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6 avril 1994 - 6 avril 2012 : Rwanda, un massacre et un avertissement aux travaillleurs et aux peuples du monde entier

jeudi 5 avril 2012, par Robert Paris

6 avril 1994 - 6 avril 2012 : Rwanda, un massacre et un avertissement aux travailleurs et aux peuples du monde entier

Le 6 avril 1994, avec la destruction de l’avion portant le président rwandais, a commencé le génocide des Tutsis, l’élimination systématique d’un groupe sur des bases raciales, l’un des plus grands massacres de l’Histoire. Celui-ci n’a aucun fondement traditionnel ni ethnique contrairement à ce qui a été prétendu : c’est la mise en place d’un pouvoir fasciste au Rwanda et il n’a pas été voulu par la population mais par les classes dirigeantes rwandaises et réalisé sous l’égide directe de la France de Mitterrand et Léotard.

Beaucoup de Français ne parviennent pas à admettre que la France ait pu jouer le rôle de pourvoyeur du fascisme puisqu’en France même les classes dirigeantes et les hommes politiques de droite et de gauche alors au pouvoir n’ont pas eu une politique fasciste ! Vision à courte vue : toutes les classes dirigeantes du monde ont accueilli avec soulagement l’arrivée au pouvoir d’Hitler en Allemagne en janvier 1933 alors qu’elles n’en étaient pas encore à la souhaiter pour la plupart dans leur propre pays. Elles ont estimé que le risque qu’Hitler lance la guerre mondiale était moins important que le risque que représentait le prolétariat allemand, risque de début d’une révolution communiste mondiale menant à la fin de l’isolement de la révolution russe.

Bien sûr, il n’y a pas qu’un aveuglement provenant de l’ignorance communément partagée de ce qu’est la réalité du fascisme. Admettre le rôle de la France au Rwanda, c’est détruire toutes les croyances sur l’Etat français et la « démocratie » française qui fondent l’image que les gens ont de « leur pays ».

Pourtant l’incroyable est vrai.
Il n’y a là aucune exagération : l’Etat français a bel et bien organisé, planifié, armé, financé les génocidaires fascistes depuis l’Elysée, avec la caution de la gauche et de la droite. Et cette action a toujours la caution de la gauche et de la droite puisqu’on trouve au bas du rapport Quilès qui blanchit la France au Rwanda les signatures du PS mais aussi de Buffet pour le PCF aussi bien que de Voynet pour les Verts ou de la droite.

Mais le grand organisateur demeure Mitterrand qui, président de la République, chef des armées, décideur de la diplomatie française, commandant aux ambassadeurs, a planifié l’action depuis la « cellule spéciale de l’Elysée pour le Rwanda ».

Là encore, on trouve la plus grande incrédulité des gens : pourquoi aurait-il fait cela, il n’y a pas de pétrole au Rwanda !
Comme on l’a dit au début, le phénomène « fascisme » est largement inconnu du grand public même si chacun a entendu parler d’Hitler, de Mussolini et de Franco ou encore de Pinochet. Pour la plupart, c’est idéologique, on est pour la démocratie ou pour le fascisme. Ils n’imaginent nullement que cela ait un quelconque rapport avec la lutte des classes, avec la menace que représenterait le prolétariat révolutionnaire puisque les prolétaires eux-mêmes ne se voient pas comme une telle force de transformation de la société. Ils croient que les démocraties se sont opposées au fascisme et que c’est même la cause de la dernière guerre mondiale. En réalité, quand Hitler a pris le pouvoir, il l’a fait avec leur aval. Si une seule puissance impérialiste l’avait voulu, elle l’aurait immédiatement renversé car l’Allemagne nazie à sa naissance ne disposait d’aucune armée sérieuse, les accords de l’après première guerre mondiale ayant réduit celle-ci à la portion congrue.
Le fascisme est bel et bien une transformation interne du mode de domination bourgeoise qui passe à un nouveau degré d’oppression et d’exploitation et ce n’est pas un nouvel Etat. L’Etat allemand n’a pas changé sous Hitler et n’a pas tellement eu à changer les lois du pays, seulement à les appliquer ! La collaboration avec les partis et syndicats ouvriers réformistes s’est transformée en leur destruction systématique et toute forme d’organisation des travailleurs a été abolie. La destruction des Juifs elle-même reposait sur la question de la révolution prolétarienne en Europe. La population juive de l’Europe de l’Est et de Russie subissait une oppression particulière qui l’avait rendue sensible à la vague révolutionnaire qui avait parcouru l’Europe après la première guerre mondiale. Les classes dirigeantes du monde s’étaient fait la remarque que ces Juifs de Pologne ou de Hongrie étaient une gêne considérable avec la nouvelle déstabilisation à prévoir avec la crise de 1929. Hitler était loin d’être le seul à penser qu’il valait mieux se débarrasser des Juifs. Les bourgeoisies occidentales pensaient la même chose et Staline aussi ! Quant au mythe de la démocratie contre le fascisme, c’est l’inverse qui est vrai : c’est la démocratie bourgeoise qui s’est partout livrée au fascisme, en Italie comme en Allemagne, en France ou en Espagne, sans parler du Chili.

Mais revenons au fascisme tel qu’il s’est développé au Rwanda. Où voyez-vous la menace révolutionnaire, dirons certains ?

Cette question prouve à quel point l’histoire de ces pays d’Afrique a été occultée. Personne ne se souvient plus de la vague de révolutions qui a parcouru l’Afrique de 1988 à 1991. En 1988, c’est la révolte en Algérie qui amènera le pouvoir à faire massacrer sa jeune en octobre 1988 par l’armée et les forces spéciales avant de développer l’islamisme comme dérivatif et de lancer la guerre civile… contre les civils et non contre l’islamisme radical. Le fascisme « vert » a servi de prétexte au fascisme d’Etat se couvrant de bandes armées de soi-disant « autodéfense » qui ont tué autant que les armées dites islamistes, dont des groupes créés par le pouvoir lui-même. Donc l’Algérie a montré comment le fascisme était la réponse en 1991 à une situation, celle de la montée de la révolte ouvrière et de celle de la jeunesse, menaçant de se transformer en révolution. Le camp « démocratique », PAGS et UGTA puis FFS notamment, a réussi à détourner la révolution et le pouvoir a lancé ensuite la vague fasciste contre le peuple travailleur.

Le reste de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire au Gabon et du Mali au Niger, a connu aussi des mouvements révolutionnaires. Le cas le plus connu est la révolution qui a mené à la chute du dictateur malien Moussa Traore en 1991. Mais ce que la mémoire collective a retenu, c’est la mise en place du pouvoir d’un chef militaire, ATT, ou Toumani Touré, celui-là même qui vient d’être renversé.

Eh bien, le Rwanda a lui aussi connu sa révolution, un an avant, en 1990. Ce n’avait rien d’une révolte des Hutus contre les Tutsis, ni des Tutsis contre les Hutus. Non, Hutus et Tutsis étaient ensemble dans les rues de la capitale Kigali pour hurler leur haine du pouvoir dictatorial et corrompu de Habyarymana et de sa clique. La dictature avait longtemps été crainte car elle ne craignait pas d’éliminer ses opposants, d’arrêter et de torturer. Mais, pendant un an et demi, le peuple travailleur est descendu dans la rue et la dictature est devenue très craintive face à la moitié de la population du pays déferlant dans la capitale, conspuant les militaires et le pouvoir. La réponse, comme en Algérie et dans toute l’Afrique, celle conseillée par Mitterrand en chef de la françafrique : faire le dos rond, autoriser le mutipartisme, faire appel aux opposants au pouvoir, prétendre mettre en place la démocratie, puis, dès que les illusions ont ramené un peu de calme, préparer des bains de sang préventifs pour éviter que, la deuxième fois, la révolution soit radicale et prenne le pouvoir.
Et c’est l’Etat français qui a aidé à la formation militaire des milices fascistes rwandaise dans les camps militaires français au Rwanda. C’est elle qui les a financé et armé. C’est elle qui imprimé les passeports où, pour la première fois dans ce pays, étaient inscrits les mentions ethniques : hutu et tutsi, indispensables puisqu’il ne s’agit justement pas d’ethnies et qu’il y a des couples mixtes et, du coup, on ne reconnait pas un hutu d’un tutsi.

C’est la France de Mitterrand qui a acheté massivement les machettes du génocide. C’est la France qui a mis en place, dans son ambassade à Kigali, le gouvernement génocidaire. C’est elle qui l’a défendu au plan international. C’est qui, après la défaite de ce régime, a protégé ses assassins, leur a permis de se réfugier en république du Congo. Et c’est encore elle qui, là-bas, les a armés et financés pour y défendre ses intérêts, ce qui était l’un des objectifs de la France en s’implantant politiquement au Rwanda, cette porte du riche Congo, pays de toutes les ressources minières.

La « démocratie » française a bel et bien aidé les classes dirigeantes rwandaises à se débarrasser des réformistes qu’elle avait amené au pouvoir depuis les manifestations massives de 1990, dont la premier ministre elle-même.

La leçon du Rwanda, il n’y a pas que les peuples d’Afrique qui ne l’aient pas tiré. Ce sont les peuples du monde qui en ont besoin et l’ignorent : les classes dirigeantes qui présentent la face riante d’une relative démocratie peuvent, du jour au lendemain à la faveur d’une crise sociale et politique, se transformer en chiens sanglants du fascisme.
L’immense majorité des français ne croit pas son Etat capable de tels crimes et elle se trompe lourdement. Et il est indispensable, face à la crise actuelle qui frappe mondialement l’ensemble du système, de le savoir : les classes dirigeantes voient à nouveau dans le prolétariat une menace mortelle. Elles savent qu’elles vont faire chuter massivement le niveau de vie des peuples, casser le consensus qu’elles avaient elles-mêmes établi, détruire leur belle entente avec les syndicats, dégrader massivement le mode de vie de toute la population. Du coup, il leur est nécessaire de lever de nouvelles troupes fascistes et de susciter, pour cela, de nouvelles haines entre les parties du peuple travailleur.

En France, il est clair que cela prendra la forme d’une charge contre les Musulmans accusés, par des mensonges grossiers, d’être des suppôts de la dictature (la charia) et du terrorisme (voir Toulouse !).

Il devrait être évident que tous les partis de gauche et tous les syndicats devraient être vent debout contre cette opération de fascisation de la société française visant à monter les uns contre les autres deux parties du peuple travailleur, deux fractions des exploités.

Or il n’en est rien !

On a même du mal à voir une petite partie de l’extrême gauche se démarquer doucement de cette opération criminelle qu’elle voit seulement comme une opération politicienne en vue des élections et non d’une menace liée aux intérêts des classes dirigeantes face à la crise du système.

Deux nouveaux ouvrages

Rwanda, 6 avril 1994. Un attentat français ?

Bruno Boudiguet, journaliste et éditeur, est avant tout spécialiste du génocide des Tutsi rwandais. Il collabore régulièrement à la revue La Nuit rwandaise. Depuis dix ans, il milite pour la fin du système “françafrique”.

Françafrique 2012, la bombe à retardement

Michel Sitbon est avant tout connu pour être éditeur à L’Esprit frappeur depuis une quinzaine d’années, avec plus d’une centaine d’ouvrages sur des sujets sensibles et très divers. Il a dirigé la rédaction d’un journal d’informations générales, Maintenant, en 1995-96, dont l’objet principal était de dénoncer le scandale français au Rwanda. Il est l’auteur de Plaidoyer pour les sans-papiers et Un génocide sur la conscience en 1998, et de Mitterrand le cagoulard et 2 bis rue de Tourville en 2011.

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