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Le fétichisme de l’Etat

samedi 20 août 2022, par Robert Paris

Antonio Labriola

L’État fétiche

Si l’on fait abstraction de quelques courts moments critiques dans lesquels les classes sociales, par suite d’une incapacité extrême à se tenir par adaptation dans une condition d’équilibre relatif, entrent dans une crise d’anarchie plus ou moins prolongée, et exception faite de ces catastrophes dans lesquelles tout un monde disparaît, comme à la chute de l’empire romain d’occident ou à la dissolution du Khalifat, depuis qu’on a une histoire écrite, l’État apparaît non seulement comme le faîte de la société, mais encore comme son soutien. Le premier pas que la pensée naïve ait fait dans cet ordre de considérations est dans cet énoncé : ce qui gouverne est aussi ce qui crée.

Si on excepte en outre quelques courtes périodes de démocratie exercée avec une vive conscience de la souveraineté populaire, comme ce fut le cas de quelques cités grecques et particulièrement d’Athènes, et de quelques communes italiennes et spécialement de Florence, (celle-là cependant se composait d’hommes libres propriétaires d’esclaves, celle-ci de citoyens privilégiés qui exploitaient les étrangères et les paysans) la société organisée en État fut toujours composée d’une majorité à la merci d’une minorité. Et ainsi la majorité des hommes est apparue dans l’histoire comme une masse soutenue, gouvernée, guidée, exploitée, et maltraitée, ou du moins comme une conglomération bariolée d’intérêts que quelques-uns devaient gouverner en maintenant en équilibre les divergences, soit par pression soit par compensation.

De là nécessité d’un art du gouvernement, et comme avant toute chose c’est ce qui frappe ceux qui étudient la vie collective, il était naturel que la politique apparut comme l’auteur de l’ordre social et comme le signe de la continuité dans la succession des formes historiques. Qui dit politique, dit activité qui jusqu’à un certain point se déploie dans un sens voulu, jusqu’au moment tout ou moins où les calculs viennent se heurter à des résistances inconnues ou inattendues. En prenant, comme le suggérait une expérience imparfaite, pour auteur de la société l’État, et pour auteur de l’ordre social la politique, il en découlait que les historiens narrateurs ou raisonneurs étaient portés à placer l’essentiel de l’histoire dans la succession des formes, des institutions et des idées politiques.

D’où l’État tirait-il son origine, où se trouvait la base de sa permanence, cela n’importait pas comme cela n’importe pas au raisonnement courant. Les problèmes d’ordre génétique naissent comme on le sait assez tard. L’État est et il trouve sa raison d’être dans sa nécessité actuelle ; cela est si vrai que l’imagination n’a pas pu s’adapter à l’idée qu’il n’avait pas toujours été, et qu’elle en a prolongé l’existence conjecturale jusqu’aux premières origines du genre humain. Ce furent des dieux ou des demi-dieux ou des héros qui instituèrent dans la Mythologie du moins, de même que dans la Théologie médiévale le Pape est la source première et partant divine et perpétuelle de toute autorité. Même de notre temps des voyageurs inexpérimentés et des missionnaires imbéciles trouvent l’État là même où comme chez les sauvages et les barbares il n’y a que la gens ou la tribu des gentes ou l’alliance des gentes.

Deux choses ont été nécessaires pour que ces préjugés du raisonnement fussent vaincus. En premier lieu il a fallu reconnaître que les fonctions de l’État naissent, augmentent, diminuent, s’altèrent, et se succèdent avec les variations de certaines conditions sociales. En second lieu il a fallu que l’on arrivât à comprendre que l’État existe et se maintient en tant qu’il est organisé pour la défense de certains intérêts déterminés, d’une partie de la société contre tout le restant de la société elle-même, qui doit être faite de telle sorte dans son ensemble que la résistance des sujets, des maltraités, des exploités, ou se perde dans de multiples frottements ou trouve un tempérament dans les avantages partiels, bien que misérables des opprimés eux-mêmes. La politique, cet art si miraculeux et si admiré, se ramène ainsi à une formule très simple : appliquer une force ou un système de forces à un ensemble de résistances.

Le premier pas et le plus difficile est fait quand on a réduit l’État aux conditions sociales dont il tire son origine. Mais ces conditions ont été ensuite précisées par la théorie des classes, dont la genèse est dans la manière des différentes occupations, étant donné la distribution du travail, c’est-à-dire étant donné les rapports qui lient les hommes dans une forme de production déterminée.

Dès lors le concept de l’État a cessé de représenter la cause directe du mouvement historique comme auteur présumé de la société parce qu’on a vu que dans chacune de ses formes et de ses variations il n’est pas autre chose que l’organisation positive et forcée d’une domination de classe déterminée, ou d’une accommodation déterminée de classes différentes. Et puis par une conséquence ultérieure de ces prémisses, on est arrivé enfin à reconnaître que la politique, comme art d’agir dans un sens voulu, est une partie assez petite du mouvement total de l’histoire, et qu’elle n’est qu’une faible partie de la formation et du développement de l’État lui-même, dans lequel beaucoup de choses, c’est-à-dire beaucoup de relations naissent et se développent par accommodation nécessaire, par consentement tacite, par violence subie ou tolérée. Le règne de l’inconscient, si l’on entend par là ce qui n’est pas voulu par libre choix, mais ce qui se détermine et se fait par la succession des habitudes, des coutumes, des accommodations, etc., est devenu très considérable dans le domaine des connaissances qui forme l’objet des sciences historiques, et la politique, qui avait été prise comme une explication, est devenue elle-même une chose à expliquer.

Gloses marginales au programme du Parti Ouvrier allemand

Karl Marx

extrait :

On peut lire dans le programme de Gotha de la social-démocratie allemande :

« Le Parti ouvrier allemand réclame, pour PREPARER LES VOIES A LA SOLUTION DE LA QUESTION SOCIALE , l’établissement de sociétés de production avec L’AIDE DE L’ETAT, SOUS LE CONTRÔLE DEMOCRATIQUE DU PEUPLE DES TRAVAILLEURS . Les sociétés de production doivent être suscitées dans l’industrie et l’agriculture avec une telle ampleur QUE L’ORGANISATION SOCIALISTE DE L’ENSEMBLE DU TRAVAIL EN RESULTE . »

Après la « loi d’airain du salaire » de Lassalle, la panacée du prophète. D’une manière digne on « prépare les voies ». On remplace la lutte des classes existante par une formule creuse de journaliste : la « question sociale » , à la « solution » de laquelle on « prépare les voies ». Au lieu de découler du processus de transformation révolutionnaire de la société, « l’organisation socialiste de l’ensemble du travail résulte » de « l’aide de l’Etat », aide que l’Etat fournit aux coopératives de production que lui-même (et non le travailleur) a « suscitées » . Croire qu’on peut construire une société nouvelle au moyen de subventions de l’Etat aussi facilement qu’on construit un nouveau chemin de fer, voilà qui est bien digne de la présomption de Lassalle !

Par un reste de pudeur, on place « l’aide de l’Etat »... sous le contrôle démocratique du « peuple des travailleurs ».

Tout d’abord, le « peuple des travailleurs », en Allemagne, est composé en majorité de paysans et non de prolétaires.

Ensuite, demokratisch est mis pour l’allemand volksherrschaftlich. Mais alors que signifie le « contrôle populaire et souverain (volksherrschaftliche Kontrolle) du peuple des travailleurs » ? Et cela, plus précisément pour un peuple de travailleurs qui, en sollicitant l’Etat de la sorte, manifeste sa pleine conscience qu’il n’est ni au pouvoir, ni mûr pour le pouvoir !

Quant à faire la critique de la recette [1] que prescrivait Buchez [2] sous Louis-Philippe par opposition aux socialistes français et que reprirent les ouvriers réactionnaires de l’Atelier [3], il est superflu de s’y arrêter. Aussi bien, le pire scandale n’est-il pas que cette cure miraculeusement spécifique figure dans le programme, mais que, somme toute, on abandonne le point de vue de l’action de classe pour retourner à celui de l’action de secte.

Dire que les travailleurs veulent établir les conditions de la production collective à l’échelle de la société et, chez eux, pour commencer, à l’échelle nationale, cela signifie seulement qu’ils travaillent au renversement des conditions de production d’aujourd’hui ; et cela n’a rien à voir avec la création de sociétés coopératives subventionnées par l’Etat. Et pour ce qui est des sociétés coopératives [4] actuelles, elles n’ont de valeur qu’autant qu’elles sont des créations indépendantes aux mains des travailleurs et qu’elles ne sont protégées ni par les gouvernements, ni par les bourgeois.

Notes

[1] Recette des sociétés coopératives de production avec l’aide de l’Etat.

[2] Buchez, (1796-1865) : Historien français et publiciste. Vers 1840-1850, Il fut le chef du « socialisme » catholique français, opposant au mouvement ouvrier révolutionnaire, croissant à cette époque, le projet de création de coopératives de producteurs avec l’aide de l’Etat.

[3] Premier journal ouvrier français. Réactionnaire. Parut de 1840 à 1848.

[4] Voir à ce sujet l’Adresse inaugurale de l’A.I.T.

A.- « Libre fondement de l’Etat ».

Tout d’abord, d’après ce qu’on a vu au chapitre Il, le Parti ouvrier allemand cherche à réaliser l’« Etat libre ».

L’Etat libre, qu’est-ce à dire ?

Faire l’Etat libre, ce n’est nullement le but des travailleurs qui se sont dégagés de la mentalité bornée de sujets soumis. Dans l’Empire allemand, I’« Etat » est presque aussi « libre » qu’en Russie. La liberté consiste à transformer l’Etat, organisme qui est mis au-dessus de la société, en un organisme entièrement subordonné à elle, et même de nos jours les formes de l’Etat sont plus ou moins libres ou non libres selon que la « liberté de l’Etat » s’y trouve plus ou moins limitée. Le Parti ouvrier allemand - du moins s’il fait sien ce programme montre que les idées socialistes ne sont pas même chez lui à fleur de peau ; au lieu de traiter la société présente (et cela vaut pour toute société future) comme le fondement de l’Etat présent (ou futur pour la société future), on traite au contraire l’Etat comme une réalité indépendante, possédant ses propres fondements intellectuels, moraux et libres.

Et maintenant, pour combler la mesure, quel horrible abus le programme ne fait-il pas des expressions « Etat actuel », « société actuelle » et quel malentendu, plus horrible encore, ne crée-t-il pas au sujet de l’Etat auquel s’adressent ses revendications !

La « société actuelle », c’est la société capitaliste qui existe dans tous les pays civilisés, plus ou moins expurgés d’éléments moyenâgeux, plus ou moins modifiée par l’évolution historique particulière à chaque pays, plus ou moins développée. L’ « Etat actuel », au contraire, change avec la frontière. Il est dans l’Empire prusso-allemand autre qu’en Suisse, en Angleterre autre qu’aux Etats-Unis. L’ « Etat actuel » est donc une fiction.

Cependant, les divers Etats des divers pays civilisés, nonobstant la multiple diversité de leurs formes, ont tous ceci de commun qu’ils reposent sur le terrain de la société bourgeoise moderne, plus ou moins développée au point de vue capitaliste. C’est ce qui fait que certains caractères essentiels leur sont communs. En ce sens, on peut parler d’« Etat actuel » pris comme expression générique. Par contraste avec l’avenir où la société bourgeoise, qui lui sert à présent de racine, aura cessé d’exister.

Dès lors, la question se pose : quelle transformation subira l’Etat dans une société communiste ? Autrement dit quelles fonctions sociales s’y maintiendront analogues aux fonctions actuelles de l’Etat ? Seule la science peut répondre à cette question ; et ce n’est pas en accouplant de mille manières le mot Peuple avec le mot Etat qu’on fera avancer le problème d’un saut de puce.

Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la période de transformation révolutionnaire de celle-là en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l’Etat ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat [1].

Le programme n’a pas à s’occuper, pour l’instant, ni de cette dernière, ni de l’Etat futur dans la société communiste.

Ses revendications politiques ne contiennent rien de plus que la vieille litanie démocratique connue de tout le monde : suffrage universel, législation directe, droit du peuple, milice populaire, etc. Elles sont simplement l’écho du Parti populaire bourgeois [2], de la Ligue de la paix et de la liberté. Rien de plus que des revendications déjà réalisées, pour autant qu’elles ne sont pas des notions entachées d’exagération fantastique. Seulement, l’Etat qui les a réalisées, ce n’est nullement à l’intérieur des frontières de l’Empire allemand qu’il existe, mais en Suisse, aux Etats-Unis, etc. Cette espèce d’ « Etat de l’avenir », c’est un Etat bien actuel, encore qu’il existe hors du « cadre » de l’Empire allemand.

Mais on a oublié une chose. Puisque le Parti ouvrier allemand déclare expressément se mouvoir au sein de l’« Etat national actuel », donc de son propre Etat, l’empire prusso-allemand, - sinon ses revendications seraient en majeure partie absurdes, car on ne réclame que ce qu’on n’a pas, -le Parti n’aurait pas dû oublier le point capital, à savoir toutes ces belles petites choses impliquent la reconnaissance de ce qu’on appelle la souveraineté du peuple, et ne sont donc à leur place que dans une république démocratique.

Puisqu’on n’ose pas - et on fait bien de s’abstenir, car la situation commande la prudence, - réclamer la République démocratique, comme le faisaient, sous Louis-Philippe et Louis-Napoléon, les ouvriers français dans leurs programmes, il ne fallait pas non plus recourir à cette supercherie aussi peu « honnête » que respectable qui consiste à réclamer des choses qui n’ont de sens que dans une République démocratique, à un Etat qui n’est qu’un despotisme militaire, à armature bureaucratique et à blindage policier, avec un enjolivement de formes parlementaires, avec des mélanges d’éléments féodaux et d’influences bourgeoises et, par-dessus le marché, à assurer bien haut cet Etat, que l’on croit pouvoir lui imposer pareilles choses « par des moyens légaux ».

La démocratie vulgaire elle-même, qui, dans la République démocratique, voit l’avènement du millénaire et qui ne soupçonne nullement que c’est précisément sous cette dernière forme étatique de la société bourgeoise que se livrera la suprême bataille entre les classes, la démocratie elle-même est encore à cent coudées au-dessus d’un démocratisme de cette sorte, confiné dans les limites de ce qui est autorisé par la police et prohibé par la logique.

Que par « Etat » l’on entende, en fait, la machine gouvernementale, ou bien l’Etat en tant que constituant par suite de la division du travail un organisme propre, séparé de la société c’est déjà indiqué par ces mots : « Le Parti ouvrier allemand réclame comme base économique de l’Etat un impôt unique et progressif sur le revenu, etc. ». Les impôts sont la base économique de la machinerie gouvernementale, et de rien d’autre. Dans l’Etat de l’avenir, tel qu’il existe en Suisse, cette revendication est passablement satisfaite. L’impôt sur le revenu suppose des sources de revenu différentes de classes sociales différentes, donc la société capitaliste. Par conséquent, il n’y a rien de surprenant si les financial reformers de Liverpool, - des bourgeois ayant à leur tête le frère de Gladstone [3], - formulent la même revendication que le programme.
B.- Le Parti ouvrier allemand réclame comme base intellectuelle et morale de l’Etat :
1.- EDUCATION GENERALE, LA MEME POUR TOUS, DU PEUPLE par l’Etat. Obligation scolaire pour tous, instruction gratuite.

Education au peuple, la même pour tous ? Qu’est-ce qu’on entend par ces mots ? Croit-on que, dans la société actuelle. (et l’on n’a à s’occuper que d’elle), l’éducation puisse être la même pour toutes les classes ? Ou bien veut-on réduire par la force les classes supérieures à ne recevoir que cet enseignement restreint de l’école primaire, seul compatible avec la situation économique non seulement des ouvriers salariés, mais encore des paysans ?

« Obligation scolaire pour tous. Instruction gratuite ». La première existe même en Allemagne, la seconde en Suisse et aux Etats-Unis pour les écoles primaires. Si, dans certains Etats de ce dernier pays, des établissements d’enseignement supérieur sont également « gratuits », cela signifie seulement qu’en fait ces Etats imputent sur les chapitres du budget général les dépenses scolaires des classes supérieures. Incidemment, il en va de même de cette « administration gratuite de la justice », réclamée à l’article 5. La justice criminelle est partout gratuite ; la justice civile roule presque uniquement sur des litiges de propriété et concerne donc, presque uniquement, les classes possédantes. Vont-elles soutenir leurs procès aux frais du trésor public ?

Le paragraphe relatif aux écoles aurait dû tout au moins exiger l’adjonction à l’école primaire d’écoles techniques (théoriques et pratiques).

Une « éducation du peuple par l’Etat » est chose absolument condamnable. Déterminer par une loi générale les ressources des écoles primaires, les aptitudes exigées du personnel enseignant, les disciplines enseignées, etc., et, comme cela se passe aux Etats-Unis, surveiller, à l’aide d’inspecteurs d’Etat, l’exécution de ces prescriptions légales, c’est absolument autre chose que de faire de l’Etat l’éducateur du peuple ! Bien plus, il faut proscrire de l’école au même titre toute influence du gouvernement et de l’Eglise. Bien mieux, dans l’Empire prusso-allemand (et qu’on ne recoure pas à cette échappatoire fallacieuse de parler d’un certain « Etat de l’avenir » nous avons vu ce qu’il en est), c’est au contraire l’Etat qui a besoin d’être éduqué d’une rude manière par le peuple.

D’ailleurs, tout le programme, en dépit de tout son drelindrelin démocratique, est d’un bout à l’autre infecté par la servile croyance de la secte lassallienne à l’Etat ou, ce qui ne vaut pas mieux, par la croyance au miracle démocratique ; ou plutôt c’est un compromis entre ces deux sortes de foi au miracle, également éloignées du socialisme.

« Liberté de la science », dit un paragraphe de la Constitution prussienne. Pourquoi alors ici ?

« Liberté de conscience ! » Si on voulait, par ces temps de Kulturkampf [4], rappeler au libéralisme ses vieux mots d’ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme : « chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Mais le Parti ouvrier avait là, l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau « bourgeois ».

Me voici à la fin, car l’appendice qui accompagne le programme n’en constitue pas une partie caractéristique. Aussi serai-je ici très bref.
2.- Journée normale de travail.

En aucun autre pays, le parti ouvrier ne s’en est tenu à une revendication aussi imprécise, mais toujours il assigne à la journée de travail la durée qu’il considère comme normale, compte tenu des circonstances.
3.- Limitation du travail des femmes et interdiction du travail des enfants.

La réglementation de la journée de travail doit impliquer déjà la limitation du travail des femmes, pour autant qu’elle concerne la durée, les pauses, etc., de la journée de travail ; sinon cela ne peut signifier que l’exclusion des femmes des branches d’industrie qui sont particulièrement préjudiciables à leur santé physique où contraires à la morale au point de vue du sexe. Si c’est ce qu’on avait en vue, il fallait le dire.

« Interdiction du travail des enfants ! » : il était absolument indispensable d’indiquer la limite d’âge.

Une interdiction générale du travail des enfants est incompatible avec l’existence même de la grande industrie ; elle n’est donc qu’un vœu naïf et sans portée. La réalisation - si elle était possible - serait réactionnaire, car une étroite réglementation du temps de travail selon les âges étant assurée, ainsi que d’autres mesures de protection des enfants, le fait de combiner de bonne heure le travail productif avec l’instruction est un des plus puissants moyens de transformation de la société actuelle.
4.- Surveillance par l’Etat du travail dans les fabriques, les ateliers et à domicile.

Etant donné l’Etat prusso-allemand, il fallait incontestablement demander que les inspecteurs ne fussent révocables que par les tribunaux ; que tout ouvrier pût les déférer à la justice pour manquement à leurs devoirs ; qu’ils fussent pris dans le corps médical.
5.- Réglementation du travail dans les prisons.

Revendication mesquine dans un programme général ouvrier. Quoi qu’il en soit, il fallait dire clairement qu’on n’entend pas que les criminels de droit commun, par crainte de leur concurrence, soient traités comme du bétail et qu’on n’a pas l’intention de leur retirer ce qui est précisément leur unique moyen d’amendement, le travail productif. C’était bien le moins qu’on dût attendre de socialistes.
6.- Une loi efficace sur la responsabilité [5].

Il fallait dire ce qu’on entend par une loi « efficace » sur la responsabilité.

Remarquons en passant qu’à propos de la journée normale du travail, on a oublié la partie de la législation des fabriques qui concerne les règlements sur l’hygiène et les mesures à prendre contre les risques, etc. La loi sur la responsabilité entre en application dès que ces prescriptions sont violées.

Bref, cet appendice se distingue également par sa rédaction boiteuse.

Dlxi et salvavi animam meam [6].

Notes

[1]Déjà en 1852, Marx écrit, dans une lettre à Wiedemeyer, que « la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat ».

[2]Le Parti populaire allemand ou Parti démocrate. fondé en 1865, groupait la petite bourgeoisie des petits et moyens Etats d’Allemagne. Elle s’opposait à la politique bismarckienne en revendiquant la création d’une République démocratique.

[3]Gladstone (1809-1898) : Homme d’Etat anglais, chef de la bourgeoisie libérale.

[4]Après 1870, Bismarck, sous le nom de kulturkampf, mènera l’offensive contre le parti catholique allemand, le parti du « Centre », au moyen de persécutions policières.

[5]En matière d’accidents.

[6]J’ai dit et j’ai sauvé mon âme.

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