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Les conditions de la victoire dans la révolution espagnole

vendredi 8 mars 2024, par Robert Paris

Les conditions de la victoire dans la révolution espagnole

Les conditions de la victoire des masses dans la guerre civile contre les oppresseurs sont au fond très simples.

1. Les combattants de l’armée révolutionnaire doivent avoir pleine conscience qu’ils se battent pour leur complète émancipation sociale et non pour le rétablissement de l’ancienne forme (démocratique) d’exploitation.

2. La même chose doit être comprise par les ouvriers et les paysans aussi bien à l’arrière de l’armée révolutionnaire qu’à l’arrière de l’armée ennemie.

3. La propagande sur son propre front, sur le front de l’adversaire et à l’arrière des deux armées, doit être complètement imprégnée de l’esprit de la révolution sociale. Le mot d’ordre « D’abord la victoire, ensuite les réformes », c’est la formule de tous les oppresseurs et exploiteurs, à commencer par les rois bibliques et à finir par Staline.

4. La victoire est déterminée par les classes et couches qui participent à la lutte. Les masses doivent avoir un appareil étatique qui exprime directement et immédiatement leur volonté. Un tel appareil ne peut être construit que par les soviets des députés des ouvriers, des paysans et des soldats.

5. L’armée révolutionnaire doit non seulement proclamer, mais réaliser immédiatement, dans les provinces conquises, les mesures Ies plus urgentes de la révolution sociale : expropriation et remise aux besogneux des réserves existantes des produits alimentaires, manufacturés et autres, redistribution des logements au profit des travailleurs, et surtout des familles des combattants, expropriation de la terre et des instruments agricoles au profit des paysans, établissement du contrôle ouvrier sur la production et du pouvoir soviétique à la place de l’ancienne bureaucratie.

6. De l’armée révolutionnaire doivent être impitoyablement chassés les ennemis de la révolution socialiste, c’est-à-dire les éléments exploiteurs et leurs agents, même s’ils se couvrent du masque de « démocrate », de « républicain », de « socialiste » ou d’ « anarchiste ».

7. A la tête de chaque division doit se trouver un commissaire d’une autorité irréprochable, comme révolutionnaire et comme combattant.

8. Dans chaque division militaire, il doit y avoir un noyau bien soudé des combattants les plus dévoués, recommandés par des organisations ouvrières. Les membres de ce noyau ont un privilège, celui d’être les premiers au feu.

9. Le corps de commandement comprend nécessairement dans les premiers temps beaucoup d’éléments. étrangers et peu sûrs. Leur vérification et leur sélection doivent se faire sur la base de l’expérience militaire, des attestations fournies par les commissaires et des avis émanant des combattants du rang. En même temps, des efforts doivent être entrepris en vue de la préparation de commandants venant des rangs des ouvriers révolutionnaires.

10. La stratégie de la guerre civile doit combiner les règles de l’art militaire avec les tâches de la révolution sociale. Non seulement dans la propagande, mais aussi dans les opérations militaires, il est nécessaire de compter avec la composition sociale des différentes parties de l’armée adverse (volontaires bourgeois, paysans mobilisés ou, comme chez Franco, esclaves coloniaux) et, lors du choix des lignes d’opération, de tenir compte strictement de la culture sociale des régions correspondantes du pays (régions industrielles, paysannes, révolutionnaires ou réactionnaires, régions de nationalités opprimées, etc.). En bref, la politique révolutionnaire domine la stratégie.

11. Le gouvernement révolutionnaire, en tant que comité exécutif des ouvriers et paysans, doit savoir conquérir la confiance de l’armée et de la population laborieuse.

12. La politique extérieure doit avoir pour principal d’éveiller la conscience révolutionnaire des ouvriers, des paysans et des nationalités opprimées du monde entier.

Léon Trotsky, 1937

Source : https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1937/12/lt19371217.htm

Staline a assuré les conditions de la défaite.

Les conditions de la victoire sont, nous le voyons, tout à fait simples. Leur ensemble s’appelle la révolution socialiste. Aucune de ces conditions n’a existé en Espagne. La principale raison en est qu’il n’y avait pas de parti révolutionnaire. Staline, certes, a tenté de transporter sur le terrain de l’Espagne les procédés extérieurs du bolchévisme : bureau politique, commissaires, cellules, G.P.U., etc. Mais il avait vidé ces formes de leur contenu socialiste. Il avait rejeté le programme bolchévique et, avec lui, les soviets en tant que forme nécessaire de l’initiative des masses. Il a mis la technique du bolchévisme au service de la propriété bourgeoise. Dans son étroitesse bureaucratique, il s’imaginait que des commissaires étaient capables par eux-mêmes d’assurer la victoire. Mais les commissaires de la propriété privée ne se sont trouvés capables que d’assurer la défaite.

Le prolétariat a manifesté des qualités combatives de premier ordre. Par son poids spécifique dans l’économie du pays, par son niveau politique et culturel, il se trouvait, dès le premier jour du la révolution, non au-dessous, mais au-dessus du prolétariat russe du commencement de 1917 [39]. Ce sont ses propres organisations qui furent les principaux obstacles sur la voie de la victoire. La clique qui commandait, en accord avec la contre-révolution, était composée d’agents payés, de carriéristes, d’éléments déclassés et de rebuts sociaux de toutes sortes. Les représentants des autres organisations ouvrières, réformistes invétérés, phraseurs anarchistes, centristes incurables du P.O.U.M., grognaient, hésitaient, soupiraient, manœuvraient, mais en fin de compte s’adaptaient aux staliniens. Le résultat de tout leur travail fut que le camp de la révolution sociale (ouvriers et paysans), se trouva soumis à la bourgeoisie, plus exactement à son ombre, perdit son caractère, perdit son sang. Ni l’héroïsme des masses, ni le courage des révolutionnaires isolés ne manquèrent. Mais les masses furent abandonnées à elles-mêmes et les révolutionnaires laissés à l’écart, sans programme, sans plan d’action. Les chefs militaires se soucièrent plus de l’écrasement de la révolution sociale que des victoires militaires. Les soldats perdirent confiance en leurs commandants, les masses dans le gouvernement ; les paysans se tinrent à l’écart, les ouvriers se lassèrent, les défaites se succédaient, la démoralisation croissait. Il n’était pas difficile de prévoir tout cela dès le début de la guerre civile. Se fixant comme tâche le salut du régime capitaliste, le front populaire était voué à la défaite militaire. Mettant le bolchévisme la tête en bas, Staline a rempli avec succès le rôle principal de fossoyeur de la révolution [40].

L’expérience espagnole, soit dit en passant, démontre de nouveau que Staline n’a rien compris à la révolution d’Octobre ni à la guerre civile. Son lent esprit provincial est resté en retard sur la marche impétueuse des événements de 1917 à 1921. Tous les discours et articles de 1917 où il exprimait une pensée propre contiennent déjà sa toute dernière doctrine thermidorienne. Dans ce sens, le Staline de l’Espagne de 1937 est le continuateur du Staline de la conférence de mars 1917 [41]. Mais, en 1917, il était seulement effrayé par les ouvriers révolutionnaires et, en 1937, il les a étranglés ; l’opportuniste s’est fait bourreau.

La guerre civile à l’arrière.

« Mais, pour obtenir la victoire sur les gouvernements Caballero-­Negrin, il aurait fallu la guerre civile à l’arrière des armées républicaines ! » s’écrie avec effroi le philosophe démocrate. Comme si, sans cela, il n’y aurait pas eu au sein de l’Espagne républicaine une guerre civile, la plus fourbe et la plus malhonnête, la guerre des propriétaires et des exploiteurs contre les ouvriers et les paysans ! Cette guerre incessante se traduisit par des arrestations et des assassinats de révolutionnaires, le désarmement des ouvriers, l’armement de la police bourgeoise, l’abandon au front, sans armes ni secours, des détachements ouvriers enfin, dans l’intérêt prétendu du développement de l’industrie de guerre. Chacun de ces actes constitue un coup cruel pour le front, une trahison militaire avérée, dictée par les intérêts de classe de la bourgeoisie. Cependant, le philistin « démocrate », et il peut être stalinien, socialiste ou anarchiste, juge la guerre civile de la bourgeoisie contre le prolétariat, même à l’arrière immédiat du front, comme une guerre naturelle et inévitable qui a pour but « d’assurer l’unité du Front populaire ». Par contre, la guerre civile du prolétariat contre la contre-révolution républicaine est, aux yeux du même philistin, une guerre criminelle, « fasciste », « trotskiste », qui détruit l’unité des forces antifascistes. Des dizaines de Norman Thomas, de major Attlee, de Otto Bauer, de Zyromski, de Malraux, et de petits trafiquants de mensonge dans le genre de Duranty et de Louis Fischer répandent cette sagesse à travers le monde entier. Entre-temps, le gouvernement de Front populaire se déplace de Madrid à Valence et de Valence à Barcelone.

Si, comme l’attestent les faits, la révolution socialiste est seule capable d’écraser le fascisme, d’un autre côté l’insurrection du prolétariat n’est concevable que si la classe dominante tombe dans l’étau de grandes difficultés. Pourtant, les philistins démocrates invoquent précisément ces difficultés pour démontrer que l’insurrection prolétarienne est inadmissible. Si le prolétariat attend que les philistins démocrates lui annoncent l’heure de son émancipation, il restera éternellement esclave. Apprendre aux ouvriers à reconnaître les philistins réactionnaires sous tous leurs masques et à les mépriser, quels que soient ces masques, telle est la tâche première et la principale obligation révolutionnaire.

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