ci réunit les chefs des corps pour savoir si leurs soldats marcheraient sur les émeutiers. Unanimement, ils répondent non. C’est l’évènement capital de la journée. La foule, que rien désormais ne peut arrêter, escalade les fossés des Invalides, défonce les grilles, descend dans les caves et s’empare des 30 000 à 40 000 fusils à poudre noire qui y sont stockés ainsi que 12 pièces de canons et d’un mortier. Les Parisiens sont désormais armés. Ils ne leur manquent que de la poudre à canon et des balles. Le bruit court qu’il y en a au château de la Bastille.
17 heures : capitulation de la Bastille
La garnison de la Bastille rend les armes, sur promesse des assiégeants qu’aucune exécution n’aura lieu s’il y a reddition. Les émeutiers envahissent la forteresse, s’emparent de la poudre et des balles, puis libèrent les sept captifs qui y étaient emprisonnés : deux fous (Tavernier et De Whyte qui seront transférés à l’Asile de Charenton), un débauché (le comte Hubert de Solages victime des lettres de cachet durant l’Affaire Barrau - Solages depuis 1765) et quatre faussaires (Béchade, Laroche, La Corrège et Pujade, qui avaient arnaqué deux banquiers parisiens et furent remis aussitôt en prison). La garnison de la Bastille, prisonnière, est emmenée à l’Hôtel de Ville. Sur le chemin, M. de Launay est massacré, sa tête sera dit-on, découpée au canif par un garçon cuisinier nommé Desnot, avant d’être promenée au bout d’une pique dans les rues de la capitale. Plusieurs des invalides trouvent aussi la mort pendant le trajet. Jacques de Flesselles est assassiné sur l’accusation de traîtrise. Les assiégeants eurent une centaine de tués et soixante-treize blessés. Outre les prisonniers, la forteresse héberge les archives du lieutenant de police de Paris qui sont soumises à un pillage systématique. Ce n’est qu’au bout de deux jours que les mesures sont prises par les autorités afin de conserver ces traces de l’histoire. Même Beaumarchais, dont la maison est située juste en face, n’avait pas hésité à puiser dans les papiers. Dénoncé, il doit d’ailleurs les restituer. 18 heures : Louis XVI ordonne aux troupes d’évacuer Paris
La fabrication d’un mythe
En 1790, l’Assemblée voulut que cette première commémoration du 14 juillet 1789 soit la fête de la réconciliation et de l’unité de tous les Français. Dès le 1er juillet 1790, 1 200 ouvriers commencèrent les travaux de terrassement. Ils étaient nourris mais mal payés et, quand on leur reprochait leur lenteur, ils menaçaient de quitter le chantier. Il s’agissait de transformer le Champ-de-Mars en un vaste cirque, d’une capacité de 100 000 spectateurs, au centre duquel s’élevait l’autel de la Patrie. On fit appel à la bonne volonté des Parisiens. Ils répondirent en masse. Louis XVI vint de Saint-Cloud donner un coup de pioche, La Fayette, en manches de chemise travailla comme un ouvrier. Bientôt ce fut une fourmilière humaine, où les ouvriers du Faubourg Saint-Antoine côtoyaient les nobles, où les moines côtoyaient les bourgeois, où les courtisanes donnaient la main aux dames des beaux quartiers. Les charbonniers, les bouchers, les imprimeurs vinrent avec leurs bannières décorées de tricolore.
La fête nationale de 1790 : le mensonge de l’unité du petit peuple jusqu’au roi sous l’égide de celui-ci !
La fête de 1790 sera peut-être le seul moment où la foule eut le sentiment de constituer un corps uni, une Nation « une, indivisible ». Devant 300 000 spectateurs, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord officia, entouré d’une myriade de prêtres et d’une cohorte de soldats. Louis XVI de France prêta serment sur la Constitution et La Fayette lut celle-ci. On y bénit, discourut, pleura. Pour la préparation du terrain lui-même pour cette fête, c’est toute la population toutes classes mêlées, qui s’était spontanément portée sur les lieux. Fusillade du Champ-de-Mars
Un massacre y a eu lieu pendant la Révolution française, le 17 juillet 1791. La pétition des Cordeliers du 15 juillet 1791 est portée sur l’autel de la Patrie qui fut élevé pour le 14 juillet 1790. Une foule s’y était rassemblée pour y signer une pétition. Elle fut d’abord rédigée pour revenir sur les décrets du 15 et 16 juillet qui redonnent au roi tous ses droits car elle n’exigeait pas formellement la fin de la monarchie. L’Assemblée constituante ordonne de la disperser. Bailly, Maire de Paris décrète la loi martiale dont la mise en vigueur est signalée par les drapeaux rouges. Cette loi permet aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes. Alors que La Fayette tentait vainement de disperser la foule, Bailly donne l’ordre de tirer sur le peuple, ce qui fit 50 morts et des centaines de blessés. Une charge de cavalerie dispersa la foule.
Les fusillades du champ de mars de juillet 1791
Le « massacre du Champ-de-Mars » marquait la fin du mythe : la révolution sociale était loin d’être terminée et elle ne se terminait nullement par un vaste arrangement général. Il fallait au contraire aller au bout de toutes les luttes de classes et au bout de toutes les contradictions politiques les plus aiguës !
Les années 1792 et 1793 allaient être celles d’une nouvelle montée révolutionnaire dans laquelle les masses populaires allaient être une fois encore les locomotives. La prise de la Bastille, du coup, n’était qu’un coup d’envoi et non une fin.
Celui qui allait symboliser le sommet de cette révolution en serait en même temps l’exterminateur : Robespierre. Chef bourgeois révolutionnaire capable de se mettre à la tête des masses populaires, y compris des bras nus, des compagnies de piques, des comités révolutionnaires de Paris et des grandes villes, il allait aussi y mettre fin en Thermidor 1793.
Fête de l’"Être suprême"
Le 20 prairial an II (8 juin 1794), Jacques-Louis David organisa la fête de l’Être suprême au Champ-de-Mars. Cette fête marque l’apothéose de la Révolution. Maximilien de Robespierre présida cette fête, qui avait débuté au jardin des Tuileries. Sa chute intervient moins de deux mois plus tard.
La Victoire politique du 18 Brumaire (novembre 1799), les grandes victoires militaires du printemps 1800, permettent au Premier consul de concevoir le 14 juillet comme une fête de la concorde et de la conciliation. Le 14 juillet 1799 n’est plus la journée de la "liberté" mais est rebaptisée celle de la concorde. En 1800 la garde consulaire défile des Tuileries au Champ de Mars. Elle fête non pas la prise de la Bastille mais le 10e anniversaire de la Fédération, axé autour de l’armée républicaine victorieuse. 1801 voit le premier changement de rive des festivités du 14 juillet. Elles ne se déroulent plus au Champ de Mars mais entre la Concorde et l’extrémité des Champs Elysées. En 1802, le 15 août devient la fête privilégiée, fête de la "Saint Napoléon", célébrée par un Te Deum à Notre Dame. S’en suivent des 14 juillet de moins en moins importants, et en 1805, le 14 juillet n’est même plus commémoré.
Ce n’est véritablement que sous la IIIe République, en 1880, que le 14 juillet devient notre fête nationale. Après de longs débats et malgré l’opposition tenace de leurs adversaires, les Républicains décident de l’adoption de la date qui manifeste symboliquement le rattachement de la IIIe République à l’époque de la Révolution française, et consacre le régime.