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Un souvenir de la guerre de 14 : la mutinerie de La Courtine

vendredi 4 janvier 2013, par Robert Paris

Le tsar de Russie propose à son allié français de lui fournir des hommes contre l’armement lourd qui lui fait défaut. 40.000 russes prennent ainsi la mer vers la France.

Au printemps 1917, pendant l’offensive du chemin des dames, 100.000 soldats français viennent mourir en quelques jours au pied des lignes allemandes. A leur tour, les russes sont envoyés au massacre (avec les troupes coloniales que l’armée française a amenée en renfort).

Les russes apprennent par le journal clandestin Natcholo que, pendant qu’ils meurent en une lointaine terre étrangère, une révolution se déroule chez eux.

Alors qu’ils sont repliés sur Neufchâteau, ils refusent de retourner au front et exigent de rentrer en Russie.

Pour éviter la contagion dans ses propres rangs, l’état-major français décide qu’il conviendrait d’isoler rapidement ces troupes russes contaminées par la rébellion. En juin 1917, le ministère de la guerre ordonne alors le déplacement des troupes russes au camp militaire de La Courtine, en Creuse.

Là, les russes refusent de rendre leurs fusils qu’ils emmènent dans le camp, expulsent leurs officiers et forment des soviets de soldats. Ils réaffirment que tout ce qu’ils veulent est leur retour en Russie. L’état major français rassemble alors 5500 soldats français, 3100 soldats russes loyalistes, et fait encercler le camp.

En septembre 1917, il donne l’ordre d’ouvrir le feu. Le premier cercle, les loyalistes russes, tire à la mitrailleuse sur les mutins russes encerclés. Derrière eux, l’artillerie française écrase le camp pendant 2 jours sous 800 obus de 75mm.

Quand le feu cesse, les délégués des soviets de soldats rescapés sont immédiatement fusillés. Les autres mutins sont condamnés aux travaux forcés et déportés dans les colonies africaines de la France.

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Le récit de Didier Daeninckx

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Léon Trotsky :

Le 1er régiment, qui avait été formé à Moscou et se composait presque entièrement d’ouvriers, de commis et employés de magasin, en général d’éléments prolétariens et à demi prolétariens, était arrivé le premier sur la terre de France, un an auparavant et, pendant l’hiver, avait combattu sur le front champenois. Mais " la maladie de la décomposition atteignit avant tout ce régiment même ". Le 2e régiment, qui avait dans ses rangs un fort pourcentage de paysans, garda son calme plus longtemps. La 2e brigade, presque entièrement composée de paysans sibériens, semblait tout à fait sûre. Fort peu de temps après l’insurrection de Février, la 1re brigade était sortie de la subordination. Elle ne voulait combattre ni pour l’Alsace ni pour la Lorraine. Elle ne voulait pas mourir pour la belle France. Elle voulait essayer de vivre dans la Russie neuve. La brigade fut ramenée à l’arrière et cantonnée au centre de la France dans le camp de La Courtine.

" Au milieu de bourgades bourgeoises — raconte Lissovsky — dans un immense camp, commencèrent à vivre en des conditions tout à fait particulières, insolites, environ dix mille soldats russes mutinés et armés, n’ayant pas auprès d’eux d’officiers et n’acceptant pas, résolument, de se soumettre à quiconque. " Komilov trouva une occasion exceptionnelle d’appliquer ses méthodes d’assainissement avec le concours de Poincaré et de Ribot, qui avaient tant de sympathie pour lui. Le généralissime russe ordonna, par télégramme, de réduire " les hommes de La Courtine à l’obéissance " et de les expédier à Salonique. Mais les mutins ne cédaient pas. Vers le 1er septembre, on fit avancer de l’artillerie lourde et, à l’intérieur du camp, l’on colla des affiches portant le télégramme comminatoire de Kornilov. Mais, justement alors, dans la marche des événements, s’inséra une nouvelle complication : les journaux français publièrent la nouvelle que Kornilov lui-même était déclaré traître et contre-révolutionnaire. Les soldats mutinés décidèrent définitivement qu’il n’y avait aucune raison pour eux d’aller mourir à Salonique, et qui plus est sur l’ordre d’un général traître. Vendus en échange de munitions, les ouvriers et les paysans résolurent de tenir tête. Ils refusèrent d’avoir des pourparlers avec aucune personne du dehors. Pas un soldat ne sortait plus du camp.

La 2e brigade russe fut avancée contre la 1re. L’artillerie occupa des positions sur les pentes des collines voisines ; l’infanterie, selon toutes les règles de l’art du génie, creusa des tranchées et des avancées vers La Courtine. Les environs furent solidement encerclés par des chasseurs alpins, afin que pas un seul Français ne pénétrât sur le théâtre de la guerre entre deux brigades russes. C’est ainsi que les autorités militaires de la France mettaient en scène sur leur territoire une guerre civile entre Russes, après l’avoir précautionneusement entourée d’une barrière de baïonnettes.
C’était une répétition générale. Par la suite, la France gouvernante organisa la guerre civile sur le territoire de la Russie elle-même en l’encerclant avec les fils barbelés du blocus.

" Une canonnade en règle, méthodique, sur le camp, fut ouverte. " Du camp sortirent quelques centaines de soldats disposés à se rendre. On les reçut, et l’artillerie rouvrit aussitôt le feu. Cela dura quatre fois vingt-quatre heures. Les hommes de La Courtine se rendaient par petits détachements. Le 6 septembre, il ne restait en tout qu’environ deux centaines d’hommes qui avaient décidé de ne pas se rendre vivants. A leur tête était un Ukrainien nommé Globa, un baptiste, un fanatique : en Russie, on l’eût appelé un bolchevik. Sous le tir de barrage des canons, des mitrailleuses et des fusils, qui se confondit en un seul grondement, un véritable assaut fut donné. A la fin des fins, les mutins furent écrasés. Le nombre des victimes est resté inconnu. L’ordre, en tout cas, fut rétabli. Mais, quelques semaines après, déjà, la 2e brigade, qui avait tiré sur la 1re, se trouva prise de la même maladie…

Les soldats russes avaient apporté une terrible contagion à travers les mers, dans leurs musettes de toile, dans les plis de leurs capotes et dans le secret de leurs âmes. Par là est remarquable ce dramatique épisode de La Courtine, qui représente en quelque sorte une expérience idéale, consciemment réalisée, presque sous la cloche d’une machine pneumatique, pour l’étude des processus intérieurs préparés dans l’armée russe par tout le passé du pays."

45.000 soldats russes sont envoyés pour appuyer les forces alliées : deux brigades sont envoyées en France (elles voyagent depuis l’extrême est de la Russie – Vladivostok – et débarquent à Marseille en passant par le canal de Suez) ; deux autres brigades sont envoyées sur le front des Balkans pour aider les corps expéditionnaires britanniques et français.

Après le défilé d’arrivée à Marseille et une formation militaire avec la fourniture d’équipements (dont un casque français sur lequel a été ajouté un aigle bicéphale), les soldats russes sont envoyés en Champagne et se battent dans les secteurs de Suippes et d’Aubérive. Au début de l’année 1917, les deux brigades attaquent et remportent le Fort de la Pompelle, près de Reims, puis, en avril, elles participent à l’offensive – et l’échec cuisant – du Chemin des Dames, déclenchée par le général Nivelle, nouveau chef de l’Armée française. Dans cette boucherie, les brigades russes perdent près de 5.000 soldats, sur les 19.000 engagés.

Les conséquences de la Révolution russe

Entre-temps, en février 1917, la Révolution entraîne un dilemme des ex-soldats du tsar : doivent-ils rejoindre la mère patrie et cesser les combats ou doivent-ils rester fidèles à Nicolas II et continuer la lutte aux côtés des Français (les négociations de paix entre les Empires Centraux et la Russie sont engagées en décembre 1917) ? Pour éviter une contamination des troupes françaises, il est décidé de partager les deux brigades : la 1ère, plutôt « rouge » est envoyée dans un camp militaire, la Courtine ; la 2ème, plutôt loyaliste, est dirigée sur Felletin, également dans le département de la Creuse. Placer les deux divisions dans des camps proches est une erreur.

A La Courtine, les Russes pro-Lénine créent des comités bolchéviques et exigent le retour immédiat en Russie. Ils essaient également de rallier les Russes loyalistes. Le camp est transformé en une faction autogérée. L’Ukrainien Globa prend la tête du mouvement. Les soldats russes profitent également de leur isolement pour fraterniser avec les populations locales et coopèrent aux travaux des champs. Effrayé à l’idée que les idées bolchéviques ne contaminent la population, l’Etat-major de l’Armée française envoie plus de 3.000 hommes pour mater la rébellion. Les populations civiles sont évacuées le 12 septembre 1917 à la périphérie du camp, et le surlendemain, La Courtine est pilonnée à coups de canon. Rapidement matés, au prix de centaines de morts, les soldats russes se rendent. Globa est arrêté.

Le récit en images

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