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La défaite de la révolution espagnole et la confirmation de la conception marxiste de la nature de classe de l’Etat

lundi 3 septembre 2012, par Robert Paris

Ce qu’était le front populaire en Espagne en 1936 - La révolution prolétarienne en Espagne et ses ennemis mortels : non seulement le fascisme mais d’abord le front populaire et son allié, l’opportunisme d’extrême gauche

Et c’est le refus de la conception marxiste de l’Etat qui a conduit les dirigeants anarchistes tout droit dans l’enfer de la compromission et de la trahison

Signification historique du 19 juillet

(article écrit en août 1943 par Grandizo Muniz, dirigeant du trotskysme en Espagne)

Le 19 juillet 1936, les événements en Espagne ont confirmé de façon lumineuse la théorie marxiste de l’Etat. Une théorie sociologique prouve sa validité si les forces auxquelles elle se réfère produisent les dénouements historiques qu’elle avait prévus. En élaborant la leur, Engels et Marx ne purent tenir compte que d’expériences passées, avec des facteurs de classe différents. En se basant sur elles et sur les catégories économico-classistes contenues dans la société moderne, ils prévirent les effets et le dénouement qu’elles produiraient sur l’Etat.

Bien que limité à la catégorie de tentative révolutionnaire, la Commune de Paris donna des effets concordants avec la théorie marxiste de l’Etat. La révolution russe de 1917 la confirma pleinement. Le prolétariat, la plus grande des classes dépossédées et productrices de la société moderne, la seule qui ait tendance à croître continuellement avec la croissance des forces productives, doit, dans la lutte pour son émancipation, détruire l’Etat capitaliste et construire le sien, pour arriver, avec la disparition des classes, à celle de l’Etat. La révolution russe confirma historiquement la notion marxiste de l’Etat jusqu’au point où le temps et l’entrelacement de divers facteurs le permirent. Mais, en son sein, le Parti bolchevik agit comme facteur conscient du processus, en se proposant délibérément la destruction de l’Etat bourgeois et la construction d’un Etat prolétarien. Ce fut la première victoire de la conscience humaine sur le flux des événements, tumultueusement aveugle jusqu’alors.

La révolution espagnole a donné à la théorie marxiste de l’Etat une confirmation d’une valeur incomparablement plus grande. Les classes ou catégories sociales se sont comportées conformément à la théorie, sans qu’aucune organisation ou aucun parti n’influe sur son comportement spontané. Et au contraire, celles qui pouvaient être considérées comme des forces conscientes, les organisations ouvrières, déployèrent leur activité en sens contraire, en s’opposant à l’aboutissement du processus. Malgré elles, le mouvement ouvrit la voie dans le sens prévu par le marxisme et transforma, pour un moment du moins, les anarchistes, son adversaire invétéré, en son agent inconscient. Quand une loi existe, il ne sert à rien de l’ignorer ou de la nier, elle s’impose.

Lentement, mais inexorablement préparée par une très longue période historique, la crise la plus aigüe de la société espagnole des deux derniers siècles est apparue dans toute sa splendeur après la chute de la monarchie. Avec des intermittences et des va-et-vient, elle s’est agrandie continuellement jusqu’à l’éclatement de la guerre civile. Peu avant, s’était constitué le Front populaire, la plus formidable coalition connue jusqu’alors pour maintenir l’équilibre au sein de l’Etat bourgeois, entre les forces qui se rejettent. Le Front populaire comprenait les partis républicains, le Parti « socialiste », le Parti stalinien (sous étiquette « communiste ») et le POUM. Sans signer le pacte qui lui servait de base, la CNT-FAI l’appuya également. A la veille de la guerre civile, toutes les organisations ouvrières espagnoles connues par masses avaient les deux pieds bien ancrés dans la collaboration de classes, ou étaient à deux doigts de s’y précipiter. Aucune force – si on ne considère pas comme telle quelques militants sans moyens pour se faire entendre – ne travaillait consciemment pour la destruction de l’Etat capitaliste ni n’induisait le prolétariat à s’organiser pour organiser le sien. Les anarchistes auraient pu agir pour le premier point mentionné, mais ils ne le firent même pas. Le POUM, malgré son apparence marxiste, ne réussit jamais à sortir d’une politique de vacillements et de complaisances premièrement vis-à-vis du Front populaire lui-même, ensuite vis-à-vis de l’aile gauche de ce dernier. C’est sur cette limitation des organisations ouvrières les plus radicales que planait le Front populaire, comme un rapace gardien de la propriété et de l’Etat capitaliste, décidé à s’abattre sur les forces centrifuges qui prétendraient le détruire. Le prolétariat se trouvait enchaîné par ses propres organisations. Le processus prévu par la théorie marxiste de l’Etat ne disposait en faveur de son aboutissement que des tendances élémentaires manifestées par les secousses révolutionnaires du prolétariat.

Telle était la situation à la veille de la guerre civile. La bourgeoisie était convaincue, par l’expérience quotidienne, de la tendance profondément révolutionnaire des masses. Son existence en tant que classe était continuellement en danger. Les garanties que lui offrait le Front populaire ne lui inspiraient aucune confiance et ne lui offraient pas de conditions satisfaisantes de domination. Elle comprenait la réaction des masses qui avaient suivi le Front populaire parce que ce dernier leur avait été hypocritement présenté par ses dirigeants comme étant un Front unique révolutionnaire.

Malgré ses efforts et sa répression, le Front populaire n’arrivait pas à contenir les masses qui lui échappaient sans cesse en visant le socialisme. Lorsque les débordements révolutionnaires menaçaient la bourgeoisie, celle-ci, en laissant de côté ses disputes occasionnelles avec le Front populaire, se protégeait effrontément derrière lui, en l’utilisant comme fer de lance contre les masses. Une fois l’offensive révolutionnaire matée, la réaction recommençait à l’attaquer. Les réformistes – staliniens et socialistes – s’entêtaient à la convaincre que sa collaboration offrait de plus grandes garanties de stabilité pour la société capitaliste. La réaction, au contraire, n’était pas disposée à accepter son concours en permanence, parce que les événements lui prouvaient tous les jours que les masses se soumettaient aux idées pro-capitalistes de leurs dirigeants que dans la mesure où ceux-ci arrivaient à les tromper en se présentant comme socialistes et communistes. Pour qu’elles agissent consciemment en communistes, il suffisait que les masses comprennent que leurs dirigeants trahissaient les idées qu’ils prétendaient représenter. Jeu dangereux auquel la bourgeoisie ne pouvait s’exposer. De plus, le régime libéral parlementaire que promettait le Front populaire appartenait déjà au passé. (…) La promesse du Front populaire était utopique en soi : considérée en relation avec les masses et avec les possibilités de transformation révolutionnaire en Espagne et dans le monde, elle était démagogiquement réactionnaire. Le Front populaire voulait faire revenir la bourgeoisie à l’époque du libéralisme. Action aussi impossible et aussi antihistorique que celle d’une force qui, durant la révolution française, aurait proposé de substituer, au programme de la bourgeoisie contre la noblesse, un autre programme qui aurait essayé de faire revenir la féodalité décadente et corrompue à ses premiers temps, où elle exerçait une domination seigneuriale protectrice. Le Front populaire n’essayait pas de tromper la bourgeoisie, mais le prolétariat. La bourgeoisie savait parfaitement de quoi il s’agissait. Elle considérait le Front populaire comme un valet auquel elle cédait une fonction déterminante lorsqu’il était dangereux que le maître l’assume, aux moments des plus grandes effervescences révolutionnaires. Mais le maître ne pouvait être tranquille et satisfait que lorsqu’il occupait lui seul, et sans contrainte, la direction de l’Etat. Si les masses étaient un obstacle, il fallait écraser les masses.

De ce conflit naquirent le soulèvement militaire et la guerre civile. Les forces armées de l’Etat bourgeois s’insurgèrent contre l’Etat bourgeois, avec la protection que celui-ci, régi par le Front populaire, lui accorda. (…)

En Espagne s’affrontaient deux grandes tendances. L’une, bourgeoise, pour qui la solution au conflit social était sa dictature capitaliste, et l’autre, prolétarienne, dont le triomphe ne pouvait passer que par la révolution sociale. La solution intermédiaire était absolument impraticable. Rien que pour essayer de l’établir, il fallait enchaîner les masses et les maintenir dans l’exploitation dans le cadre de la propriété privée. C’est ce que prétendit le Front populaire. Mais en laissant à la bourgeoisie son système de propriété, elle finit inévitablement par s’imposer politiquement. C’est pour cela que le Front populaire sera considéré par l’histoire comme le principal responable du soulèvement militaire et de sa victoire finale.

Pour résoudre de façon révolutionnaire la question sociale, le prolétariat, en continuant l’offensive de février 1936, devait détruire de haut en bas la société bourgeoise et toutes ses institutions. Il devait détruire l’Etat en dissolvant toutes ses forces armées, ses tribunaux, ses parlements, en déclarant sa législation inexistante, en expropriant la bourgeoisie, les grands propriétaires terriens et le capital financier. Pour pouvoir le réaliser, le prolétariat et les paysans pauvres doivent s’armer eux-mêmes auparavant autant qu’il leur soit possible, ils doivent construire leurs propres organes démocratiques sur lesquels reposera leur pouvoir. C’est uniquement lorsque ces organes sont suffisamment développés et imprégnés de leur objectif révolutionnaire que le prolétariat peut prendre le pouvoir politique pour soi et détruire la société capitaliste. Le développement progressif de la lutte révolutionnaire aurait amené le prolétariat à détruire le gouvernement et le parlement du Front populaire, ultime rempart du capitalisme. Mais les masses étaient paralysées par les partis socialiste et stalinien, décidés à soutenir le capitalisme avec le front populaire. De façon différente, les anarchistes étaient également incapables de les orienter vers la prise du pouvoir. Une fois fermée l’issue pour le pôle révolutionnaire, le pôle bourgeois put prendre l’offensive en recherchant la sienne.

Les masses, bien que rejetées par le Front populaire, étaient décidées à disputer le terrain à la réaction. En s’armant en dépit du gouvernement, elles mirent en déroute les militaires sur la plus grande partie du territoire. En tout cas, là où elles purent, à un moment donné, s’approprier d’un minimum d’armes. Le résultat des journées du 19 juillet et des suivantes fut la destruction complète de l’Etat bourgeois. Le gouvernement « légal » - ou les gouvernements en tenant compte de la Catalogne et plus tard de l’Euzkadi (du Pays basque) – ne représentaient rien et n’avaient pratiquement aucun pouvoir réel. La défait des corps armés bourgeois grâce à l’activité du prolétariat et des paysans, était automatiquement liée à la disparition de l’Etat bourgeois. Formidable révélation de ce qu’est l’Etat bourgeois à des époques révolutionnaires. En voyant ses corps de répression désarmés, la bourgeoisie disparaît.

Parallèlement, l’Espagne se remplit de Comités formés par des ouvriers, des paysans et des miliciens qui exerçaient le pouvoir politique, exécutaient la justice contre les réactionanires, expropriaient la bourgeoisie, patrouillaient dans les rues et sur les routes. N’importe lequel de ces comités avait plus de pouvoir réel que le fameux « gouvernement légal » du Front populaire. Car il n’y pas d’autre légalité que celle que sanctionnent les événements historiques. La mensongère théorie démocratico-bourgeoise soutenue par le Front populaire apparaissait dans toute sa splendeur. Le processus historique – sans qu’aucun facteur conscient ne l’aide, nous insistons – détruisit l’Etat bourgeois, en créant simultanément les cellules d’un nouvel Etat prolétarien. Le Front populaire fut surpris en flagrant délit d’action antihistorique. Et tout ce qui est antihistorique est, à des degrés divers, contre-révolutionnaire. (…)

Le pouvoir qu’avait perdu le gouvernement bourgeois du Front populaire, les comités le détenaient mais distribué inégalement. (…) Prolétariat et paysans étaient conscients de leur pouvoir local, mais il leur manquait la conscience de la nécessité de coordonner leur pouvoir nationalement. De son côté, durant les premières semaines, le gouvernement bourgeois n’eut pas la capacité et la volonté de lutter contre le pouvoir ouvrier naissant. (…)

Sans même qu’intervienne un quelconque facteur conscient, la théorie marxiste de l’Etat fut pleinement confirmée. La défaite de la bourgeoisie est inséparable de la destruction de son Etat, et la victoire du prolétariat inséparable de la création du sien. Même dans les pires conditions imaginables, l’histoire a démontré que la théorie marxiste n’est pas une invention utopique mais la conscience d’une réalité matérielle déterminée par le mécanisme de transformation de la société capitaliste en société socialiste. La supériorité énorme du marxisme sur l’anarchisme est sa connaissance de ce mécanisme, ce qui permet d’aider le développement historique donné par l’évolution matérielle. (…)

Les militants anarchistes furent les premiers à prendre l’initiative de la formation des comités, qui automatiquement se transformèrent en gouvernements locaux. La Catalogne fut la région où ils dominèrent le plus complètement. Leur poids social et le manque d’organisations « ouvrières » fortes qui aient pu travailler de façon préméditée à leur destruction, comme le faisaient staliniens et socialistes dans le reste de l’Espagne, conduisirent à la formation du Comité central des milices. Tout le pouvoir était concentré entre ses mains. Les armes étaient aux mains des ouvriers qui patrouillaient assidûment à l’arrière. Dans le comité central des milices se condensait, de façon imparfaite, le pouvoir ouvrier et paysan distribué dans les comités de Catalogne et des contrées récupérées d’Aragon. Durant les premières semaines, le Comité central des milices peut être considéré comme un bourgeon rudimentaire de dictature du prolétariat. Les comités de base de la CNT étaient les agents les plus nombreux et actifs de la dictature du prolétariat, même s’ils prétendent le nier ou l’ignorer. (…) Le processus prévu par la théorie marxiste s’imposa aux militants anarchistes eux-mêmes. Tant qu’ils ne capitulèrent pas devant la Generalitat, ils se comportèrent – mis à part leurs agissements aveugles – en marxistes et non en anarchistes, il n’agirent pas conformément aux notions antiétatiques, mais en effectuant les premiers pas de la dictature du prolétariat préconisée par le marxisme ; ils se comportèrent politiquement et non apolitiquement. (…)

Mais la conscience de la pratique est décisive lors de la période critique de la révolution. Elle faisait défaut aux anarchistes. En ayant entre les mains un Etat ouvrier qu’il fallait tout simplement mieux structurer, en établissant une relation démocratique entre les mases et les comités, entre ces derniers et le Comité central des milices, les anarchistes, humblement suivis par le POUM, décidèrent de donner corps au squelette de l’Etat bourgeois. Le Comité central des milices devint le gouvernement de la Generalitat. Par cet acte, ils jetèrent la révolution dans un piège immense d’où résulta la défaite des masses aux mains de l’Etat bourgeois recomposé ; de cette défaite des masses résulta la victoire de Franco.

La même chose eut lieu sur le reste du territoire, même si les comités-gouvernement (embryons d’Etat ouvrier – note VDT) n’arrivèrent jamais à avoir la même importance qu’en Catalogne, à cause de l’opposition préméditée des staliniens et de socialistes. Lorsque le gouvernement Caballero était en train de liquider complètement les comités, les dirigeants anarchistes s’incorporèrent au gouvernement. (…) Ils glissèrent jusqu’à la collaboration avec l’Etat bourgeois, le pire ennemi de la révolution sociale. Sans aucun doute, si les anarchistes avaient essayé d’appliquer consciemment la théorie marxiste de l’Etat, ils auraient pu y arriver facilement. Les masses l’avaient déjà appliquée de manière rudimentaire. Pour vaincre la résistance des socialistes et de staliniens, il aurait suffi que les masses comprennent qu’ils sabotaient leur pouvoir naissant. Les « circonstances exceptionnelles », l’argument avec lequel les anarchistes ont tenté de justifier leur politique, n’est qu’un bégaiement ridicule. C’est précisément lors de circonstances exceptionnelles que l’on peut appliquer les idées révolutionnaires. Devant l’alternative de lutter pour un Etat ouvrier ou de s’incorporer à l’Etat bourgeois, les anarchistes choisirent la deuxième voie. La seule explication sérieuse de leur comportement, ce sont leurs idées qui les empêchaient de voir la différence entre l’Etat d’une ou de l’autre classe, et comprendre la nécessité de la prise du pouvoir par le prolétariat. En ajoutant une expérience de plus aux précédentes, le mouvement en Espagne montre que l’apolitisme se transforme facilement, dans « les circonstances exceptionnelles » de la révolution, en politique bourgeoise.

(…) Tant que le prolétariat fut armé et les restes des corps de répression de la bourgeoisie furent défaits, ni le stalinisme ni la social-démocratie n’osèrent ouvrir la bouche pour dire qu’il fallait détruire les comités, renforcer l’Etat moribond, arrêter les expropriations et combattre en général toutes les mesures révolutionnaires qui niaient la théorie de la « démocratie d’un type nouveau ». La première préoccupation du « gouvernement de la victoire » devait consister à se procurer la force armée, pour désarmer les ouvriers. Poussé par le stalinisme, Largo Caballero initia de nouveaux recrutements pour la Guardia civil, la Guardia de Asalto et les Carabineros, maquillées sous le nom de Guadia Nacional de Seguridad (Garde nationale de sécurité).

Quand le gouvernement se crut assez fort, commença l’offensive pour désarmer les prolétaires et les paysans et liquider les conquêtes socialistes. En réalité, les contre-révolutionnaires staliniens et socialistes n’étaient forts que parce qu’ils étaient sûrs que les anarchistes et le POUM ne prendraient aucune mesure pour les en empêcher. Si une de ces deux organisations, ou les deux, après avoir dénoncé ce qui se préparait, avait appelé les masses à détruire les restes de l’Etat et les institutions bourgeoises et à concentrer tout le pouvoir politique entre leurs mains, la manœuvre du « gouvernement de la victoire » aurait échoué et la révolution aurait suivi le cours que l’histoire déterminait.

Mais la manœuvre stalino-socialiste réussit grâce à la collaboration des anarchistes et du POUM. L’Etat bourgeois eut les armes pour vaincre les ouvriers et les désarmer. Alors, fin 1936, le gouvernement dévoila publiquement son jeu. Notre guerre n’était pas une guerre civile, mais une « guerre d’indépendance nationale ». Dans notre zone, on n’aspirait pas à la révolution sociale mais à une « démocratie d’un type nouveau », c’est-à-dire à la société bourgeoise. (…)

Si les théories de la « démocratie d’un type nouveau » et de l’ « indépendance nationale » avaient correspondu réellement à la situation et au développement requis par les conditions matérielles de l’Espagne et du monde, le résultat de la défaite des militaires aurait dû être un renforcement du gouvernement qui prétendait représenter cette démocratie, et du parlementarisme, son expression. (…)

Staliniens et socialistes avaient de puissants intérêts à défendre contre le triomphe du prolétariat. Les premiers parce qu’ils étaient liés à la bureaucratie qui dirige la contre-révolution en URSS ; les seconds parce qu’ils sont depuis 1914 l’appendice de « gauche » de la société bourgeoise. (…)

La révolution espagnole a manifesté son caractère socialiste de façon plus puissante et sans équivoque possible que la révolution russe. Kérenski avait plus de force que la Generalitat, que Giral et Caballero au début. Les soviets étaient moins généralisés en Russie que les comités en Espagne. Là-bas, ils trouvèrent leur impulsion à travers l’œuvre consciente des bolcheviks, alors qu’en Espagne, le pouvoir tomba automatiquement entre leurs mains, parce que les conditions matérielles et les événements poussaient dans un sens socialiste.

En Russie, la propriété fut arrachée à la bourgeoisie grâce à l’initative du pouvoir bolchevik plus que par celle des masses ; en Espagne, les masses elles-mêmes s’emparèrent de la propriété et la disputèrent au gouvernement lorsque celui-ci commença à restituer des propriétés à la bourgeoisie et à les prendre en charge dans l’attente de les restituer. Seuls des gens de mauvaise foi ou des crétins incurables peuvent nier ces traits de notre révolution. Mais nous avons, en plus, le résultat de la guerre.

Il est fréquent, surtout chez les staliniens et les socialistes, de distribuer la responabilité de notre défaite entre l’aide de l’Italie et l’Allemagne à Franco, et la « non-intervention » des démocraties. Si la bourgeoisie mondiale, fasciste et démocratique, fit tout pour donner la victoire à Franco, les gouvernements de front populaire n’en firent pas moins, particulièrement le gouvernement Negrin. (…)

Le jour où Negrin put déclarer qu’il maintenait en Espagne un ordre plus sévère que n’importe quel gouvernement durant les cinquante dernières années, le triomphe de Franco était assuré. L’ordre bourgeois est toujours, inévitablement, synonyme de contre-révolution.
En somme, en s’imposant aux forces armées bourgeoises, les masses espagnoles firent irruption dans la révolution sociale. En l’ordonnant et à la développant consciemment, elles auraient acquis leur capacité maximale dans tous les domaines : militaire, économique, pour ce qui concerne la discipline et la solidarité ; elles auraient écrasé l’arrière-garde de Franco. Mais les stalino-socialistes imposèrent aux masses une marche arrière, une réadaptation au capitalisme qui déarticula et rompit finalement la magnifique impulsion du prolétariat. (…)

Edité par le groupe trotskyste espagnol au Mexique en août 1943 et publié en France dans un recueil des œuvres choisies de Grandizo Munis par Ni patrie ni frontières

La révolution du 19 juillet 1936 en Espagne

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